Jugement

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Le jugement de Salomon. Nicolas Poussin, 1649. Musée du Louvre.

Le Grand Robert de la langue Française : Action de juger, résultat de cette action. Disposition naturelle

Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Lalande :

A) Décision mentale par laquelle nous arrêtons d’une façon réfléchie
B) Opération consistant à se faire une opinion sur laquelle on règle sa conduite, dans les cas où l’on ne peut atteindre une connaissance certaine.

Dictionnaire philosophique. André Comte-Sponville : Une pensée qui vaut, ou qui prétend valoir. C’est en quoi tout jugement est un jugement de valeur

Trésor de la langue française : Avis, opinion, sentiment que quelqu’un donne sur quelqu’un ou sur quelque chose.
Avis favorable ou défavorable, opinion personnelle portant approbation ou condamnation que l’on porte, en l’exprimant ou non…
Qualité de l’esprit, faculté intellectuelle qui porte à bien juger, à porter des appréciations sages, des jugements sains, pleins de discernement, d’équité et de bon sens.

Synonymes : Décision. Arrêt. Sentence. Opinion.

Contraires : Indifférence. Préjugé. Relativisme.

Par analogie : Apprécier . Aveuglement. Axis. Beauté. Besaciers. Blâmer. Bon sens. Comprendre. Connaître. Considérer. Critère. Critique. Conduite. Dogme. Doute. Entendement. Examen. Evaluation. Fenêtre de Johary For intérieur. Impression.  Jauger. Jugement dernier. Jugement a priori. Jugement de Salomon. Misanthrope. Norme. Objectivité. Parti pris. Peser. Point de vue. Préjugés  Soupeser. Subjectivité. Valeur.

Expressions: Juger sur le fond, sur la forme. Juger sur la mine, sur les apparences..

Jugement de valeur : cet homme est intelligent, cette femme est belle, ce repas est bon…

Jugement de fait : La terre est ronde, l’eau bout à cent degrés….

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Electre :« Les redresseurs de torts sont le mal  du monde, et ils ne s’améliorent pas en vieillissant ».  (Jean Giraudoux. Electre)

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« ..et parce que les cerveaux sont de trois genres, l’un comprendpar lui-même, l’autre discerne ce que comprend autrui, le troisième ne comprend ni par lui-même, ni par autrui. Le premier est très excellent, le second est excellent, le troisième inutile (Machiavel. Le Prince)

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« La science énonce des jugements de fait, la moraledes jugements de valeur. Or un jugement de valeur ne peut se ramener à un jugement de fait ». (Philippe Fontaine.La morale)

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« On doit apprendre à voir, on doit avoir à penser, on doit apprendre à parler et à écrire : le but en ces trois choses est une culture noble – Apprendre à voir – habituer l’œil au calme, à la patience, au laisser-venir-à-soi : différer le jugement, apprendre à faire le tour du cas particulier et à le saisir de tous les côtés. Telle est la première préparation à la vie de l’esprit : ne pas réagir d’ensemble à une excitation… ».  (Nietzsche. Crépuscule des idoles)

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« Nous sommes tous contraints et amoncelez en nous, et avons la veuë racourcie à la longueur de nostre nez ». (Montaigne. Essais. Livre 1. § XXVI)

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« Je n’ay point cette erreur commune de juger d’un autre selon que je suis. J’en croy aysément des choses diverses à moi. Pour me sentir engagé à une forme, je n’y oblige le monde, comme chacun fait ; et croy et conçois mille  contraires façons de vie, et, au rebours du commun, reçois plus facilement la différence que la ressemblance en nous » (Montaigne. Essais. Livre 1. XXXVII)

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« L’observation inversée est la façon d’exhorter à l’objectivité, et de condamner le subjectivisme qui consiste, au contraire, à observer les choses en partant de son propre point de vue ». (Chao Young.  Taoïsme)

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«  Les esprits ordinaires, fût-ce dans les plus petites circonstances, nous laissent bien voir à quel pointils se défient de leurs propres jugement; c’est que justement ils en connaissent, par expérience, l’inefficacité. A cette faculté se substitue chez eux les préjugé, l’opinion toute faite ; de cette façon ils demeurent indéfiniment en tutelle, et il n’en pas un sur plusieurs centaines à quiil soit donné de s’en affranchir. D’ailleurs, ils ne se l’avouent point ; fût-ce même dans leur for intérieur, ils se donnent l’apparence de porter des jugements ; mais en cela ils ne font jamais que de singer l’opinion des autres, dont ils reçoivent toujours l’influence secrète. Le premier venu aurait honte de se promener avec un habit, un chapeau, ou un manteau d’emprunt ; malgré tout on se contente d’avoir des opinions d’emprunt ; on les amasse avidement là où l’on peut les attraper, puis on les donne fièrement pour des idées personnelles. D’autres les empruntent à leur tour  et recommence indéfiniment le manège… ». (Schopenhauer. Le monde comme volonté et comme représentation)

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 « l’universalité d’une opinion n’est pas, en parlant sérieusement, nullement une preuve, ni même une raison pour la rendre des plus vraisemblables… sinon,  au contraire, on devrait réhabiliter toutes les vieilles erreurs du passé, lesquelles en leur temps passaient pour universelles »  (L’art d’avoir raison. Arthur Schopenhauer)

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« L’homme est la mesure de toute chose ; Il lui appartient de juger ce qui est bon pour lui, de ce qui ne l’est pas ». (Protagoras)

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 « Chacun appelle barbarie, ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons pas d’autre mesure de la vérité et de la raison que l’exemple des idées, des opinions, et usances des pays où nous sommes. La, toujours est la parfaite religion, la parfaite police, l’usage parfait et accompli de toutes choses.. ». (Montaigne. Essais)

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De notre enfance à notre adolescence nous avons deux sources d’information quand à la société qui nous entoure, quand à ses règles, ses structures…Il y a ce que nous voyons et ce que nous n’analysons pas.., alors ce sont les adultes, parents, enseignants, qui nous expliquent les règles, les relations, le fonctionnement, (certaines questions restant sans réponses).
A l’adolescence, nous commençons à pouvoir porter des jugement, et nous découvrons que la société n’est pas celle qu’on nous avait décrit ; que les règles sont parfois différentes, que le jeu est souvent faussé dès le départ, que beaucoup trichent effrontément, que beaucoup de ceux qui nous ont tant vanté les valeurs de cette société, ne les respectent pas.
Toutefois, même si nous n’échappons pas au jugement, le nôtre, celui qu’on porter sur les autres, celui des autres à notre égard, le jugement conserve un rôle social. Nous nous conformons plus ou moins aux autres, la société, notre groupe ; et, de plus la confrontation des jugements, va, si nous rencontrons des avis qui s’accordent aux nôtres, conforter notre jugement, soit si nous rencontrons des avis différents, ce qui nous oblige, peut-être à mettre en doute notre jugement, voire le modifier, peu ou prou. Et Montaigne déjà nous évoque le rôle social du jugement avec ce propos : « Il se tire une merveilleuse clarté  pour le jugement humain de la fréquentation de ce monde. Ce grand monde est un miroir où il nous faut nous regarder, pour nous connaître de bon bien biais » (Essais. 1. § 26) Cette dernière phrase nous dit aussi, que, par le jugement des autres nous apprenons paradoxalement à mieux nous connaître.  (Luis)   

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« La subjectivité même intuitive est une part inévitable et essentielle du jugement, elle peut avoir sa pertinence » (Thomas Nagel). Un psychologue ( ?) nous dit : 
« Méfiez-vous de la première impression, c’est souvent la bonne. Lors d’une première rencontre, nous formons notre jugement à partir de la règle de 4 X 20 : Les vingt premières secondes de la relation (sympathie, feeling).
Les vingt premiers mots dits, entendus.
Les vingt premiers gestes.
Les vingt centimètres carrés du visage (miroir de l’âme, de la Psyché) » 

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 « Si mes pensées ne plaisent à personne, elles pourront n’être que mauvaises ; mais je les tient pour détestables si elles plaisent à tout le monde ». (Diderot)

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   « L’intérêt a engendré les prêtres, les prêtres ont engendré les préjugés, les préjugés ont engendré les guerres, et les guerres dureront tant qu’il y aura des préjugés, les préjugés tant qu’il y aura des prêtres, et les prêtres de l’intérêt dans l’intérêt à l’être… »   (Diderot)     

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Comment vais-je arriver à positionner mon idée, fixer mon jugement. Il est certain que sauf démonstration résistant à toute argumentation, je vais céder au subjectif, c’est-à-dire prendre les idées, les arguments qui s’approchent le plus de ma propre idée, de mon jugement initial, je vais tomber dans le biais de confirmation. Et si j’arrive à convaincre les autres, leur faire partager ma façon de voir, cela ne fera que conforter en moi, l’idée que mon raisonnement était juste. (Luis)

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« L’appréciation des réformes est fonction de l’identité des juges ».  (Serge Halimi)  

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 « On passe facilement du côté du plus grand nombre, Socrate, Caton, Lelius, la multitude qui ne leur ressemblait pas aurait ou ébranler leur mode de vie. Nécessairement, pu tu imiteras, ou tu détesteras, or, l’un ou l’autre sont à éviter. Ne te fais semblables aux mauvais parce qu’ils sont en nombre, parce qu’ils ne te ressemblent pas. Rentre en toi-même autant que tu peux, fréquentes ceux qui te rendrons meilleurs, accueilles ceux que tu peux toi, rendre meilleurs ». (Sénèque. Lettre à Lucilius.

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« Chacun préférant croire plutôt que de juger, on ne porte jamais de jugement sur la vie, on est toujours dans la croyance ; et l’erreur est transmise de main en main …Nous périssons par l’exemple des autres. Nous guérirons pour peu que nous nous séparions de la foule » (Sénèque. Lettre à Lucilius)

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« Les hommes pour la plupart, sont naturellement portés à être affirmatifs, et dogmatiques dans leurs opinions ; comme ils voient les objets d’un seul côté et qu’ils n’ont aucune idée des arguments qui servent de contrepoids, ils se jettent précipitamment dans les principes vers lesquels ils penchent, et ils n’ont aucune indulgence pour ceux qui entretiennent des sentiments opposés. Hésiter, balancer, embarrasse leur entendement, bloque leur passion, et suspend leur action »   (Hume. Enquête sur l’entendement humain)

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 « Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes.
On se voit d’un autre œil que l’on voit son prochain,
Et, le fabricant souverain….
Nous créa besaciers, tous de même manière.
Tous ceux du temps passé, que du temps d’aujourd’hui,
Il fit pour nos défauts, la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui !»
Jean de la Fontaine, (La besace)

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Débat :        « Quelle aptitude avons-nous à juger les autres ? » 28 janvier 2004
Introduction : Nul n’échappe au jugement des autres, et chacun juge chacun. Tout au long de notre vie nous sommes jugés. Jugés par nos parents, nos professeurs, nos collègues, nos amis….Tout comme vous, je porte des jugements, mais disant cela, je peux, je dois me demander ce qui m’autorise à juger ; en quoi aurai-je aptitude  à juger ? Les Evangiles nous disent : « Ne jugez point afin que vous ne soyez point jugés, car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l’on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez » (St Mathieu). Pouvons-nous nous abstenir de juger, ou, dénier la possibilité et l’aptitude à juger n’est-il pas une atteinte à la liberté de jugement, à vous d’en  juger !
Dans la question initiale, le mot « aptitude » est volontairement provocant. Pourtant c’est à partir des autres que l’on se connait nous disent les Taoïstes, on ne peut pas se juger de sa seule position, et profiter du regard des autres. C’est additionner l’introspection à la psychologie comportementale. L’application de ce principe  se retrouve dans le test dit de « la fenêtre de Johari » : Imaginons un rectangle, dans lequel est notre personnalité. Sur le dessus une lumière éclaire en faisceau une partie du rectangle, c’est le regard des autres, mais des zones d’ombre, des angles morts subsistent. Sur le côté, un autre  faisceau, c’est notre regard qui éclaire des zones non visibles pour les autres, mais il reste des zones non visibles pour vous et que les autres ont perçu…, alors il faut savoir se servir de ces autres regards, afin de mieux s’appréhender soi-même, pour, peut-être, s’améliorer. Nous sommes plus ou moins prisonniers des angles mort de nos points de vue; c’est en quoi le débat est utile, cela peut, doit nous permettre de voir non pas à 360°, mais un peu plus. Et rappelons-nous les bienfaits parfois l’égoïsme : « Comme nous aimons bien que les autres nous aiment, (nous dit Voltaire)  nous faisons des efforts sur nous-mêmes » (Luis)  

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Quelle société aurions-nous sans la possibilité de juger ? Comment fixer les règles, les valeurs, les références qui font un peuple ? Le déni de jugement s’accompagne du laisser faire (loi de la nature) qui peut être néfaste. La sévérité des jugements n’est pas forcement animosité, on peut aimer et juger sévèrement, mais sans tomber bien sûr dans l’excès, tel Robespierre aimait tant le peuple qu’il était prêt à lui faire passer le goût de rire pour le rendre vertueux ; à tout prendre, je préfère le jugement de notre ami Alceste, le Misanthrope, qui est trop sévère dans ses jugements, mais par un trop d’amour de l’homme, (ou par fuite de l’humanité ?).
Quant à l’aptitude à juger : vous doutez ! Bien sûr (position de philosophe). Nous avons souvent entendu : juger, c’est aussi chercher à comprendre les autres,  Plus je cherche à comprendre les autres, plus je me comprends moi-même ? Luis)     

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«  Discerner suppose du temps, de la patience, de ma prudence, un art de scruter, d’observer, d’être à l’affût : on discerne en retenant son souffle, en devenant plus silencieux, en se faisant voyant et non voyeur, en disparaissant pour mieux laisser la chose observées se comporter naturellement » (Cynthia Fleury. Ci-gît l’amer. Guérir le ressentiment)

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«  L’amour et la haine faussent complètement notre jugement : chez nos ennemis nous ne voyons que défauts ; chez nos favoris que qualités, et leurs défauts même nous paraissent aimables. L’intérêt personnel, quel qu’il soit, exerce sur notre jugement une influence mystérieuse analogue ; ce qui est conforme nous paraît aussitôt équitable, juste, raisonnable, ce qui est contraire nous semble très sincèrement injuste et abominable, déraisonnable et absurde. De là tous les préjugés si nombreux : préjugés de caste, préjugés professionnels, nationaux, préjugés de secte et de religion. Une hypothèse, une fois adoptée par nous nous donne des yeux de lynx pour tout ce qui la conforme et nous aveugle pour tout ce qui la contredit. Souvent nous en pouvons pas même concevoir ce qui s’oppose à notre parti, à notre plan, à notre souhait, alors que les obstacles se dressent nettement devant la vue d’autrui : les conditions favorables au contraire nous sautent immédiatement aux yeux. Ce qui répugne au cœur se voit refusé d’entrée par l’esprit. Nous nous cramponnons quelquefois toute la vie à des erreurs et nous nous gardons bien de les soumettent à l’épreuve de l’examen ; c’est que nous craignons, sans nous en douter, de découvrir que nous avons si longtemps et si souvent cru et affirmé le faux. Et ainsi chaque jour notre intellect est aveuglé et corrompu par les mirages trompeurs des inclinations » (Schopenhauer. Le monde comme volonté et comme représentation)

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