Blasphème

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Le blasphémateur lapidé. Gérard Hoet et Abraham de Blois. Figures de la Bible. P. de Hundt éditeur. La Haye 1728)

Le Grand Robert de la Langue Française : Parole qui outrage la divinité, la religion, le sacré.

Propos déplacés et outrageants pour une personne ou une chose considérée comme très respectable, quasi sacrée.

Petit Larousse illustré 2012: Parole, discours qui insulte la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme sacré

Dictionnaire historique de la langue française. Le Robert. (Alain Rey): emprunté (Fin XII s) au latin chrétien blasphemia « parole outrageant la divinité », également employé dans les textes médiévaux avec les sens affaiblis et laïcisé de « médisance, calomnie » « accusation, inculpation » et « mauvaise réputation » […..] on note une hésitation d genre au XVI ème s. A. Le sens religieux de « parole impie, outrageante.. » cf. sacré, Par extension sans se départir de sa valeur sacrée, il se dit à propos d’une insulte, d’une imprécation.

Synonyme : Jurement. Péché de bouche. Sacrilège

Contraires : Bénédiction. Respect. Vénération.

Par analogie : Apostat. Bûcher. Calomnie. Caricature. Charia. Châtiment. Concordat. Condamnation. Conviction. Croyance. Dérision.  Diffamation. Excommunication. Fanatisme. Fatwa.  Flagellation. Impie. Imprécation. Infâme. Injure. Inquisition. Intégrisme. Intolérance. Insulte. Irrespect. Islamisme radical. Laïcité. Lapidation. Liberté de conscience. Liberté de penser. Médisance. Moquerie.  Obscurantisme. Offense. Outrage. Peine de mort. Prison. Punition. Sacré. Sacrilège. Torture. Versets sataniques.

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« Le blasphème n’est scandaleux qu’aux yeux de celui qui vénère la réalité blasphémée » (Pierre Bayle)

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« …Cependant même en dehors de l’école, l’église avait exercé un contrôle autoritaire sur les domaines de pensée et de la recherche en utilisant le bras séculier de l’Etat pour empêcher des recherches considérées comme impies et blasphématoires, surtout lorsqu’elles se proposaient d’étudier l’origine de l’homme, la naissance de l’univers, le commencement de l’Histoire, et risquait de se trouver en contradiction manifeste avec le récit biblique. Pour cette attitude obscurantiste, les philosophes des Lumières ont milité activement sur le plan idéologique et pédagogique, en faveur de la liberté de pensée et du droit et devoir pour tout homme d’user de sa propre intelligence indépendamment d’une autorité quelconque… ».  (Encyclopédie de la philo. Pochothèque)

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« On peut blasphémer une croyance, on doit respecter un croyant »   (Edith Deléage-Perstunski)

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« Mais la caste des croyants n’ayant jamais totalement renoncé à régir monde et les esprits, il suffirait de leur entrouvrir la porte pour qu’on ne puisse plus la refermer avant longtemps. Qui ne voit l’oppression des femmes sous la charia ? Les pressions insidieuses qui menacent l’avortement ? L’autocensure permanente quand il s’agit des religions ? L’interdiction du blasphème sous peine de procès, ou pire, de fatwas ? Diderot a d’abord connu la prison de Vincennes pour s’être moqué des autorités, et toute sa vie il a craint d’y retourné. Mais cela ne l’a pas empêché  de fourbir l’arme redoutable qu’est « l’encyclopédie » contre les marchands d’illusions et de superstitions…… Souvenons-nous des leçons de notre frère Diderot, il y va de nos libertés ». (Elisabeth Badinter)  

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 « La laïcité en France, c’est enfin ce droit arraché avec force : le droit au blasphème. Encore le terme est-il impropre. Il n’est de blasphème que pour le croyant. Celui qui ne croit pas ne blasphème pas. Il se moque de ce qui constitue pour lui qu’une superstition » (Natacha Polony. Nous sommes la France. Plon 2015)

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Dans de nombreux pays la loi sur le blasphème sert en fait de ne pouvoir choisir d’autre religion que celle du pays. D’où par exemple en Iran un Ministère du Tourisme et de la Vertu. (Luis)

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Quand Saldam Rushdie est frappé par la fatwa émise par l’ayatollah Khomeiny, pour avoir publié « Les versets sataniques » Le président Jacques Chirac avait déclaré : «  je n’ai aucune estime pour M. Rushdie. J’ai lu ce qui a été publié dans la presse. C’est misérable. Et en général je n’ai aucune estime pour ceux qui utilisent le blasphème pour faire de l’argent » Il est inquiétant qu’un Président de la République, garant des institutions, garant du respect de la laïcité, trahisse un des fondements de la République. (Luis)

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Il y a un peu plus d’un siècle à San Sébastien (Espagne) on enterrait les blasphémateurs, les sacrilèges, les hérétiques, les suicidés… dans un cimetière à part qui se situait sur une petite île en face du port: l’île de santa Clara. (La vie éternelle. Fernando Savater. Seuil 2009)

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Les prédicateurs, qui allaient de couvent en couvent, qui prêchaient dans les églises avaient un certain nombre d’histoires « véridiques et édifiantes » des punitions célestes pour celui qui s’etait écarté de la loi religieuse. C’est par exemple la punition pour blasphème  du chanoine Simon de Tournay (1130/1201) (: « Il était un maître à Paris dont la réputation l’emportait sur tous les autres. Un jour quelqu’un vint lui dire : « maître, vous devez bien rendre grâce à Dieu de vous avoir donné une telle sagesse. – Je dois surtout remercier ma lampe et mon travail, grâce auxquels j’ai pu acquérir ma science »

Le châtiment dit le prêcheur, ne s’est pas fait attendre, le « méchant » Simon tombe à terre, retourne à sa condition native, celle d’un « berger illettré »

Pour démontrer combien est dangereuse le déni de foi, des religieux racontent l’histoire du même et célèbre universitaire religieux Simon de Tournay, maître dans l’art de la disputation. Une foule d’élèves étaient venus à sa soutenance sur la Trinité et le Christ. A la fin de son brillant exposé, tous l’entourent pour le féliciter. Ce dernier déclare alors qu’il aurait pu utiliser son art tout autant prouver le contraire de ce qu’il vient de dire. Son corps alors se disloqua raconte l’histoire contée dans les couvents, les universités, il perdit l’usage de la parole, il mourut dans les trois jours… Le même Simon sera accusé encore de blasphème en ayant évoqué lui aussi, le thème de l’imposture religieuse ; « Il y a eu   trois imposteurs, trois pipeurs qui ont séduit le monde et l’ont abusé avec leurs sectes et leurs dogmes. Le premier, Moïse, a trompé le peuple juif ; le deuxième, Jésus, ceux qu’on a appelé à cause de lui, les chrétiens ; le troisième, Mahomet, tout le reste de l’humanité ».

Comment fallait-il recevoir cette histoire à l’époque, connaissait-on déjà le deuxième degré ?

Nous sommes dans une époque où les gens des campagnes, des petits bourgs n’ont aucun moyen de communication avec l’extérieur. Les évènements à commenter, ce  sont les histoires et les ragots du village, puis accessoirement le prêche du curé ou du prédicateur de passage. Sur des gens si peu instruits  ontpeut, encore plus que de nos jours, formater totalement les esprits, ce qui nous explique pour partie tous ces siècles d’obscurantisme.  (Luis)

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Le droit particulier à l’Alsace et à la Moselle (Le concordat)  permet en effet à des plaignants de poursuivre des citoyens pour blasphème dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, et de la Moselle. Un dessin « raciste » à Paris peut être blasphématoire à Strasbourg. Ainsi l’art. 166 du code pénal local dit : «  Celui qui aura causé un scandale en blasphèment publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire [….] aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus » (Luis)

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Les articles 10 et 11 de la déclaration des droits de l’homme ont supprimé la notion de blasphème.

Depuis la Révolution française le délit de blasphème n’existe plus.

Le gouvernement français a été faible lorsqu’il a accepté en 2007 que Charlie Hebdo soit poursuivi en correctionnelle pour blasphème, c’était en partie donner raison aux intégristes, aux intolérants, quelle que soit l’issue du procès ? Je n’ai pas souvenir que la presse dans son ensemble ait alors, beaucoup soutenu ce magazine.

Ce procès était la bombe à retardement qui allait tuer 12 innocents à Charlie Hebdo
La laïcité est une lutte permanente, elle permet particulièrement à ce que chacun puisse en paix prier le Dieu qu’il veut (droit qui là peut être qualifié de sacré)

C’est maintenant à l’éducation nationale d’expliquer la laïcité aux plus jeunes
d’expliquer qu’elle participe à notre bien vivre ensemble il ne manque pas d’exemples dans notre histoire pour rappeler les victimes torturées, tuées au nom du délit de blasphème.

Il faut qu’au-delà de l’émotion, de la magnifique démonstration de fraternité, s’ouvre des débats constructifs. (Luis)

En 1789 puis en 1791, la France a abolit le délit de blasphèmela Restauration rétablira une loi sur le sacrilège.., et elle sera définitivement supprimée. Le constituant Lepeletier de Saint-Fargeau dans son rapport sur le projet  de code pénal écrit ; qu’il faut : «  faire disparaître de cette foule de crimes imaginaires, qui grossissaient les anciens recueils de nos lois. Vous n’y trouverez plus ces grands crimes d’hérésie, de lèse-majesté divine, de sortilèges.., au nom desquels tant de sang a souillé la terre ».

Ce « péché de bouche » était condamné dans l’ancien régime à avoir, après la torture, la langue coupée, les lèvres cousues, tout ceci avant d’être écartelé ou grillé sur le bûcher. (Luis)

Le droit de blasphème du fait du concordat en Alsace et en Moselle subsiste. Héritage de Napoléon, puis de Bismarck en 1970, il est réprimé par l’article 166 du code pénal local.

Une pétition circule sur Internet pour que la liberté de conscience reste une valeur républicaine sur tout le territoire français.

     Blasphème est identifié à insulte. Ce qui se trouve être faux, car une insulte s’adresse à une personne physique, un citoyen, pas à une croyance, celle d’un citoyen, d’un groupe, ou une entité surnaturelle divinisée par une catégorie de personnes, ou alors : dire que le père Noël n’existe pas, serait un blasphème. Ou, alors : si je suis un vieux stalinien rigide, je vais considérer comme injure les critiques à l’égard du communisme de l’URSS.  (Luis)

Voici la contribution écrite par Jean-Luc Mélenchon sur le « Droit au blasphème » Dans le « Dictionnaire de la laïcité » publié chez Armand Collin. Il rappelle qu’en République, le blasphème n’existe pas. Un blasphème est un discours jugé insultant à l’égard de ce qui est vénéré par les religions ou de ce qu’elles considèrent comme sacré. Mais « le blasphème n’est scandaleux qu’aux yeux de celui qui vénère la réalité blasphémée » a dit Pierre Bayle au XVIIème siècle. Aucune loi n’institue un espace sacré dont le contenu serait placé hors du champ de la loi librement débattue. Il n’y a donc pas de blasphème « objectif ». La notion de blasphème étant strictement religieuse, il existe du point de vue d’une société laïque une liberté de pensée et d’expression qui ne reconnaît pas la limite de l’espace imaginaire déclaré comme sacré par les religions. Il n’y a donc pas de droit au blasphème puisque le blasphème n’a aucune réalité ni dans l’ordre de faits observables ni dans l’ordre juridique. Le « droit au blasphème » est donc aussi total que celui d’injurier le Père Noël.

    Pourtant, les religions monothéistes ont réussi à imposer la condamnation du blasphème comme une norme. On trouve la condamnation à mort du blasphème dans les textes fondamentaux du Judaïsme, Christianisme et Islam.

Dés un des premiers livres recueillis dans la Bible, le Lévitique (24.1016), on peut lire : « celui qui blasphémera le nom de l’Éternel sera puni de mort, toute l’assemblée le lapidera. Qu’il soit étranger ou indigène, il mourra, pour avoir blasphémé le nom de dieu« 
Selon l’apôtre Jean, les Juifs voulaient lapider Jésus, parce que, étant homme, il disait être dieu, ce qu’ils estimaient être un blasphème (Jean 10 : 33). Puis les serviteurs de dieu sont aussi accusés de blasphème par Saint Marc : « Vous venez d’entendre le blasphème : que vous paraît-il?  » Tous le condamnèrent (comme) méritant la mort » (MC 14,64).  

    Dans le Coran, l’insulte à Allah ou la compagnie de blasphémateurs est passible de mort également : « Ceux qui injurient (offensent) Allah et Son messager, Allah les maudit ici-bas, comme dans l’au-delà et leur prépare un châtiment avilissant » [Sourate Al Ahzab 33:57]
Les religions sont donc unanimes pour condamner le blasphème, même si elles en donnent des définitions et des modalités de répression fluctuantes. Cela atteste de la subjectivité absolue du blasphème et de l’impossibilité de le réprimer notamment dans une société où se pratiquent plusieurs religions.

   En France, le blasphème fut passible de mort jusqu’à la Révolution Française. La victime la plus tristement célèbre de cette loi religieuse étant le Chevalier de la Barre. Il fut accusé en 1765 de blasphème pour avoir chanté deux chansons libertines irrespectueuses à l’égard de la religion et être passé devant une procession en juillet 1765 sans enlever son couvre-chef. Après dénonciation, une perquisition menée au domicile de La Barre amène à la découverte de trois livres interdits (dont le Dictionnaire philosophique de Voltaire et des livres érotiques) : plus de doute pour les juges d’alors : il est coupable. Arrêté le 1er octobre 1765 à l’abbaye de Longvillers il est condamné à mort. Voltaire prendra sa défense au nom de la tolérance, faisant du Chevalier de la Barre l’exemple de l’absurdité des lois religieuses.

Les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 suppriment la notion de blasphème du droit français, tant qu’il n’y a ni abus ni trouble à l’ordre public. La notion de blasphème est réinstaurée sous la Restauration et elle est à nouveau abrogée dans les années 1830. L’insulte d’une religion reconnue par l’Etat (en vertu du Concordat en vigueur jusqu’en 1905) conduit toutefois encore à des condamnations de militants anti-cléricaux pour leurs écrits, alors même qu’ils ne visent pas d’individus en particulier. Cette possibilité de condamnation est finalement supprimée avec les lois du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cependant, le rattachement de l’Alsace et la Moselle en 1918 a réintroduit la notion de blasphème dans le droit français, via l’incorporation de l’article 166 du code pénal allemand qui punit le blasphème de trois ans de prison.

     Les églises, à commencer par l’Eglise catholique ne vont cependant jamais désarmer pour obtenir la répression du blasphème, signe de leur prétention, contraire à la laïcité, d’imposer dans l’espace public leurs normes particulières. On assiste ainsi à une recrudescence du mouvement anti-blasphème depuis les années 1980.

    En 1983, le cinéaste américain Martin Scorsese envisage de tirer un film du roman de Nikos Kazantzakis, « La dernière tentation », pour lequel l’auteur a été excommunié par l’Eglise orthodoxe grecque. La Paramount cède aux pressions des puissants fondamentalistes protestants et renonce à le produire. Le film est finalement tourné au Maroc, fin 1987, et sort, en 1988. Le 6 septembre 1988, le cardinal Albert Decourtay, archevêque de Lyon, et le cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, rendent public un communiqué dans lequel ils protestent d’avance contre la diffusion de ce film, sans d’ailleurs l’avoir vu. Ils y condamnent l’irrespect pour le Christ et les évangiles. Le cardinal Lustiger, dira même dans Le Figaro du 31 octobre 1991 : « cet irrespect d’autrui est une atteinte plus grave qu’il n’y paraît au pacte social. De telles pratiques pourraient être passibles des tribunaux ». Cette recrudescence du mouvement anti-blasphème se traduira y compris par des tentatives violentes d’empêcher la diffusion du film dans des cinémas.

Certains représentants de l’Islam ont également relancé l’appel à condamnation du blasphème. Le 14 février 1989, l’ayatollah Khomeiny, prononçait en tant que jurisconsulte un décret qui condamnait à mort Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques (publié le 26 septembre 1988), ainsi que ses éditeurs. Et il enjoignait les « musulmans zélés » « de les exécuter où qu’ils se trouvent », pour en faire un combat exemplaire contre le blasphème, pour que « personne n’ose insulter la sainteté islamique ».

   Plus récemment, l’affaire de « La Cène », une photo représentant l’épisode évangélique et la publication dans un journal hollandais puis dans Charlie Hebdo en France de caricatures du prophète Mahomet donnent lieu à des procès et des menaces de mises à mort des dessinateurs.

   A chaque fois est invoqué le « respect dû aux religions » pour justifier les menaces ou les condamnations, bref pour justifier l’interdiction du blasphème. En fait c’est un détournement du sens de la tolérance qui signifierait alors « respect des convictions ». Or, au sens où l’entendait Voltaire, aucune idée ne peut exiger le respect, aucun groupe ne peut exiger le respect de ses convictions ! Seules les personnes méritent le respect et aucune attaque contre une idée ne justifie la mise en cause ou l’insécurité de ceux qui la défendent. Il apparaît désormais « normal » à certains croyants de saisir la justice lorsque leurs convictions, en général religieuses les plus profondes, sont moquées ou tournées en dérision. Si l’on poursuit ce raisonnement, les idées ou les convictions, politiques ou religieuses ne pourraient plus être critiquées. Au nom du « respect » et de la « tolérance » les religieux remettent en réalité en cause frontalement la liberté de pensée et d’expression.

   L’Union européenne dont la fondation est étroitement liée à la Démocratie Chrétienne n’interdit pas la punition du blasphème. De nombreux pays en Europe le condamnent donc: c’est le cas du code pénal allemand et du code pénal autrichien qui font clairement référence au blasphème. L’article 140 du code pénal danois prévoit une peine de détention pour celui qui, publiquement, ridiculise ou insulte le dogme ou le culte d’une communauté religieuse. En Finlande, l’article 1er du code pénal punit de réclusion quiconque « aura publiquement blasphémé dieu ». Des dispositions de même nature se retrouvent dans les législations pénales grecque, italiennes, néerlandaise, suédoise ou norvégienne.

Les Pays-Bas vont ôter de leur arsenal pénal un article qui punissait le blasphème. Il va être remplacé par une disposition qui condamne la discrimination, les “insultes graves” et les propos “inutilement blessants” à l’égard des individus, sur la base de “leur race, leur orientation sexuelle et leur religion”. En définitive, la réforme fait craindre une restriction de la liberté d’expression dans un pays qui a vécu plusieurs épisodes tumultueux au cours des dernières années. En 2004, le cinéaste Theo Van Gogh a été assassiné à Amsterdam par un islamiste radical pour avoir réalisé le film Submission. Il avait été taxé de blasphème par son meurtrier. Ayaan Hirsi Ali, députée d’origine somalienne, coscénariste du film désormais exilée à Washington, avait subi la même accusation. En 2006, l’affaire des caricatures danoises de Mahomet a eu un écho particulier aux Pays-Bas et fait craindre d’autres actions violentes. En Irlande, critiquer une religion pourra désormais être puni d’une amende de 25 000 euros. La loi sur la diffamation est entrée en vigueur ce 1er janvier 2010. Son article 36 crée un délit de blasphème. La loi s’applique à toutes les religions, pas seulement au catholicisme dominant en Irlande. Les militants laïcs irlandais ont mis en avant le ridicule de la notion même de blasphème puisque les représentants de chaque monothéisme sont blasphématoires aux yeux des représentants des autres. Jésus lui-même, dans l’évangile selon Jean profère des attaques contre le judaïsme. Et Jésus a justement été condamné pour blasphème … ce qui montre le caractère impraticable de la répression du blasphème du moment où la liberté de conscience est reconnue dans une société. Si l’on devait écouter les églises, Benoît XVI n’aurait-il pas dû être poursuivi et condamné quand en en 2006, déjà pape, il avait cité un empereur byzantin, selon lequel Mahomet n’avait apporté que « du mauvais et de l’inhumain », blasphématoire pour les musulmans ?

   Les condamnations, en Europe ne sont « que » pécuniaires. Mais au Pakistan par exemple, la loi sur le blasphème datant de la colonisation britannique n’a cessé de se renforcer et de se durcir dans le cas de prétendus blasphèmes contre l’islam, au point qu’elle prévoit maintenant la peine de mort en cas de blasphème contre Mahomet.

   Les défenseurs d’une condamnation du blasphème ont aussi leurs entrées au Conseil des Nations Unies. L’Assemblée générale de l’ONU avait demandé au secrétariat général de la Conférence de l’Organisation islamique un rapport pour la mise en œuvre de la résolution 62/154, intitulée “Combattre la diffamation des religions ». Cette résolution cherche au fond à étendre la protection non pas aux êtres humains, mais aux opinions et aux idées, en accordant à celles-ci une immunité exclusive contre toute « offense ». Et le rapport transmis à l’ONU en juin 1988 appelle contre les insultes dont fait l’objet l’Islam à « sanctionner le mauvais usage ou l’abus de la liberté d’expression ».

   La recrudescence des législations condamnant le blasphème, y compris en Europe et dans les instances internationales, va de pair avec les projets de reconfessionalisation de la société. Les mêmes qui défendent le blasphème sont les défenseurs de la théorie du « choc des civilisations » ou de la « laïcité positive ». Dans cette logique, les religions doivent pouvoir influer sur les normes de l’espace public, en contradiction avec la laïcité qui cantonne leur pouvoir dans la sphère privée. Pour eux, « chacun son blasphème, chacun sa religion, chacun sa civilisation » est la nouvelle devise des temps modernes. Ce n’est que régression par rapport à l’esprit des Lumières et une négation de la laïcité. Le blasphème n’est qu’une critique ou une moquerie, il est un droit et ne doit plus être condamné.

   Assimiler la critique de la religion, la critique d’une croyance, voire de la caricature,  à la dignité d’une personne, refuser, la distinction entre la croyance et la personne est une démarche politique.

On doit avoir présent à l’esprit (suite aux attentats de janvier 2015) que l’Islam n’est pas qu’une religion de croyance métaphysique, c’est un ordre social et politique.

Dans les pays où l’Islam est religion d’Etat, la critique n’est pas tolérée, y contrevenir cela va de cent coups de fouet à la  décapitation. Dictionnaire de la laïcité. Droit au blasphème. Article de Jean-Luc Mélenchon)    

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« Le blasphème qui est une injure envers Dieu et que toutes les religions considèrent comme un crime grave, voire un péché mortel. Qu’on soit croyant ou athée, le blasphème est difficile à comprendre. Peut-on sérieusement imaginer que Dieu, entendant une injure à son égard se mette à crier : «  C’est à moi que tu parles ? Allez ! Monte un peu pour voir ! » [….] En vérité, le blasphème ne touche pas Dieu, mais certains croyants qui s’estiment offensés. On peut le comprendre, car il y a parfois des offenses gratuites, inutiles ou choquantes. Mais aussi forte que soit l’offense, elle ne confère pas le droit de tuer l’offenseur. Le projet terroriste de « venger Dieu » est aussi criminel que délirant. [….] C’est pourquoi le blasphème est peut-être un péché, une faute morale ou une impolitesse, mais il n’est pas dans un État laïque un délit. Car une offense n’est pas un préjudice » (Pierre-Henri Tavoillot. La morale de cette histoire. Michel Laffont. 2020)

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«  Blasphémer Dieu était avant le pire des blasphèmes, mais Dieu est mort, et mort avec lui les blasphémateurs. Désormais, le crime le plus affreux, c’est de blasphémer la terre et d’accorder plus de prix aux entrailles de l’insondable qu’au sens de la terre » (Nietzsche. Ainsi parlait Zarathoustra)               

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