Cynisme, cyniques
Le Grand Robert de la langue française : Qui appartient à l’école philosophique d’Antisthène et de Diogène qui prétendait revenir à la nature et méprisait les conventions sociales, l’opinion publique et la morale communément admise.
Qui exprime sans ménagement des opinions contraires à la morale reçues, aux bienséances morales.
Vocabulaire technique et critique de la philosophie Lalande : (Cynisme) Mépris des conventions sociales, de l’opinion publique, et même de la morale communément admise, soit dans les actes, soit dans l’expression des opinions. Cette acceptation du terme résulte de ce fait que les philosophes cyniques établissent une opposition radicale entre la loi et la convention et la nature à laquelle ils prétendaient revenir, et qu’ils conformaient leur conduite pratique à ce principe. Le terme a en ce sens, une acception presque toujours péjorative.
Encyclopédie de la philosophie Pochothèque: Désigne les disciples de l’école fondée par Antisthène, après la mort de Socrate dont il avait été l’élève. Les leçons avaient lieu dans un gymnase en dehors d’Athènes appelé « Cynosarge » (le chien agile). De là proviendrait le nom de cyniques (chiens)
Dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville : Le refus des conventions, des grands principes ou des bons sentiments, au sens philosophique c’est refuser de confondre le réel et le bien, l’être et la valeur…. Le cynique refuse de prendre ses désirs pour des réalités…
Synonymes : Frondeur. Indifférents. Provocateurs.
Contraires : Bienséance. Conformiste. Correction. Décent. Immoral. Modeste. Pudique. Scrupuleux.
Par analogie : Amoral. Amphore. Anticonformisme. Arrivisme. Ascétisme. Autosuffisance. Chien. Conventions sociales. Cynosarge. Dénuement. Désinvolture. Egocentrisme. Egoïsme. Frugalité. Hypparchia. Individualisme. Impudence. Insensible. Marginal. Méprisant. Morale. Naturel. Nihilisme. OPinion publique. Pragmatisme. Relativisme. Sage. Sans scrupule. Tonneau.
Expressions: La fin justifie les moyens. « Ôte toi de mon soleil ». « Sans foi ni loi ».
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Nous avons fait du mot Cynique, un nom, et un adjectif. Est cynique aujourd’hui, celui qui ne tient pas compte de l’aspect morale de ses actes pour parvenir à ses fins ; est cynique, le mode de vie prôné par l’individualisme et les ultra-libéraux, où l’intérêt de chacun prime sur l’intérêt général.
Sont cynique aujourd’hui ceux qui considèrent comme les plus forts, les mieux portants, issus des classes sociales les plus favorisées, « parce qu’ils le valent bien ». Le cynisme n’est plus une école de pensée, mais cette forme, est chez l’individu une prédisposition, un de caractère, une façon d’être, de se comporter.
Mais l’école des cynique a duré dix siècles, du 5 ème siècle avant notre ère, avec le fondateur, Antisthène, et jusqu’au 5 ème siècle. L’école, le courant cynique était, une fois de plus, (après les épicuriens et après les sophistes), bien différent de ce que nous entendons avec l’adjectif, cynique. Ils est différents en ce sens, où ils étaient proches des sages indiens, proches en certains points avec les épicuriens, prônant, la sobriété que nous tentons de rétablir aujourd ‘hui, la frugalité, le dénuement, mais de plus ils prônent aussi, le renversement des valeurs, l’auto suffisance, un ascétisme, qui est pour eux, « la voie la plus courte vers la vertu » (Luis)
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« Le cynique est quelqu’un qui est véritablement en marge de la société, et circule autour de la société elle-même, sans qu’on puisse accepter de le recevoir. Le cynique est chassé, le cynique est errant. Le cynique est au cœur de la philosophie et tourne autour de la société sans y être admis ». (Le courage de la vérité. Michel Foucault)
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Le cynique de nos jours, est aussi connoté comme l’homme « sans foi ni loi », c‘est l’étiquette parfois d’hommes politiques d’un cynisme qui détruit l’esprit citoyen, on pense à l’expression : « les promesses électorales n’engagent que ceux qui les écoutent » (Luis)
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« De nos jours, le sens commun étiquette comme « cynique » n’importe quelle personne dénuée de scrupule, qui ne recule devant aucune tromperie pour servir sa quête de réussite. La cynique contemporain, uniquement soucieux des apparences et non de la vérité, paraît très éloignée de Diogène. … le cynique est comme le chirurgien qui appuie là où ça fait mal…je dirais donc qu’il faut développer sa fibre cynique pour bousculer les mœurs et les chimères des biens pensants… » (Roland Jaccard. Philosophie magazine. N° 30. Juin 2009)
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« Rendre caduque les conventions humaines, défaire les valeurs habituelles de l’échange, se dépouiller de toutes les prétendues valeurs qui obsèdent la multitude des médiocres, retrouver la liberté simple et crue de l’animal » Les Cyniques. Aude Lancelin. (Le Nouvel Observateur. 15.07.04)
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« Le cynique dénonce donc avant tout la domination crée par le plaisir des hommes. Insatiables par définition, celui-ci engendre le coût morbide de tout ce qui le contrarie.. Le seul bonheur qui soit accessible à l’homme passe donc par l’autarcie, le fait de se suffire à soi-même. Tout ce qui entrave la liberté individuelle doit être en conséquence rejeté, à commencer par toute forme d’engagement politique, social ou familiale. Ce faisant le cynique accède à une sérénité inaliénable : ni la pauvreté, ni la mort d’un proche, ni les liaisons malheureuses ne peuvent plus atteindre cette légèreté absolue qui est réservée aux seuls vrais combattants de l’arène morale… » (Les Cyniques. Aude Lancelin. (Le Nouvel Observateur. 15.07.04)
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Les cyniques (de l’école grecque des cyniques) dans leur manière de vivre, refusent les modèles, ils sont proches d’un retour vers un état de nature. Ils refusent toutes les conventions, ils vivent en se contentant de peu, en mendiant s’il le faut. Un des moins conventionnels Diogène, (celui du tonneau, qui en vérité était la partie d’une amphore. Le tonneau ne sera créé que plus tard), celui-ci demande aux gens sur la place publique, à savoir : si l’amour est une nécessité, si manger, boire et dormir, sont des nécessités ; à leur réponse affirmative, alors il se masturbait devant eux, arguant qu’ils ne seraient pas choqués s’il mangeait, buvait ou dormait devant eux ! Il est celui qui est surtout passé dans l’histoire pour diverses extravagances, et à partir de qui s’est créé une image faussée des cyniques, effaçant presque les « purs » dont parlera Schopenhauer, les : Antisthène, Cratès de Thèbes, Anaximène, Hipparchia, Carnéade. (Luis)
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Vous pensez que tout se monnaie et qu’il suffit d’y mettre le prix, vous affichez votre montre ou votre bague au prétexte qu’elle coûte très cher : vous vous rapprochez du type cynique. Le cynique est un des meilleurs représentants du nihilisme. Il est persuadé qu’il n’y a plus de valeurs dans la mesure où, par le biais de l’argent, tout devient commensurable. (Dossier : l’argent. Philosophie magazine n° 23)
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Selon le comique Ménandre, le cynique déclarait que toute opinion humaine n’est que vanité. Pour Monime, c’est la vanité (thupos) vide, fumée, une enflure vaniteuse. « Aussi les premiers cyniques, les purs, comme Antisthène, Diogène, Cratès, et leurs disciples, avaient-ils renoncé une fois pour toute à posséder quoi que ce fût, à se donner aucune des commodités ni aucun des plaisirs de la vie, afin d’échapper pour toujours aux soucis, à l’esclavage et aux douleurs qui y sont attachés, et que tous les biens du monde ne sauraient compenser. …Ils se contentaient des choses les plus simples, que les pauvres se procuraient gratuitement.. ? de lupins, d’eau pure, d’un mauvais manteau, d’une besace et d’un bâton. Ils mendiaient à l’occasion, autant que cela était nécessaire pour mener cette vie, mais ils ne travaillaient jamais.., l’indépendance dans le sens le plus large du mot, tel était leur but. Ils passaient leur temps à dormir, à vaquer ça et là, à causer les uns avec les autres, à plaisanter, à se moquer et à rire, leur caractère n’était qu’insouciance et gaité. La conception de vie des cyniques, correspond pour l’esprit à celle de J. J. Rousseau dans son « discours sur l’origine de l’inégalité ». Lui aussi voudrait nous ramener à l’état de nature et réduire nos besoins à leur minimum …D’ailleurs les cyniques étaient exclusivement des philosophes pratiques ; je ne connais rien qui nous renseigne sur leur philosophie théorique » (Le monde comme volonté et comme représentation. Schopenhauer)
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« Les cyniques ont mauvaise presse. Pour s’en convaincre lisons les jugements lapidaires de Hegel, dans ses leçons sur l’histoire de la philosophie. Diogène, le plus fameux d’entre eux ? « Il n’y a que des anecdotes à raconter à son sujet ». Ses disciples : « Des mendiants obscènes et éhontés. Bref, les cyniques « ne sont dignes d’aucune considération philosophique ». De telles pages les auraient sans doute réjouis. Car les cyniques font irruption dans l’antiquité comme des provocateurs rejetant tout système philosophique et social. Au regard de leur style d’expérience dépouillé et de leur conduite blasphématoire, ils sont traités de « chiens »…et revendiquent fièrement ce titre. Une telle appellation est à l’origine même du terme « cynique » : chiens en grec se dit « Kunes ». Une autre possibilité étymologique renvoie à un lieu, le gymnase des Cynosarges (nom que l’on peut traduire par chien par « chien rapide » » ou « chien agile », situé dans la banlieue d’Athènes. Ce gymnase était réservé aux exclus de la citoyenneté, nés de père athénien et de mère étrangère, ou esclaves affranchis. C’est là qu’enseigne Antisthène, considéré comme le premier philosophe cynique et surnommé « le vrai chien ». Ce disciple de Socrate décrète que « la vertu suffit au bonheur » …(1)…………..
Mais c’est bel et bien Diogène qui fixe les canons du cynisme comme posture philosophique et mode de vie ascétique. Né à Sinope, à la fin du Vème siècle avant notre ère, il quitte cette cité obscure située au bord de la mer noire à la suite d’une affaire obscure : son père, Hicésios, banquier, aurait falsifié la monnaie, et Diogène aurait du alors s’exiler…. Gagnant Athènes, l’épicentre du monde grec, qui entre au IV siècle avant notre ère, entre dans une période de déclin spirituel et politique. Diogène opte pour le dénuement comme condition de l’indépendance morale. Il répudie toute sa famille et renonce à tout confort matériel décidant de passer ses nuits dans une vaste amphore…Il va pieds nus, s’équipe seulement d’un bâton, d’une besace et d’un manteau d’une étoffe grossière….Diogène découvre son credo philosophique en examinant une souris hyperactive qui court de tous les côtés….. Être cynique nous dit Michel Foucault c’était « exercer dans sa vie et par sa vie le scandale de la vérité Apte du franc parler, il se moque sans relâche des riches ou des devins, et de ceux qui souscrivent aveuglément au culte de l‘or et aux parole prophétiques. Agnostique et militant de l’impiété, il désenchante les croyances religieuses en usant parfois d’un humour grivois ; à une femme qui se prosterne devant les dieux en découvrant son postérieur sans le savoir, il dit : « Ne crains-tu pas, ma fille, que si un jour un dieu se tient derrière toi (…) ton attitude ne soit indécente ? »….. L’histoire raconte que Diogène mangeait sur place publique et que pour cela les passants le traitait de chien ; ce à quoi devant l’attroupement il répondait que seuls les chiens se groupaient autour de celui qui mange. Dans un banquet on lui jette un os, il part avec son, puis quand il revient, puisqu’ils l’ont considéré comme un chien, il pisse sur les convives… Néanmoins il a eu des disciples, dont le plus célèbre est Cratès, qui s’instaure cynique en offrant aux pauvres ou en jetant à la mer la fortune qu’il a hérité de son père (voir Salvador Dali se comportant en cynique, en vendant sur les « Ramblas » les billets de 100 pesetas pour 10 pesetas, et qui se masturbant devant son père, lui déclare: « Papa je vais te rendre ce que je te dois ») … .Cratès aime à s’exhiber, ainsi il se déshabille devant Hipparchia, une femme qui tombe éperdument amoureuse de lui…, et les époux prennent l’habitude de faire l’amour en public….Dans la cité de Dieu, saint Augustin , s’offusque d’une « chiennerie de doctrine, c’est-à-dire immonde et impudente (Luis)
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« Au livre III des Entretiens, entretien n° 22, Epictète donne un portrait du cynique, et il emploie une métaphore : le cynique est envoyé en éclaireur en avant, au-delà du front de l’humanité, pour déterminer ce qui, dans les choses du monde, peut être favorable à l’homme ou lui être hostile. La fonction du cynique sera de repérer où sont les armées ennemies, et où sont les points d’appui et les aides que l’on pourra rencontrer… C’est pour cela que le cynique est envoyé comme éclaireur en avant, ne pourra avoir ni abri ni foyer, ni même patrie. Il est l’homme de l’errance, il est l’homme de la galopade en avant de l’humanité, après avoir accompli sa tâche de « kataskopos » (éclaireur), le cynique doit revenir pour annoncer la vérité, sans se laisser paralyser par aucune crainte » (Le courage de la vérité. Michel Foucault 1984)
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« Il est certain que le cynisme apparaît assez volontiers comme une figure un peu anecdotique, et pas simplement marginale dans la philosophie antique. Il y a à cela un certain nombre de raisons. D’abord, bien sûr, la disqualification très forte, sur laquelle on reviendra, qui a pesé sur le cynisme dans l’Antiquité même, en tout l’attitude qui a fait qu’à l’égard du cynisme, la philosophie instituée, institutionnelle, reconnue, a toujours eu une attitude ambigüe, essayant de distinguer dans le cynisme toute une série de pratiques méprisées, condamnées, violemment critiquées, et puis un certain noyau du cynisme, et qui, lui, aurait mérité d’être sauvé. Cette attitude à l’égard du cynisme a été fréquente dans l’Antiquité et a certainement beaucoup pesé pour sa disqualification ultérieure. (Le courage de la vérité. Michel Foucault 1984)
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On retrouvera dans les débuts du christianisme une ascèse chrétienne qui est très proche du mode de vie cynique. Les ordres mendiants, tels les Franciscains, avaient en quelque sorte reprit le mode de vie des cyniques, en vivant dans l’errance, en s’habillant de vêtements grossiers, se dépouillant de tout, vivant n’importe où, en vivant de la mendicité. Les Dominicains qui feront de même, se nommeront eux-mêmes « les domini canes » (les chiens du seigneur). Ces ascètes sont en fait proches des Cyniques en ce sens qu’il n’y a aucune contradiction entre ce qu’ils croient, ce qu’ils prêchent, et la façon par laquelle ils montrent qu’ils mettent en acte leur parole. (Luis)
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« Dans un passage de La cité de Dieu Saint Augustin pose la question : Est-ce qu’effectivement on peut admettre dans la communauté chrétienne et reconnaître comme chrétien quelqu’un qui mène le mode de vie cynique (ce qui prouve que le mode de vie cynique était encore pratiqué dans les communautés chrétiennes, ou en tout cas que ceux qui pratiquaient le mode de vie cynique souhaitaient, cherchaient à s’intégrer aux communautés chrétiennes ?) Et Saint Augustin répond lui-même à cette question : Il importe peu à cette cité, qu’en professant la foi qui conduit à Dieu, l’on adopte tel ou tel genre de vie, elle n’impose donc pas aux philosophes eux-mêmes, quand ils se font chrétiens, de changer leurs tenues et leurs manières de vivre, si elles n’ont rien de contraires à la religion, mais bien de renoncer à leurs fausses doctrines… » (Le courage de la vérité. Michel Foucault 1984)
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Les Cyniques qui se voulaient les vrais soldats de la vérité nous pose en quelque sorte cette question : quelle est la vie nécessaire, dès lors que la vérité ne serait pas nécessaire ? Le problème du « rien de vrai », rien auquel on puisse croire, s’accrocher, mène au comment vivre, mène au nihilisme. Dans leur enseignement, car on sait qu’ils ont enseigné même si les traces matérielles ont disparu, ils avaient exclu la logique et la physique, et n’enseignait que ce qui ressortait de la discipline de la morale. (Luis)
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« Le cynique (d’aujourd’hui) c’est celui qui a vécu, qui a de l’expérience, celui à qui on ne la fait pas, qui a les pieds sur terre, qui connaît bien trop la vie pour qu’on lui raconte des histoires, qui ne risque pas qu’on lui fasse prendre des vessies pour des lanternes, et de tomber dans les panneaux de l’irréalité, ou de s’adonner à des rêves utopiques » (Petite philosophie pour le loup et l’agneau. Pascal Cauquais)
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Le nouvelliste à l’école des cyniques.
A l’heure où d’inquiétantes valeurs circulent dans maints discours, à une époque où la haine de l’étranger se porte en sautoir, nous convoquons souvent le terme de cynisme pour blâmer ce genre de propos et d’attitude.
Déjà, Oscar Wilde annonçait le glissement de sens qu’a pris le mot. Pour lui, un cynique est «un homme qui connaît le prix de chaque chose et la valeur d’aucune». Ainsi, aujourd’hui, le cynique est celui qui court derrière l’efficacité et demeure prêt à tout pour atteindre son but. On le dit brutal impudent. Il nourrit un goût pour la provocation qui n’a d’autre fin que d’afficher un anticonformisme de principe. Il est peut-être bon de revenir aux origines pour considérer où et comment le cynisme est né.
Le cynisme est, à l’origine, une école philosophique, un art de vivre qui s’inspire de Socrate et influencera le stoïcisme. C’est d’ailleurs un élève de Socrate, Antisthène qui donna l’impulsion fondatrice de ce mouvement. Antisthène a enseigné dans la «cynosarge», le mausolée du chien, d’où le nom «cynique» tiré du terme grec «kynikos» qui signifie «chien». Son élève, Diogène de Sinope, incarnera dans sa vie tout ce qui fait la grandeur de cette école. Plein d’ironie, il s’écriera: «Je suis en effet un chien, mais un chien de race, de ceux qui veillent sur leurs amis.» L’influence de Socrate, outre l’ironie, se fait sentir en maints points. D’abord, l’ascétisme, il s’agit de réduire tout ce qui est mauvais en nous mais sans pudibonderie, le corps n’est pas à nier, il s’agit de le maîtriser pour assurer à l’individu une totale indépendance. Diogène condamnait l’hypocrisie et croyait déjà déceler dans la frustration une cause insidieuse de nos vices. Le plaisir, quand il est naturel, n’est pas à fuir.
Aucune culpabilité ne ronge Diogène. J’y trouve un outil. Assumer son passé, voire ses erreurs, sans s’y réduire. Ne pas chercher à se justifier mais sans se laisser détruire par la critique. Des rumeurs voulaient que Diogène ainsi que notre Farinet national faussaient la monnaie. Un jour, on lui en fit grief, la réponse de Diogène fut tout à fait géniale. Diogène répondit : «C’est tout à fait exact. Il est vrai aussi que, quand j’étais beaucoup plus jeune, je pissais au lit et ça ne m’arrive plus.» Belle leçon qui invite à ne pas fuir ce que l’on a été mais être pleinement responsable et cohérent avec soi.
Diogène n’a rien écrit. Cependant, la tradition rapporte maintes anecdotes sur son compte qui permettent assurément d’esquisser un art de vivre. Diogène est né en 400 avant Jésus-Christ. Son mode de vie s’oppose à la fois aux philosophes et aux non philosophes. Il est effectivement en rupture avec le monde mais Diogène ne théorise pas. Il sculpte sa vie et prend garde à ce que ses actes quotidiens deviennent philosophiques. Si Diogène est non-conformiste, c’est avant tout pour être fidèle à la nature, pour se vivre en tant qu’être naturel avec des désirs, des plaisirs, des passions qu’il s’agit de discipliner. C’est donc une vie de simplicité, un joyeux retour à la nature bienveillante. Diogène, dit-on, se masturbait en public pour montrer que la sexualité n’est pas à blâmer. Souvent on a l’habitude d’exhiber nos vices mais de dissimuler un désir naturel et légitime. On dit même que notre Onan ajouta en pleine action : «Ah si seulement je pouvais faire de la sorte avec mon ventre.» Dans le même registre, et pour le plaisir, citons Hipparchia de Maronée qui est, à ma connaissance, la première femme qui entre dans l’histoire de la philosophie.
Ses prouesses ? Ses idées ? Avant tout, le courage et l’audace de s’être faite chevaucher par Cratès de Thèbes sur la place publique. L’historiette veut avant tout montrer que le cynique méprise l’opinion autant que l’argent, les vanités autant que le luxe. Les cyniques étreintes de nos deux philosophes remettent en question la vertu de la pudeur.
Mais il y a plus courageux à mon sens. Le cynique ne cherche aucune position stable dans l’existence. Diogène vivait avec comme tout bagage une besace dans laquelle était abrité le nécessaire. Il y a là une critique de ce qu’on considère comme indispensable à notre vie. Diogène, par sa simplicité, nous invite à nous dépouiller en reconsidérant nos dépendances. Diogène exagère assurément et il le sait, lui qui dort n’importe où car la terre est sa maison. Il dit être comme un maître chanteur qui donne le ton plus haut pour aider les chanteurs à s’ajuster. Ainsi, à mon sens, être cynique ne réside pas en une pure et simple imitation des actes posés par Diogène mais peut-être convient-il de s’en inspirer pour s’approcher le plus possible de cette autonomie intérieure.
Le cynique célèbre la liberté, quand on demandait à Diogène pourquoi il philosophait, celui-ci répondait : «Pour être prêt à toute éventualité.» Voilà sa liberté, voilà pourquoi, par exemple «l’été, il se roulait sur le sable brûlant, tandis que l’hiver, il étreignait des statues couvertes de neige, tirant ainsi profit de tout pour s’exercer». On le voit même qui mendie à une statue pour s’entraîner au refus. Il s’agit bien de s’exercer, la sagesse ne tombe pas du ciel. Ce qui me fascine c’est l’idée que ce mendiant ne sombre jamais dans le compromis. Il n’adapte pas sa vérité au goût du jour ni à son intérêt personnel.
Un jour, Alexandre le Grand vient le voir. Il demande au mendiant qui vivait dans une amphore: «Demande-moi tout ce que tu veux, je te l’accorde.» Et Diogène de répondre : «Ôte-toi de mon soleil.» Il me plaît qu’ici, ce soit un mendiant qui nous livre une leçon de liberté. On peut parler de liberté fort doctement mais vivre engoncés dans notre confort et nos préjugés. Voilà un exercice spirituel: Ce que j’aurais demandé à Alexandre? Serais-je tombé dans la compromission? Signalons pour terminer que Diogène se disait citoyen du monde. Celui qui méprise l’étranger ne saurait donc être cynique. C’est assurément lui faire beaucoup trop d’honneur. (Alexandre Jollien)