Humour

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Falstaff. Edward von Grützner. 1921.

Le Grand Robert de la Langue Française : Forme d’esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites, parfois absurdes, avec une attitude empreinte de détachement et souvent de formalisme.

Dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville : C’est une forme comique, mais qui fait rire surtout de ce qui n’et pas drôle…. Ce n’est pas le réel qui est drôle, mais ce qu’on en dit. Non son sens, mais son interprétation,  – ou non sens.  
Il y a du tragique dans l’humour, mais c’est un tragique qui refuse de se prendre au sérieux. Il travaille sur nos espérances, pour en marquer la limite, sur nos déceptions, pour en rire, sur nos angoisses, pour les surmonter.

Synonymes : Blague. Esprit. Gag. Plaisanterie.

Contraires : Austérité. Coincé. Rigidité. Sérieux

Par analogie : Absurde. Calembour. Caricature. Comique. Décalage. Dessin humoristique. Déraison. Dérision. Drôle. Esprit de sel. Fantaisie. Fou du roi. Gaieté. Humoriste. Humour noir. Ironie. Jeux de mots. Moquerie. Raillerie. Ridicule. Rire. Sarcasme. Satire. Se bidonner. Se marrer. Zygomatiques.

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L’humoriste sème plus souvent la vérité que le philosophe. L’humour n’a pas de limites mais a des barrières. Les humoristes de talent, savent parfois transgresser les limites sans faire tomber les barrières. (Luis)

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« Drôles dans ces cocktails, tous ces humains recouverts d’étoffes, qui gravement parlent comme s’ils n’étaient pas hémorroïdaires et nus et misérables sous leurs smokings et leurs décorations, et les inférieurs immanquablement tentent d’approcher les supérieurs qui s’embêtent avec ces inutiles et tâchent de s’en débarrasser  pour approcher un profitable sur supérieur qui s’embêtera avec deux. Comment ne pas leur donner une tendresse de pitié ? pitié aussi de cette mamelue à grosse croupe aperçue  à ce cocktail. J’étais avec elle, attendri de pitié  lorsque, faisant enfin la connaissance d’un important barbu, elle s’est empressée d’articuler, comme en passant, le nom d’un ministre avec lequel avant-hier, avertissant ainsi le barbu qu’elle faisait partie d’un groupe de considérables et que, par conséquent elle pouvait être reçue, , car si le barbu la recevait chez lui et lui faisait connaître ses propres considérables sociaux, elle lui ferait connaître les siens, et ainsi ils gagneraient tous deux à cette agréable alliance. Et en effet, la grosse avide a été jugée intéressante et charmante, car elle En était, et pouvait être utile. Une miraculeuse fois de plus, j’étais soudain elle, attendri par sa lamentable victoire qui ne l’empêcherait pas de mourir bientôt dans sa graisse » (Albert Cohen. Carnets 7).

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Introduction au débat : « Pourquoi rire ? »
Alors, les philosophes, en général,  manqueraient-ils d’humour? Même si Epicure nous disait : « Il faut rire tout en philosophant »  Il est vrai que peu de philosophes ont fait s’activer les zygomatiques, sauf notre vieil ami Démocrite, le philosophe qui rit.». Tout, de la vie, des hommes le faisait rire. « « Je ris » disait-il «  d’un unique objet : l’homme plein de déraison, (l’homme) vide d’œuvres droites, (l’homme) puéril en tous ses projets, en tous ses propos, souffrant sans nul bénéfice […] La conscience a été donnée à l’homme pour transformer la tragédie de la vie en une comédie ». On l’oppose souvent à Héraclite  qui s’attristait du spectacle du monde.

    Ce seront plus les écrivains, les auteurs qui eux, délivreront des messages philosophiques avec de l’humour, ce sera Rabelais : « Mieux est de ris que de larmes écrire, pour ce que le rire est le propre de l’homme ». Puis ce sera surtout Molière. Jusque là le roi acceptait que son fou se moque de ses petits travers. Mais avec les comédies de Molière c’est une société dont les bourgeois qui sont plus au moins obligés d’entendre les leçons de vie de Molière, des thèmes qui à l’époque disent plus que la philosophie. Ce n’est que son grand talent qui lui évitera plusieurs fois la Bastille.

C’est souvent les polémiques qui ont donné des traits d’humour chez les philosophes. Pour se moquer de Leibnitz Voltaire écrit les drôles d’aventure de Candide. Leibnitz se retrouvant sous les traits du professeur Pangloss. Schopenhauer est très inspiré pour se moquer de Hegel, dont il dit entre autre, qu’il ne cesse d’enfiler des concepts comme d’autres enfilent des perles. 

Aujourd’hui on a une petite éclaircie humoristique aujourd’hui dans la philo, c’est le philosophe comédien Yves Cusset qui dans un récent spectacle nous dit : “La philosophie est de plus en plus à la mode, tellement à la mode qu’on se demande ce qu’ « on f’rait » sans elle.
Bah ! Onfray ! Onfray ! Et bien demandons à Onfray, et cn saura enfin savoir à quoi « Michel sert »
Enfin  je dirai que j’ai beau chercher aujourd’hui chez nos philosophes, je ne vois beaucoup de propension à l’humour. Je dirais même que le monde de la philosophie y compris ceux qui se piquent d’y participer, ce monde est un peu rigide. J’en veux pour preuve le peu de mansuétude, la rigueur excessive, lors de la sortie du livre de Michel Onfray  concernant les théories freudiennes. Dans tous ces débats télé que des invités à charge. Le seul s’il était encore parmi nous qui aurait pu l’aider, c’est Pierre Desproges, lui qui sur ce sujet était déjà parjure ! « Depuis pas loin d’un siècle qu’une baderne autrichienne obsédée s’est mise en tête qu’Oedipe voulait sauter sa mère, la psychanalyse a connu sous nos climats le même engouement que les bains de mer ou le pari mutuel  urbain. On a beau savoir pertinemment que la méthode d’investigation psychomerdique élucubrée par le pauvre Sigmund n’est pas plus une science exacte que la méthode du professeur Comédon pour perdre trente kilos par semaine tout en mangeant du cassoulet, ça ne fait rien, la psychanalyse, c’est comme la gauche ou la jupe à mi-cuisse, c’est ce qui se fait maintenant chez les gens de goût ».    
(Je précise tout de suite que citation ne vaut pas approbation)  (Luis)

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Strepsiade, personnage de la pièce « les nuées » d’Aristophane, visite l’école nommée « le pensoir » où il est reçu par Socrate. Il est surpris de voir des hommes penchés vers la terre, et s’adresse à l’un des disciples.
Srepsiade – Mais au fait qu’ont-ils à regarder la terre ?
Le disciple – Ils scrutent el que tu les vois, le monde souterrain…, ceux-là scrutent les ténèbres.
Strepsiade – Mais qu’ont donc leurs derrières à regarder le ciel ?
Le disciple – Ils font de l’astronomie pour leur propre compte….

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«  La dérision ou moquerie est une espèce de joie mêlée de haine, qui vient de ce qu’on s’aperçoit quelque petit mal en une personne… »  (Descartes. Traité des passions. De la moquerie. Troisième partie. Art. 178)

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Débat: « Peut-on philosopher avec humour? » 22 janvier 2011
….. Donc,  piste de réflexion: qu’est ce que l’humour inclus :
a) d’abord que l’humour est une façon de rire, et,  comme l’a écrit Chamfort « La seule journée perdue est celle où on n’a pas ri »  ou La Bruyère «  Il faut rire avant que d’être heureux de peur de mourir sans avoir ri» et Rabelais qui nous dit après  Aristote, « Mieux est de rire que de larmes écrire pour ce que rire est le propre de l’homme »   Le rire est une valeur. Philosophiquement rire rend léger le fait de vivre (on pourrait citer Nietzsche et Bergson pourtant si différents..). Pleurer aggrave, alourdit  la vie. Chacun, ici, sait que rire nous fait du bien   et nous savons qu’on utilise le rire, entre autres, dans des hôpitaux où on soigne des enfants cancéreux, pour diminuer leur angoisse, donner plus de chance à la guérison    « Faut rigoler, faut rigoler …pour empêcher le ciel de tomber »  chantait Henri Salvador
Et puis rire nous fait prendre conscience du fait que nous appartenons à une communauté, qu’il y a quelque chose de commun entre nous et les autres. Rire ça fait lien avec les autres.., c’est bon pour philosopher
Ensuite, selon le dictionnaire historique de la langue française (le Robert) le mot « humour », attesté en France au 18ème siècle est un emprunt de la langue anglaise humour qui désigne un tempérament : une humeur est une façon d’exister typiquement anglaise : « une certaine tristesse dans la gaieté». Voltaire, dans son dictionnaire (1725) écrit que « L’humoriste c’est celui qui fait rire avec un caractère sombre »  
Et enfin l’humour se distingue de l’ironie; et je vais critiquer l’ironie et faire l’apologie de l’humour, en ce qui me concerne pour réfléchir au sens de l’existence.
trement dit, on peut philosopher avec ironie mais je préfère ceux qui philosophent avec humour… Kierkegaard (philosophe danois du siècle dernier), a analysé l’ironie dans « Crainte et tremblement » en montrant que l’ironie relève de ce qu’il appelle le stade esthétique L’ironiste c’est celui qui vit dans l’esthétisme, qui est un pur spectateur du monde, de ce qui se passe, et se contente de contempler ce qui arrive. Il voit dans la vie une théâtreuse comédie à laquelle il assiste il ne monte pas sur la scène. Il n’est pas acteur il ne cherche pas à transformer la réalité qu’il contemple et il en rit. Le rire ironique exclut l’action. Et Kierkegaard ajoute, l’ironie est fondée sur la supériorité de la subjectivité, sur la réalité ? Quand on ironise il y a toujours une cible, une victime du rire: on peut prendre des exemples dans la vie courante on rit devant un ratage, l’échec de quelqu’un qui est distrait.

Platon raconte qu’une servante se moquait de Thalès  (le mathématicien) lequel, alors qu’il contemplait les étoiles tomba dans un puits parce qu’il ne regardait pas devant lui. On rit ironiquement d’une maladresse, d’un faux pas, d’une conduite inadaptée, voire aussi d’un handicap, d’un tic, d’une erreur … d’une façon de se vêtir ou de se présenter, ou d’un caractère jugés, ridicules ! .Ainsi  Molière se moque de l’avare, du misanthrope…, ainsi les caricaturistes qui grossissent les traits physiques ou et psychiques d’un individu …
Le rire ironique fait du bien,  mais il  a cette dimension plus ou moins accentuée de dénoncer l’autre, voire de le rejeter. En ce sens l’ironie est souvent méchanceté, intolérance en tous cas, raillerie, moquerie.  Quand il y a de l’ironie il y a de la connivence entre ceux qui rient, et il a  rejet de celui dont on rit  et … surtout de l’orgueil : je me démarque de l’autre dont je ris, et j’affirme ma supériorité: (on rit devant la bêtise, le mauvais goût, ce qui nous déplait en l’autre). Mais c’est plus compliqué quand même car ce que j’estime être ma supériorité  tient peut-être simplement à ce que je vois le ridicule de celui qui ne le voit pas lui-même ; je vois ce que l’autre ne voit pas: c’est ce qui se passe au Guignol pour les enfants et aussi au cirque avec les clowns … Donc le rire ironique a  aussi une vertu c’est de voir et faire voir ce qu’on ne voit pas.
Qu’est-ce qui ne va pas en moi?  Qu’est-ce qui peut bien prêter à rire? L’ironiste  me conduit à m’examiner, à me regarder ;  donc il  nous invite à la réflexion.
Alors c’est bien ce que proposait Socrate quand il ironisait sur les certitudes de ses contemporains; sur ceux qui sont dogmatiques et qui croient que leurs opinions sont des vérités.  Et il proposait justement de philosopher,  c’est à dire de se questionner et de dialoguer pour chercher ensemble des vérités c’est à dire des significations de la vie que nous menons.
Mais si je reconnais cette vertu de l’ironie, pour moi elle en reste à ce travail de sape qui ne me suffit pas et dont je me méfie. L’ironiste c’est celui dont on dit qu’il a  de l’esprit. Comme si les autres qui ne savent pas plaisanter  n’en avaient pas, d’abord  et  d’autre part avoir de l’esprit  ce n’est pas simplement rire de ce qui ne va pas .., c’est aussi vouloir que ça aille mieux. Et c’est oser penser autrement que ceux dont on rit…

Pour s’embarquer vers un sens de l’existence, il faut plus et autre chose que du rire ironique ;    l’humour me semble plus  porteur …
Si je reviens sur des auteurs comme Molière qui nous fait rire de l’avare et Cervantès qui nous fait rire de Don Quichotte il me semble que la distinction entre le  mauvais esprit  de l’ironiste et la  belle âme de l’humoriste s’éclaircit…Quand nous rions de Don Quichote, le chevalier à la triste figure qui se bat contre des ennemis imaginaires, contre des moulins à vent , nous rions de sa folie , de son délire qui consiste à confondre le rêve et la réalité mais nous ne le condamnons pas, nous le comprenons (comme l’écrivait Erasme il faut faire l’éloge de la folie); et nous sommes désolés pour lui et avec lui que le réel, que la vie ne soit pas aussi belle que l’idéal. Et l’humour de Chaplin est le même . Ses personnages sont naïfs et généreux et ils affrontent la dureté du réel.  Et quand nous rions d’eux, nous nous sentons très proches d’eux…
Donc d’abord avec l’humour c’est la condition humaine tout entière qui est perçue comme tragédie, plutôt que comme comédie
On peut aussi penser aux films de Woody  Allen, aux Marx Brother, à Laurel et Hardy et aussi au théâtre contemporain de l’absurde ( Ionesco, Beckett) ou à la mise en scène d’un monde absurde dans « Alice au pays des merveille » de Lewis Caroll qui fait rire les enfants d’un monde complètement absurde où la reine du jeu de cartes se met à parler ,devient sanguinaire et où on lui coupe la tête ,mais les enfants et nous mêmes avons de la tendresse pour ce qui est absurde …et même absurdement cruel … N’est ce pas aussi ce qui se passe avec les humoristes comme Coluche, Pierre Desproges, Raymond Devos…, Anne Roumanoff, et tant d’autres que vous connaissez mieux que moi.

Ensuite l’humour c’est le rire qui permet de dédramatiser les situations que nous vivons quand nous ne pouvons pas les changer : en quoi l’humour est un remède non pas au mal mais à la souffrance que nous cause le mal… « Faut rigoler pour empêcher le ciel de tomber ». Julien Clerc  disait à l’enfant malheureux comme lui de savoir sa mère partie « ne pleure pas comme ça,  ne pleure pas comme ça, ça fait pleurer le Bon Dieu »…
Et le film : « La vie est belle »  de  Roberto  Benigni  qui arrive à faire prendre du plaisir à l’enfant à l’intérieur de la tragédie du camp d’extermination (il y a eu et il y a controverse là dessus). Je pense qu’il y a dans l’humour une humilité qu’on ne trouve pas dans l’ironie . Et c’est peut-être pourquoi ce sont les peuples  opprimés qui cultivent  l’humour
Donc, l’humour nous fait comprendre que nous sommes tous dans la même galère,  que nous sommes tous témoins et victimes d’une certaine absurdité de la vie, d’une imperfection de l’existence tout entière, des dérives des êtres humains ,que nous ne cessons de buter sur leur bêtise ou:/et sur leur méchanceté , ou sur l’injustice du sort, que nous nous heurtons à l’idiotie du réel ,que nous sommes tentés par le désespoir mais que plutôt que nous laisser gagner par la « passion triste » (comme disait Spinoza), nous prenons de l’altitude, nous trouvons la joie de rire ou de sourire : c’est cela l’humour : cette  attitude de gaieté dans la tristesse, selon son étymologie, qui est si différente de l’ironie : humilité, tendresse et compassion pour notre humanité  et espoir de trouver les voies du changement, du passage à d’autres situations et donc du sens à l’existence…

Philosopher avec une pointe d’humour est vraiment plus souhaitable que philosopher avec un point d’ironie …..
Et j’ajoute que les réflexions actuelles et des philosophes et des historiens contemporains soulignent que la réflexion philosophique s’intéresse de plus en plus aux  petites choses de la vie quotidienne comme l’écrit Pierre Zaoui « La pensée ne vaut pas une heure de peine quand elle néglige l’expérience vivante des hommes »  (La traversée des catastrophes. 2010) et en effet   les revues  les livres, les cafés-philo, les universités populaires, les rencontres -débats etc.. , traitent de plus en plus des questions concrètes de vie quotidienne Avec plus ou moins de talent …Sur « La culture populaire» (Richard Hanley) la métaphysique de Star trek (1998),sur  les détritus, les déchets et l’abject « (1997) le philosophe François Dagognet, sur «  l’espionnage « Isaac ben Israël: « la philosophie du renseignement, sur la « La corrida » (Francis Wolff Philosophie de la corrida » (2007) et sur les blagues: Petite philosophie des blagues et autres facéties :Jim Holt (2008) et Platon et son ornithorynque entrent dans un bar (ou la philosophie expliquée par les blagues .Thomas Cathcart et Daniel Klein .Seuil(2008)
Il y a aussi la question des causes du rire et les effets du rire sur l’être humain … Et je reprends en le simplifiant, ce que Freud a montré. Freud qui n’est pas un philosophe, mais le fondateur d’une science du psychisme (la psychanalyse) a montré que le rire consiste à se mettre à distance de certaines situations   déséquilibrantes pour l’individu…, les lapsus et les blagues expriment des désirs refoulés, sont donc liés à l’anxiété (Psychopathologie de la vie quotidienne) c’est aussi ce que raconte Romain Gary dans son roman « Les clowns lyriques » . (Edith Deléage-Perstunski. Professeure de philosophie)

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