Egoïsme

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La mort de Sardanapale. Eyugène Delacroix. 1835. Musée du Louvre.

  Tabeau De « La mort de Sardanapal » de Delacroix. Le peintre donnera une explication de l’œuvre : «  Les révoltés assiégeaient la palais de Sardanapale. Il donna l’ordre à ses eunuques, ses officiers d’égorger ses femmes, ses pages, jusqu’à ses chevaux et ses chiens favoris ; aucun des objets qui avaient servi à ses plaisirs ne devait lui survivre »

Le Grand Robert de la langue française :  Attachement excessif à soi-même qui fait que l’on subordonne l’intérêt d’autrui  à son propre intérêt.

Tendance chez les membres d’un groupe, à tout subordonner à leur intérêt.

Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Lalande : (Psych.) Amour de soi, tendance naturelle à se défendre, à se maintenir, et à se développer.

Dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville : ce n’est pas l’amour de soi, c’est l’incapacité à aimer quelqu’un d’autre, ou l’aimer autrement que pour son bien à soi. C’est parfois une tendance constitutive de la nature humaine. On en la surmonte que par l’effort, ou par l’amour.

Synonymes : Amour de soi. Narcissisme.

Contraires : Abandon. Abnégation. Altruisme. Bonté. Charité. Désintérêt. Dévouement.

Par analogie : Charité bien ordonnée. Culte du moi. Don. Égoïsme hédoniste. Générosité. Individualisme. Instinct primaire.  Intérêt personnel. Moi.  Nombrilisme. Personnel. Planche de Carnéade. Sans cœur. Soi. Surmoi.  Vanité.

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Il y a souvent un flou dans notre utilisation des mots : Egoïsme – Égocentrisme – Égotisme. Pour faire court, je dirai : Egoïsme, ou, « moi d’abord »,  Égocentrisme, ou, « je suis le nombril du monde », Égotisme, «  je n’ai de cesse que de me valoriser »
On peut être l’un des trois, mais il y a quand même, des gens qui cumulent. (Luis)   

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« Le dépassement de l’égoïsme est un des fondements de la morale, c’est une rupture avec une éthique trop centrée sur le bonheur, comme seule fin ». (Kant)

«  L’égoïsme est un amour passionné et exagéré de soi-même, qui porte l’homme à ne rien rapporter qu’à lui seul, et à se préférer à tout.
L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen  à s’isoler de la masse de ses semblables, et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que , après s’être créé ainsi une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même » (Tocqueville. De la démocratie en Amérique)

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« Aime ton prochain comme toi-même. Si s’aimer soi-même est la référence choisie par Jésus, c’est peu dire de l’amour de soi ; on devrait dire aimes-toi, comme tu aimes les autres ». (Kant)

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« …Une vie ne comprend que de très rares moments heureux, que la plupart des gens gâchent d’ailleurs pour le mieux. La vie est vanité et la mort sans importance. Il s’agit donc de s’arranger pour vivre au mieux, avec le moins de souci possible, ne pas se tracasser pour se faire valoir, ni pour tenter pour sauver le Monde (Voir Stoïciens). Chacun a un droit strict à l’intégrité de sa propre personne, physique et morale, il n’en faut sacrifier aucune parcelle pour de faux devoirs. Il faut laisser librement s’épanouir ses capacités spirituelles et physiques sans aucune contrainte, mais en tenant compte de ses aptitudes et de ses moyens : Jouir au mieux des biens qui sont à notre portée et sagement modérer ses désirs pour n’avoir point à en souffrir ». (Yang Tchou,  Philosophie Taoïste)

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« C’est ainsi que l’amour que l’on doit à son prochain est justifié par le profit qu’on ne manquera pas d’en tirer »  (Philosophie Taoïste)

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« Il est doux quand, sur la vaste mer, les vents soulèvent les flots, d’assister de la terre, aux rudes épreuves d’autrui ; non que la souffrance de personne ne soit un si grand plaisir, mais voir à quels maux on échappe soi-même est chose si douce….. »  (Lucrèce)

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Fort heureusement le temps nous fait outrage ; si j’étais resté jeune et beau, alerte, j’aurais encore plus de peine à ma quitter. Amoureux de son image, avec le temps Narcisse, eût-il guéri ? (Luis)

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« Pour l’homme, l’Être suprême est l’homme, Dieu n’est que la création de l’Egoïsme humain ».  (Max Stirner. Philosophe allemand).

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Introduction : Débat ; «  L’égoïsme » : Les gens sont égoïstes ! Qui dit cela ? Eh bien …, les gens ! De la même famille de l’ego (le moi) viendront dans le débat : égoïsme, égocentrisme et égotisme. « Voir la souffrance des autres ne saurait être un plaisir, mais voir à quels maux on échappe soi-même, est chose si douce… » (Lucrèce). L’enfant est égocentrique en toute innocence, mais parfois les adultes gardent ce comportement (nombrilisme). Montesquieu nous parle d’égotisme, dans les lettres persanes  «  je vois de tous cotés des gens qui parlent sans cesse d’eux, leurs conversations sont un miroir qui présente toujours leur impertinente figure… ». Alors, qui de nous n’est pas, peu ou prou dans ces schémas ? L’égoïsme est-il toujours négatif ? Pouvons-nous déculpabiliser l’égoïsme ? (Luis)

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 « Soyez intelligemment égoïstes, aimez-vous les uns les autres »  (Dalaï-lama)

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 Égoïsme,  et réflexe naturel de sauvegarde de soi, se retrouvent dans le  dilemme illustré par
 « La planche de Carnéade ». Un homme est naufragé, il s’accroche à une planche dans la mer, puis un autre naufragé s’y accroche également. Mais la planche ne supporte que le poids d’un homme.
Un des deux doit être sacrifié…. Celui qui survivra aura sacrifier l’autre.
Dilemme moral ! Vais-je faire mourir un homme pour survivre? L’instict de survie sera sûrement, l’instincte ma survie » (Luis)

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 Une poésie nous parle de l’égoïsme des parents :
« Tes enfants ne sont pas tes enfants, ils viennent au travers de toi, mais ils ne sont à toi, et bien qu’ils soient avec toi, ils ne t’appartiennent pas. Tu peux leur donner tout ton amour, mais pas tes pensées car ils possèdent les leurs. Tu peux abriter leurs corps, mais pas leurs âmes, car leurs âmes habitent la maison du futur que tu ne pourras jamais visiter, même pas en rêve. Alors efforce-toi d’être comme eux, mais ne cherche pas à ce qu’ils soient comme toi ». (Jalil Gibran. Poète, philosophe libanais)

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 « Les vrais égoïstes ne sont pas ceux qui cherchent leur petit bonheur au jour le jour, c’est ceux qui veulent absolument donner leurs tripes. Ils s’ouvrent le ventre, ils puisent là-dedans, c’est dégoûtant. Et plus cela leur fait mal ; plus cela leur fait plaisir, nous voilà comme les enfants du pélican, on ne leur en demandait pas tant. »  (Colombe. Jean Anouilh)

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« ….supposer que tous nos actes, nos paroles, nos pensées, sont motivés par l’égoïsme a longtemps influencé la psychologie occidentale, les  théories de l’évolution et de l’économie, jusqu’à acquérir la force d’un dogme dont la validité, n’a guère été contestée que récemment » (Plaidoyer pour l’altruisme. Matthieu Ricard. Nil édition 2013)

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Le principe de base du libéralisme économique qui crée « l’homo oeconomicus » est « l’égoïsme normatif » selon lequel les personnes doivent naturellement poursuivre leur intérêt. C’est ce que nous dit Adam Smith dans son œuvre « La richesse des Nations » en 1776: « Cependant l’influence de la demande et de l’offre sur les prix, et de ces derniers sur les décisions de l’opérateur, agit comme une main invisible qui transforme l’égoïsme individuel dans le bien collectif, lequel requiert en revanche que les producteurs soient libres de se déplacer d’un secteur à l’autre, c’est-à-dire que toute l’activité économique doit éviter d’introduire des contraintes inutiles…( l’Etat) … doit limiter son rôle au strict minimum , à la justice, et à la défense, sans gêner l’activité des marchés ». 
Si on œuvre chacun pour soi, nous dit cette idéologie, si on ne se laisse pas enfermer dans le carcan des vertus (voir: La fable des abeilles*) on crée la meilleure des sociétés. Cet égoïsme est au-delà de « l’égoïsme hédoniste » car il peut être utilisé pour justifier la recherche d’accumulation, de biens, de richesses au-delà du nécessaire. Cette société idéale se réalise seulement  à condition qu’on laisse les égoïsmes individuels se réaliser et autoréguler les échanges.  (Luis)

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La loi de nature privilégie  les instincts primaires dont l’égoïsme. La loi naturel disait le dirigeant du Front national fait que « je préfère mes filles à mes nièces, mes nièces à mes cousines, mes cousines à mes voisins,… les Français aux étrangers », ce cercle vicieux se nomme aussi altruisme préférentiel  permettrait de justifier le racisme…. Heureusement il y a des individus chez qui, penser aux autres est inhérent à leur personne, nous les retrouvons, engagés dans des associations, associations caritatives, nous les retrouvons dans les ONG. (Luis)

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Pour Freud dans les trois instances de l’inconscient chez l’égoïste c’est le « ça », avec sa force pulsionnelle qui met en total sujétion le « surmoi » lequel s’efface totalement, c’est nous disait  déjà Pascal le « moi » « qui voudrait être  tyran de tous les autres », ce qu’il nomme «  Le moi haïssable». Dans une même famille, une même fratrie, des enfants élevés dans les mêmes valeurs, il va se trouver qu’un l’eux serait plus nettement égoïste. Donc ce trait de caractère serait-il  dans le tempérament ? Est-il  plus de l’inné ou de l’acquis? Y aurait-il un gène de l’égoïsme ?  (Luis)

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« Notre égoïsme, nos comportements ont des effets négatifs pour nous, et pour les autres. Comme nous sommes tous un peu égoïstes, ce qui nous intéresse, c’est surtout les effets négatifs pour nous. Si nous pouvons agir, ne serait-ce qu’en partie sur nos comportements, notre image dans le regard des autres va s’améliorer, et, comme en bon égoïste on s’aime bien, on aime aussi qu’on nous aime » (Voltaire)

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Dans le roman  de Roy Lewis, «  Pourquoi j’ai mangé mon père », avec la pointe d’ humour british nous sommes dans une fiction préhistorique, c’est la saga d’une horde de pithécanthropes. Le père ramène le feu, et il s’ensuit des découvertes dont l’arc. Le père veut faire profiter les hordes voisines  de sa découverte. Les fils ne l’entendent pas de cette oreille, pour eux il faut déposer un brevet, faire payer des droits.. et ils tuent le père. Homo oeconomicus, et l’égoïsme « bien pensé »  perçait déjà sous homo sapiens.   (Luis)

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« L’égoïsme n’est pas l’amour de soi, mais une passion désordonnée de soi » (Aristote)

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  Par égoïsme nous sommes capables faire des efforts pour nous améliorer  « Comme on aime bien qu’on nous aime, pour cela nous faisons des efforts pour être aimés » nous dit Voltaire. Dépasser notre égoïsme nous grandi, va donner satisfaction à notre surmoi, donner confiance en soi, sujet abordé dans « Nature et formes de sympathie – Max Scheler (1874 – 1928). C’est aller à l’encontre de notre égoïsme jusqu’à prendre des risques : ce que firent « les Justes » qui cachèrent des familles juives pendant la guerre. Nous agissons tant pour le bien des autres que pour satisfaire nos principes moraux, notre sentiment égoïste de dignité.  (Luis)

« L’égoïsme est une telle horreur que nous avons inventé la politesse pour le cacher » (Arthur Schopenhauer)

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« L’égoïste c’est celui qui ne pense pas assez à moi » ( Eugène Labiche)

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« Qui ne vis aucunement à  autruy, ne vit guère à soi ». (Montaigne).

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« Il faut bien aviser à ne pas se noyer en voulant secourir ceux qui se noient ». (Baltazar Garcián)

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Jules Renard « Le véritable égoïste accepte même que les autres soient heureux, s’ils le sont à cause de lui ».
Oscar Wilde «L’égoïsme ne consiste pas à vivre comme on a envie, mais à demander aux autres de vivre comme on a soi-même envie de vivre  ». Nous sommes dans une société où les gens sont égoïstes « légalement ».
La pub joue  beaucoup sur le sentiment d’égoïsme, voire de narcissisme. Après le slogan, « parce Que vous le valez bien ». Un pub cinéma pour les opticiens Kris, utilisent ce slogan  « avec ces lunettes vous allez vous aimer » (Luis)

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Ayn Rand « Cette romancière et philosophe américaine d’origine russe… déconcerte. Elle nous inquiète aussi lorsque nous la voyons faire l’éloge de l’égoïsme comme la plus haute des vertus et l’opposer à l’altruisme, ce souci des autres, si valorisé de nos jours. Les sauveteurs du Thalys, par exemple ne sont –ils pas des héros, pour avoir, par altruisme, sauve leur prochain d’un carnage  le 21 août 2015 ? le sort des réfugiés venus de Syrie ou d’ailleurs ne font-ils pas appel à nos sentiments les plus vibrants de solidarité humaine ? peut-on dans ce cas, faire sans vergogne l’éloge de l’égoïsme au sens le plus courant de « l’attitude ou conduite de celui qui ne se préoccupe que de son intérêt ou de son plaisir au détriment ou au mépris de celui d’autrui ? » (Article du philosophe Dominique Lecourt . Philosophie magazine n° 94)

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« Pour le plus grand embarras de certains de ses partisans, Ayn Rand propose l’égoïsme comme valeur morale suprême. Mais comment se vanter d’être « égoïste » ? Rand donne au mot « égoïsme » un sens très éloigné de son acception vulgaire, péjorative. Être égoïste pour elle, c’est prendre le parti de soi. Ne pas céder devant l’opinion des autres, ne pas s’effacer devant leur volonté. Les trajets en métro, et les embouteillages donnent à voir ce que c’est que l’égoïsme de compétition lorsque l’intérêt personnel commande. Mais ce peut être aussi traiter les autres comme s’ils n’existaient pas. J’appelle cela égoïsme d’indifférence. Les exemple abondent tant il apparaît  comme caractéristique de notre époque. On pense au regard qui se détourne  devant une agression dont personne ne veut rien savoir. Mais cela peut s’entendre aussi pour soi-même.  Et c’est là le sens particulier que lui donne Ayn Rand. Prendre parti de soi-même, c’est cultiver son « ego » pour déployer toutes ses capacités intellectuelles et affectives. C’est dire « je » là où on veut nous imposer de dire « nous » …» (Article du philosophe Dominique Lecourt . Philosophie magazine n° 94)

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Dans son ouvrage « La Grève » Ayn Rand, philosophe américaine d’origine russe, écrit ; «  Faut-il toujours aider son prochain ? non, si celui-ci le revendique comme un droit, une obligation morale à laquelle vous seriez soumis. Oui, si c’est votre désir, fondé sur la joie égoïste que vous procurent sa reconnaissance et ses efforts, […..] Mais aider un homme qui n’a pas de vertu, l’aider uniquement parce qu’il souffre, accepter ses fautes, et ses besoins, comme des revendications, c’est accepter qu’un moins que rien détienne une hypothèque sur votre système de valeurs. L’aider, c’est cautionner ce qu’il y a de plus mauvais en lui, c’est soutenir son œuvre de destruction. Que ce soit sous la forme de quelques centimes, ou d’un simple sourire qu’il n’a pas mérité, tout hommage à un moins que rien est une trahison envers la vie et tous ceux qui luttent pour sa préservation. C’est de ces centimes et de ces sourires qu’est née la décadence de votre monde  (Ayn Rand. La Grève. Les belles Lettres 2017)

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Introduction au débat : « L’égoïsme est-il inhérent à l’individu ? » ( 19. 03. 2010)
Lorsqu’on pose cette question à ses amis, à ses proches, les réponses spontanées sont unanimes : l’Être humain est naturellement égoïste! L’égoïsme humain est inné, la preuve est que l’égoïsme est dans toutes les sociétés, tous les milieux ; et d’ailleurs il suffit de se regarder soi-même, s’interroger sur soi pour comprendre que l’égoïsme est inné. Alors c’est étrange que ces réponses spontanées soient quasi unanimement identiques, cela parce que l’Être humain justement se diffère de l’animal, par le fait qu’il est Être de société et d’histoire. Comme le dit entre autres Lucien Malson: « L’homme n’a pas de nature, il est comme une histoire ». Donc, ma question, c’est : dans quelles conditions sociales et historiques s’acquiert ce comportement égoïste prétendument inné? Autrement dit, je vais soutenir que : on ne naît pas égoïste, on le devient. Et puis, à partir de là j’essaierai de poser quelques questions : d’abord, égoïste, en quel sens ?
Selon le dictionnaire historique de la langue française, le mot égoïste est dérivé du latin « égo » qui désigne au 18ème siècle la disposition à trop penser à soi, et à ne parler que de soi. Et à l’époque il y avait un verbe qui correspondait à cela, c’était le verbe « égoïser ». Aujourd’hui ce verbe est tombé en désuétude, par contre ce qui remplace ce verbe c’est le mot « égotisme », encore que, il nous faut définir plus précisément la différence entre, égoïsme et égotisme. En tout cas égoïsme aujourd’hui signifie : attachement excessif à soi, ce qui fait que l’on subordonne l’intérêt d’autrui au sien propre, c’est une question d’intérêt.
Dans son « discours sur  l’origine et les fondements des inégalités parmi les hommes » en 1755 Rousseau distingue justement l’homme naturel de l’homme social et historique. L’homme naturel il n’existe pas, il n’a jamais existé, il n’existera jamais d’homme à l’état de nature. Mais néanmoins l’homme naturel, c’est tout simplement l’enfant qui vient de naître. L’enfant qui n’a encore rien appris de la communauté sociale et historique dans laquelle il entre. Eh bien ! L’homme naturel, l’enfant qui n’a encore rien appris socialement et historiquement, ni une langue, ni un mode de vie, a, deux traits de caractère nous dit Rousseau : 1° la perfectibilité. 2° la pitié. L’enfant qui vient de naître est capable d’apprendre et de se perfectionner. L’enfant qui vient de naître est, selon le mot de Rousseau celui qui a pitié de son semblable. A l’époque quand Rousseau reprend ce terme de « pitié » de son semblable cela signifie tout simplement qu’il reconnait son semblable comme un Être humain, comme lui-même. Alors, au cours de son apprentissage à la vie sociale, à toute époque, il acquiert d’autres traits de caractère : la jalousie, l’envie, l’orgueil, la colère, mais aussi le caractère imaginatif, l’humour, etc. Pourquoi ? Parce que toute vie sociale implique une relation à l’autre, une relation située historiquement, et, ajoute Rousseau : « L’égoïsme est un trait de caractère acquis », mais qui s’acquiert dans un certain style de société, dans une société où l’interdépendance est synonyme d’inégalités ; inégalités entre les forts et les faibles, entre les riches et les pauvres, entre les maîtres et les serviteurs, entre colons et colonisés… Donc l’égoïsme, cet attachement à soi-même, qui fait que l’on subordonne l’intérêt d’autrui au sien propre ne peut s’acquérir et se développer que dans une communauté sociale régie par l’inégalité. L’égoïsme est alors un comportement de conservation de soi, de défense de soi par rapport à l’autre. Dans une société inégalitaire, c’est un comportement de promotion de son intérêt au détriment de l’intérêt de l’autre, par ce que nous sommes dans une société inégalitaire. Alors ce comportement égoïste implique évidemment la tension avec l’autre, voire l’agression, il peut conduire à la haine, à l’exclusion de l’autre, à ce que Rousseau appelle « La guerre de tous contre tous » dans l’ouvrage précité. Rousseau est le premier à utiliser cette formule que vous connaissez : « Le premier qui a enclos un terrain, et qui s’avisa de dire, ceci est à moi, et qui trouva des gens assez simples pour le croire, est le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de misères et d’horreur, de guerres…  ». C’est ce que Marx après lui, nomme « Les eaux glacées du calcul égoïste ».
Aujourd’hui dans un livre récent, Pierre Lévy fait l’éloge de ce type de société, et donc l’apologie de l’égoïsme. Il fait l’éloge de ce que nous appelons l’« homo oeconomicus », de celui qui vit dans notre société réglée par le développement du marché et la logique du profit, qui entraîne un comportement égoïste par ce que c’est un comportement stimulant, parce que c’est un comportement qui produit de l’innovation, parce que c’est un comportement qui produit de la liberté, et il ajoute même, c’est un comportement non seulement qui produit la prospérité économique, mais cette prospérité économique produite par ce comportement égoïste, entretient des liens étroits avec la moralité et la liberté. Le comportement égoïste est dans la société inégalitaire, dans  une société où tout s’achète et où tout se vend. Il écrit : « Le vingtième siècle a été l’extension de la marchandisation des zones toujours plus étendues et intimes de la vie humaine, y compris, la santé, la création, la forme et la composition des corps, les activités culturelles, l’éducation, et, ce processus d’expansion et d’agrandissement du marché s’accélère chaque année, chaque mois qui passe. La caractéristique du monde contemporain est donc désormais : tout le monde fait du commerce : des maisons, des matières premières, de la monnaie, des œuvres d’art, des actions, des relations, des idées, de son propre corps », et c’est cet égoïsme qui fait fonctionner, et, la collectivité, et la jalousie, en fonction de ce dont on dispose. Autrement dit : qui fait en sorte que, puisque toute société est inégalitaire, et pas seulement en richesse, mais en tant qu’Êtres humains, eh bien ! le comportement égoïste est un comportement qui permet que  chaque individu  développe ses propres forces. Autrement dit, on ne naît pas égoïste, on le devient! Et en effet on le devient dans une société inégalitaire.
Mais alors ! Et c’est là ma question, si l’égoïsme est, non pas par nature, mais acquis, et qu’il domine aujourd’hui dans le monde dans lequel nous vivons, est-il possible d’introduire des modes de comportement qui contribuent à l’atténuer ? Avec ceux avec qui nous vivons pouvons-nous trouver  un mode, un nouvel horizon, un monde où l’inégalité sera absente, ou pour le moins réduite ?
e m’appuie sur deux analyses : celle de l’anthropologue  Marcel Mauss, lequel nous montre que dans certaines sociétés indiennes des bords du Pacifique, la règle pour vivre est celle de l’échange et du don. Des individus, des communautés, sont habités par l’obligation de : donner – recevoir – rendre. Et il nous montre que dans les sociétés marchandes, y compris la nôtre, dans ce monde où la marchandisation de toute chose est devenue la règle, subsistent des éléments de ce mode de vie. En effet, ne connaissez-vous pas, tout naturellement, je dis bien naturellement et sans y avoir été éduqué, le fait que toute invitation doit être rendue. Politesse aussi d’ailleurs! Ne savez-vous pas que dans les fêtes rituelles que vous organisez, Noël par exemple, fête bien sûr à dominance commerciale, il subsiste néanmoins dans ces fêtes  de manière infime, une valeur, celle de l’échange, échange de cadeaux, celle du don. Autrement dit : donner – recevoir – rendre. Ce sont là des éléments d’un mode de vie non marchand, ce sont les éléments naturels d’un mode de la vie humaine. Il est alors possible à l’intérieur même des sociétés marchandes qui poussent l’inégalité jusqu’à son comble, d’atténuer les comportements égoïstes, voire d’éduquer à vivre selon les éléments naturels.
Epicure nous fait d’une autre façon la même proposition. Dans la lettre à son ami Ménécée il analyse les conditions du bien vivre, du vivre avec plaisir, et il souligne qu’il est possible de le faire à tout âge. Parce qu’à tout âge il est possible de réfléchir à ce qui s’oppose au bien vivre dans quelque société que ce soit. Et ce qu’il oppose au bien vivre, au vivre avec plaisir, à la quiétude d’une vie bonne, c’est l’inquiétude qui est liée à des craintes, notamment à deux types de crainte : la crainte des dieux, quels qu’ils soient, c a d  la crainte de ce qui nous domine, la crainte de ce à quoi nous sommes asservis. Et puis une deuxième crainte, la crainte de la mort, c a d la crainte de ne plus jouir de la vie. Eh bien, dit Epicure, alors les conditions du plaisir de vivre sont d’éviter les craintes, et pour éviter ces craintes, pour éviter la double crainte, que faut-il? Tout simplement, dit Epicure, vouloir ne pas être tout puissant, parce que cette crainte d’être asservi, cette d’être dominé provient d’une volonté de toute puissance. Cette crainte de la mort, cette crainte de ne plus jouir de la vie, provient elle aussi d’une volonté de toute puissance. Alors ! dit Epicure, il est possible dans nos sociétés et dans toutes les sociétés de ne pas satisfaire la volonté de toute puissance,  de retrouver des éléments naturels à l’homme : donner – recevoir – rendre » (Edith Deléage-Perstunski. Professeure de philosophie)

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« On peut montrer à l’égoïste qu’en renonçant à des avantages minimes, il en obtiendra de très grands ; au méchant que pour causer un mal à autrui, il s’en infligera à lui-même, un plus grava. Mais aucun discours ne dissuadera quiconque, de l’égoïsme lui-même, de la méchanceté elle-même, pas plus qu’on enlèvera au chat son instinct de poursuivre la souris » (Schopenhauer. Le fondement de la morale)

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« …..cette différence est aux yeux de l’égoïste, assez grande encore pour qu’il n’hésite pas à causer un tort considérable à autrui pour obtenir par là un avantage même minime pour lui-même. Donc, pour le méchant et l’égoïste, il y a entre le « Moi » qui se limite à leur propre personne, et le « non-moi » qui comprend le reste du monde, un large abîme, une formidable différence, «  Percat mundis, dum ego salvus sum », telle est leur maxime ; «  Que le monde périsse pourvu que je sois sauve » (Le fondement de la morale)

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