Mal

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Le bien et le mal. Victor Orsel. (Entre 1828 et 1832) Musée des Beaux Arts de Lyon.

Le Grand Robert de la langue Française : Contraire au principe moral, une obligation, une convenance…
D’une manière contraire à l’intérêt et aux vœux de quelqu’un. Avec malaise, douleurs, désagrément.
En termes ou d’une façon défavorable, avec malveillance, en mauvaise part.
Autrement qu’il ne convient. D’une manière défectueuse, imparfaite.
D’une façon qui choque le goût, les convenances.
Qui cause de la douleur, de la peine, ce qui est mauvais, pénible nuisible.
Choses mauvaises, imperfections que l’on voit en quelqu’un, en quelque chose, jugement qui en découle.
Religieux : Le péché, la concupiscence……

Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Lalande : Terme universel de l’appréciation défavorable ; sert à caractériser tout ce qui est un échec ou  encourt une désapprobation dans n’importe quel ordre de finalité
Ce qui est l’objet de désapprobation ou de blâme, tout ce qui est tel que la volonté a le droit de s’y opposer légitimement et de le modifier si possible

Trésor de la Langue Française : D’une manière fâcheuse, contraire aux intérêts ou aux désirs de quelqu’un. De manière inconfortable, défavorable, désobligeante, blessante. De façon imparfaite, défectueuse. De façon anormale, éloignée du modèle. Contraire à la morale.

Dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville : …. Le mal existe positivement : non certes parce qu’il serait une réalité objective ou absolue (il n’y a de mal que pour le sujet), mais parce qu’il constitue pour tout sujet, une expérience première. Point besoin, pour souffrir, d’avoir connu le plaisir. Il est vraisemblable au contraire que le bien  ne vienne qu’après, et secondairement…

Synonymes : Affliction. Amertume. Amoral. Calamité. Damnation. Désolation. Douleur. Ennui. Epreuve. Funeste. Inconvénient. Mauvais. Mortification. Patraque. Péché. Péniblement. Plaie. Nuisance.  Souffrance.  Tristesse.  

Contraires : Bien.  Divinement. Elégamment. Joliment. Parfait.

Par analogie : Abominable. Blâmable. Crime. Cruauté. Défectueux. Démon. Désagrément. Détestable. Diablerie. Douleur. Ethique. Fausseté. Faute. Illégal. Haine. Inconvenant. Louche. Malaise. Maléfice. Malentendu. Malfaçon. Malpropre. Malveillant. Manichéisme. Méchanceté. Monstre. Morale. Mortel. Mythe de Cigès. Négligence. Peine. Perfidie. Perversité. Piteux. Scandale.

Expressions : Avoir le mal, de mer, le mal du pays. C’est un moindre mal. De mal en pis. Dire du mal. Dire tout le mal qu’on en pense. Être au plus mal. Être mal entendant, mal fichu, mal en point, mal à l’aise, mal embouché…. Être mal Embouché. La tentation du mal. Mettre à mal. Se donner beaucoup de mal. Se mal conduire. Se trouver mal. Y a pas de mal. Un ours mal léché. Venir mal à propos.

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« Nous sommes noyés dans le mal. Non point que tous nos actes soient mauvais ; mais, quand il nous arrive d’en commettre de bons ; nous en souffrons pour avoir contrecarré nos mouvements spontanés : la pratique de la vertu se ramène à un exercice de pénitence » (Cioran)

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   « Le mal le plus grand qui soit au monde est le mal accompli par des personnes normales… Le mal accompli par des personnes qui n’ont aucune motivation, aucune conviction, aucun goût pour la méchanceté démoniaque, par des humains sans prétention.. » (?)

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(Extrait du film Hannah Arendt. Interview d’Hannah Arendt)  Le mal est inhérent à l’être pensant, découlant de la morale établie au cours des siècles depuis les premiers groupes d’hommes, découlant d’enseignements religieux : « Tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance, du bien et du mal », puis ce sera le premier crime «  l’histoire ne nous précise pas si nous sommes les descendants d’Abel ou de Caïn ». Le mal disent les Pères de l’Eglise, est dans l’homme, c’est la contre partie du libre arbitre, bien que ceux qui négligent de se servir du libre arbitre ne sont exclus du mal. « Si Dieu existe d’où vient le mal » nous dit Leibniz.  (Luis)  

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 « Car l’homme mauvais se nuit à lui-même : il ne le ferait pas si d’aventure il savait que le mal est mal. Par conséquent, le mauvais n’est mauvais que par erreur ; si on lui ôte son erreur, on le rend nécessairement – bon »  (Nietzsche. Le gai savoir)

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La banalisation du mal, c’est par exemple un film qui nous montre Hitler caressant son chien. C’est vouloir nous montrer de l’humanité chez des êtres qui en sont dépourvu, c’est à la limite du révisionnisme. C’est aussi ce roman primé au Goncourt, « Les Bienveillants » où l’on évoque la vie de bon père de famille d’un bourreau des camps de concentration.                 La banalité du mal, c’est aussi ce dont Hannah Arendt nous a tant parlé, suite au procès Eichmann où elle tente de démontrer que ce dernier est un individu ordinaire. « La banalité dit-elle grignote la morale et les valeurs d’une société »

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 Interviewée par la télévision le 22 février 2014 la petite nièce de Himmler qui travaille sur ses archives, déclare : « Qu’est-ce qui peut faire qu’un homme ordinaire devienne un monstre ? » Elle évoque un bon père de famille, un monsieur tout le monde, qui écrit depuis le camp de concentration en disant qu’il a beaucoup de travail mais qu’il va s’en acquitter consciencieusement. (Luis)

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Le mal est-il inhérent à  l’homme ? ce dernier ne peut il atteindre totalement la vertu ? Il semble qu’il ne le peut pas si on s’en tient au mythe de Cygès.  Un berger avait trouvé une bague, avec laquelle,  lorsqu’il tournait le chaton vers l’intérieur de sa main cela e rendait invisible. Dès lors qu’il veut quelque chose, dont il ne veut que les autres aient connaissance il se rend invisible. Puis la mauvaise action réalisée, il tourne la bague et redevient visible. Ce qui nous dit que la seule façon pour que les règles vertueuses soient respectées, il faut assumer la transparence. Cela nous dirait également que certains hommes souvent, ne sont honnêtes que parce qu’ils sont contraints par le jugement des autres. (Luis)

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L’homme-troupeau ! cela hurle, cela commet
Des crimes sur un morne et ténébreux sommet,
Cela frappe, cela blasphème, cela souffre,
Hélas ! et j’entendais sous mes pieds, dans le gouffre,
Sangloter la misère aux gémissements sourds,
Sombre bouche incurable et qui se plaint toujours.
Et sur la vision lugubre, et sur moi-même
Que j’y voyais ainsi qu’au fond d’un miroir blême,
La vie immense ouvrait ses difformes rameaux ;
Je contemplais les fers, les voluptés, les maux,
La mort, les avatars et les métempsycoses,
Et dans l’obscur taillis des êtres et des choses
Je regardais rôder, noir, riant, l’¢il en feu,

Satan, ce braconnier de la forêt de Dieu.

(Victor Hugo. La légende des siècles)

Ces vers nous rappellent que le « Mal » est souvent personnifié par le diable         

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    Le bien et le mal ne sont pas absolus, cela ne veut pas dire pour autant qu’ils sont relatifs (ce qui arrangerait bien de gens). Certaines personnes considèrent que l’obligation du bien est un frein à leur liberté, c’est pourquoi, ils en appellent au droit de nature, là où il n’y a ni bien ni mal, seulement des moyens qui justifie la fin (ou la faim). La vraie liberté pour ces personnes consistera à ne définir comme « bien » que ce qui est bien pour eux. Le bien comme le mal, sont-ils  des règles  universelles,  ou sont-elles des valeurs correspondant à la satisfaction du besoin, du désir d’un individu ? On se rappelle la formule : « Ce qui est bon pour l’essaim est bon pour moi », ou le contraire, ce qui est bon pour moi, est bon pour l’essaim.
Mathieu Ricard, écrivain, et moine bouddhiste,  nous met en garde dans son ouvrage, « Plaidoyer pour un altruisme », contre toute définition absolue du bien et du mal : « L’histoire nous a montré que lorsqu’on défini le bien et le mal de façon dogmatique, toutes les dérives sont possibles, depuis l’Inquisition, jusqu’aux dictatures totalitaires » La part du mal s’exprime surtout dans le fanatisme, c’est-à-dire suivant la définition, chez ceux qui se sentent investis de garder le temple, (fanum), de protéger le dogme, ceux-là mêmes qui dans leurs propos prétendent agir au nom du bien.  (Luis)               

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« Le mal procède t-il toujours d’un intégrisme du bien » Alain Finkielkraut.

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Un homme derrière un écran, (en écoutant du rock, par exemple) va lâcher une bombe à 10.000 km de distance. C’est homme a perdu la notion du mal dans cette action, entre guerre virtuelle et guerre réelle. Cet homme par ailleurs serait peut être incapable de faire du mal à une mouche.  Maxime Auchard jeune français originaire de Normandie, s’est révélée être un des bourreau de Daesh. Un oncle parlant de lui dit, ce n’est pas possible cela ne lui ressemble pas : « Maxime n’aurait pas fait de mal à une mouche ». Situation tout à fait en résonnance avec ce qu’écrivait Diderot dans « la lettre sur les aveugles » : « Je ne doute point que, sans dans la crainte du châtiment, bien des gens n’eussent moins de peine à tuer un homme à une distance où ils se verraient gros comme une hirondelle, qu’à égorger un bœuf de leurs mains » (Luis)     

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« L’existence du mal dans l’homme apparaît comme inséparable de la liberté….» (Kant)     

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   Les concepts du bien et du mal ont une base anthropologique, ils sont définis par les hommes quels que soient les modes prescriptifs, même si d’une société à une autre approche du bien et mal,  ils peuvent être réévalués,  même bousculés parfois. L’homme combat le mal nous disent les philosophes par l’exercice de la vertu. Dès l’enfance les références du bien et du mal nous sont enseignées. Méthodes parfois différentes d’une culture à l’autre, tel cette coutume qui existait encore il y moins d’un siècle en Espagne. Le père ou l’oncle d’un jeune garçon l’emmenait au moins une fois assister à une pendaison ; lors de l’ouverture la trappe, le père ou l’oncle donnait une gifle au garçon, lui rappelant que les mauvaises actions pouvaient l’amener à la corde, la gifle ayant pour effet d’imprimer plus dans le subconscient de l’enfant cette image. Les exécutions publiques étaient, disait-on formatrices, même si un certain sadisme, un défoulement de haine y trouvait son compte.
Le mal peut être politiquement instrumentalisé, c’est ce que nous voyons avec la théorie et l’usage du « bouc émissaire », qui va choisir une victime et  qu’on chargera de tous les maux, «…la haine » (écrit Barrès) « n’est pas un bas sentiment, si l’on veut bien réfléchir qu’elle ramasse notre plus grande énergie, elle nous donne sur d’autres points d’admirables désintéressements » (Luis).                                                                                                                           *

Les paradoxes spinozistes: Détermination et  nécessité, tel que nous les décrit Spinoza, et la volonté d’orienter sa  vie, de construire sa vie, voilà qui manifestement constitue un paradoxe, puisque comment orienter ma vie si tout est déjà écrit à l’avance, ma volonté (et il le dit d’une certaine façon, il ne choisi que d’accomplir le programme). Le paradoxe va prendre encore une dimension chez Spinoza lorsqu’il nous dit il n’y a ni bien ni mal. De même pour lui il n’y ni vice ni vertu. Alors, demande Gilles Deleuze, dans ses cours sur Spinoza : «  l’Ethique de Spinoza peut-elle s’affranchir de toute morale ? »
La philosophie de Spinoza n’est jamais prescriptive, elle ne met jamais d’injonction morale, le titre de son ouvrage maître « l’Ethique »  met en évidence cette différence entre morale qui traite du bien et du mal, et la victoire ou de la défaite de l’un sur l’autre, et les règles à suivre concernant pour l’individu, pour sa pleine réalisation, du bon et mauvais, soit l’éthique. En ce sens l’œuvre de  Spinoza est déjà « par delà le bien et le mal. » Spinoza ne nous dit pas : vous devez choisir entre le bien et le mal, puisque pour lui, le mal n’existe pas. Ah ! pourquoi il dit ça  Spinoza ! (nous dirait avec son phrasé succulent Gilles Deleuze, philosophe contemporain, spécialiste de Spinoza), et bien il dit ça, parce que, suivant son « programme » si nous perfectionnons notre être, nous ne serons plus jamais tentés par le mal, de ce fait il n’existe plus ; De même pour la vertu, si nous avons perfectionné notre être alors nous ne choisissons que les options vertueuses, et nous ne sommes même plus tentés par les options non vertueuses. Mais alors ! ne pas avoir à résister à la tentation du mal, est-ce encore de la vertu ? Et bien c’est là encore un des paradoxes de la philosophie de Spinoza. (Luis)

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Le mal a du poser problème aux premiers penseurs religieux, enfin ceux des premiers monothéismes. En effet, comment un être parfait pouvait-il mettre à la fois le bien et le mal dans la même personne.
Le dilemme d’Epicure débute par une assertion : « La mal existe !».
Donc de deux choses l’une :
ou Dieu le sait, proposition A,  – ou : il l’ignore, proposition B.
Proposition A : Dieu sait que le mal existe, il peut le supprimer, mais il ne veut pas ; alors un tel dieu serait cruel et pervers ! Donc inadmissible ! Dans cette même proposition, il sait que le mal existe, il veut le supprimer, mais il ne peut pas le faire, alors un tel dieu serait impuissant ! ne serait pas omnipotent ! Donc inadmissible !
Proposition B : Dieu ne sait pas que le mal existe, alors, un tel dieu aveugle et ignorant ! alors qu’il a tout créé. Donc inadmissible 
Dans la mythologie grecque, trois déesses, les parques (dites aussi les Moires, ou les Erinyes) décident de la vie des hommes.
lles donnent à chacun dès la naissance la part de bien et la part de mal, mais elles laissent aux hommes la possibilité d’augmenter la part du mal par la bêtise, ce qui n’exclue pas la possibilité, la volonté d’augmenter la part du bien qui est en lui. (Luis)        

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« La conscience, malgré ses limites, ouvre la voie à la connaissance et à la raison, lesquels en retour,  permettent aux individus de découvrir ce qui est bien, et ce qui est mal. Le bien et le mal ne sont pas révélés ; on les découvre individuellement et au moyen de l’accord entre êtres sociaux »   (Antonio. Damasio. Spinoza avait raison)

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« L’homme naît avec des instincts, il n’est au départ ni bon ni mauvais ; élevé avec loups, il sera loup ; élevé avec les agneaux, il sera agneau » ( Balzac)    

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Extrait du café littéraire autour de l’œuvre de Bernhard Schlink, « Le liseur » :
A partir de cette histoire d’amour  entre un adolescent et une gardienne de camp nazi nous allons démêler les fils de la culpabilité et de la honte et parler de la banalité du mal. Au coeur du débat sera le procès contre les gardiennes SS du camp d’Auschwitz accusées d’avoir laissé brûler vives leurs prisonnières dans une église…. L’accusée principale s’appelle Hanna. C’est dans ces mêmes années soixante qu’Hannah Arendt assista au procès d’Eichmann et en tira son concept de la « banalité du mal » dans « Eichmann à Jérusalem ». Le criminel Eichmann n’était qu’un petit fonctionnaire qui s’est borné à obéir aux ordres. Bernhard Schlink dira à propos du personnage Hanna : « L’histoire serait simple si les bourreaux étaient toujours des monstres ».
En découvrant les crimes des pères, la génération des Allemands nés après la deuxième guerre mondiale a aussi découvert que les bourreaux étaient souvent des gens ordinaires. (Luis)

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  La douleur est un chien qui aboie disait les médecins empiristes grecs liés à l’Ecole des sceptiques. Elle aboie pour alerter l’organisme. Si elle aboie constamment, alors le mal est chronique.  (Luis) 

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Faut-il comprendre le mal ? La question peut présenter une ambiguïté, sur le sens que l’on donnera à « comprendre le mal ». Comprendre n’est pas l’accepter,  l’encourager, ni donner son assentiment. L’indifférence favorise la violence qui génère un mal vivre ensemble.  Le fond de la question qui est  posée, serait plus : avant de juger le mal, avant de le combattre, n’est-il pas nécessaire de tout faire pour essayer de comprendre où sont les racines du mal, de le définir,  car on ne pourra agir contre le mal, le combattre que si l’on connaît bien son origine, ou ses origines. Alors comprendre le mal, nous mène t-il à la tolérance, y a-t-il le risque de tomber dans le laxisme, dans un comportement irresponsable ?  Après l’attentat, la tuerie du Bataclan le 13 novembre 2015, si une personne disait il faut comprendre, nous étions si profondément marqués que,  ce « il faut comprendre » paraissait un début de  vouloir excuser les criminels. (Luis)  

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Le manichéisme, religion due 3ème sicle fut créée par Mani, cette religion va se répandre  depuis le Moyen-Orient vers l’Asie, l’Afrique di nord. Selon cette religion, le bien « royaume de la Lumière », le mal, « royaume des Ténèbres ». L’homme est pris dans ce conflit du bien  qui est en son esprit, et du mal, dans son esprit. Saint Augustin, (4ème siècle) évêque d’Hippone en Algérie,  sera initialement un adepte du manichéisme avant de venir à la religion catholique. Est manichéen dans le sens  actuel, celui pour qui, par exemple, les choses sont : ou blanches ou noires,  sans état intermédiaire., sans nuance (Luis)   

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 « Je suis un loup. Je hurle avec les loups, toute ma rage contenue en boule dans ma gorge et mon ventre ! Mes crocs d’une impeccable blancheur luisent dans les ténèbres, plus affûtés que des couteaux et plus tranchants que des rasoirs !
« Ma vie tranquille d’herbe douce, de sources d’eau fraîche et d’air pur au milieu des alpages, ma vie tranquille, le ciel bleu au-dessus de ma tête, ne me suffira plus… Moi qui voulais détruire et saccager la blanche laine, ma vie sage au milieu des troupeaux m’étouffe, ne me suffit plus ! « Les sottes bergeries du monde commun, je les exècre. Je veux tremper mes crocs dans une chair de jouvencelle, faire voler la houlette du berger et suspendre ses cris à l’envol des oiseaux ! Je ne peux plus supporter le vert des montagnes – il m’écœure – ni regarder l’éclat des neiges inviolées dans la lumière du soleil…
« Et la nuit, – quand la lune dessine au-dessus de la terre son œil de fièvre, quand les étoiles, verres brisés, gisent sur le carreau des fleuves, – je m’avance, ombre parmi les ombres, et je frôle les murs des granges : je me réjouis du Mal que je vais semer à la place du grain de blé… »   (Frank Legaud)      

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 « Rien n’est mal de ce qui est conforme à la nature »  (Marc Aurèle).

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Le film « Fritz Bauer » (de Lars Kraume) relate l’action du procureur (qui donne son nom au film). Ce film est tout à la fois thriller et document historique. Ce procureur dans les années 1950 dirigeait le service chargé de traquer et d’arrêter les criminels nazis qui se sont cachés de par le monde.  Des informations lui apprennent qu’Eichmann se cache en Argentine. Il devra affronter le verrouillage de tout l’appareil politique et judiciaire d’alors, celui-ci composé pour partie d’anciens nazis. Fritz Bauer nous délivre ce message, que si nous renonçons à dénoncer le mal, à la poursuivre, alors nous tuons la notion de bien, et relativisons la notion du mal ; alors n’avons plus de boussole…  (Luis)   

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 « Il y a trois ans, lorsque je commençais à écrire mon roman «  jeux d’enfants », je le fit pleine de crainte à cause du thème que je voulais aborder : la cruauté et méchanceté des infantile. Pour lequel j’avais alors l’impression qu’il allait me procurer de nombreux problèmes, en plus de la censure de ceux qui croient que les enfants sont de ces êtres angéliques. Ce qui me dans mon roman, basé en partie sur des faits réels, me protégeait des nombreux partisans de Rousseau, de ceux qui pensent que l’être humain est bon de naissance, et que ce sont les institutions qui le pervertisse. Et c’est qui en réalité est arrivé, une histoire terrible que je ne puis admettre et que je n’admettrai jamais.
Ainsi, et malgré toutes les précautions prises, toujours sera controversé, ce thème : si les personnes naissent mauvais, ou, si elles le deviennent. Avant d’écrire ce livre, j’interrogeai diverses personnes, et la plus grande majorité déclaraient que nous naissons bons et que sont les circonstances qui nous rendent mauvais. Selon une croyance populaire, si monsieur Untel est psychopathe  et un autre est un violeur c’est parce qu’ils ont eu une enfance malheureuse, que se parents le battait, ou, qu’il ont beaucoup souffert. Je dois dire que ses visions si simplistes  des choses ne m’ont jamais convaincu. Il est plus qu’évident que la majorité des personnes avec des enfances malheureuses ne finissent pas en se transformant en psychopathe et en violeurs. Dans ce désir moderne de rencontrer des explications à toutes choses….Mais alors, existe-t-il une prédisposition au mal chez certaines personnes ?humblement je pense que si… » (Carmen Posadas. (Traduction) Article, Supplément au quotidien El Païs ../. / 2013)

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« Mais je dirais quand même que la morale, c’est culturel. Danser et chanter, c’est bien vu. Dans d’autres sociétés, c’est mal vu. Et puis, prenons un cas typique du 9-3, les vendeurs de drogue. Du point de vue légal, ce qu’ils font c’est mal. Mais ils le font aussi par nécessité pour nourrir leur famille, leurs petits frères. Le bien et le mal, c’est relatif  […….]  Ce qui est mal, c’est le racisme, comme le racisme de ces policiers qui ont tué George Floyd aux Etats-Unis. Et puis aussi tout ce qui est gay. Moi je supporte pas ce qui est gay, homosexuel, tout ça. Pour ma religion, ça mérite même pas de vivre»  (Interview d’un ado de 15 ans. Article : Entre le bien et le mal. Philosophie magazine N° 148)

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Extrait du débat: Y a-t-il un penchant au mal ? et, est-ce que le mal est dans l’être ?
Je pense que le bien et le mal sont intrinsèquement en nous, nous sommes Abel, et nous sommes Caïn.  Et je pense que nous sommes par tempérament plus ou moins enclin au bien, enclin au mal. Je fais bien la différence entre tempérament et caractère. Le tempérament est quelque chose plus ou moins inné en nous, le caractère se forge, (on ne forge pas le tempérament). Alors à partir de là, peut-on apprendre ou désapprendre le mal ? Tous ceux qui ont vu le film : « La vie est un long fleuve tranquille » se souviennent de Nono. Nono est bien un vrai « Duquesnoy », mais celui-ci a été élevé dans la famille « Groseille » il semble difficile, voire impossible de le sortir de ses habitudes acquises: de mentir, de chaparder… Elevé avec ses frères et sœurs dans la famille « Duquesnoy » eut-il été plus enclin au bien. (Luis)

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«  S’il échoue (Don Quichotte) c’est parce que, dans sa mégalomanie, il aspire, à résoudre la question philosophique du mal, question qui demeure depuis la nuite des temps, une question béant, un trou noir de l’éthique.
Mais s’il ne ma résout évidemment pas, il a l’immense mérite de rendre visible la malfaisance…. »  (Lydie Salvaire. Pas rêver)

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Ce texte n’est pas sans nous rappeler le, les gestes, les dénonciations faites par les lanceurs d’alerte. Lesquels savent pertinemment qu’ils encourent des risquent, des poursuites mais qui le disent, pour mettre le projecteur sur des actions d’un mal qu’ils ne sauraient garder pour eux. « Le premier qui dit la vérité, il doit être exéxucuté »  dit la chanson de Guy Beart. Luis)

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Mal : (Métaphysique) …M ; Law prétend que le mal l’emporte dans le monde sur le bien ; M. King déclare qu’il est d’un sentiment différent. Il est fermement persuadé qu’il ya plus de bien moral dans le monde, & même sur la terre, que de mal. Il convient qu’il peut y avoir plus d’hommes méchans que de bons, parce qu’une seule mauvaise action suffit pour qualifier l’homme de méchant. Mais d’un autre côté, ceux qu’on appelle méchans font souvent dans leur vie dix bonnes actions pour une mauvaise. M. King ne connoît point l’auteur de l’objection, & il ignore à qui il a faire ; mais il déclare que parmi ceux qu’il connoît, il croit qu’il y en a des centaines qui sont disposés à lui faire du bien, pour un seul qui voudroit lui faire du mal, & qu’il a reçu mille bons offices pour un mauvais.
Il n’a jamais pu adapter la doctrine de Hobbes, que tous les hommes sont des  ours, des loups, & des tigres ennemis les uns des autres ; ensorte  qu’ils sont tous naturellement faux & perfides, & tout le bien qu’ils font provient uniquement de la crainte ; mais si l’on examinoît les hommes un par un, peut-être n’en touvroit-on pas deux entre mille, calqués sur le portrait de loup &de tigres… »  (Encyclopédie de Diderot et d’Alembert).

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Débat :             « Le bien et le mal, est-ce que ça s’apprend ? » 26 janvier 2017
Introduction : Quand je me pose cette question j’ai spontanément tendance à répondre « oui », mais est-ce de l’apprentissage ? n’y a –t-il pas d’abord transmission ? Je sais, par sentiment et sans y réfléchir, que mes parents m’ont transmis – par le récit, (par bribes), de leur histoire et par leurs comportements – à penser mon avenir en termes d’idéal et d’engagement. Maintenant je me répète la phrase d’Einstein en 1934 : « Le monde est dangereux à  vivre! Non pas tant à  cause de ceux qui font le mal, mais à  cause de ceux qui regardent et laissent faire». J’ai aussi intériorisé le goût de l’étude, l’idée de l’égalité homme femme, et la valeur de la lutte contre les différentes formes d’antisémitisme et de racisme.  Et je vois aussi, en tant que mère et grand-mère que mes enfants et petits-enfants agissent avec  ces valeurs qui sont les miennes, et d’autres, (comme la ténacité au travail, le cosmopolitisme et la valeur de la lutte contre toutes les injustices. Le bien et le mal cela, d’abord, se transmet. Mais pour qu’il y ait transmission, ne faut-il pas qu’il y ait de l’affection ? Quelles sont les conditions de la transmission? Ce qui entre en jeu, au moment du jugement d’un délinquant dans la prise en compte des « circonstances atténuantes », n’est-ce pas aussi l’importance du milieu affectif? Il y a aussi les modèles que l’on suit. Et ces modèles peuvent être des figures historiques auxquelles il a été fait référence, ou des comportements auxquels on a été habitués.
L’idée qu’il y a du Bien et du Mal est bien un héritage, un « héritage qui n’est précédé d’aucun testament» selon René Char (Feuillets d’Hypnos), citée par Hannah Arendt (in Crise de la Culture: ce qu’une génération retient de la précédente et ce qu’elle en fait est imprévisible et surprenant.
Il faut bien distinguer transmission et, enseignement et éducation. En tant que professeure de philo au lycée  j’ai enseigné, par la lecture de textes (de littérature, de philosophie, de sciences de l’homme) aux élèves, qu’il y a des commandements (ne tue pas, ne vole pas, ne mens pas…) et des interdits (l’interdit de l’inceste sous des formes différentes) qui sont universels c’est-à-dire nécessaires pour qu’il y ait société ; ce que j’ai appris  par les recherches des ethnologues, anthropologues et sociologues qui étudient les diverses manières dont les différentes sociétés institutionnalisent ce que les individus vivent comme le Bien et le Mal. Et dans toutes les sociétés il y a des autorités (les chefs de tribu, les manitous, les prêtres, les rabbins, les imams,  qui enseignent les règles et les codes du vivre ensemble. Le Bien et le Mal cela s’enseigne. Pour solidifier la République naissante, dans sa célèbre « Lettre aux instituteurs » Jules Ferry présente l´éducation morale et l’instruction civique et insiste longuement sur l’idée qu’il s’agit d’une morale « commune »  : « Vous n’avez à enseigner, à proprement parler, rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier comme à tous les honnêtes gens […]. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment ».
« Parlez hardiment » : pour Jules Ferry, l’enseignement de la morale appartient à l’Ecole (non par défaut, parce que les familles seraient défaillantes, comme on l’entend souvent aujourd’hui) mais parce que c’est son rôle éminent et un honneur pour les enseignants. Et il ajoute « L’instruction religieuse appartient à la famille et à l’Eglise, l’instruction morale à l’Ecole » (ce pourquoi le jeudi était en vacance d’école pour permettre aux croyants de pratiquer leur culte en dehors de l’école). Enseigner la morale ? C’est aujourd’hui, depuis la dernière rentrée 2015, obligatoire du primaire au lycée. C’est autre chose que l’instruction civique qui enseigne les différents modes de gouvernement, le fonctionnement des institutions et les principes d’une démocratie. Et les débats sont vifs entre ceux pour lesquels il n’y a pas de morale universelle (la morale commune dont parlait Jules Ferry), ceux qui considèrent que les morales sont des morales de classe (Trotski, Leur morale et la nôtre 1938) ceux qui voient en toute morale un instrument d’enrégimentement des esprits et des corps au service du pouvoir dominant , (Michel Foucault par exemple, aussi bien dans ses remarquables Histoire de la folie de la Renaissance à nos jours, et Histoire de la sexualité de l’Antiquité aux temps modernes), ceux (les libertaires) qui se méfient d’un enseignement dogmatique qui aliène la liberté de penser de l’individu. Mais peut-on enseigner le sens moral? le sens qu’il y a du Bien et du Mal ? Jean-J Rousseau, (au 18ème siècle) contre les utilitaristes qui soutiennent que toute morale est réductible aux intérêts personnels, écrivait « Je peux trouver odieuse une action qui ne me touche pas directement. Si j’apprends qu’un pauvre enfant est torturé par une brute à l’autre bout de la terre, je n’en serais pas moins scandalisé que s’il s’agissait de l’enfant de mon voisin ». Et il nous propose l’expérience de pensée suivante: Imaginons que d’un simple signe de tête nous provoquions la mort d’un mandarin de Chine, que nous ne connaissons pas, et que par ce forfait nous héritons de toute sa fortune, en étant certain de notre complète impunité et sans que personne ne sache jamais par quels moyens nous sommes devenus subitement si riche. Provoquerions-nous la mort du mandarin ?  Rousseau supposait (et moi aussi) que tout être humain répondrait NON. Pour enseigner une morale il faut donc supposer que l’être humain a naturellement le sens moral, le sens du Bien et du Mal. Ce qui implique que les méthodes d’enseignement sont à réfléchir. Et depuis les réflexions de Rousseau dans L’Emile, les propositions pédagogiques et les innovations alternatives à l’éducation dogmatique sont nombreuses. Développer l’autonomie de l’enfant et son esprit critique, c’est le credo des écoles alternatives.  En France en 2012, 20.000 élèves expérimentent les pédagogies alternatives : Freinet, Montessori ou Steiner, dans une centaine d’établissements. Des méthodes d’apprentissage qui ont fait leurs preuves depuis plus d’un siècle, mais qui peinent à se diffuser dans l’Éducation Nationale. Et  on se souvient des débats qu’il y eut sur les ABC de l’égalité en 2013. Et les candidats à l’élection présidentielle font de l’Ecole  un thème de leur campagne. … Faisons nous le bien par intérêt ? parce que nous sommes naturellement égoïstes comme l’affirme la formule souvent entendue ! « L’altruisme est un égoïsme bien compris » qui reproduit ce que les utilitaristes, tout comme Adam Smith au 18ème siècle ont pensé, je cite « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme » (A. Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations)
L’utilitarisme est devenu l’idéologie dominante de notre société. Or je pense que  non seulement il n’est pas vrai que l’être humain agit toujours selon son intérêt (il y a bien de vrais amis désintéressés) et que cela néglige la dimension émotive  irrationnelle du comportement humain.
Ainsi lorsqu’on s’indigne, comme incité par une pulsion intérieure qui fait sentir ce qui est bien et ce qui est mal. Quand nous apprenons, simplement par la télé, sans analyse théorique et sans guide spirituel, qu’un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes dans le monde, ou que huit personnes dans le monde possèdent autant que la moitié de la population de la planète (il y a 3,5 milliards de pauvres) ou que 21 personnes en France ont la richesse de 40% des plus pauvres. Quand, avec le froid intense que nous vivons aujourd’hui, je vois un homme allongé par terre sur une embouchure de métro, avec un parapluie sur la tête, je ne peux m’empêcher de dire « c’est indigne ». Quand la demande de grâce en faveur de Jacqueline Sauvage, reconnue coupable du meurtre de son mari violent, a rappelé l’ampleur du phénomène des violences faites aux femmes ; et simplement qu’en France une femme meurt tous les trois jours de violence de la part d’un conjoint ou d’un ex conjoint.., j’ai eu spontanément un haut le cœur. Y aurait-il un penchant naturel à l’indignation, et donc à la conscience morale ?
Deux cents millions de filles et de femmes sont excisées dans 29 pays du monde. Question de tradition culturelle ? et donc de transmission et d’éducation, mais est  ce si simple ? n’est  ce pas plus complexe? Quand Antigone (dans la mythologie grecque) s’indigne du décret du roi Créon qui interdit aux habitants de Thèbes d’enterrer son frère Polynice parce qu’il commis le crime d’attentat à l’Etat, elle en appelle à une « loi universelle », celle selon laquelle tout être humain doit avoir une sépulture digne. Y a-t-il une Idée universelle du Bien et du Mal? Non répond Pascal au 17ème siècle, dans ses Pensées (294) chaque groupe humain, chaque culture a sa conception du Bien. Il  l’exprime ainsi « On ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat.., vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Alors que  selon Platon qui reprend l’enseignement de Socrate, il suffit de discuter et de raisonner  ensemble pour connaître les Idées, les essences, ce que sont, le Juste et le Bien. Avec cette façon de penser, il nous enseigne que, lorsqu’on sait ce qu’est le bien on ne peut qu’agir bien, puisqu’on a accepté d’en discuter, de chercher, avec d’autres, son essence, son Idée. « Nul n’est méchant volontairement » dit Socrate (dans le Gorgias).  Il ne croit pas que l’on puisse faire le mal pour le mal; en fait, dit-il, on agit toujours pour le bien, ne serait ce que pour le sien propre. Certes, nombreux sont les exemples qui montrent des criminels endurcis préméditant de sang froid les pires scélératesses. Mais quand on y réfléchit (quand on raisonne) on comprend que si un homme fait objectivement du mal à ses semblables c’est qu’il en espère du bien pour lui. Il suffirait donc de convaincre tout criminel en puissance que son bien peut être atteint plus sûrement par d’autres voies pour qu’il laisse en paix ses semblables. Avec cette façon de penser  même le pire des sadiques ne veut pas le mal pour le mal, mais il agit ainsi parce que la souffrance qu’il impose à ses victimes est pour lui une jouissance, une source de délectations intenses. Je ne connais pas les textes de Sade, je sais seulement qu’il a été emprisonné parce qu’il revendiquait la liberté de s’exprimer de manière non conformiste, mais je suis heurtée par ceux qui, au nom de la liberté, revendiquent le droit au plaisir par tous les moyens, y compris, celui de transformer la personne d’autrui en une chose ou un moyen de plaisir. C’est ce que Kant, au18ème siècle, dans la « Critique de la raison pratique » m’a enseigné: l’impératif moral (catégorique) est: « agis toujours de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen ». Quand je monte dans un autobus je considère le conducteur comme le moyen qui me permet d’arriver où je veux aller, mais en même temps, je dois le regarder comme une personne aussi respectable que moi.

La question revient : y a t-il un penchant au mal ?
Kant, dans La religion dans les limites de la raison distingue « le penchant » au mal   et « la disposition » au mal. Et cela me semble intéressant. Naturellement nous sommes disposés et  au bien, et au mal. Et nous sommes libres de choisir l’un ou l’autre. Or  le Bien, c’est quoi ? c’est ce qui vaut pour tous, universellement: je ne peux pas penser que tuer est Bien car cela veut dire accepter qu’on me tue; de même le vol n’est pas universalisable, de même si tout le monde ment, mentir n’a plus de sens. Le Mal c’est ce qui n’est pas universalisable: le penchant au Mal (vouloir tuer, ou voler ou mentir) c’est penser qu’il n’y a pas d’humanité commune». Agis de telle sorte que ton acte puisse être universalisé (voulu par tout homme). C’est cela le devoir moral, le devoir d’être humain. « Demande toi toujours si l’autre homme peut vouloir agir comme toi ». Avoir une conscience morale c’est avoir le sens de l’humain, c’est penser qu’il y a une humanité une, et de l’humanité en tout individu, ce n’est pas la compassion ou la bienveillance.
N’est ce pas, en effet, ce qu’on appelle comportement inhumain, celui qui consiste à ne pas voir en l’autre qu’il, ou, qu’elle,  (quel que soit son lieu d’habitation, sa couleur de peau, sa langue, ses idées, son statut social, son  appartenance nationale, son orientation sexuelle) est mon semblable, un humain. La philosophe Hannah Arendt, qui se voulait « l’obligée du monde » (Vies politiques) c’est-à-dire, réfléchir sur les événements caractéristiques de notre siècle, pour comprendre La condition de l’homme moderne), a étudié les « totalitarismes » (nazi et stalinien), la montée de l’antisémitisme en Europe, les nationalismes d’Etat et la naissance  du sionisme pour créer un « foyer national juif ». Elle a avancé l’idée de la « banalité du mal » en réfléchissant sur le Système totalitaire, « qui fonctionne à l’idéologie et à la terreur » et sur le cas d’Eichmann qui a organisé si méticuleusement  la « solution finale », c’est-à-dire les camps d’extermination pour les malades mentaux et les homosexuels (des races inférieures), et les juifs d’Europe, les tziganes, (des poux et des vermines, c’est à dire des non humains). On peut résumer sa thèse en disant que le mal nazi a été porté individuellement par des gens banals, et collectivement par une société très évoluée.
D’où l’extrême difficulté à juger de crimes aussi insupportables, car dit-elle, les criminels étaient si ordinaires. Voilà donc posée la plus grande interrogation pour la pensée : tous ces gens incriminés pour des crimes d’une gravité exemplaire, étaient d’une banalité si confondante, que cela rendait la question du génocide encore plus terrifiante. Certes, « il eut été réconfortant de croire qu’Eichmann était un monstre » écrit-elle. Pourtant, beaucoup comme lui, lui ressemblaient « ni pervers, ni sadiques ». Ces gens étaient « effroyablement normaux ». De même Primo Levi, survivant du camp d’Auschwitz, écrit dans « Si c’est un homme » : « Ils étaient faits de la même étoffe que nous, c’étaient des êtres humains moyens, moyennement intelligents, d’une méchanceté moyenne : sauf exception, ce n’étaient pas des monstres, ils avaient notre visage. ». La « banalité du mal » pose donc la question de la possibilité de l’inhumain en chacun d’entre nous.
« Dans le cas » écrit Marc Alpozzo,  « de ce nouveau type de criminels que furent les nazis, nous avions affaire à une catégorie d’hommes qui « commet (taient) des crimes dans des circonstances telles qu’il (leur était) impossible de savoir ou de sentir qu’ils (avaient) fait le mal». C’est en cela seul qu’ils échappent à la forme traditionnelle de jugement que l’on peut porter sur le crime ; ils n’ont pas conscience d’avoir mal agi et ils ont, d’autre part, l’intime conviction d’avoir fait leur devoir en obéissant à la loi ».
Eichmann, au cours du procès a dit qu’il « avait fait son devoir, qu’il avait obéi à la loi » et qu’en ce sens il était Kantien  « C’est ainsi que l’on constate le déplacement du problème : le mal n’est plus une violation de la loi, mais il est, au contraire, l’obéissance à la loi »  (celle du Führer, celle de Staline, ou celle de Dieu). Les nazis sont coupables de crime contre l’humanité parce qu’ils ont volontairement obéi à la loi (raciste et antisémite) plutôt qu’à la conscience que tous les hommes  appartiennent à la communauté humaine: « Ils sont coupables  de refuser de partager la terre avec les juifs et d’autres peuples, et d’autres hommes», je cite Eichmann (interview dans le Magazine Life 28 novembre 1960) « Qu’y a- t-il ici à admettre? J’ai exécuté mes ordres ». « Ce serait aussi injustifié de me blâmer entièrement pour la Solution Finale du Problème Juif que de blâmer l’officier en charge des rails de chemin de fer » sur lesquels les transports juifs voyageaient. « Où en serions nous si tout le monde avait pensé tout haut durant cette période? Vous pouvez faire ça dans la  « nouvelle » armée allemande ». (Propositions pédagogiques autour de la pièce : « Eichmann à Jérusalem »
Hannah Arendt considère que ce qui caractérise Eichmann et les autres qui ont participé à des crimes contre l’humanité (vouloir « génocider », éliminer un peuple, des catégories d’individus, ce crime contre l’humanité, qui est différent du crime de guerre),  ce n’est ni la folie démoniaque, ni la monstruosité, c’est le fait de ne pas exercer sa faculté de juger, le fait de ne pas réfléchir à l’idéologie  à laquelle on adhère. Pendant longtemps Hannah Arendt a refusé d’utiliser l’expression «le mal radical »  parce que cela implique que la nature humaine est naturellement portée au mal. Elle lui substitue la notion de « mal extrême » pour caractériser le phénomène génocidaire. Puis, en étudiant les conditions du totalitarisme nazi et les comportements d’hommes comme Eichmann, elle revient à la notion de mal radical en montrant qu’il provient de ce que des êtres humains sont capables de crime contre l’humanité, capables  d’agir radicalement contre l’être humain, parce qu’ils sont  persuadés (répétant des préjugés) ou convaincus (adhérant à ou élaborant eux mêmes une idéologie selon laquelle l’humanité n’est pas commune à tous les êtres humains, selon laquelle il y a des races inférieures et des races supérieures, des hommes et des femmes dignes de vivre et d’autres indignes de vivre , « superflus ».
La responsabilité d’Eichmann c’est d’avoir cessé de penser « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal », C’est  pourquoi Hannah Arendt a regretté qu’Eichmann ne fût pas accusé de crime contre l’humanité (concept élaboré en 1945 par le tribunal de Nuremberg pour juger les crimes nazis) mais seulement de crime contre le peuple juif (procès d’Eichmann à Jérusalem en 1963).
La banalité du mal est un concept novateur et précisément attaché au 20ème siècle, et au fait que c’est le siècle des totalitarismes. C’est aussi pourquoi la question se pose de savoir si le totalitarisme nazi est de même nature que le totalitarisme stalinien ?
D’autre part, selon Hannah Arendt c’est le système qui permet à l’individu, avec son lâche consentement, d’abolir en lui toute notion de Bien et de Mal. Le système nazi était sans doute le pire de tous. Mais il en existe beaucoup d’autres qui nous dispensent de penser. Cette expression pose la question de la responsabilité individuelle dans un système totalitaire, mais aussi dans toute chaîne de décision autoritaire. L’inhumain émerge nécessairement de la nocivité d’un système totalitaire, et suppose que le crime soit commis dans des circonstances telles, que les « criminels » ne puissent sentir ou savoir qu’ils font le mal. Le psychologue américain Stanley Milgram a entrepris de démontrer expérimentalement ce que H. Arendt a révélé au procès Eichmann: la soumission à l’autorité suffit pour transformer un homme ordinaire en bourreau. C’est ainsi qu’est réalisée une expérience célèbre, sur la Soumission à l’autorité rapportée dans le film, avec Yves Montand I comme Icare réalisé par HenriVerneuil en 1979. Au début des années 1960, S. Milgram recrute des personnes qui croient participer à une expérience scientifique. Il leur est demandé d’administrer des chocs électriques à des sujets attachés sur une chaise s’ils ne répondent pas correctement à des questions. D’abord étonnés, les bénévoles s’exécutent de leurs tâches, n’hésitant pas à envoyer des décharges électriques de plus en plus puissantes jusqu’à causer la mort du patient. L’expérience se révèle donc concluante: on peut commettre des actes violents sans forcément être poussé par la haine. Il suffit d’être sous l’emprise d’ordres impérieux. Chacun d’entre nous pourrait donc devenir un bourreau. Sauf que, l’expérience a montré que 63% des personnes ont continué l’expérience jusqu’au bout, soumises à l’autorité de la blouse blanche du scientifique. Mais restent 37% qui n’obéissant pas, ont le courage de juger qu’ils ne devaient pas agir comme on le leur proposait et a fortiori comme on le leur imposait. Il est vrai que quand la haine et la peur gagnent un pays, que la guerre, et le massacre gagnent un pays, quelques hommes et quelques femmes ne se laissent pas entraîner, résistent soit collectivement dans des organisations clandestines, soit individuellement, dans le secret et le risque ils décident d’aider plutôt que dénoncer, protéger plutôt que détruire. Lors des génocides, celui des arméniens,  celui des juifs et des tziganes, celui des tutsi, ou lors de la traite des noirs, ou de l’ethnocide des indiens d’Amérique,  il y eut et des résistants et des « justes » qui non seulement ont résisté mais qui, savaient comment  agir bien pour sauver quelques personnes de la violence extrême ou de la mort.
Parmi les 2 700 Justes honorés en France, différents groupes sont mis en exergue. Un dictionnaire des Justes de France, comportant plus de 2 000 noms, a été publié en 2003. L’analyse de ces noms montre une très grande diversité des conditions sociales et des métiers mais avec une prédominance notable de femmes (60 % des occurrences). On trouve des sauveurs de Juifs dans tous les pays sous occupation nazie, de tous les horizons: riches, pauvres, croyants, laïques, catholiques, protestants, hommes, femmes, jeunes, âgés, cultivés, non cultivés. Quelques-uns d’entre eux, comme Oskar Schindler (film La liste de Schindler  réalisé en 1993 par Spielberg) et Raoul Wallenberg, sont désormais célèbres. Les Justes furent des êtres ordinaires qui agirent de façon extraordinaire. A leurs yeux, ils ne firent rien d’autre que ce qu’ils considéraient comme juste et normal à l’encontre de la de la complicité passive autour d’eux.
De même que les auteurs de crimes contre l’humanité nous rappellent le potentiel humain à faire le mal, que les spectateurs ou témoins nous alertent sur notre tendance humaine à la passivité face au mal, les Justes, ceux qui tentèrent d’aider les juifs, nous   rassurent sur nos aptitudes au courage et à la vertu.
Y a-t –il une explication ? Ont-ils été résistants ou justes parce que nous sommes naturellement bons mais pervertis par la société comme l’écrit Jean Jacques Rousseau dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité, c’est-à-dire par la société qui valorise la propriété « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ».
« Le mal vient de ce qu’on valorise  l’avoir plutôt que l’être » comme l’a écrit le philosophe contemporain Wladimir Jankélévitch dans : « Le paradoxe de la morale».  Et aujourd’hui au 21ème siècle, une question se pose : sommes nous volontairement asservis au totalitarisme de la consommation  et du profit ? à la « Barbarie douce », comme l’a écrit le sociologue Jean Pierre le Goff.µ Finalement comment passer du mal au bien ? Victor Hugo, dans les Misérables, raconte comment la rencontre d’une « belle personne » a entraîné Jean Valjean, à 41 ans, à passer de la volonté de vengeance par rapport à la société qui l’a condamné au bagne pour 5 ans  pour avoir volé un pain pour nourrir les sept enfants de sa sœur, puis à 19 ans de bagne encore parce qu’il fit plusieurs tentatives d’évasion, au désir de faire le bien au cours de sa vie Quatre jours après sa libération du bagne il s’arrête à Digne. Après avoir été chassé de partout et erré toute la journée, il trouve asile le soir chez l’évêque Myriel, surnommé Monseigneur Bienvenu; ce dernier l’accueille charitablement tout en connaissant sa condition d’ancien forçat. Il lui offre le souper et un bon lit. Mais Valjean cède à ses « mauvais instincts » en lui volant ses couverts en argent et en s’enfuyant avec au milieu de la nuit. Le lendemain matin, Valjean est arrêté par les gendarmes qui le ramènent chez l’évêque. Celui-ci, pour le sauver, assure aux gendarmes qu’il lui a fait cadeau de ces couverts. On relâche donc Valjean. L’évêque lui donne en plus deux chandeliers en argent en lui disant qu’il rachète ainsi son âme aux forces du mal pour la donner à Dieu et lui rappelle: « N’oubliez pas, n’oubliez jamais que vous m’avez promis d’employer cet argent à devenir un honnête homme…. ». Et après avoir vu le désespoir d’un petit ramoneur savoyard auquel il a volé une pièce d’argent, tombée par terre, il se mit à pleurer,  et devint le bon Père Madeleine, le maire de la ville qui fit construire deux écoles, et celui qui sauva la petite Cosette des griffes de la famille Thénardier qui l’exploitait et la malmenait, et celui qui sauva  Marius blessé pendant les émeutes de juillet 1932 à Paris ….et même Javert, le gendarme qui l’avait envoyé au bagne.
 La condition nécessaire pour ne pas faire le mal, c’est bien sûr de penser et d’exercer sa faculté de juger pour ne pas répéter les préjugés, pour ne pas adhérer à des idéologies de haine et de mort, et a fortiori d’une idéologie de négation de l’humain. Mais le raisonnement n’est pas suffisant, il faut aussi qu’il y ait de l’émotion, du sentiment, la rencontre avec ce qui nous émeut et non pas seulement ce qui nous convainc. Et alors il faut supposer que, comme le supposait Rousseau, l’homme est perfectible. (Edith Deléage-Perstunski. Professeure de philosophie)

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