Interpréter

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Theo van Rysseberghe. La lecture. 1903. Muse des Beaux Arts de Gand.

Le Grand Robert de la langue française : Expliquer, rendre clair ce qui est obscure (dans un texte, un écrit). Traduire d’une langue dans l’autre. Traduire oralement.
Donner un sens à quelque chose, tirer une signification…
Donner une signification plus ou moins subjective…

Trésor de la langue française : Traduire (un texte ou des paroles) d’une langue dans une autre
– Expliquer, chercher à rendre compréhensible ce qui est dense, compliqué, ambigu.
Interpréter une loi, un arrêt : Dégager le sens exacte d’un texte qui serait peu clair, en déterminer la portée, c’est-à-dire, le champ d’application temporel…
– Donner un sens personnel, parmi d’autres possibles, à un acte, à un fait, dont l’explication n’apparaît pas de manière évidente.

Dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville : C’est chercher ou révéler le sens de quelque chose (d’un signe, d’un discours, d’une œuvre, d’un évènement…). S’oppose par là à l’explication, qui donne non le sens mais la cause. Les deux démarches peuvent bien sûr être légitimes ; mais il ne l’est jamais de les confondre. Tout a une cause, et certains faits ont un sens. Mais comment un fait pourrait-il s’expliquer parce qu’il signifie. …..

Synonymes : Commenter. Comprendre. Déchiffrer. Elucider. Expliquer. Traduire. Elucider.

Contraires : Travestir. Déformer.

Par analogie : Analyser. ArgumentAstrologie. Eclaircir. Cause. Discours. Exégèse. Formulation. Glose. Herméneutique. Influence. Jugement de fait. Jugement de valeur. Langage. Mots.  Phénomènes. Rêves. Sens. Signe.

Expression:s: Cela va de soi. Prendre ses désirs pour des réalités. Tourner à son avantage. Utliser la langue de bois.

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 « La manière dont le monde extérieur s’impose à nous, et dont nous tentons d’imposer au monde extérieur notre interprétation particulière, est le drame de notre vie ». (André Gide, Les faux monnayeurs)

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 Nous interprétons des signes, comme étaient interprétés des présages, dans le ciel, dans le sang d’un poulet, ou la bave d’un crapaud. Puis nous avons interprété le mouvement des étoiles, des planètes, c’est l’astrologie. Depuis toujours on a voulu interpréter les rêves. Toutes ces interprétations ont ouvert la porte à de multiples activités.  Les choses nous le savons ne s’expliquent pas forcément d’elles-mêmes, mais lorsque j’entends « cela va de soi », je dresse tout de même l’oreille          
Nous savons qu’interprétation n’est pas explication ; celle-ci évoque la cause, alors qu’interpréter serait donner le sens. Le sens ne peut être l’explication de la cause. Pour qu’une interprétation soit garantie comme fidèle à cent pour cent, qu’elle tende vers une vérité, il faudrait réunir bien des éléments pour comprendre et faire comprendre. D’abord, mettre tous le même sens sous les mêmes mots, cela n’existe pas.
Que nous soyons totalement détachés de nos subjectivités, de nos opinions et croyances, d’a priori, qui sont le fond de notre individualité, cela ne paraît pas possible non plus. Il faudrait également que celui qui est le récepteur de l’interprétation ait la même grille de lecture que l’émetteur. Cela n’est pas possible
 A partir de là, même avec la meilleure volonté, comment interpréter en écartant tout risque de se tromper quant au sens, s’écarter d’une vérité ?
Une interprétation peut être volontairement arrangée, adaptée, reformulée, orientée, pour des buts de prise de pouvoir, de propagande, d’embrigadement, de prosélytisme. Cela peut correspondre à un engagement personnel de l’émetteur. Et là, parfois, la personne manipule l’explication pour en venir à sa finalité, à ce qu’il veut prouver, il y a intentionnalité. C’est ce qu’on appelle « l’argument couché sur le lit de Procuste* », autrement dit, une argumentation que l’on fait rentrer de force dans le moule de ce que l’on croit dur comme fer, ou que l’on veut faire accroire
L’idéaliste interprète, parfois en allant au delà du simple réel, en « prenant ses désirs pour la réalité ». Le dogmatique limite et enferme son interprétation dans « sa » vérité : « Donnez-moi seulement vos dogmes, je me charge des preuves ! », disait le philosophe stoïcien Chrysippe.  L’idéaliste et le dogmatique, l’un comme l’autre, s’ils agissent en toute sincérité, peuvent ne pas être taxés de fausser volontairement la vérité.  Pour que la vérité soit faussée, il faut qu’il y ait intentionnalité.
Nos propos nous révèlent et, malgré nous, notre inconscient participe à la construction des idées. Quand je vous parle, je ne suis pas neutre, même si je ne n’ai nullement l’intention de tromper, de subjuguer, d’influencer. Toujours, mes orientations, mes goûts, croyance ou non croyance, tout mon acquis, sont là, présent dans mon propos. Souvent, comme le dit André Gide dans Les faux-monnayeurs : « […] nous tentons d’imposer au monde extérieur notre interprétation particulière […] ». Mais, d’autre part, le langage totalement vidé de tout sentiment personnel, de toute opinion est un langage neutre, aseptisé. C’est tout juste bon pour les catalogues, les modes d’emploi, pour une documentation technique (* Mythologie grecque) Procuste n’avait qu’un lit pour ses hôtes. Si ces derniers étaient trop grands, il coupait « un peu » les pieds, les jambes ; dans l’autre cas, il étirait. Et enfin pour répondre directement à la question initiale. Non tout n’est pas qu’interprétation. La science est venue nous le confirmer, nous avons interprété maints phénomènes, et les démonstration logiques scientifiques ont écarté toutes sortes d’interprétations abracadabrantesques. 
Dans le domaine des idées, nous interprétons ce qui s’appelle les jugements de valeurs. Et nous n’avons pas à interpréter ce qui appelle les jugements de fait. (Luis) 

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        Interpréter, est-ce fausser la vérité ? (Pantoum)

Bonjour je suis la vérité

En fait, je cherche un interprète

Je suis nue, mon identité

Ce sont les habits qu’on me prête

En fait, je cherche un interprète

Car ma langue est l’ambiguïté

Ce sont les habits qu’on me prête

Qui me donnent ma densité

Car ma langue est l’ambiguïté

Et me chercher est une quête

Qui me donne ma densité

L’histoire est une pirouette

Et me chercher est une quête

Parfois je suis mal fagotée

L’histoire est une pirouette

Qui se doit d’être interprétée

Parfois je suis mal fagotée

Si je suis une devinette

Qui se doit d’être interprétée

Je cherche une voix qui me complète

Si je suis une devinette

Question de sensibilité

Je cherche une voix qui me complète

Quitter la clandestinité

Question de sensibilité

J’ai pris le vent comme il s’entête

Quitter la clandestinité

Dans le bouchon de ma trompette

J’ai pris le vent comme il s’entête

Mais j’ai manqué de liberté

Dans le bouchon de ma trompette

Bonjour je suis la vérité

(Florence Desvergnes)

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J’adore la peinture symbolique, et j’aime la faire découvrir, car il faut sans cesse interpréter, et même lorsque vous connaissez une œuvre vous avez pu laisser échapper un tout petit détail qui vous dit quelque chose de plus. (Luis)

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  « Un peuple qui ne sait plus interpréter ses propres signes, ses propres mythes, ses propres symboles, devient étranger à lui-même, perd foi en son destin.»  (Jean-Marie Adiaffi, cinéaste et poète ivoirien, dans «  La carte d’identité »)    

*                                             

L’interprétation est du domaine de la philosophie. Ceux qui s’en remettent à des vérités en prêt à penser, qui acceptent des vérités dogmatiques, n’ont pas le souci de devoir interpréter, c’est utiliser des arguments d’autorité : Platon a dit, Kant a dit etc.   Je pense au film Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, ou Monsieur Ibrahim  dit qu’il n’a pas besoin d’explication des faits, « j’ai mon livre » répète t-il souvent et « mon livre me dit tout »
Interpréter est le vilain défaut de l’homme depuis le fruit défendu.  Tout est malheur depuis que l’homme cherche à savoir, à vouloir trouver l’explication de tout, nous dit le philosophe espagnol Miguel de Unamuno dans «  Du tragique sentiment de la vie ». L’homme seul ne sait interpréter, même si nous sommes  cartésiens, le doute cartésien et la méthode résistent mal à un examen philosophique. Ainsi quand Descartes nous dit qu’il part du doute, qu’il établi une fameuse méthode, il abouti à sa vérité, en recevant nous dit-il : des semences de vérités envoyées par Dieu.
La démarche du dogmatique annule toute possibilité d’interprétation, comme avec le propos  de Pascal, nous dit « Que les miracles prouvent la religion, et que la religion prouve les miracle » (Argument circulaire)  
L’interprétation commence à prendre du sens là ou une signification ne s’impose pas d’elle-même. Dans son essai « De l’interprétation », Paul Ricœur dit : « Dire quelque chose de quelque chose, c’est, au sens complet et fort du mot, l’interpréter ». D’après lui, il y aurait interprétation là où il y a un sens multiple ; c’est dans l’interprétation que la pluralité de sens s’est rendue manifeste. (Luis)

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« Tout langage manipule, discourir c’est assujettir » (Rolland Barthe). La formule est un peu lapidaire. Comme tout un chacun j’ai souvent entendu des propos orientés, politiques, ou religieux, et je n’ai pas le sentiment d’avoir été assujetti. En revanche, le niais, le naïf, celui qui est prêt à tout gober, est pour beaucoup responsable s’il est manipulé. « L’esprit est ainsi fait que l’on prend mieux par le mensonge que la vérité » Erasme. Eloge de la folie.           
Dans des textes, dans la littérature il a fallu parfois donner des informations complémentaires, ce qu’on a souvent appelé « gloses », mais ce terme de glose a longtemps eu une connotation péjorative. Gloser était se perdre en discussion, en vains discours, en coupeurs de cheveux en quatre.
Au final gloser reste une activité où chacun n’en fini pas de réinventer le sens d’un texte, offrir de multiples vérités ….. : « Les pages sont souvent un rez-de-chaussée d’annotations si considérables que les étages des lignes supérieures sont réduits à une proportion beaucoup plus restreinte et que le texte réel n’a l’air que de la glose des notes » (Théophile Gautier)
Parfois nous entendons le même orateur, le même discours et nous ne mettons pas les mêmes choses sous les mêmes mots. Il se peut fort que l’émetteur utilise volontairement un langage sibyllin, ou « la langue de bois », et là nous avons affaire à un menteur qui peut être un professionnel du mensonge : « On prend les taureaux par les cornes, les hommes par la parole ».  Même si nous ne sommes pas exempts de convictions, de croyances, de préjugés parfois, la philosophie doit nous apprendre, et l’écoute critique, comme nous aider à formuler notre pensée, la rendre claire en la libérant au mieux de parti pris, d’a priori, d’approches partiels ou partiales ; elle doit nous enseigner comment se mettre à distance, elle doit nous aider à construire notre liberté de pensée. L’enseignement de la philosophie nous recommanderait d’exposer un point de vue avec son contraire pour laisser le libre choix de la synthèse et d’une interprétation. En définitive, on ne peut être sûrs, que jamais l’interprétation ne puisse fausser la vérité, la cause en  est dit-on qu’ « il y a trois vérités. Ma vérité, ta vérité, et la vérité » (Luis)      

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 « Les mots pénètrent comme des petites doses d’arsenic, on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelques temps les effets toxiques se font sentir » (Victor Klemperer)

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Si je dis : le soleil se lève à lève à l’est, l’eau bout à 90°, etc.., je suis dans un jugement de fait, je n’ai rien à interpréter, et toute subjectivité est écartée
Mais le domaine des jugements de valeurs est bien plus vaste: que signifie précisément , ce propos, ce regard, ce geste, ce texte, ce tableau, etc… On interprète même les silences.   De là, interpréter ouvre sur : l’explication qui vous éclaire, l’explication que je fais avec toute se subjectivité, puis l’explication par autrui avec là aussi subjectivité, et, on en est conscient,  désir de nous manipuler, de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Alors nous savons que l’interprétation peut nous manipuler : « on prend les taureaux par les cornes, les hommes par la parole ». Les champions du double langage ont été les jésuites, sachant utiliser tous les mots ou expression aux significations diverses. C’est qu’ils ont nommé le « reservatio mentalis », usant en cela de la propension que nous avons tous plus ou moins d’entendre dans une phrase ce que nous voulons entendre. Ainsi si je suis DRH et que je vous convoque pour vous dire que vitre situation va évoluer, vous vous attendez à un avancement, une augmentation de salaire, alors qu’en vérité vous allez être mis à l’écart, dans un placard
Les idéalistes (au sens philosophique du terme) sont les champions de l’interprétation, le ciel des idées étant si vaste, et si peu vérifiable. En revanche les matérialistes (toujours au sens philosophique du terme) sont plus réservés quant à l’interprétation s’il ne connaît pas toutes les causes.
L’idéaliste sait toujours expliquer le pourquoi, quand le matérialiste ne saurait aller plus loin que vous dire le comment. (Luis)   

*                                                                                         

Extrait du débat :            Interpréter est-ce fausser la vérité ?    (25 janvier 2011)

Il a su, mais il a chu
Le philosophe jugeait, jaugeait, interprétait,
toujours prenant de la hauteur.
Pour évaluer les faits,

grimpé sur son échelle de valeurs.
Mais le destin se joue de tout,
Notre malheureux philosophe
Rata un barreau, et tout à coup

 Patatras ! il du alors juger, le nez au raz du sol, catastrophe !
La jambe dans la gouttière
tout loisir lui fut donné
Pour revoir ses jugements d’hier,
Soupeser, tempérer, mesurer, avant d’interpréter.

                                      Gardons-nous des échelles et des philosophes
Et gens qui croyant avoir tout su
sûrs d’eux nous apostrophent
tant qu’ils n’ont pas chu 
(Luis)

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