Manger

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Le mangeur de haricots. Annibale Garracci. 1580. Palazzo Colonna. Rome.

Grand Robert de la langue française : Absorber, prendre des aliments… Avaler pour se nourrir.

Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : (Méd.) Manger, se dit de l action de prendre des alimens solides pour se nourrir : cette action se fait par l’intrusion dans la bouche, suivie de la mastication, de la déglutition, & de la digestion.

Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey :Manger est formé du mot « manducare », issu de « manducus ou manduco » (le baffreur) nom donné à la fois à un personnage terrible et grotesque, une sort d’ogre devenu bouffon de comédie. Ce nom est dérivé de « mâcher » (en parlant des animaux), de là : « manger gloutonnement, dévorer », et à partir de Pline, manger d’origine « manducar, manducation » (jouer des mâchoires), s’est substitué à la langue populaire  « edo » (Je mange) « esse » (manger) verbe à flexion irrégulière à la racine indoeuropéenne « ed » (manger) que l’on retrouve par exemple dans l’anglais « to eat ».

Synonymes : Se nourrir. Se substanter. Déguster. S’alimenter.

Contraires : Diète. Jeûner.

Par analogie : Absorber. Agueusie. Affamé. Aliment. Anorexie. Appétit. Avaler. Baffrer. Banquet. Bouffer. Casser la croûte. Chef. Convivialité. Cuisine. Cuisinier, Cuisinière. Déguster. Digestion. Dîner. Encas. Estomac. Festin. Fête. Fringale. Gargantua. Gastronomie. Gosier. Goût. Grignoter. Gueule. Hédonisme. Malnutition. Noce. Nourriture. Obésité. Papilles gustatives. Pitance. Plaisir. Recette culinaire. Repas. Ripailles. Saveurs. Se régaler. Souper. Ventre.

Expression: Faire bombance. Faire bonne chère. Manger comme un ogre, comme un oiseau… Manger des yeux. Prendre un repas. Se mettre à table.

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Dans ma vie d’avant, la nourriture

Etait la préoccupation quotidienne.

Tout tournait autour du ventre.

Dès qu’on avait de quoi manger tout était réglé.

C’est une chose impossible à comprendre

Pour ceux qui ne l’on pas vécue.

(Extrait de l’énigme du retour.

Deny Laferrière. Grasset. 2009)

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« J’ouvre le frigo, ah, mais c’est d’la folie ! Y a plein de légumes, y a même des fruits… » (Y a une fille qu’habite chez moi. Bénabar)

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De ton large gosier, cyclope

Dilate l’ouverture. Tu les tiens tout prêts ;

bouillis et rôtis, brûlants sur la braise,

 bons à croquer, bons à ronger,

Bons à découper, eux les visiteurs,

 Etends sous toi l’épaisse peau de chèvre »

(Le cyclope. Premier stasimon :Strophe. Euripide.356/374)

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Dans le film « Le festin de Babette » on assiste à un grand dîner, et l’un des personnages, un général, fin gourmet dit qu’un grand dîner est un moment où se rejoignent et l’appétit physique et l’appétit spirituel. L’appétit spirituel étant ce plaisir millénaire de partager la nourriture ensemble, de se retrouver autour d’une belle table, d’éprouver tous aux mêmes moments des émotions gustatives. Un grand dîner peut relever de l’œuvre d’art. (Luis)

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Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. Cela pourrait rejoindre la notion de nourriture en tant que marquer quant à l’individu, et aussi de marqueur social.

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« Au XVIIIème siècle  Marie-Antoinette conseilla au peuple affamé, s’il n’avait pas de pain, de manger de la brioche ! Aujourd’hui les pauvres suivent ce conseil à la lettre. Alors que les riches de Beverly Hills se nourrissent de laitue et de tofu à la vapeur avec du quinoa, dans les taudis et les ghettos, les pauvres se gavent de génoises à la crème, de biscuits apéritifs de hamburgers et de pizza […..] D’ici 2030 la moitié de l’humanité devrait souffrir de surcharge pondérale. En 2010, la famine et la malnutrition ont tué près d’un million de personnes, alors que l’obésité en a tué trois »  (Homo deus. Une brève histoire de l’avenir. Yuval Noah Hariri)

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 « Le sucre est devenu plus dangereux que la poudre à canon » (Homo deus. Une brève histoire de l’avenir. Yuval Noah Hariri)

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« J’en ai dit ce mot sur le sujet d’un italien que je viens d’entretenir, qui a servi le feu cardinal de maistre d’hôtel jusqu’à sa mort. Je lui faisoy conter de sa charge. Il m’a fait un discours de cette science de gueule avec une gravité et une contenance magistrale, comme s’il m’avait parlé de quelque point de théologie. Il m’a déchiffré une différence d’appétits, celui quand on a faim, qu’on a après le premier et le second service, les moyens tantost de lui plaire simplement, tantost de l’éveiller et de le piquer ; la police de ses sauces, premièrement en général, et puis particulièrement les qualités des ingrédients et de leurs effets. Après cela il est entré sur l’ordre du service, plein de belles et importantes considérations…Et tout cela enflé de riches et magnifiques paroles, et celles même qu’on emploie à d’un traité d’un gouvernement, d’un empire.. » (Montaigne ; Essais.  L1. 51)

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  Lors de son premier anniversaire, les parents de Gargantua, ainsi que leurs amis offrirent à celui-ci un gigantesque repas.
Pour l’entrée, cinq charrettes de pommes de terres et de côtes de boeufs lui furent apportées. La voracité de Gargantua fit rage. Pour ce début de repas, il eut aussi droit à quatre tonneaux de vin apportés dans deux calèches différentes, mais toutes deux imposantes, deux cochons de lait, une marmite de sirop d’érable, six perdrix, dix bécasses ainsi qu’une demi-douzaine de pigeons.
Ayant fini son entrée, l’enfant restait encore sur sa faim. C’est alors qu’arriva le plat principal. Il était composé de cuves et de citernes de bière, d’une dizaine de plateaux de poulets, de deux vaches entières accompagnées d’une délicieuse sauce au beurre, sauce que Gargantua apprécia fortement, le tout accompagné de dizaines de brouettes de légumes tel que des navets, carottes, choux et bien d’autres encore.
L’enfant, les papilles en  » ébullition « , tout au long de ce gigantesque festin fut ravi. Ses parents ne furent pas étonnés en constatant la gloutonnerie de leur fils. En effet depuis sa naissance et à chaque repas ce dernier se goinfrait de tout ce qu’on lui présentait, sans oublier pâtisseries et autres bonbons, ainsi que des sucreries pour le goûter. Pour ce plat principal, les parents de Gargantua et son précepteur, ne furent donc pas étonnés de l’appétit démesuré du jeune garçon.
Enfin, vint le dessert, le moment préféré de Gargantua dans les repas. A lui tout seul, il mangea deux pièces montées, puis continua à saliver d’avance en attendant la suite de ce majestueux dessert. L’enchaînement de toutes les pâtisseries, choux à la crème, pains d’épices, riz au lait et d’autres encore fut gargantuesque. Gargantua ayant encore un peu de place dans son estomac, et, ses parents voyant cela, ils lui apportèrent la suite. Une tonne de confiseries, bonbons et autres friandises lui furent amenés par une centaine d’hommes. C’est ainsi que se termina le repas d’anniversaire du géant Gargantua. Celui-ci finit par s’endormir et fit encore, comme toujours, des rêves liés à la nourriture.
On appresta le souper et de surcroît fussent rosties
Seize bœufs, trois génisses, trente deux veaux
Soixante et trois chevaux moissonniers
Quatre vingt quinze moutons
Trois cents gorets de lait
Cent et vingt perdrix
Sept cents bécasses
Quatre cents chappons de Loudounoy et de Cornouailles
600 poulets
Et autant de pigeons
Quatorze cents levraults.
Etc
Et l’enfant s’endormi et fit de beaux rêves de nourriture

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 Le repas de noce. Extrait de Madame Bovary de Flaubert : C’était sous le hangar de la charretterie que la table était dressée. Il y a avait dessus quatre aloyaux, six fricassées de poulets, du veau à la casserole, trois gigots et, au milieu, un joli cochon de lait, rôti, flanqué de quatre andouilles à l’oseille. Aux angles, se dressait l’eau-de-vie, dans des carafes. Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse autour des bouchons et tous les verres, d’avance, avaient été remplis de vin jusqu’au bord. De grands plats de crème jaune, qui flottaient d’eux-mêmes au moindre choc de la table, présentaient dessinés sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux époux en arabesques de nonpareille. On avait été chercher un pâtissier à Yvetot, pour les tourtes et les nougats.
Comme il débutait dans le pays, il avait soigné les choses; et il apporta, lui-même, au dessert, une pièce montée qui fit pousser des cris. A la base, d’abord c’était un carré de carton bleu figurant un temple avec portiques, colonnades et statuettes de stuc tout autour, dans des niches constellées d’étoiles en papier doré; puis se tenait au second étage un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues fortifications en angélique, amandes, raisins secs, quartiers d’oranges; et enfin, sur la plate-forme supérieure, qui était une prairie verte où il y avait des rochers avec des lacs de confitures et des bateaux en éclaes de noisettes, on voyait un petit Amour, se balançant à une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux étaient terminés par deux boutons de rose naturelle, en guise de boules, au sommet. Jusqu’au soir on mangea.
Manger pour vivre et non vivre pour manger
Qui ne connaît le fameux adage : Il faut manger pour vivre et non pas vivrepour manger ? C’est donc que manger n’est pas une fin en soi.
La liberté de l’homme réside dans sa capacité d’aller au-delà de la nécessité, mais en passant par elle.
Manger est d’abord un besoin, mais aussi un plaisir légitime, l’occasion d’une rencontre comme la célébration d’une fête.
Manger, un besoin
On pense ici à une réalité purement biologique.
C’est inexact, ce besoin exprime l’élan vital et on en connaît l’importance lorsqu’il disparaît chez les malades ou les désespérés qui refusent la nourriturIl est donc plus qu’une satisfaction, il exprime la vie qui croît.
Manger, c’est vouloir vivre, même si ce n’est pas de l’ordre d’une décision conscienteNotre vie végétative est commandée par les trois instincts de nutrition, de reproduction et de conservation.
Les anthropologues diront que le dernier contient les deux premiers.
L’instinct de nutrition défend la conservation de l’individu, comme l’instinct de reproduction satisfait, assure la conservation du groupe.
Si la vie à elle seule est une valeur, manger est déjà la respecter, la servir, l’honorer.
Manger, un plaisir
Le plaisir n’a pas toujours eu bonne presse chez les moralistes comme chez les théologiens.
Le Jansénisme au XVIIe siècle le condamnait.
Le plaisir n’est pas cessation d’une douleur.
Il est contenu dans une fonction naturelle qui s’accomplit : le plaisir est à l’acte ce qu’est à la jeunesse sa fleur disait Aristote ; tandis que la douleur accompagne une fonction naturelle empêchée, déviée, détournée de sa fin naturelle.
Épicure est connu comme un philosophe du plaisir.
Mais c’est un sage, qui veut sauver la liberté de l’homme.
Se contenter de peu, voilà le bonheur… Boire quand on a vraiment soif, manger lorsqu’on a vraiment faim, voilà le plaisir.
Pour ce philosophe le plaisir est moral lorsqu’il est naturel et nécessaire.
Cette réflexion reste d’actualité dans notre société d’abondance – pour certains – qui nous propose tant de plaisirs artificiels.
Nous y perdons l’intensité d’un plaisir qui vient de nous, au profit d’une société qui nous éloigne de notre vraie nature pour satisfaire ses propres intérêts.
Là encore, la liberté est en jeu.
Manger, une relation
Le repas humain est au-delà de la fringale écrit Lévi Strauss.
Et l’on sait aujourd’hui  que des cultures se définissent dans la manière de manger.
Le repas est un rassemblement, souvent un temps d’expression, de débat, de révélation.
Il m’arrive de dire que la famille c’est d’abord le repas
Dans une société où trop souvent chacun mange de son côté, bien des jeunes chercheront dans la rue ou dans la bande une rencontre qu’ils n’ont plus chez eux.
Il est fréquent que l’on invite quelqu’un à manger pour faire sa connaissance.
Des observations ont été faites par le CNRS sur de jeunes enfants auxquels on donnait le biberon « à distance » par mesure d’hygiène lors d’un risque épidémique.
Or, digérant mal, ces enfants perdaient le sommeil.
Le retour à la normale a été immédiat lorsqu’ils ont retrouvé les bras de la mère pour recevoir leur nourriture.
Ainsi, dès le début de la vie, se nourrir est une relation.
On sait que les fameux repas de funérailles que l’on pratiquait jadis étaient souvent l’occasion de réconciliation entre les membres d’une famille.
Et que dire des repas de quartier évoqués plus loin.
Ce n’est certes pas la constitution du menu qui rassemble !
Manger, une fête
Il n’y a guère de fête sans repas, mais dans la fête il y a quelque chose d’exceptionnel.
Elle est une rupture avec le quotidien, avec l’économie du nécessaire.
Pour faire la fête on mange davantage, on ne calcule plus, il
y a l’abondance, on dirait presque le gaspillage.
L’anthropologue Roger Caillois voit là une affirmation d’un certain au-delà.
Ce n’est pas seulement manger plus que de coutume, mais c’est proclamer qu’il y a un autre monde que celui de l’économie et du calcul.
On se plaît à déborder le quotidien.
Le côté spirituel de la fête est cette célébration d’un autre monde possible.
Caillois dira : C’est une trouée dans le grand temps.
L’homme doit vivre dans ce monde, mais il n’est peut être pas de là !
Les chrétiens que l’on a amenés si souvent à suspecter le corps, voire à le condamner, doivent bien lire leur évangile : de grandes révélations sont faites au cours d’un repas, depuis les noces de Cana en passant par la pêche miraculeuse et la multiplication des
pains pour atteindre le sommet dans la Cène, le dernier repas.
A Cana comme à la multiplication des pains ou à la pêche miraculeuse, il y a bien plus que le nécessaire.
Il y en a toujours de reste, l’abondance est incalculable.
Dieu n’est pas comptable.
Pourquoi ne pas y voir le symbole de la grâce, qui, on le sait, est sans mesure ?
Décidément, le simple besoin de manger pour les hommes peut les amener, s’ils le veulent bien, à découvrir un monde qui les attend pour combler éternellement leur faim !
(Henry Couleau. St Sulpice la Pointe. Tarn)

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«  Longtemps, l’homme a compté sur sa raison. Pourtant, force est de constater que nos sociétés matérialistes, l’ont doté d’un estomac. Entre promesse d’un plaisir renouvelé et émergence de phobies alimentaires farfelues, la question de nourriture a pris une place considérable dans nos vies.
Et les philosophes ont eux aussi tendance à délaisser quelque peu la froideur du concept  pour renouer avec les saveurs de l’assiette, suivant ainsi le précepte de Nietzsche qui, déjà, liait « la question du régime alimentaire » au destin de l’humanité. Il se joue là, comme l’explique l’hédonisme, Michel Onfray, un retournement de valeurs qui fait du ventre l’origine de la pensée.
Mais comment avoir de sa nourriture un souci juste et nécessaire ? Comment ne pas tombé dans l’écueil du fanatisme diététique, qu’il prenne la forme de la quête de la minceur, de la boulimie, ou du dogmatisme bio ? Les penseurs nous accompagnent dans cette délicate quête d’équilibre».   (Article.  Je suis ce que je mange. Philosophie magazine n° 50)

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«  Le repas n’est pas une corvée nutritionnelle, mais une jubilation existentielle » (Michel Onfray)

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« A l’époque moderne, ce souci  se reporte sue a nourriture. Apprendre à manger, c’est modeler son être en profondeur, cultiver son intériorité. Dans cette aventure existentielle, on avance souvent à tâtons. C’est ainsi que Nietzsche déplore d’avoir mis des années à comprendre les méfaits de la cuisine allemande qui multiplie les hérésies, des « viandes trop bouillies » aux « légumes rendus gras et farineux » des « libations » trop fréquentes aux «  entremets qui dégénères en pesants presse- papier ». On comprend, conclut-il, l’origine de l’esprit allemand, est une ingestion, il ne peut plus rien « assimiler ». Pour conquérir sa liberté, pour devenir soi-même, il faut apprendre à ne plus congestionner ses intestins… »  (Article.  Je suis ce que je mange. Philosophie magazine n° 50)

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Dans « les confessions » Jean –Jacques Rousseau se montre proche des usages alimentaires d’Epicure «  Avec du laitage, des œufs, des herbes, du fromage, du pain bis et du vin passable, on est sûr de bien me régaler ».

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«  Manger, c’est nourrir une mécanique  avec laquelle on pense. On peut la changer ou l’alléger, on peut punir sa chair en l’engraissant, en l’alcoolisant, en l’intoxicant,avec des substances dangereuses pour la santé (voyez Sartre qui revendique sciemment  la destinée de son corps comme condition de possibilité de ses performances intellectuelles d’écriture…) ou la célébrer en faisant de l’acte naturel  et obligatoire qu’est la nutrition en geste esthétique et culturel qui donnera du plaisir – à soi, bien sûr, mais aussi aux convives,  à ceux avec lesquels ont vit. Pour certains, manger relève de la corvée, pour d’autres,  pour d’autres c’est l’occasion  d’inventer des micro sociétés hédonistes à répétition, c’est l’art de produire des républiques festives… » (Michel Onfray. Article : Je suis ce que je mange. Philosophie magazine n° 50)

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Débat :  « Faut-il manger pour vivre, ou vivre pour manger ? »  12 12 2012  Entre « manger pour vivre, ou vivre pour manger », je voudrais bien une autre option, car, par nature, par éducation, j’accorde encore une très grande importance à la nourriture, au repas, à la qualité des produits. Manger est  une des relations les plus intimes qui soient. Nous portons un produit à notre bouche, nous l’ingurgitons et il va venir dans notre corps et nous l’excréterons. Comment peut-on faire ce geste de manger sans un peu de réflexion, ou manger n’importe quoi,  parce que, suivant l’expression, « tout ce qui rentre fait ventre », ou que l’on est, suivant une autre expression populaire, un « béni bouffe tout ». Mais on peut être dans l’excès par gourmandise, l’un des sept péchés capitaux, sujet traité  par Alphonse Daudet dans son oeuvre « Les trois messes basses ». (Résumé/aperçu) : Le curé Dom Balaguère, avant une des trois messes basses du soir de Noël, a écouté son enfant de choeur Garrigou (qui est un envoyé du Diable) lui parler du dîner du réveillon ; pendant qu’il dit sa messe, il entend cette voix qui lui dit: “Il y a des dindes magnifiques mon révérend, des dindes bourrées de truffes, on aurait dit qu’elles allaient craquer en rôtissant tellement elles étaient dodues…” L’enfant de choeur agite sa sonnette, on a sauté quelque pages…”kyrie eleison”, dit le curé à la stupéfaction des paroissiens. Dans une scène suivante, le curé est agenouillé, il lève les yeux vers l’autel, il est en adoration, car là, sur l’autel, devant le tabernacle, il voit des chapelets de saucisses, des pâtés, des volailles juteuses, des carafes de vin ambré, des fruits… Au final, il mangera tant au dîner qu’il piquera du nez dans l’assiette et qu’il en mourra” (Luis)

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Les fraises et la fringale

La fringale ayant duré
Endurée
Le frigo en garde à vue
La volonté bien menue

A trop rêver de cuissots
De calories par monceaux
Je faisais fort grise mine
Overdosé en caféine

Et la balance arrêtée
Sur un poids bien regretté
Au retour de manivelle
Un yoyo pêché véniel

Cette fois-ci c’est moindre mal
Et j’ai hurlé : « même pas mal »
J’ai refermé la friteuse
Plus un seul petit morceau,
De frite ni de chien chaud

La décision est audacieuse
Et n’est pas du tout venant
Je tiendrai, ne vous déplaise
Je ne mang’rai qu’une fraise
Et laissez-moi, maintenant !

Florence Desvergnes

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Entre nécessité et art de vivre, quelle place occupe la nourriture chez chacun de nous ? Quelle place est-elle appelée à avoir dans les décennies à venir ?
« Il revient à ma mémoire » les grands repas à la ferme, lors des battages, des vendanges ou des mariages, qui duraient parfois  trois jours et où des femmes n’arrêtaient pas de cuisiner.  Je revois ces tablées : des roulés au jambon farcis de macédoine de légumes luisants sous leur gélatine. Des produits de la ferme : le jambon sec, le saucisson,  des terrines et pâtés, des rillons…, puis sortant du four des plaques pleines d’escargots qui embaument l’ail et le persil. Puis viennent les viandes en sauce, veau, lapin… Les miches de pain défilent ; à chaque fois les assiettes sont saucées « à propre » ! (Nous serions déjà au bicarbonate !) C’est alors que venaient rôtis d’oies ou de dindes, entourés de pommes de terre, champignons. Nous, les enfants, nous donnions un coup de main pour aller tirer du vin à la cave. Les convives avaient  autant de vigueur à table qu’au travail ; sans mollir, ils enchaînent sur le fromage frais à la crème double, les mokas maison au chocolat, les tartes aux fruits. Aujourd’hui, des cousins qui  sont céréaliers en Seine-et-Marne exploitent 300 hectares à deux. Ils sont équipés d’une moissonneuse-batteuse lieuse avec cabine insonorisée, radio, téléphone… Quand vient l’époque de moissons, la nuit, le mari moissonne ; le jour, sa femme prend le relais. En 48 heures, ils ont fait le travail de deux journées de labeur de 20 à 30 personnes et ils se font livrer des pizzas. Out ! La convivialité qui s’ensuivait. Out ! Le lien social ! « La table est entremetteuse d’amitié », dit le proverbe. Manger ensemble est un acte social. Est-ce que le progrès est un frein à ce  bonheur ? (Luis)       

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La France est un pays de gastronomie. L’apport au cours du siècle dernier des diverses cuisines, marocaine, libanaise, chinoise, japonaise, indienne, etc., cuisines qu’on peut aimer découvrir, va-t-il enrichir tout le patrimoine ? l’avenir nous le dira. Les habitudes alimentaires définissent la cuisine de demain. On se nourrit très différemment des générations précédentes. Les enfants se nourrissent différemment de leur parents, et les petits enfants se nourrissent d’une manière encore plus différemment de celle de leur parents. On a moins de temps ; on n’y consacre pas le même budget ; les produits et l’offre sont plus nombreux pour une qualité inférieure. Et puis faire la cuisine prend bien du temps, du temps qu’on pourra consacrer à une émission télé, genre « Top chef ». Notre rapport à la nourriture est en pleine mutation. Qu’en sera-t-il demain de la cuisine de Brillat-Savarin ? (Luis)                        

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