Critique

< Retour au dictionnaire
Crispin et scapin. Daumier. 1864.

Le Grand Robert de la langue française : Examen d’un principe, d’un fait, en vue de porter sur lui un jugement de valeur. Activité intellectuelle qui consiste à juger les ouvrages de l’esprit, les oeuvres littéraires, artistiques.

Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Lalande : Examen d’un principe ou d’un fait, en vue de porter à son sujet, un jugement d’appréciation…. On appelle en ce sens esprit critique celui qui n’accepte aucune assertion sans s’interroger d’abord sur la valeur de cette assertion, soit au point de vue de son contenu (critique interne), soit au point de vue de son origine (critique externe). En restreignant ce sens au jugement défavorable, on appelle critique, soit une objection ou une désapprobation  portant sur un point spécial, soit une étude d’ensemble visant à réfuter ou à condamner un ouvrage. 

Encyclopédie de la philosophie. Pochothèque : (Du gr. kritike techne  « art de juger » indique un examen qui ne se contente pas d’accueillir le savoir transmis par la tradition, mais qu’on entend passer au crible de la raison, et de sa recevabilité. Ainsi en est-il de la philosophie des Lumières, de la critique des miracles…

Dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville : C’est soumettre nos connaissances, nos valeurs et nos croyances au tribunal de la raison. La raison s’y juge donc elle-même; c’est ce qui rend la critique nécessaire…

Dictionnaire du Moyen Français : (Criticus) Critique, celui qui juge, qui critique, qui critique les productions littéraires, artistiques et scientifiques, celui qui trouve à redire à tout. Critique (humeur) qui est porté à critiquer les gens et les choses, qui a tendance a relever les défauts.., qui a tendance à examiner avec méthode les faits, pour s’assurer de leur vérité

Synonyme : Appréciation. Examen. Jugement. Commentaire. Exégèse. Glose. Blâme. Attaque.

Contraires : Admiration. Adulation. Apologie. Flatterie. Louange. Elogieux

Par analogie : Analyse. Apostille. A priori. Auto critique. Argutie. Authenticité. Caricature. Censure. Censeur. Chicaner. Critique dithyrambique. Criticisme. Dénigrement. Désapprouver. Diatribe. Éloge. Éreinter. Esprit critique. Folliculaire. Humour. Intolérance. Laudataire. Objection. Observation. Misanthrope. Moquerie. Partialité. Opinion. Parodie. Persifleur. Satire.  Railleur. Raison spéculative. Râleur. Refus.  Sens critique. Tribunal de la raison.

Expressions: La critique st facile, mais l’art est difficile. Trouver à redire à tout.

*

« Un critique qui n’a rien produit est un lâche, c’est comme un abbé qui courtise la femme d’un laïc, celui-ci ne peut pas lui rendre la pareille ». (Théophile Gauthier)

*

« La critique est une invitation faite à la raison d’entreprendre à nouveau la plus difficile des tâches, celle de la connaissance de soi-même  (la démarche de Socrate) et d’instituer un tribunal qui la garantisse dans ses prétentions légitimes, et puisse en retour condamner toutes ces usurpations sans fondements, mais, non pas d’une manière arbitraire, mais au nom des lois éternelles et immuables. Or, ce tribunal, n’est autre chose, que la Critique de la raison pure, elle-même »  (Kant. Critique de la raison pur)

*

« Nous sommes en fait à l’époque de la fabrication d’un nouvel homme, d’un sujet-à-critique.., un sujet désymbolisé.., ni sujet à culpabilité, ni susceptible de faire jouer son libre arbitre, sujet inengendré « .  (Dany Robert Dufour)

*

Candide : « N’y a-t-il pas du plaisir à tout critiquer, à sentir les défauts, là où les hommes croient voir des beautés » (Voltaire)                   

*    

 » La critique de la raison exclut toute possibilité de jugement par l’intuition, l’opinion, et bien sûr la raison, ce qui présente le danger de laisser le champs libre à l’irrationnel, au dogmatisme, à l’intégrisme et à la violence » (Encyclopédie philosophique. Pochothèque)

*

« Une satire qui n’excepte aucun genre de vie ne s’en prend à nul homme en particulier mais aux vices de tous. Et si quelqu’un se lève et crie qu’on l’a blessé, c’est donc qu’il se reconnaît coupable, ou tout au moins s’avoue inquiet. (Erasme. Eloge de la folie)

*

La franche critique, parrhèsia, en grec ancien, est une vertu du sage de la philosophie helléniste. Cette vertu est commune aux Epicuriens comme aux Stoïciens, qui font de l’amitié un besoin nécessaire de la liberté de parole entre amis une règle morale. L’Epicurien Philodème de Gadara a notamment consacré à la vertu de franchise un traité fondamental, Peri parrhèsias »   (One Frank cristicism. Society of biblical Literature)

*

Assimiler la critique de la religion, la critique d’une croyance, voire de la caricature à la dignité d’une personne, refuser, la distinction entre la croyance et la personne est une démarche politique. On doit avoir présent à l’esprit (suite aux attentats de janvier 2015) que l’Islam n’est pas qu’une religion de croyance métaphysique, c’est un ordre social et politique. Si j’exprime une critique quant à une idée politique, une croyance religieuse, je dis simplement pourquoi je n’adhère pas à un mode de pensée, mais cela ne constitue pas une critique vis-à-vis d’une personne ou d’un groupe de personnes. Si la critique n’est pas constructive, déjà dans sa démarche, elle est hautement critiquable. Si elle n’est que critique systématique, si elle n’est que réaction, si elle un simple exutoire, une réaction d’humeur, si elle motivée par l’envie, la jalousie, elle est néfaste. Si lorsque j’émets une critique, je ne dis pas pourquoi je pense ce que je pense, je suis alors dans la critique négative, voire, a priori, stupide. Sans cesse la pensée se construit, se reconstruit à partir de la critique. Une société où la critique est impossible devient vite une société intellectuellement sclérosée ; c’est le cas avec les dictatures, où le seule critique autorisée fut « l’auto critique », s’il n’y a pas de pensée critique, la pensée cesse d’exister.  (Luis)

*

 « La perversion de l’esprit critique c’est quand il devient soupçon » (Frédéric Worms)

*

La critique peut –elle être constructive,

Il était un espoir, soumis à la névrose

D’une idée pêchée là, dans les replis d’un songe

Il s’était infiltré comme un petit mensonge

Un chardon, une épine ou alors une rose

Et malgré son chemin souvent écrit en prose

Même étant anodin, il est celui qui ronge

L’Humain qui imprudent, le boit comme une éponge

Car pour ne pas bientôt en faire une nécrose

Il faut le tutoyer pour s’en faire un ami

Jouer avec les mots éparpillés parmi

Les écueils acérés qui te piquent en plein cœur

Et si tu ne sais pas qu’on en fait un viatique

Il risque de rester une morte-critique

Un nectar succulent pour nourrir ta rancœur

(Florence Dévergne

*

 » Notre siècle est le vrai siècle de la critique, rien ne doit y échapper » (Opuscule sur l’histoire. Kant, page 12

*

Kant va critiquer le pouvoir en place, Rousseau va critiquer l’ordre social. Plus tard nous verrons Nietzsche construire toute une philosophie critique, puis on voit Schopenhauer  qui développe sa pensée en grande partie, à partir de la critique qu’il fait de la philosophie de Hegel. Hegel,  dont il dit « qu’il enfile des concepts philosophiques comme d’autres enfilent des perles ». Quelle que soit l’opinion qu’on porte sur ces critiques, quel que soit leur bien fondé, cela nous a donné des ouvrages marquants, et ouvrages de référence. En cela la critique, au-delà de sa forme, a été et reste constructive. La pensée critique tel que Kant va l’exprimer se retrouve dans le texte «  Qu’est-ce les Lumières », c’est nous dit-il « oser penser par soi-même ». Pourquoi les philosophes des Lumières ont-ils été tant critiqués? C’est parce qu’ils ont fait le constat que durant des siècles que la pensée avait prisonnière (Voir article : pensée médiévale), parce qu’ils voyaient que l’ignorance dans laquelle le peuple avait été maintenu le rendait totalement dépendant. C’est pourquoi Diderot et d’Alembert écriront « L’encyclopédie ». L’homme instruit, éduqué, est plus à même de commencer à porter des jugements, voire même critiquer pour faire évoluer la société. Donner à connaître permet de juger, d’accepter ou refuser, de critiquer, voire proposer, et participer à cet eternel renouvellement des idées. Les Lumières ont critiqué pour éclairer un peu le peuple, pour faire émerger une libre pensée » (Luis)

*

Il y a aujourd’hui des domaines où la critique est mal acceptée. Par exemple critiquer certains aspects de la psychanalyse, ou des psychanalystes soulève des tollés de protestations. Ce fut entre autre le cas après l’ouvrage de Michel Onfray, (Le crépuscule des idoles)  des personnes lui dressé un véritable procès. Pourtant avant lui le philosophe Noam Chomsky déclarait : « Lacan est un pur charlatan conscient du rôle qu’il joue et qui se moque du milieu intellectuel parisien afin de voir jusqu’à quel point il peut avancer des absurdités sans cesser d’être pris au sérieux ». Et il était également très critique à l’égard d’un autre philosophe ; Jacques Derrida : «  Quant à la lecture de « De la grammatologie », de Derrida, elle le lasse » (Est-il indispensable d’être cultivé. Flammarion-Antidote. 2011). Dans ses œuvres Aristophane va beaucoup critiquer, se moquer. Il va critiquer les philosophes dans « Les nuées », nous disant déjà que dans certaines activités peuvent se retrouver des charlatans, donc une mise en garde. Dans « Lysistrata », il fait la critique de la guerre. Dans les « Oiseaux » il critique les utopies parfois un peu folles des hommes, comédie où les hommes vont s’allier aux oiseaux pour faire « la cité des coucous dans les nuées ». Toutes ces œuvres sont des critiques, mais des critiques accompagnées d’humour. Nous allons retrouver durant des siècles toutes les formes d’humour (qui permettent la critique » (Luis)

*

«  Il n’y pas plus de critique objective qu’il n’y a d’art objectif, et tous ceux qui se flattent de mettre autre chose qu’eux-mêmes dans leurs œuvres sont dupes de la plus fallacieuse illusion. C’est une de nos plus grandes misères. Que ne donnerions-nous pas pour voir, pendant une minute, le ciel et la terre avec l’œil à facettes d’une mouche… Nous ne pouvons pas ainsi que Tirésias , être homme et nous souvenir d’avoir été femme. Nous sommes enfermés dans notre personne comme dans une prison perpétuelle. Ce que nous avons de mieux à faire, ce me semble, c’est de reconnaître de bonne grâce cette affreuse condition Pour être franc, le critique devrait dire : – Messieurs, je vais parler de moi à propos de  Shakespeare, à propos de Racine, ou de Pascal, ou de Goethe. C’est une assez belle occasion »   (Anatole France. La vie littéraire. § A Monsieur Adrien Hébrard)

*

   Introduction au débat : La critique est-elle constructive ? Le thème proposé est un bon sujet de café-philo car la critique est d’une certaine façon à la base de la philosophie. Mais bien avant le café-philo de ce soir, l’éveil de la critique se nomme Socrate (il lui en coûtera la vie). Tout au cours des siècles des philosophes vont critiquer et bousculer des « pensées uniques » (et en payer le prix), comme au 12ème siècle, Averroès (philosophe arabo-andalou), qui saura, face à la vérité unique, la Foi, parler de la double vérité : Foi et Raison, (il sera exilé !). Au 17ème siècle ce seront des philosophes peu connus mais très critiques, les « Libertins » (on leur doit le mot libre-penseur) ; ils critiquent royauté, noblesse, église (ils vont connaître la prison !), mais ils restent les précurseurs des philosophies des Lumières. Alors Voltaire nous dira : « La philosophie est chargée de traquer les illusions, c’est là son rôle critique ». Enfin, un philosophe contemporain (J.T. Desanti) nous dit : « la philosophie n’a pas à donner des réponses plausibles, voire acceptables, rien ne peut être accepté d’emblée comme faux, ou comme vrai, tout doit pouvoir passer au tribunal de la raison », afin que la critique soit constructive. Tous ces philosophes ont œuvré, lutté, pour que nous puissions jouir de cette liberté qu’est la critique ! (Luis) 

*           

« Et si j’eusse en a dresser des enfants, je leur eusse tant mis en  bouche cette façon de répondre enquêtante, non résolutive… »  (Montaigne. Essais L. III. XI)

*

De toutes les approches de la critique ajoutons les critiques que nous faisons sur nos contemporains, leur allure, leurs vêtements, … parfois depuis la terrasse d’un café, la rue est un spectacle… mais il ne faut pas trop culpabiliser. Lorsque vous ne serez plus critiques du tout, c’est que vos contemporains auront cessé de vous intéresser ; la phase d’après sera peut-être le désintérêt de tout, voire le désintérêt de vous. Et rendons hommage à Molière qui nous a donné le type même de l’homme critique : Alceste le Misanthrope : « j’entre en une humeur noire et un chagrin profond quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils le font ! ». Puis raisonnable bien que pessimiste il poursuit : « Ce serait là folie à nulle autre seconde, de vouloir se mêler à corriger le monde ». Mais au final Alceste, misanthrope, critique, n’en est pas moins philosophe et nous dit que : « tous ces défauts humains, nous donnent dans la vie, les moyens d’exercer notre philosophie ». (Luis) 

*     

Avec Kant, il nous faut nous interroger sur ce « que puis-je savoir », questionner sans cesse  ce savoir dont ce contente la raison, ce sera l’ouvrage la « Critique de la raison pure ».  Et de là, seconde question tout aussi fondamentale : « que dois-je faire », ce qu’il va développer en deux ouvrages : « Critique de la raison pratique », et « Critique de la façon de juger »    Il est,  dira Deleuze, « l’enquêteur » sur l’entendement humain, celui qui va le convoquer au tribunal de la raison. De l’interroger sur toute connaissance a priori, « des connaissances que l’on possède sans savoir comment »  (dit Kant), de l’interroger sur ce qui lui permet d’affirmer ce qu’elle prétend connaître, et le cas échéant quelle est (suivant une expression utilisée par Kant) « la pierre de touche de l’expérience » sur laquelle s’appuie son raisonnement ? La raison ne doit pas se laisser conduire écrit-il par des « jugements arrêtés », à cet effet il cite Galilée, Torricelli, la raison dit-il, « ne doit pas s’en tenir à une raison rigide», elle « doit prendre les devants », laisser sa place à une raison spéculative. (Luis)

*

« La critique est l’étape qui fait qu’un savoir doit être démontré […] la critique c’est un filtre, un tamis […]  c’est dire autant ce qu’une chose n’est pas. Peut-être n’est pas, ne doit pas être autant  que ce qu’elle est, ou, ce qu’elle devrait être. La pensée critique dessine des oppositions entre les choses distinctes des faits, elle pose des limites, c’est la question même de la limite ; elle permet surtout de penser la limite entre les hommes » (Frédéric Worms. France culture. Le pourquoi du comment. 09.11.201)

*

L’esprit critique a aussi une connotation péjorative, elle devient alors une critique d’une ou des personnes.  Ainsi, ayant interrogé un certain nombre de personnes, sur ce qu’ils mettaient  dans le mot « esprit cartésien » j’ai eu parmi les réponses, «  quelqu’un qui critique tout, qui critique toujours ». C’est aussi, souvent l’étiquette que nous avons à l’étranger, les français cartésiens, ou esprits critiques dans le sens négatifs, accolé parfois au mot « râleur ».  (Luis)

< Retour au dictionnaire