Argent

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Echevin et sa femme. Reymersvale. 1538.
Musée des beaux Arts de Nantes.

Le Grand Robert de la langue française : Moyen de paiement, monnaie, ce qui représente cette monnaie.

Trésor de La langue Française : Ensemble du numéraire, des valeurs, des biens possédés ou exploités en quantité importante par un particulier ou une collectivité.

Synonymes : Bitcoin. Espèces. Fonds. Fortune. Capital. Numéraire. Pécule. Recette. Ressource. Richesse.

Contraires : Echange. Gratuité. Troc.

Par analogie : Agios. Avarice. Liquide. Carte de crédit. Chèque. Deniers. Fauché. Finance.  Epargne. Espèces. Finance. Fortune Liquide.  Le mur de l’argent. Monnaie. Or. Pauvre. Pécule. Plannche à billet. Riche. Ruine. Traite. Valeur. Virement.

(populaire) : Artiche (argot). Avoine. Blé. Braise. Flouze. Fraîche. Fric. Calette. Grisbi. La thune. Pépètes. Pèze. Picaillons. Poignon. Oseille. Radis. Talbins.

Expressions: En avoir pour son argent. Être à court d’argent. Faire de l’argent.. Jeter son argent par les fenêtres. La parole est d’argent. L’argent mène le monde. L’argent nerf de la guerre. L’argent ne fait pas le bonheur. L’argent sans foi ni loi. Le mur de l’argen Le silence est d’or. Le temps c’est de l’argent. Lets make money. Plaie d’argent n’est pas mortelle. Prendre pour argent comptant.

Lorsqu’on lit l’article : « Argent » dans l’encyclopédie de Diderot et D’Alembert (1761), au mot argent il n’est question que du métal que des mines d’argent, que de l’utilisation en chimie de l’argent. La valeur fiduciaire alors n’existe pas.

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« L’argent ne fait pas le bonheur est un proverbe de pauvre » (Coluche)

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«  L’argent ouvre toutes les portes et supprime tous les obstacles lorsque sa possession permet de réaliser tous ses rêves »  (L’argent sans foi ni loi. Monique et Michel Pinçon Charlot)

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« L’argent est l’entremetteur entre le besoin et l’objet, entre la vie et le moyen d’existence de l’homme… » (Karl Marx. Oeuvres philosophiques. Tome 2. § Economie politique et philosophique)

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« L’argent ne compense pas l’absence de substance de l’être » Fabrice Luchini)

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« Ma seconde forme, ç a estté d’avoir de l’argent…. j’en faisoy un secret ; et moy, qui ose tant dire de moy, ne parloy de mon argent qu’en mensonge, comme font les autres, qui s’appauvrissent riches, s’enrichissent pauvres, et dispensent leur conscience de ne jamais témoigner sincèrement de ce qu’ils ont. Ridicule et honteuse prudence »   «  …. Tout compté il y a plus de peine à garder l’argent, que de l’acquérir » (Montaigne. Essais Livre I. § 14.)

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« L’argent est un bon serviteur et un mauvais maître » (Alexandre Dumas)

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« Peut-être ne savions-nous pas, ni l’un ni l’autre à quel point nous aimions l’argent… Non je suis injuste, tu ne l’as jamais aimé qu’à cause de tes enfants ; tu m’assassinerais, peut-être, afin de les enrichir, mais tu t’enlèverais pour eux le pain de la bouche. Tandis que moi…, j’aime l’argent, je l’avoue, il me rassure. Aussi longtemps que je serai le maître de la fortune, vous ne pouvez rien contre moi. « Il en faut si peu à votre âge », me répètes-tu ! Quelle erreur ! Un vieillard n’existe que par ce qu’il possède. Dès qu’il n’a plus rien, on le jette au rebut, nous n’avons pas le choix entre la maison de retraite, l’asile, te la fortune.

Les histoires de paysans qui mourir leurs vieux de faim, après qu’ils les ont dépouillés que de fois ai-je surpris l’équivalent, avec un peu plus de formes et de manières dans les familles bourgeoises. Eh bien ! Oui ! J’ai peur de m’appauvrir.

Il me semble que je n’accumulerai jamais assez d’or.

Vous il vous attire !

Moi, il me protège (François Mauriac. Le noeud de vipères)

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« L’argent, ah ! maudite engeance, fléau des humains ! Il ruine les cités, il chasse les hommes de leurs maisons, maître corrupteur, il pervertit les consciences, leur enseigne des ruses criminelles… »   (Antigone. Sophocle. Page 76. Garnier/Flammarion. 1964)

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Le discours sur la paix.

Vers la fin d’un discours extrêmement important.

Le grand homme d’état trébuchant

sur une belle phrase creuse..,

tombe dedans..,

et, désemparé, la bouche ouverte,

haletant,

montre les dents,

et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements

met à vif le nerf de la guerre :

la délicate question d’argent !
Jacques Prévert.

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« Devenus tour à tour marchands et marchandises, nous ne demandons plus ce que sont les choses, mais combien elles coûtent ». (Sénèque)

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«  Renonce donc à interdire l’argent aux philosophes : personne n’a condamné la sagesse à la pauvreté ». (Sénèque. La vie heureuse. § XXIII. 1)

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« C’est autour de l’argent que se fait tout ce bruit, c’est l’argent qui fatigue les échos du forum, qui met les fils aux prises avec leurs pères, qui prépare des poisons, qui confie le glaive aux sicaires, aussi bien qu’aux légions. Oui, l’argent est partout souillé de sang humain ; pour l’argent, maris et femmes troublent par leurs querelles le silence des nuits, la foule se presse devant le tribunal des juges ; enfin si les rois massacrent et pillent, s’ils renversent des cités, oeuvre des siècles, c’est pour aller, dans leurs cendres fumantes, chercher l’or et l’argent.  (Sénèque.)

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« Il faut de l’argent, même pour se passer d’argent »  (Balzac)

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L’argent comme l’or corrompt les hommes, c’est pour cela que lorsque des sociétés idéales, utopiques, ont été imaginées, ces valeurs devaient être prises en compte. Dans Utopia Thomas Moore dit que dans sa société il existe de l’or, mais qu’il sert à un seul et exclusif usage, on en fait des vases de nuit.  (Luis)

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 « Mon seul adversaire, celui de la France, n’a jamais cessé d’être l’argent ». Ch. de Gaulle

« Mon adversaire c’est la finance » François Hollande. Président de la République 2012/2017

« L’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase. L’argent-roi qui pourri la conscience des hommes » (François Mitterrand)

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La sociologue Janine Mossuz-Lavau dans « L’argent et nous », explique : « Cette hostilité s’explique par le fait que nous venons presque tous de familles paysannes. Dans la culture rurale, personne ne parlait d’argent car on l’avait tous en liquide à la maison »

L’argent parfois rend fou; cela est merveilleusement illustré dans un film italien de Luigi Comencini « L’argent de la vieille » (1972) avec Bete Davis, Sylvana Mangano, Alberto Sordi. Quand des grosses sommes semblent juste à portée de la main, les gens peuvent perdre toute raison (La scopa) ; Et l’argent n’a pas que cet aspect presque hypnotisant sur les seuls pauvres.  (Luis)

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« Tant que l’argent fiduciaire mis en circulation par les Etats avait son équivalence en réserve d’or, ces derniers et les peuples contrôlaient d’une certaine façon l’argent. En 1944 l’Europe détruite une seconde fois, se voit imposer par les Etats-Unis le dollar comme seule monnaie convertible en or, ce sera les accords de Brettons Wood. Vingt sept ans plus tard, en 1971, la convertibilité dollar/or est abandonnée, l’argent s’est dématérialisé, la monnaie est autocréatrice, la planche à billet vert se met en route, de la « monnaie de singe » diront des économistes. Il s’ensuivra les monnaies scripturales : cartes de crédit, valeurs papier, crédits titrisés (les subprimes) ; les hommes ont totalement perdu le contrôle de l’argent.

      Dans la question il s’agit aussi et surtout de la structure sociale qui s’est construite autour de l’argent, structure dont on ne connaît que la partie émergée de l’iceberg, structure anonyme des personnes ayant les mêmes aspirations, faire de l’argent pour faire de l’argent, quelque chose qui ressemble à l’idéal tellement vanté dans nos sociétés modernes ; devenir riche »  (Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon. L’argent sans foi ni loi)

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Mais l’argent n’a pas toujours eu force de lois, ainsi cette déclaration de Cromwell en 1650 : « Daignez réformer les abus de toutes les professions ; que s’il s’en trouve une qui fasse beaucoup de pauvres pour un petit nombre de riches, cela ne sert point la chose publique »

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 « L’argent nous permet de commercer et d’échanger des savoirs faire et des compétences. Sans cet outil, nous serions bien plus pauvres, et pas seulement au plan financier »  (Peter Singer. Extrait d’un article dans philosophie magazine)

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La philosophie est-elle une réponse aux excès du pouvoir de l’argent. Elle n’apprend pas bien sûr, à s’en passer, mais elle peut apprendre à ne pas en être l’esclave. Cela semble possible lorsque l’on voit deux personnes avec un même revenu dans le même contexte, et que l’une va vivre gentiment avec ce budget et que l’autre va « tirer le diable par la queue » (Luis)

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 » –Ford – …car comme on dit, quand l’argent précède, toutes les portes s’ouvrent.

 » – Falstaff – Monsieur, l’argent est un bon soldat qui va toujours en avant » (Shakespeare. Les joyeuses commères de Windsor)    

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Introduction au débat : « L’argent mène t-il le monde ? »:  Si je n’avais pas moi-même proposé ce thème, je dirais qu’il faut être d’une grande naïveté pour poser une telle question, car, et c’est ce que pour beaucoup de nous, pensons, l’argent très souvent, mène ce monde. Mais, je dirai, (et c’est là l’issue de secours), ce qui nous sauve, ou ce qui nous console, c’est que  de temps à autre on peut trouver des exemples où l’argent ne mène pas ce monde; et c’est là où je compte sur vous pour trouver des exemples afin que ce débat ne soit fermé.

      Dans une première approche j’évoquerai l’argent et son rôle dans nos pays occidentaux. Nous vivons une époque où, dans la plupart des pays, une nouvelle idéologie est au pouvoir. Ce que nulle idéologie n’avait pu faire, semble être en train de se réaliser, c’est la domination de la toute puissance de l’argent sous ses diverses formes, c’est le grand Monopoly et ses structures qu’on appelle : « Les Marchés », ou le « FMI » l’«  OMC » l’ « OCDE », lesquels fixent les règles favorables aux échanges monétaires, ou incitent aux dérégulations qui permettent que l’argent circule en dehors des contrôles exercés antérieurement par les Etats. Mais cette nouvelle valeur suprême, ce « dieu l’argent » peut aussi être un diable, un diable « qui joue aux dés », et qui va subordonner les états, subordonner les politiques dans un processus infernal : c’est l’économie emballée, économie totalement affranchie des règles sociales, et là, les états, et les citoyens perdent totalement le contrôle.

    En fait, de simple outil, simple moyen, ni bon, ni mauvais en soi, l’argent ne serait-il pas devenu le maître de notre monde moderne ? Nous avons là, l’argent comme personnage acteur ; acteur sans visage, lequel devient un mot paravent pour une minorité pour beaucoup, anonyme, qui depuis toujours cherche à assurer et pérenniser son pouvoir acquit par les richesses. Et, dans le film documentaire, « Let’s make money » (Laissez faire l’argent) la question est posée, en regard du défi écologique et de l’impasse où semble nous conduire ce système : « Combien de temps pourrons-nous encore nous offrir le luxe d’avoir des riches ? »

    De simple moyen, l’argent est devenu un dieu, « Señor dinero » disait un poème español du 14 ème siècle. L’argent, devenu une nouvelle religion, nécessite une croyance, bien sûr. Imaginez ! échanger une vache contre un morceau de papier ! Imaginez ! vendre des titres de crédit d’un habitant de Cleveland (USA) quand le prêteur sait pertinemment que l’acheteur n’est pas solvable. Et comme toute religion,  l’argent a son clergé, ses adorateurs; il a ses apôtres, il a son pèlerinage annuel à Davos, son lieu saint, au Mont Pèlerin, il a son enfer que sont les crises que subissent les peuples, mais rassurez-vous, il a ses paradis (paradis fiscaux, s’entend)  il a ses soldats, ses mercenaires dans divers milieux, il a ses récitants dans nombre de médias, ceux qu’on nomme, les économistes, et, il a ses milliers d’esclaves /consommateurs, et très souvent des esclaves dans une « servitude volontaire », dont nous faisons tous plus ou moins partie.  L’argent est  devenu véritablement, dans ce cas « l’outil d’aliénation » suivant la formule de Karl Marx. (Manuscrit économique et philosophique. 1844)

    L’écrivain François Fourquet (professeur de science économique à l’université Paris VIII) pose ainsi cette question : « L’argent mène t-il le monde ? où ne fait-il que se plier aux choix fondamentaux des civilisations ? Dénonçons-nous l’argent corrupteur pour ne pas avoir à dénoncer plus profondément le système de valeurs qu’il révèle» (L’argent, la puissance, et l’amour. François Fourquet)

    Alors, comment réfuter l’idée que l’argent mène le monde ; sauf, à penser, à croire, (car nous sommes des optimistes), en la capacité de l’homme à dépasser son intérêt de l’instant, ou sauf à penser que comme nous le disait récemment dans une émission, un scientifique, l’astrophysicien et historien des sciences,  Jean-Paul Delage*, (émission où il commente le livre qu’il a coécrit) : « Une histoire de l’énergie » que , à court terme: « nombre des décisions politiques découleront plus de l’environnemental que de l’économie ». Ou encore,  sauf à penser que d’autres valeurs peuvent, sinon mener le monde : ou du moins, dans certaines circonstances, avoir plus de poids pour le devenir de ce monde. Cela pourrait être pourquoi pas, l’amour, (le rêve n’est pas interdit), « La puissance de l’amour serait-elle plus forte que l’amour de la puissance ». (François Fourquet). Cela pourrait être, le souci de l’autre, ou, un idéal du bien vivre ensemble, une solidarité envers les générations actuelles comme envers les générations futures, un monde où les idées auraient plus de poids que l’argent. Allez ! soyons « rationnellement » utopistes, ça ne coûte rien !

      Et enfin, la question se pose aussi à chacun de nous: quelle place donnons-nous à l’argent, et quel est notre rapport à chacun, avec l’argent?  (Luis)

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« Ceux qui prétendent que l’argent ne signifie pas grand-chose pour eux m’ont toujours semblé peu sincères. Car celui-ci s’immisce dans chaque aspect de nos existences. Même si vous essayez de vivre simplement, sans vous plaindre de revenus modestes ou inexistants, voire en renonçant à la possession de biens matériels, l’argent continuera à avoir un impact indéniable sur vous, à moins de rejoindre quelque ordre religieux coupé du monde ; et même si vous vous faites carmélite ou moine contemplatif, reste la nécessité de maintenir cette structure à un semblant d’équilibre financier.

L’argent définit votre statut, votre position dans la société, vos aspirations et vos ambitions, vos doutes et vos échecs, vos accès d’extravagance, votre avarice, votre générosité (ou votre absence totale d’altruisme), votre besoin de plaire et d’être gratifié, votre soif de prouver votre valeur ou de ne rien prouver du tout, vos rêves frustrés et vos réalisations, votre désir d’impressionner ou de passer inaperçu et, bien entendu, votre relation au sexe… car l’argent pénètre jusqu’à cette région pourtant des plus intimes.

Dites-moi quelle est votre relation à largent et je vous dirai, presque à coup sûr, qui vous êtes, quelles motivations psychologiques et sentimentales inspirent vos actes. Et si Freud avait raison de remarquer que, une fois adultes, nous continuons à revivre toutes nos frustrations enfantines, notre rapport à l’argent se constitue lui aussi à ce stade initial et initiatique de notre vie. De la même manière, notre identité nationale, nos origines socio-économiques et culturelles déterminent profondément notre vision de la dépense et de l’épargne quand vient le moment de nous faire une place dans le monde »   (Kennedy Douglas. Combien. Belfond 2012)

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« Le respect universel de l’argent est la grande raison d’espoir de notre civilisation, le principal élément de bon sens dans notre conscience collective. L’argent est la chose la plus importante qui soit au monde. Il est synonyme de santé, de force, de prestige, de générosité et de beauté aussi clairement que son absence signifie maladie, faiblesse, honte, méchanceté et laideur. »  (George Bernard Shaw. Homme et surhomme)

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L’argent

Quand on parle d’argent, ça semble aller de soi,

Il nous semble évident, c’est du chacun pour soi.

Nous parait indécent, de devoir dévoiler,

D’où nous vient cet argent, prétendument gagné.

L’argent est un outil, nécessaire chaque fois

Qu’il nous parait urgent, de sortir de chez soi.

Pour aller acquérir, soit de bien se gaver,

Soit de bien se vêtir, et de pouvoir payer.

Le troc est révolu, car bien trop compliqué

D’échanger une laitue contre un steak haché.

Au niveau du commerce des amours tarifées,

Aucun désir ne perce, que cela puisse changer.
L’argent domine le monde, de multiples façons,

Entraînant dans la honte, pouvoir et corruption.
Contre un beau billet vert, sur certains continents,

L’individu espère, être riche un instant.

Que dire du loto, du sulfureux quinté,

Qui pousse les gogos, à toujours s’endetter.

Que dire de la bourse, ce piège à double fond,

Qui très souvent nous pousse, à brader nos actions.

Au moment attendu, de payer les impôts,

Nous sommes tous cocus, cocus bien comme il faut,

A l’exception de ceux, dont l’évasion fiscale,

Offre le choix radieux, d’un asile tropical.

Argent je te déteste, mais j’ai besoin de toi,

Tu représente peste et plaisir à la fois.

Je ne sais pas comment, pouvoir me passe,

De ton fil tranchant, toujours prêt à blesser.

Jean-Pierre Palissier (2013)

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« C’est une erreur que de condamner le veau d’or au motif qu’il ordonnerait une société de l’avoir. L’argent – et c’est ce qui le rend  si attractif et  séduisant – est une abstraction. Si l’or est un métal, l’argent est une idée. C’est la pauvreté et non la richesse qui est matérialiste, puisque le manque de moyens oblige à tout calculer, sou après sou, au jour le jour, sans jamais s’affranchir des soucis matériels. L’argent, à l’inverse, nous émancipe, il nous donne un avenir, nous permet de faire des plans. Quiconque condamne l’argent condamne les hommes à la servitude et se fait complice de leur abaissement. En posséder, c’est tenir dans la main, tous les possibles. En manquer, c’est rester prisonnier d’un présent éternel, être entravé par ses propres besoins. Avant de nous piéger dans une insatisfaction perpétuelle, l’argent nous libère» (Pascal Bruckner. Interview Philosophie magazine N° 112)

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« Le montant du chèque qu’on lui donne (au comédien) exprime l’intensité du désir qu’on a de lui. Cependant un acteur qui ne se ferait pas payer serait exactement comme une prostituée qui ferait des passes gratuites……Je ne joue pas pour améliorer le monde, ni pour prêcher la bonne parole.., alors que je suis sur le point d’entrer dans une salle bondée, je pense au chèque, ça ma donne un coup de boost »   (Fabrice Luchini. Interview Philosophie mag. 112)

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«  Le mot argent, selon le dictionnaire historique de la langue française, date du 9 ème siècle ; il est issu de argentum en latin qui désigne le métal, et a d’abord, et encore aujourd’hui, le sens  de métal blanc précieux. Le sens de « monnaie métallique » apparaît très tôt (en 1080), d’abord pour « monnaie d’argent » puis pour toute monnaie métallique. La notion attachée au mot deviendra de plus en plus abstraite à mesure que la monnaie se détachera des métaux précieux : assignats et billets  représentent le métal et  sont de l’argent. Cependant on a, dés l’ancien français, désigné le moyen de paiement en général par un mot d’abord concret (monnaie, deniers, pécune).

      Le fait que ce soit argent plutôt que ces mots ou que  le mot « or » qui ait pris la valeur de moyen de paiement en français moderne, vient de l’histoire financière qui a donné à la monnaie d’argent la plus grande importance (quantitativement).Il vient aussi de l’usage de la langue donnant lieu à de nombreux syntagmes (argent frais, argent liquide argent comptant, argent de poche, manger son argent , faire de l’argent de quelque chose, prendre pour argent comptant, jeter l’argent à poignées, être à court d’argent, en avoir pour son argent, faire de l’argent: en gagner, bourreau d’argent: prodigue, être cousu d’argent  très riche .. En fin le mot argent est l’un des substantifs qui a le plus grand nombre de synonymes argotiques et familiers (blé, fric, flouze, pèze..)

 Tous ces usages du mot argent sont apparus entre le 16 ème et le 19 ème siècle, et l’histoire financière, comme l’histoire de ces  mots de la langue française est l’histoire, en France, du passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste.

        Si je fais cette lecture du dictionnaire d’Alain Rey, selon laquelle l’argent est le moteur de l’histoire humaine du 16ème siècle  à nos jours, c’est à dire dans la période de mise en place du système capitaliste, c’est aussi parce que  Marx m’a enseigné: que la monnaie est devenue l’équivalent général de toute marchandise, là où, et lorsque le marché a remplacé toutes les formes d’échange (troc, potlatch dans les sociétés amérindiennes, don, et contre don dans les sociétés dites primitives, sacrifices aux dieux dans les sociétés polythéistes, cadeaux de Noël (dans les sociétés monothéistes de tradition chrétienne..). L’argent est devenu une valeur d’échange quand il a perdu sa valeur d’usage. Et alors règne dans toutes les sociétés à mode de production capitaliste, ce que Marx nomme « le monothéisme de l’argent «  (Contribution à la critique de l’économie politique 1859). Il faudrait, bien sûr, avoir le point de vue d’historiens pour vérifier en quelque sorte le bien fondé de cette thèse. Mais nous  faisons l’expérience chaque jour de la domination, dans notre type de société, de la religion de l’argent.

        Un sociologue, Max Weber, a écrit un ouvrage (déjà cité) « L’éthique protestante et l’esprit  du capitalisme »  pour montrer que le capitalisme n’est pas seulement lié à la logique du profit et à l’exploitation de l’être humain, mais qu’il est accumulation du capital  en vue d’une organisation rationnelle du travail, et qu’à l’origine il est lié à l’éthique protestante, puritaine, qui condamne la consommation et la jouissance, et privilégie du même coup le réinvestissement des produits du travail .Et cela jusqu’à  l’excès. Certains (des historiens et le journaliste Jean François Kahn) parlent du « totalitarisme de l’argent »  pour la période contemporaine. Un seul exemple anecdotique mais combien significatif : ils sont de plus en plus nombreux les internautes qui revendent en ligne leurs cadeaux de Noël

      Le totalitarisme de l’argent nous en faisons l’expérience aujourd’hui: la crise financière mène le monde au sens propre des termes et conduit les peuples à la catastrophe, à la misère en-deçà de la pauvreté.  C’est ce que Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot analysent dans un petit ouvrage: « L’argent sans foi ni loi » et suggèrent que l’argent redevienne ce qu’il n’aurait jamais du cesser d’être, un bien public. Il y a eu des tentatives utopiques de sociétés où l’argent n’appartient à personne, où il est un bien public: les kibboutz au début de leur construction, des communautés sans hiérarchie, des sociétés sans Etat. A nous de voir comment s’inspirer de ces expériences sociales pour que le moteur de notre histoire ne soit plus l’argent.

C’est peut être cela le sens de « l’humain d’abord »  ou  de ses dérivés « l’amour du prochain » ou  « la reconnaissance  de l’autre » qui doivent, selon moi: « mener le monde ».  (Edith Deléage-Perstunski, professeure de philosophie)

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Dans une émission le 14 octobre 2011 sur FR 5, «  L’argent, nouveau dieu ? », le philosophe et historien Emmanuel Todd expliquait que : « L’argent n’existe que si il y a un État » et « qu’un des délires de l’époque est de croire qu’existe tout seul ». Il ressort en substance de ses propos que : les grandes masses monétaires qui se gèrent en pilotage automatique mettent en danger même, l’économie de base, et  dans les moindres échanges.

    Il me semble, que le vide idéologique de ces dernières décennies a laissé place, à un seul projet de société partagé par un nombre grandissant, « faire de l’argent », réussir, vivre comme les « people », ces nouveaux héros de nos sociétés occidentales, fréquenter des endroits très chers, des lieux exotiques et réservés, exhiber les grandes marques pour marquer son appartenance et sa fortune, c’est le métarécit moderne, le modèle véhiculé par nombre de « story telling ». Notre société actuelle, sans projet réel pour les peuples, en panne de futur  est souvent qualifiée de « société présentiste ».  (Luis)

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L’argent est un puissant seigneur

(Poderoso señor Dinero)

Il fait beaucoup l’argent, c’est pour  cela qu’il faut  beaucoup l’aimer

Il fait l’idiot, intelligent –  il en fait un homme respectable

Il fait courir le boiteux, –  et le muet se met à parler

Même celui qui n’a pas de mains voudrait le saisir

…………………..

En résumé je vais vous dire, pour vous faire mieux comprendre

Que l’argent dans ce monde est un grand agitateur

D’un seigneur il fait un serf, et d’un serf il fait un seigneur

Toute chose en ce siècle se fait pour son amour.

Arcipreste de Hita. 1283 ?/ 1350 ?

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Notre société  place très haut le pouvoir de l’argent comme nous l’explique dans leur ouvrage Monique Pinçon–Charlot et Michel Pinçon: « L’argent sans foi ni loi » : « L’argent ouvre toutes les portes et supprime tous les obstacles. Lorsque sa possession permet d’accomplir tous les rêves, il devient la finalité même de l’existence » (Page 13)

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      Nous sommes en grande partie prisonniers de l’argent, l’argent pris au sens le plus large, c’est-à-dire celui des échanges, achats, transactions au niveau international, que ce soit sur le pétrole, sur les matières premières, vente de centrales nucléaires, vente d’armes, d’avions, et, nous dit une chanson: «Que pèse notre bulletin de vote face à la loi du marché [….] Que valent les droits de l’homme face à la vente d’un airbus » (On lâche rien. HK et les Saltimbanks)

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          Dans cette période qu’on nomme aussi post-idéaliste, toute alternative au système actuel, (ce système dirigé par l’argent), est écartée d’emblée. Il semble difficile, voire, presque impossible  pour un pays de s’affranchir de l’emprise de l’argent fou, on parle alors du « mur de l’argent ». Nous sommes prisonniers de ce que Jean-Paul Sartre appelle : « la sérialité », c’est-à-dire  qu’un groupe, un Etat qui veut se démarquer, risque d’être abandonné par les autres. Abandonné parce qu’il déroge du dogme dominant, abandonné parce qu’on a peur que d’autres veuillent l’imiter. On est sous la cloche de la globalisation.  (Luis)

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« Fascination et répulsion. Domination et soumission ; Interférence entre pouvoir médiatique et pour financier. Mur de l’argent, financiarisation de l’économie. Confusion entre monnaie et valeur, entre valeur et vertu…Les relations entre l’argent et l’éthique sont au cœur de la crise et des commentaires qu’elle suscité » (L’argent et l’éthique. Marianne. N° 825)

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« Le gouvernement doit prendre des mesures pour éviter que tout l’argent ne s’accumule en un petit nombre de mains…, L’argent, comme le fumier, ne fructifie que si l’on prend soin de le répandre.  (Francis Bacon. 1561/1626)

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« Être riche, encore une fois, c’e n’est pas avoir de l’argent – c’est en dépenser. L’argent n’a de valeur que quand il sort de votre poche. A quoi peut-il servir quand vous l’avez sur vous ! pour qu’une pièce de cinq francs valent cent sous, il faut la dépenser, sinon sa valeur est fictive.

L’argent métal, c’est magnifique. Une soupière d’argent, ça vaut de l’or ! mais qu’est-ce que vaut une pièce d’or ? Un peu d’argent. Quand un homme riche apprend que telle affaire qu’il vient de conclure lui rapportera deux cent mille francs, il n’en est digne à mon avis, que si cette somme prend instantanément pour lui, selon  ses goûts, la forme d’un bijou pour la femme qu’il aime, d’un tableau qu’il désire ou d’une automobile.

Et je dois dire en outre que si il n’y avait pas de gens riches, il y aurait, à mon sens, bien plus de pauvres sur la terre.

Et si j’étais le gouvernement, comme dit ma concierge, c’est sur les signes extérieurs de feinte pauvreté, que je taxerai impitoyablement les personnes qui ne dépensent pas leurs revenus.

Je sais des gens qui possèdent sept ou huit mille livres de rentes et qui n’en dépensent que le quart. Je les considère d’abord comme des imbéciles, et un peu comme des malhonnêtes gens aussi […..] L’homme qui thésaurise brise la cadence de la vie en interrompant la circulation monétaire. Il n’en a pas le droit » (Sacha Guitry. Mémoires d’un tricheur)

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« Tout compté, il y a plus de peine a garder l’argent qu’a l’acquérir » (Essais. L. I. § XIV).

Montaigne nous rappelle que la faciliter d’acquérir, de gagner de l’argent, fait qu’on devient tout à coup insouciant de l’avenir,  car le vent souvent tourne, et alors on se dit que n’ai-je un peu économisé sur tout cet argent gagné. J’ai pu voir un couple qui vers les années 1980 gagnaient l’équivalant de 30000 euros/mois pour le mari, et 25000 euros pour la fa femme, céder tout à coup leur entreprise, par ce que leur profession s’étant modernisée, et qu’il n’acceptaient pas de gagner dix pour cent de moins. Ils l’ont bien regretté,  « lorsque la bise fut venue ». Combien finissent dans un grand dénuement après avoir gagné beaucoup d’argent.

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 « M. Louis Bonaparte a réussi. Il a pour lui, désormais, l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort et tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a qu’à enjamber que la honte […..] Quelle misère que cette joie des intérêts et des cupidités… ma foi, vivons, faisons des affaires, tripotons dans les actions, de zinc ou du chemin de fer, gagnons de l’argent ; c’est ignoble, mais c’est excellent ; un scrupule en moins, un louis en plus ; vendons toute notre âme à ce taux »  (Victor Hugo. Napoléon le Petit)

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«  Pour Sheldon,  comme pour la plupart des gens, l’argent était un moyen d’accéder à une fin. Il le dépensait. S’achetait des choses : maisons, véhicules, animaux, tableaux. En parlait haut et fort. Voyageait et organisait des soirées. Il arborait sa richesse– sa peau avait chaque jour une odeur différente ; ses chemises n’étaient pas repassées, mais neuves ; ses manteaux brillaient presque autant que ses cheveux. Il débordait de la  plus conventionnelle et de la plus embarrassante des qualités – le « bon gout »… » (Hernan Diaz. Trust. Editions de l’olivier 2023)

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