Comprendre, se faire comprendre

< Retour au dictionnaire

Le Grand Robert de la langue française : Embrasser dans son ensemble… Contenir en soi en tant qu’élément constitutif.

Appréhender par la connaissance ; être capable de faire correspondre à quelque chose, à une idée claire. Avoir une connaissance intuitive, une compréhension de quelque chose.

Se faire une idée claire des motifs, des causes de quelque chose

Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Lalande : Reconnaître qu’un fait ou une proposition sont logiquement contenus dans une formule déjà généralement admise. Au sens le plus fort, reconnaître  que ce l’on déclare « comprendre »  est tel qu’il ne pourrait être autrement et que son contradictoire serait absurde.

Dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville : Saisir intellectuellement, autrement dit par la pensée, c’est connaître comme de l’intérieur, par sa structure ou par son sens, l’objet que l’on considère. C’est donc savoir comment c’est fait, comment cela fonctionne, ce que cela veut dire, et être capable d’en rendre raison. ….

Appliquée aux comportements humains, la compréhension s’accompagne ordinairement de miséricorde. « Juger, c’est de toute évidence, ne pas comprendre » disait Malraux, « puisque si l’on comprenait on ne pourrait plus juger ». C’est l’esprit de Spinoza, et peut-être l’esprit tout court : » Non ridere, non lugere, neque detestari, sed intelligere », (ne pas railler, ne as déplorer, ne pas détester, mais comprendre) ;

Synonyme : Concevoir. Intellectualiser. Intégrer. Saisir (par la pensée). Se rendre compte.Incomp

Contraires : Incompréhensible. Méconnaître.

Par analogie : Admettre. Abstrus. Amphigouri. Appréhender. Approuver. Assimiler. Casuistique. Charabia. Clarifier. Compréhension. Connaissance. Echange. Embrasser. Englober. Entendre. (Fam.) Entraver. Expliquer. Déchiffrer. Démontrer. Gloubi boulga. Logique. Incompris.  Intégrer. Interlocuteur. Jargon. Langage. Locuteur. Mots. Piger. Polysémie. Précision.Reservatio mentalis.

Expressions Comprendre à demi mot. N’y entendre que goutte. Se rendre compte.

« Et comme il y a trois sortes de cerveaux – l’un comprend par lui-même, l’autre discerne ce qu’autrui comprend, le troisième ne comprend ni soi ni autrui, et le premier est tout à fait excellent, le deuxième excellent, le troisième nuisible »   (Machiavel. Le Prince. § XXII)

« Les gens en effet, trouvent leur suprême plaisir à ce qui leur est suprêmement étranger. Leur vanité y est intéressée ; ils rient, applaudissent, remuent l’oreille comme les ânes, pour montrer qu’ils ont bien saisi !». (Erasme. Eloge de la folie. § 6)

« If you can’t explain simply, you don’t understand it well » (Einstein)

« Celui qui comprendra le babouin » disait Darwin « fera plus que John Locke qui a étudié l’origine des idées, celui qui comprendra le babouin fera sauter la métaphysique »  Pascal Picq)

« Si l’on veut s’entendre en parlant philosophie, il fait être extrêmement clair et précis. Plus le sujet du discours est difficile à comprendre moins vous devez affecter de pompe dans le style. Remarquez que tous les écrivains….qui cherchent à tromper les hommes affectent un style rempli de pompe et d’emphase. Méfions-nous de toute philosophie qui n’est pas clair dans son style   (Nietzsche. Par delà le bien et le mal)

« Ce qu’il y aurait de plus incompréhensible dans ce monde serait qu’il soit compréhensible »  (A. Einstein)

Il n’est pas indispensable que tout un chacun comprenne dans le moindre détail tous les concepts philosophiques émis. Nous devons construire notre univers philosophique à notre mesure, « Mieux vaut » nous dit Kierkegaard « une petite maison philosophique à soi, qu’un grand château Hégélien »

« On ne peut croire que ce qu’on a compris, et il est ridicule de prêcher aux autres ce que l’on ne comprend pas soi-même mieux que ceux à qui l’on s’adresse. Le Seigneur lui-même condamne les aveugles qui conduisent les aveugles ». (Abélard. 1079/1142)

« En philosophie on ne réfute guère que ce qu’on n’a pas compris » (Ferdinand Alquié)

« Et voilà, sans la petite Antigone, ils auraient été tous bien tranquilles, mais maintenant c’est fini ; ils sont tout de même tranquilles. Tous ceux qui avaient à mourir, sont morts : ceux qui croyaient une chose, puis ceux qui croyaient le contraire, même ceux qui ne croyaient rien qui sesont trouvés pris dans l’histoire sans ne rien y comprendre  (Jean Anouilh. .Dans l’épilogue de la pièce Antigone)

« J’ai souvent fait ce rêve étrange et pénétrant

D’une femme inconnue…

Et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même

Ni tout a fait une autre, et m’aime et me comprend »

Verlaine. Poèmes saturniens.

Plus le langage s’enrichit plus il nous paraîtrait  difficile d’être précis. Être précis c’est avoir le souci  d’être compris par tous, « on ne parle pas qu’à son chapeau »! Se faire comprendre est une forme de respect des autres. Schopenhauer qui pour diverses raisons n’aimait pas beaucoup Hegel  disait en parlant de ses cours, « il enfile des concepts, comme d’autres enfilent des perles » ; ainsi on peut rencontrer des personnes qui alignent des mots comme une musique pour eux-mêmes, ce qu’illustre Molière dans le Misanthrope, (Acte II Scène IV)  Célimène  dit :« – c’est un parleur étrange, et qui trouve toujours, l’art de ne rien dire avec des grands discours. Dans les propos qu’il tient, on ne voit jamais goutte, et ce n’est que du bruit que tout ce qu’on écoute ». Je n’ai le sentiment d’avoir compris que si je suis en mesure d’expliquer clairement ce que j’ai compris, et que ceux qui écoutent sont à même, à leur tour, d’expliquer et de faire comprendre. Le langage est exigeant

Comprendre, renvoie aussi, à « se faire comprendre » : « Le jargon n’a pas seulement une dimension intellectuelle, il a également une dimension éthique. Ceux qui s’expriment dans un langage volontairement crypté, donc indéchiffrable par le profane font preuve d’impolitesse, sinon d’agressivité. Balancer à la figure des gens (et notamment des étudiants) des mots compliqués, c’est faire preuve de mépris, c’est leur faire honte et c’est leur dire », Vous ne me comprenez pas ? C’est que vous êtes bêtes. Je m’en fiche ! moi j’ai compris ; Démerdez-vous » Alors la plupart des gens baissent les yeux et se disent que, effectivement, s’ils ne comprennent pas, c’est qu’ils sont bêtes ». (Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau. La phénoménologie des professeurs)

« Découvrir qu’on s’est trompé, et qu’on a compris ce qu’on n’avait pas compris, est une sorte de joie »  (Etienne Klein)

Pour que les mots nous servent à nous comprendre, à communiquer, il faut qu’on mette les mêmes valeurs dans les mots, qu’on précise le sens qu’on a pris dans la polysémie des mots.  C’est ce qui fut reproché aux jésuites, leur casuistique trompeuse, avec l’usage chez eux du « reservatio mentalis », soit, choisir des mots très polysémiques ;  jouer sur le sens donné et le sens reçu, par exemple dans un contrat, un engagement verbal, et comme le plus souvent nous prenons les mots dans le sens où nous souhaitons les entendre, on les prend pour argent comptant ; jusqu’au jour de désillusions.   (Luis)

L’adage nous dit « Ce qui se comprend bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément » ; ce qui peut être réfuté si nous considérons que, si  nous connaissons bien dans notre propre conception ce que nous voulons dire,  nous ne savons pas toujours structurer nos idées pour rendre intelligible, accessible, notre pensée, « Ah ! Si je savais dire comme je sais penser ! Mais il était écrit là-haut  que j’aurai les choses dans la tête, et que les mots ne me viendraient jamais ». (Diderot. Jacques le fataliste)

L’adage peut être aussi, vrai dans les sens où nous aurions à ce point bien compris, que nous serions en mesure avec toute la richesse du propos,  de faire comprendre à notre tour ce que nous avons compris. Les mots permettent de se comprendre si l’on utilise au sens large, le « même langage », ou si l’on dispose mutuellement d’une même et riche connaissance des mots. Mais si ce que l’on dit est bien sûr dans les mots, ces mots  prennent parfois plus de force, plus de sens, par les expressions, par le regard, par le désir de faire comprendre au-delà des mots. Un regard dira parfois plus qu’un discours. On peut mettre dans les mots plus que leur simple signifiant, faire appel à toute notre capacité d’imagination, créer l’image, c’est la magie du mot, la magie de la narration, la magie de la poésie : « …La danse de Flora est devenue autre chose qu’un amusement, qu’une distraction. Lorsqu’elle danse, ses mains dessinent les corps des hommes qu’elle a connus.. » (Emmanuel Rivas. Los libros arden mal),

ou, « Quand une femme vous parle, écoutez ce que vous disent ses yeux ».  (Victor Hugo).

Pour comprendre, se comprendre, (saisir ensemble), il est souhaitable que la démarche d’aller vers l’autre soit paisible, non agressive dans le propos, qu’elle crée l’empathie.  « La parole » nous dit Montaigne, « est à moitié à celui qui la dit, à moitié à celui qui l’écoute » (Luis)

< Retour au dictionnaire