Hasard

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Les joueurs de dés. Georges de la tour. 1650. Musée du Louvre.

Le Grand Robert de la langue Française : Événement fortuit, concours de circonstances inattendu et inexplicable. Cause fictive qui arrive sans raison apparente ou explicable.
de ce qui arrive en dehors de normes objectives ou subjectives , de ce qui relève des lois de la probabilité et n’est pas délibér, sans direction déterminée.

Encyclopédie de la philosophie, Pochothèque : Notion qui fait l’objet de définitions différentes, mais que l’on peut ramener fondamentalement à deux : le hasard comme événement n’ayant aucune cause objective et contredisant par là toute conception rigoureusement déterministe de la réalité déterminisme), et, le hasard comme événement dont on ne connaît pas les causes.

Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Lalande : Caractère d’un événement ou d’un concours d’événements qui ne présente pas le genre de détermination qui nous paraît normal…..

Trésor de la Langue Française : Cause, jugée objectivement non nécessaire et imprévisible, d’événements qui peuvent dépendant être subjectivement ressentis comme intentionnels.

Dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville : Ce n’est ni l’indétermination, ni l’absence de causes. Quoi de plus déterminé qu’un dé qui roule sur une table ? le six sort ; c’est là un effet qui résulte de causes très nombreuses (le geste, la main, l’attraction terrestre, la résistance de l’air, la forme du dé, sa masse…) ; Si l’on juge pourtant légitimement que le six est sorti par hasard, c’est que ce causes sont trop nombreuses et indépendante de notre volonté pour qu’on puisse, lorsqu’on jette le dé, choisir ou prévoir le résultat qu’on obtiendra.

Synonyme : Aléa. Aubaine. Cas fortuit. Casuel. Coïncidence. Contingence. Destin. Imprévu.

Contraires : Automatisme. Calcul. Déterminisme. Finalité.

Par analogie : Accident. A l’aveugle. A l’improviste. Aventure. Causalité. Chance. Choix. Circonstance. Conjoncture Danger. D’aventure. Déveine. Éventualité. Fatalité. Fortuit. Fortune. Jeu. Jeu de dés. Jeu de hasard. Jouer à pile ou face. Incertain. Inatendu. Inexplicable. Heur et malheur. Loterie. Malchance. Mektoub. Occasion. Occurrence. Péril. Pile ou face. Probabilité. Providence. Rencontre. Risque. Risquer le paquet. Roulette russe. Sort. Statistiques. Tirer au sort. Veine. Vicissitude.

Expressions: A l’aveuglette. Au petit bonheur la chance. Coup de chance. Coup de bol. Coup de pot. Coup du sort.

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Pour Hume le hasard n’est que l’ignorance où nous sommes des véritables causes

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Un homme voulait se pendre :

Il trouve de l’or et laissa son placet.

Et l’autre qui ne trouvait pas son or,

Vit le placet, et se pendit.

Platon.

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« Ce que nous appelons hasard n’est et ne peut être que la cause ignorée d’un effet connu » (Voltaire. Dict. philosophique)

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«  Quoique les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles ne sont pas souvent les effets d’un grand dessein, mais des effets du hasard ». (La Rochefoucault. Maxime 27)

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Introduction au débat : « Faut-il croire au hasard ? » : Pour la plupart des étymologistes, le mot « hasard » tire son origine de l’arabe « AZ-Zahir » je jeu de dés. Pour les Espagnols le mot AZAR est lié tant aux dés qu’utilisaient les Maures, qu’à la fleur d’oranger qu’on nomme AZAHAR. Sur les dés arabes le 1 appelé aussi, AS est représenté par une fleur d’oranger. Mais AZ-ZAHR désigne aussi en arabe le résultat du jeté de dés. Ce qui rappelle que le hasard est à la fois la cause et l’effet.
s’en remettre au hasard sera considéré chez l’optimiste comme un comportement de vainqueur, de celui qui a confiance dans la providence. Mais se soumettre au seul hasard peut être un comportement pessimiste, de celui qui ne prend jamais le risque de prendre des risques, celui qui ne veut pas lutter, du camp des « Aquoibonistes ».
A mi-chemin nous trouvons les Stoïciens : « Si les choses vont au hasard ne te laisse pas aller toi aussi au hasard » nous dit Marc Aurèle. Il s’agit de vouloir ce qui peut dépendre de nous et ne pas se soucier de ce qui pourra arriver fortuitement, des faits sur lesquels nous ne pouvons pas agir.
Nous opposons notre libre arbitre au hasard, mais quelle est la part de liberté de choix ou de déterminisme… Notre structure psychologique est : vécu, éducation, et facteurs extérieurs. Notre personnalité se fait au hasard d’influences…E n quel point nous situons nous dans cette immensité des possibilités (théorie quantique), avons-nous choisi d’accomplir, en tant qu’Humanité un destin ? Un destin voulu par Dieu qui « Ne joue pas aux dés ».., ce choix nous échappe, nous l’appelons hasard, nous n’avons nulle certitude. Nous voulons croire que nous avons le choix, ou alors éthique et morale s’écroulent !
Nous débattons ici, entre gens de bonne volonté, mais privilégiés de notre monde occidental. Imaginons un instant que ce café philo se tienne dans un bidonville du Caire, de Brazzaville, ou dans une favela à Salvador de Bahia. Comment puis-je appréhender le même sujet. Nous avons la chance de nous réclamer de notre libre arbitre, de ne pas devoir nous en remettre, au seul hasard. Pour tant de gens le hasard, c’est surtout la fatalité et jamais la providence. Pour ces vaincus de la société de consommation, tous ces « no futur », le hasard c’est « Inch Allah », ou « Si dios quiere », (si Dieu le veut). L’écrivain Romain Rolland a écrit « La fatalité c’est l’excuse des âmes sans volonté », que n’a-t-il visité ces pays de misère  (Luis)

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Le hasard peut servir par chance des incapables, des ânes. Propos illustré par une fable : l’âne joueur de flûte (El burro flautista).

L’âne et le joueur de flûte

Dans un champ

qu’il y a près d’ici

passait un âne,

par hasard.(Por acaso)

Il y trouve une flûte

qu’un jeune berger

avait oublié,

par hasard.

L’animal s’approchât

pour la renifler, et,

de ses naseaux un souffle s’exhalât,

par hasard.

Alors, l’air, pénétrant,

traversant la flûte,

celle-ci émit un son,

par hasard.

« Oh ! » dit l’âne,

que je sais bien jouer de la flûte ;

et l’on dit que la musique

des ânes est mauvaise.

Morale :

Sans connaissance des règles de l’art,

il y a des ânes qui parfois,

réussissent,

par hasard.

Thomas de Iriarte (Espagne) 1770 

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« Le hasard c’est un dieu qui se promène incognito » (Einstein)

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« Toute la nature est un art qui t’est inconnu, le hasard est une direction que tu ne saurais voir, la discorde est une harmonie que tu ne comprends point… » (Alexander Pope. Essai sur l’homme. 1733)

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« Pour moi je suis persuadé que le hasard renferme quelque de réel et de positif, savoir, un concours de deux ou plusieurs évènements contingents, chacun desquels à ses causes, mais en sorte que leur concours n’en a aucune que l’on connaisse. Je me suis fort trompé, si ce n’est ce que l’on entend lorsqu’on parle de hasard » (Traité des jeux et du hasard… Jean de la Placette. La Haye 1714)

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« Il est vrai de dire (comme on l’a répété si souvent) que le hasard gouverne le monde, ou plutôt qu’il a une part notable, dans le gouvernement du monde ; ce qui ne répugne nullement à l’idée qu’on doit se faire d’une direction suprême et providentielle : soit que la direction providentielle soit présumé ne porter que sur les résultats moyens et généraux que les lois même du hasard ont pour résultat d’assurer, soit que l’intelligence suprême dispose de détails et de faits particuliers pour coordonner à des vues qui surpasse nos sciences et nos théories » (Essai sur les fondements de nos connaissances. A. Cournot. 1851. Page 47)

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Hasard et nécessitéhasard et darwinisme : «  Le même jardinier fait des semis à tout hasard, et parmi le plus grand nombre des variétés individuelles qui résultent fortuitement des diverses dispositions des germes, combinées avec des influences accidentelles de l’atmosphère et du sol, il s’en trouve quelques unes qui réunissent les conditions de propagation, en ce sens que le cultivateur a intérêt à les propager, de préférence aux autres qu’il sacrifie. Les individus conservés en produisent à leur tour une multitude d’autres, parmi lesquels on tire encore ceux qui, par des circonstances fortuites, réunissent à un plus haut degré les qualités que l’on prisait dans leurs ancêtres, qualités qui vont ainsi se consolidant et se prononçant de plus en plus par les transmissions successives d’une génération à l’autre : et par là s’explique la formation des races cultivées, qui sont comme les types nouveaux, artificiellement substitués à ceux de la nature sauvage. Cet exemple peut donner l’idée de la part du hasard et de la multiplication indéfinies des combinaisons fortuites de l’établissement de l’ordre final et des harmonies qui s’y remarquent ». (Essai sur les fondements de nos connaissances. A. Cournot. 1851. Page 93)

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« Le hasard est la rencontre de séries causales indépendantes » (Cournot.1851), mais depuis nous avons fait des avancées scientifiques. Les généticiens du début du siècle dernier pensaient étudier des phénomènes immuables, absolus, puis il a fallu se rendre à l’évidence même là, on s’est trouvé devant des mutations imprévisibles parce que jamais observées jusqu’à ce jour, il y a « des risques d’évènements chaotiques », le hasard se cache, il aime à nous surprendre, nous montrer qu’il existe un ou « des cygnes noirs » ? « Or du hasard, il n’est point de science : s’il en était un ; on aurait tord de l’appeler hasard » (L’astrologue qui se laisse tomber dans un puits. La Fontaine. Livre II, XIII) (Luis)

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« Quand hasard signifie « coïncidence » , le hasard naît du fait qu’aucune intelligence humaine ne pouvait tout prévoir, l’intersection de deux séries causales a pris au dépourvu celui ou celle qui, pour le meilleur ou pour le pire, se trouvaient à leur centre…. N’êtes-vous pas nés pas hasard, entre le néant et l’infini, dans un monde qui s’en moque, et d’où vous disparaîtrez sans laisser plus de trace que n’en laisse un naufrage à la surface de l’eau…..  » (Raphaël Enthoven . Le Hasard. Philosophie magazine N° 35)

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Comment affirmer que le hasard existe ou le hasard n’existe pas. Il est, il est quelque chose qui advient, pure contingence. Le philosophe Cournot en donne cette définition « L’idée du concours de plusieurs série de causes indépendantes pour la production d’un évènement est ce qu’il y a de caractéristique dans la notion du hasard […] »
« Une énorme tuile arrachée par le vent tombe et assomme un passant. Nous dirons que c’est un hasard. Le dirions-nous si la tuile s’était simplement brisée sur le sol ? Peut-être mais c’est parce que nous penserions vaguement à un homme qui aurait pu se trouver là, où, parce que, pour une raison ou une autre, ce coin spécial du trottoir nous intéressait particulièrement, de telle sorte que la tuile semble l’avoir choisi pour y tomber. Dans les deux cas il n’y a de hasard que parce qu’un intérêt humain est en jeu, et que les choses se sont passées comme si l’homme avait été pris en considération, soit en vue de lui rendre service, soit plutôt avec l’intention de lui nuire(…) Le hasard est donc le mécanisme du comportement comme si il y avait une intention » (H. Bergson. Les deux sources de la morale et de la religion)

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Un coup du hasard est souvent un évènement heureux, rarement une déveine une malchance, ce qui donne à ce mot hasard une connotation assez positive. Mais le hasard ne fait pas bien les choses pour tout le monde. Les hasards de l’existence sont ce qu’ils sont, bons ou mauvais.
Pour un certain nombre de personne, pour des scientifiques, la vie sur terre est le fruit du hasard, rencontre d’éléments chimiques. Pour d’autres tels les créationnistes, il n’y a pas de place pour le hasard. Cette vie fait partie d’un dessein intelligent, ce qui les amène à refuser la théorie de l’évolution de Darwin. (Luis)

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Introduction au débat : « Le hasard existe-t-il ? »
On ne peut pas se contenter d’une réponse, oui, ou, non. Il s’agit de voir quels sont les grands problèmes impliqués dans la question. Et mon problème en entendant cette question, c’est, pour qui le hasard existe t– il ? Ou, qu’est-ce qui se joue dans l’idée que le hasard existe, ou, n’existe pas ? Et-ce en plusieurs sens.
Première piste de réflexion : d’une part le hasard existe t- il dans les choses ? Est-il une propriété des relations entre les choses ? Ou, existe t- il en relation avec les choses ?
Autrement dit, Existe t- il dans les choses ou dans les jugements humains sur une chose ?
Deuxième piste de réflexion : le hasard mesure t- il des fréquences observables ? Ou, mesure t- il l’état de notre savoir à l’égard des événements ou des phénomènes ?
Troisième piste : qui parle de hasard ? Ou plutôt qui valorise ou dévalorise le hasard ? Qui veut qu’il y ait dans la vie, dans l’histoire d’un individu, ou dans une histoire collective, du hasard ?

Alors pour traiter ces trois approches, évidemment j’ai cherché ce que le terme « hasard » recouvre au sens courant. Je suis allé chercher dans le dictionnaire des synonymes et je constate qu’il y a deux catégories de sens pour ce terme donc deux approches possibles pour ce terme hasard. D’une part il y a : inattendu – incertain – inexpliqué – inexplicable. Et d’autre part, il y a : contingent- non nécessaire – non déterminé – aléatoire – accidentel – coup du hasard – coup de pot– chance – fortune. Et quand on lit cette liste de synonymes du terme hasard, on se rend compte qu’Aristote dans le livre deux de « La physique » avait raison de dire que finalement il y a deux approches possibles du hasard. Une première approche qui renvoie au sujet. ce qui est inexpliqué ou inexplicable , inattendu, incertain pour moi.
Autrement dit, il y a une première ligne de signification : le hasard, c’est ce dont on ignore la cause, ce qui est sans raison apparente pour moi.

Et puis il y a une deuxième ligne de signification, c’est que la notion de hasard renvoie à l’objet, au phénomène, aux choses mêmes – ce qui n’est pas déterminé – ce qui est imprévisible – ce qui est contingent – ce qui n’est pas nécessaire – ce qui est aléatoire – ce qui est accidentel.
Donc, déjà quand on parle de hasard, de quoi parle t- on ? S’agit- il du hasard pour moi ? S’agit – il du hasard en soi ?

Puis Aristote distinguait, (toujours dans le livre de « La physique » ce que la langue grecque lui permettait de distinguer relativement au hasard. Il disait : il y a deux types de hasard en quelque sorte : le hasard accidentel, « automaton » et le hasard « tiké » celui qui se produit sans qu’il y ait intention, sans qu’il y ait finalité, sans intention préalable qu’on appelle aussi : fortune, ou chance. ce qui arrive accidentellement, ou à l’improviste.
Alors parler de hasard, c’est parler de ce qui n’est pas finalisé, et de ce qui surgit de manière inopinée.

Enfin troisième ligne de signification, parler de hasard ce n’est pas dire qu’il n’y a pas de cause. Ce qui arrive par hasard, ce qui arrive accidentellement, ce qui arrive sans avoir été voulu, a néanmoins des causes. Donc, lorsqu’on parle de hasard, on n’oppose pas le hasard à ce qui a une cause. C’est Cournot le philosophe, qui au 19ème siècle dans, «  Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes » argumente cette idée que le hasard est une conséquence, un effet imprévisible et involontaire, comme le disait Aristote mais non pas d’une cause, mais de la rencontre de plusieurs causes indépendantes. Et il cite l’exemple que prend Spinoza dans la première partie de « L’éthique » : « Une tuile tombe d’un toit…. » ; il y a, à cela des causes appréhendées : le poids de la tuile, la pente du toit, le vent, le clou rouillé…, et chacune des causes renvoie à d’autres causes à l’infini. Par ailleurs, un homme est sur le trottoir à cet instant précis, là, juste à la verticale du toit. Tout cela peut s’expliquer, comme on peut expliquer la présence l’homme par un certain nombre de causes : il a décidé de marcher – il a un rendez-vous ici même – il a décidé de prendre cet itinéraire – il est fatigué, il s’est arrêté… Mais, ni la chute de la tuile, ni la présence de l’homme sur le trottoir, ne sont sans cause. Mais les deux séries causales : celle qui fait tomber la tuile, celle qui amène l’homme là où il est, bien qu’indépendantes l’une de l’autre, se sont rencontrées. Ce n’est pas parce que la tuile tombe que l’homme est là, et ce n’est pas parce que l’homme est là que la tuile tombe. Et si de surcroît la tuile brise le crâne de l’homme qui est là, il mourra par hasard. Non pas parce qu’il y ait une exception au principe de causalité qui a des causes, mais parce que ce principe de causalité s’est effectué avec des causes multiples, et par une rencontre de plusieurs causes.
Autrement dit, le hasard qui est imprévisible, et qui n’a pas été voulu, non intentionnel, sans finalité, n’est pas étranger à l’idée de cause. Donc, quand on parle hasard, quand on dit : ça m’est arrivé par hasard, c’est qu’on pense qu’il y a des causes, mais c’est qu’on refuse qu’il y ait une intention, un but, une finalité, un destin. Donc, quand on parle de hasard, on souligne que nous ne sommes pas agis par une force en dehors de nous, et extérieur au monde dans lequel nous vivons. On peut dire que quand le hasard existe, on s’inscrit dans une ligne de pensée, a-thée, sans dieu.

Revenons encore à Aristote. Il considérait que dans toute réalité, y compris la réalité vivante, y compris la réalité humaine, relève de quatre causes qui répondent à quatre questions : d’où provient cette réalité, cette cause ? Quelle est sa forme ? Quel est le principe qui lui a donné naissance ? Et avec quel but est-elle faite ?
Autrement dit, Aristote nous propose d’étudier comment chaque réalité, chaque chose, quelle qu’elle soit : inerte, vivante, humaine, relève de quatre causes ; ce qui veut dire que cette démarche d’interrogation fait du hasard un acteur des choses, et par là, il nous enseigne à penser que la réalité ne renvoie pas à une cause première, mais à d’autres causes. Autrement dit, penser en terme de hasard toute réalité quelle qu’elle soit, c’est penser en terme de cause, mais c’est refuser qu’il y ait une cause première ; providentielle ou pas.

Ainsi si le hasard renvoie à une multiplicité de causes et non à une intention, ni a une cause première , si le hasard indique l’imprévisibilité ou le caractère fortuit dans un concours de circonstances ; il est naturel que la pensée ait cherché à dominer le hasard, à maîtriser intellectuellement le hasard ; et toute l’histoire de la pensée scientifique le montre. Toute étude scientifique postule le déterminisme des phénomènes étudiés, « Il n’y a pas d’effet sans cause ! » ; et lorsque justement il s’agit d’étudier une réalité qui se situe à la rencontre des plusieurs causes, eh bien ! la pensée humaine a inventé la théorie « probabiliste » qui s’adjoint en quelque sorte à l’hypothèse déterministe. Et ce dans de nombreux domaines d’étude, et notamment dans le domaine des sciences du vivant, et aussi dans le domaine de la cosmologie depuis les années 60.

Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre ce qui se joue à ce niveau. Il y a dans la pensée scientifique qui exige qu’il y ait un déterminisme des faits donc que « tout effet a une cause », voire une cause probable, ou une probabilité de cause. Il y a dans la pensée scientifique cette exigence de cause, cette exigence que finalement il y a toujours, une ou plusieurs causes d’ une réalité.. Eh bien ! je crois que cette exigence de la pensée scientifique, c’est une exigence de la pensée humaine tout court. Tout court, en ce sens que la pensée humaine relève de cette prescription que faisait Auguste Conte lorsqu’il s’interrogeait sur ce en quoi consiste la recherche scientifique. Il disait : « L’attitude scientifique est celle-ci: savoir pour prévoir, et prévoir pour agir ».
Autrement dit, l’exigence que toute réalité ait une, ou plusieurs causes, et que cette, ou ces plusieurs causes puisent être comprises par l’être humain, soit en appliquant le principe de déterminisme, soit en faisant un calcul de probabilité, cela signifie que l’être humain a cette exigence fondamentale de non seulement comprendre le monde dans lequel il est, mais peut-être, de prévoir ce qui va advenir, afin d’orienter ce qui va advenir.

Il y a un autre présupposé implicite dans cette exigence de la pensée qu’il y ait du hasard. Ce qui ne signifie pas du tout qu’il n’y ait pas de cause. C’est un biologiste, Jacques Monod, qui dans « Le hasard et la nécessité » dit à propos de l’hypothèse de l’évolution de Darwin,: « La sélection opère donc sur les produits du hasard, et ne peut s’alimenter ailleurs ; mais elle opère dans un domaine d’exigences rigoureuses dont le hasard est banni » ; l’univers n’était pas gros de la vie, ni de la biosphère de l’homme. Votre numéro est en quelque sorte au jeu de Monte Carlo. Quoi d’étonnant alors à ce que, tel celui qui va y gagner un milliard, nous éprouvions l’étrangeté de notre condition.
Autrement dit, lorsque nous pensons le réel avec cette idée du hasard, eh bien ! c’est que nous avons fondamentalement la sensation de notre contingence. Toute vie est hasardeuse dans son détail, comme dans son principe. La naissance de chacun de nous quelques années avant notre conception était d’une probabilité extrêmement faible, comme la naissance de nos parents. Il en résulte que notre existence, il y a quelques siècles était d’une probabilité quasiment nulle. C’est en quoi toute réalité et toute expérience aussi banale soit-elle, c’est en fait, que non seulement elle est imprévisible à l’avance, mais qu’ elle est hautement improbable.

Donc, affirmer que le hasard existe, c’est : je résume :
1° C’est, penser de manière a-thée , il n’y pas de providence – il n’y pas de destin – il n’y a pas d’intention préétablie.
2°° C’est, mettre en évidence notre sensation de la contingence de notre existence, et aussi du monde avec lequel et dans lequel nous vivons.
3° C’est, peut-être aussi, vouloir orienter notre existence, « prévoir pour agir », et peut-être aussi, orienter celle de la vie sur la terre que nous habitons.
J’en veux pour preuve, nos conversations. Dans les échanges d’information sur le monde dominent les mots de : crise, crise financière, crise sociale, crise écologique, qui rythment la vie de notre planète. Dominent aussi les mots de risque d’accidents et de probabilité de catastrophes. Que ces notions dominent dans nos paroles, dans nos échanges, dans nos écrits  cela implique à mon sens que nous avons la sensation de contingence de notre monde, de nous-mêmes, de la terre que nous habitons, et aussi la préoccupation de devenir comme disait Descartes : « Maîtres et possesseurs » non pas seulement, « de la nature », mais de l’existence dans le monde que nous habitons, et puis, que nous souhaitons pouvoir prévoir.
Pouvoir prévoir, pourquoi faire ? Pour orienter notre existence. Autrement dit, dire que le hasard existe dans les sens dans lesquels j’ai essayé d’approcher ce terme, c’est tout simplement dire que nous avons un désir d’être libre. (Edith Deléage-Perstunski. professeure de philosophie)

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(Anecdote) : Le vizir de Córdoba se rend chaque jour chez le calife. Traversant la grand place de la Mosquée, il sent une main sur son épaule, il se retourne et voit dans son suaire, la mort qui le regarde fixement… Il n’aime pas ce regard. Alors, se rendant chez le calife, il lui demande l’autorisation de s’éloigner quelques jours de la ville : « Avec de bons chevaux, je serai ce soir à Grenade », dit-il. Le Calife accepte. Plus tard le Calife traversant à son tour la place voit lui aussi la mort, et il lui demande : « Pourquoi ce matin as-tu regardé mon Vizir avec tant d’insistance ? ». « C’est que », lui répond la mort « j’avais rendez-vous avec lui ce soir, à Grenade » ! ». Tout comme pour Œdipe qui court à son destin, La Fontaine nous dit dans une fable, qu’ « on rencontre souvent son destin par les chemins qu’on prend pour l’éviter »

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« Si le hasard mène la danse, s’il distribue les cartes : de la naissance, de l’amour, des rencontres et des carrières, lors notre volonté ne compte pour rien, et notre liberté est réduite à néant. La vie n’a aucun sens.
Mais si, à l’inverse, nul hasard ne préside à notre existence, si tout est programmé à l’avance, alors, un fois encore, rien ne sert de vouloir, le liberté n’existe pas ». (Article« La vie est-elle une suite de hasards ? », philosophie magazine n° 51)

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« Le hasard tout comme le soleil et la mort, ne peutil être regardé en face, » Michel Eltchaninoff)

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« L’homme peut naître esclave, dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire »admet Jean-Paul Sartre dans l’existentialisme est un humanisme ». Mais tout attribuer au hasard n’est pour lui qu’un signe de mauvaise foi, une tenttive pour se défausser de sa propre liberté. Sartre cherche en effet avait tout à responsabiliser l’homme en refusant l’idée qu’il puisse être le jouet des circonstances. Ainsi tente t-il de démontrer que le hasard n’est jamais que partiel….  Article « La vie est-elle une suite de hasards ? », Philosophie magazine N° 51)

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«  La confiance dans le hasard est une attitude vaincu »  (Henri Troyat. L’Araigne

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 « Comment pourrions-nous vivre sans inconnu devant nous ? » nous dit René Char. C’est un enjeu principal pour moi, ce n’est pas seulement dire : ça existe, ou ça existe pas. C’est comme cette chose horrible, il faut que je prévoie ma vie, que je planifie ma vie. Et pour d’autres au contraire, il faut absolument qu’il y ait de l’inconnu, et c’est Heidegger qui a dit : «  J’attends ce que je n’attends pas », Ce sont là deux orientations très différentes. (Luis)

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« Une énorme tuile arrachée par le vent, tombe en assommant un passant. Nous disons que c’est un hasard. Il n’y a de hasard que parce que l’intérêt humain est en jeu. Le dirions-nous, si la tuile s’était simplement brisée sur le sol ? […] il n’y a de hasard que parce qu’un intérêt humain est en jeu et que les choses se sont passées comme si l’homme avait été pris en considération soit en vue de lui rendre service, soit plutôt avec intention de lui nuire. Ne pensez qu’au vent arrachant la tuile, à la tuile tombée sur le trottoir, au choc de la tuile contre le sol : vous ne voyez plus que du mécanisme, le hasard s’évanouit. Pour qu’il intervienne, il faut, l’effet ayant une signification humaine, cette signification rejaillise sur la cause et la colore pour ainsi dire, d’humanité« 
« Le hasard est donc le mécanisme se comportant comme s’il avait une intention » (Bergson. Les Deux Sources de la morale occidentale et de la religion)

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Le projet des transhumanistes amène à une réflexion quant au risque d’éliminer, de court-circuiter le hasard, court-circuiter ce que nous appelons « l’errance du hasard ».
Parallèlement à ces projets, les expériences et applications récentes en biotechnologie, posent de semblables questions : Le séquençage biologique, embryonnaire, cellulaire, créant des modifications génétiques, modifiant l’inné, supprime cette part de hasard inhérente au vivant, et modifie le vivant
L’homme est-il appelé à être ce vivant de moins en moins indéterminé ? (Luis)

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« Les concepts de « hasard » et « destin » sont censés s’opposer : l’un évoque, la contingence, ce qui aurait pu ne pas se produire, ou se produire autrement ; l’autre désigne une marche implacable des événements ou des existences, excluant l’arbitraire et les aléas ou ne leur accordant que peu de poids.
Dans nos discours, pourtant, ces deux concepts ne cessent de se court-circuiter. Les occurrences du mot « hasard » y sont si plurielles, si peu cohérentes entre elles que le sens en devient indéfinissable : ici c’est un monstre froid et mathématique, là un lutin capricieux à  l’humeur variable, tantôt providentiel, tantôt maléfique… » (Etienne Klein. Courts-circuits. Gallimard 2023)

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«  Sa seule tâche en vérité, était de donner des occasions à ce hasard qui, trop souvent, ne se dérange que provoqué » (Camus. La peste)

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