Mémoire

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Mnémosyne. Déesse de la mémoire. Mosaïque murale. IIème siècle. Musée national d’archéologie de Tarragon. España.

Le Grand Robert de la langue française : Faculté de conserver et de rappeler des états de conscience du passé et qui s’y trouve associé ; l’esprit, entant qu’il garde le souvenir du passé
Faculté collective de se souvenir (mémoire collective)

Psych. Ensemble des fonctions psychiques grâce auxquelles nous pouvons nous représenter le passé et le reconnaître comme tel…

Trésor de la langue française : Faculté comparable à un champ mental dans lequel les souvenirs, proches ou lointains, sont enregistrés, conservés et restitués

Larousse en ligne : Activité biologique et psychique  qui permet d’emmagasiner de conserver et de restituer des informations

Dictionnaire Littré (en ligne) : Faculté de rappeler des idées et la notion des objets qui ont produit des sensations

: Fonction psychique consistant dans la reproduction d’un état  de conscience passé avec ce caractère qui est reconnu pour tel par le sujet.

Dictionnaire philosophe d’André Comte-Sponville : La conscience présente du passé…..

Synonymes :

Contraires : Absence. Amnésie. Oubli. Omission.

Par analogie : Aide mémoire. Alzheimer. Apprendre. Big data. Cerveau. Codes. Commémore. Data. Informations. Léthé. Mémorisation. Mnémosyne. Mnémotechnie. Mot clef. Narration. Numérique. Octet. Passé. Pense-bête. Reconnaître. Réminiscence. Se rappeller. Se remémorer.  Souvenance. Souvenir. Trace mnésique.

Expressions: Avoir des trous de mémoire. Une mémoire d’éléphant (ou de poisson rouge). Savoir par coeur.

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 « Le souvenir est capricieux, la légende l’emporte facile » (Nicolas Mathieu. Connemara. Actes sud. 2022)  

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Mémoirequi meurt,
Photos effacées.
Rumeur, ô rumeur,
Des choses passées.
(Aragon)

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Débat :               « Ne sommes-nous que notre mémoire? »         24 novembre 2004

     Dans la mythologie la Mémoire a nom Mnémosyne, fille d’Ouranos, et de Gaia, elle va après avoir passé neuf nuits avec son frère Zeus, engendrer neuf filles, Les Muses, déesses des arts et de la connaissance par lesquels nous accéderons à la culture, principe de notre humanité. L’accumulation des informations qui forment notre mémoire, influence fortement sur notre façon d’Être, sur notre individuation.
Afin de donner quelques orientations au débat, six questions :
1. N’y a-t-il qu’une mémoire ou plusieurs mémoires ?
2. La mémoire est-elle vraiment « une ardoise vierge » à la naissance ?
3. Peut-on avoir une mémoire plus développée en fonction de l’intérêt ?
4. Est-ce que nous pouvons agir sur la mémoire, maîtriser le logiciel, lui imposer ce qu’elle doit enregistrer ou rejeter ?  
5. Peut-on imaginer que la bio- ingénierie, par le numérique, l’intelligence artificielle,  modifiera la mémoire des hommes ?
6. Pourrions-nous vivre sans mémoire ? Pourrions-nous vivre sans oublier ? 
Je me sens en infériorité face à des personnes qui ont une mémoire phénoménale, tel des acteurs qui enchaînent des milliers de vers, du texte… Ce n’est que mémoire professionnelle, pas la mémoire constitutive..
La sélection de nos choix de mémorisation dépend de notre personnalité, nous garderons plus présent à la mémoire le bon que le mauvais, afin de nous préserver, peut-être ?
La mémoire est bien sûr plus efficace en fonction du niveau d’intérêt….Quant à vivre sans mémoire, nous voyons les victimes d’amnésies, ou malades d’Alzheimer qui perdent le lien social, qui survivent sans mémoire,  sans conscience de vivre…                                               
Revenant sur les différentes mémoires. Mémoire pratique, d’apprentissage qui va permettre l’Être dans la vie  sociale. Puis, mémoire sensible, affective, en fonction de notre personnalité, élément principal de notre individuation, celle qui va nous aider à construire notre vie intérieure. Si nous pouvions dicter à notre mémoire tout ce qu’elle doit « enregistrer » ou « mettre à le corbeille », alors notre mémoire conserverait tant que nous serions autant, dans le passé que dans le présent, et que nous aurions une telle mémoire, et des faits, et mémoire de tous les  sens, que nous ressentirions comme en l’instant vécu, la douleur, les chagrins insurmontables, indépassables, ce qui nous interdirait à tout jamais d’accéder à l’oubli, de retrouver, le bonheur. Ne pouvant agir en ce sens, nous ne sommes que  les choix arbitraires  qu’elle a fait. Le complément de notre mémoire, pour notre sauvegarde, est l’oubli ; « L’oubli est une vertu qui permet d’effacer des événements. L’oubli va permettre de réinitialiser le processus de quête de bonheur ». Nietzsche.  (Luis)             

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.« L’esprit des femmes est ainsi fait de sédiments successifs par les hommes qui les ont aimé, de même que le goût des hommes conserve les images confuses et superposées des femmes qui ont traversé leur vie ». (André Maurois. Climats)

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« L’Être humain vit demémoire, jusqu’à s’en faire d’une certaine façon sa vie intérieure. C’est l’identité même qui se précise à mesure que l’histoire vécue s’inscrit en silence au fond de la personne, récit de soi, récit unique »  (Henri Pena Ruiz. Leçons sur le bonheur)

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« Ainsi tu connais l’histoire de la femme de Loth qui, se retournant sur la ville de Sodome en flammes, fut transformée en statut de sel. Une fable affirmait qu’il est mauvais de se complaire sans cesse dans le souvenir de son passé, car on s’y pétrifie… » (Le bâton d’Euclide. Jean-Pierre Luminet)

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« Le présent colore le passé »  (Freud)

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«  Il n’est d’homme à qui il siese si mal de se mesler de parler de mémoire. Car je n’en reconnoy quasi trasse en moy, et ne pense qu’il y aye au monde d’une autre si monstrueuse defaillance.
J’ai toutes mes autres parties viles et communes. Mais en cette-là, je pense estre singulier et très-rare, et digne de gaigner  par là, nom et reputation » (Montaigne. L 1. §IX)

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« Souvenir, attention ! Danger ! »   (Chanson de Serge Lama)

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Quand je rappelle mes souvenirs, comme par exemple mes souvenirs d’enfance, ce que je me dis de mon histoire est-il la réalité en fonction de ce qui a été vécu. nous réévaluons les faits. Tous, nous modifions insensiblement les plus lointains souvenirs, nous en retenons une parcelle autour de laquelle nous redessinons l’image du souvenir, la mémoire filtre les souvenirs.  « Quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ramène le  fagot qui lui plait » (Proverbe du Burkina-Faso).Nous en faisons une « nouvelle narration » pour reprendre le terme des psys.(Luis)

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« …Pris dans un tourbillon des technologies et des médias, pris dans le cycle de l’accroissement technologique où l’archivage est si facile, si accessible que nous nous déchargeons de toute activité mémorielle » (Olivier Dyens. La condition inhumaine)

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« Redoutable la question qui suggère combien nous pourrions nous complaire à céder le pouvoir à ces machines qui nous dépossèdent de notre mémoire, et donc aussi, de notre identité. La servitude technologique volontaire serait notre destin et justifierait l’absence de résistance opposée au posthumain qui s’annonce »  (Demain les posthumains. Jean-Michel Besnier)

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 « L’époque que nous vivons paraît bien obsédée par la mémoire, sous toutes ses formes. Par celle de nos vieillards que nous voudrions sauver du naufrage, par celle de notre histoire collective dont nous souhaiterions qu’elle nous livre les clefs de sa compréhension, voire de sa justification par celle de notre vie personnelle à laquelle nous suspendons le sentiment de notre identité. On aimerait penser que cette obsession de la mémoire traduit la crainte que s’établisse avec l’oubli, une discontinuité qui serait faite à l’image de l’homme telle que la métaphysique d’un progrès ininterrompu défendue par les Lumières l’avait façonnée » (Demain les posthumains. Jean-Michel Besnier)

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Je crois que la mémoire a une force de gravité qui toujours nous attire. Ceux qui ont la mémoire sont capable de vivre dans le temps fragile actuel, ceux qui n’en n’ont pas, vivent nulle part ». (Extrait du film chilien,  La nostalgie de la lumière)

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 « L’oubli numérique,  le nomme, est déjà la hantise des ingénieurs qui redoutent qu’à moyen terme nous ne soyons plus capables de lire des fichiers électroniques sur lesquels nous avons enregistré ce que nous ne consignons plus dans des livres. Mais fore est de le reconnaître, les supports électroniques de la mémoire ne sauraient être pérennes, de sorte que l’amnésie nous guette plus que jamais ».  (Demain les posthumains. Jean-Michel Besnier)

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« Tout ce qui fut sera, pourvu qu’on s’en souvienne »  (Louis Aragon)

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«  Imaginez [….] un homme qui serait absolument dépourvu de la faculté d’oublier […]. Un tel homme ne croirait plus à son propre être, ne croirait plus en lui-même. Il verrait toutes choses se dérouler  en une série de points mouvants, il se perdrait dans cette mer du devenir. En véritable élève d’Héraclite il finirait par ne plus oser lever le doigt. Toute action exige l’oubli, comme tout organisme a besoin, non seulement de lumière, mais encore  d’obscurité » (Nietzsche. Seconde conscience intempestive)

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«  sous le regard de Dieu ….il fallait tout renommer, tout réécrire, de sorte que la vie nouvelle  ne soit d’aucune manière entachée par l’Histoire passée désormais caduque, effacée comme n’ayant jamais existé » (Extrait de 2084. Boualem Salam)

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« La mémoire est l’avenir du passé »  (Paul Valéry)

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 « Je parcours en tout sens ce monde intérieur….J’y pénètre aussi loin que possible, sans rencontrer de limites, tant est grande la force de la mémoire, la force de la vie chez l’homme, ce vivant condamner à mourir ». (Saint Augustin. Confessions. Livre X. § XVII)

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Mémoire, dis quand reviendras-tu ?

On garde en tête une réflexion d’Anne Fourmantelle, peu  de temps avants sa disparition accidentelle, le 21 juillet 2017. La psychanalyse s’étonnerait du nombre croissant de patients qui, plutôt que de considérer l’oubli d’un rendez-vous  comme un acte manqué, l’expliquait par un raté de leur agenda électronique. « Ce n’est pas moi, c’est lui qui ne m’a pas alertée ». Jusqu’à quel point, poursuivait-elle, l’accusation est-elle à prendre au pied de la lettre ? Si nous ne sommes plus les auteurs de nos oublis et qu’on se défausse sur un « autre », fut-il un robot, notre mémoire est-elle en train de muter ? Il y a aussi cette expérience que chacun a déjà éprouvée. On perd ou on nous vole un outil numérique. L’objet est remplaçable, pourtant s aperte produit un réel désarroi. Pour peu que la sauvegarde n’ait pas été faite, une partie de nos souvenirs est détruite à jamais et ne sera pas récupérable. Notre mémoire humaine et subjective ne les a pas stockés. On ne sait plus quelles photos d’enfants on avait entassé distraitement dans la mémoire de l’outil, alors que chacune  est susceptible de raviver des moments particuliers égarés à tout jamais sans leur rapport visuel. …Lorsque qu’une inondation noie les albums photos, on déplore les dégâts et regrette l’avanie. La perte numérique s’apparente, elle, à une amputation.
La philosophe Catherine Malabu, autrice notamment de « Que faire notre cerveau ? », suppose effectivement que les ouis numériques qui permettent de déléguer sa subjectivité ( comme le montrent nombre d’applications qui mettent à la portée d’inconnus nos émotions les plus intimes) modifient les intimes) modifient ses limites. Cependant ma question du déstockage de la mémoire  lui semble très ancienne. Les grecs distinguaient «  anamnesis » et « hypomnesie », la vraie mémoire et la basse mémoire celle qui a recours à des pense-bêtes pour libérer la première. «  Les instruments d’inscription ont toujours eu la fonction de décharger  la mémoire d’une partie de ses taches et on s’en est toujours inquiété. Il suffit de reprendre Phèdre, de Platon où Socrate distingue ceux qui sont capables  de pratiquer l’anamnèse, l’acte de se souvenir par soi-même et ceux qui confient par paresse leur mémoire  à des écrits. Dès l’invention des bibliothèques on  craint qu’elles suscitent l’amnésie »
Eparpillement
Pour autant, estime Catherine Malabou, on est bien devant une transformation anthropologique des  fonctions mnésiques. Sont-ils de simples pense-bêtes ou les conditions d’une nouvelle anamnèse ? D’une part, une série de savoirs sont devenus obsolètes – l’écriture cursive a déjà disparu au profit de l‘apprentissage du clavier dans certaines écoles de Norvège et en Finlande, et avec elle une motricité fine. D’autre part l’éparpillement de l’attention est un fait massif et irréversible chez les enfants comme chez les adultes qui rend plus complexe la mémorisation et la création de nouveaux souvenirs. «  L’imagerie cérébrale  montre que l’impossibilité de focaliser sur un objet unique pendant un temps donné modifie les réseaux neurologiques. Il va falloir éduquer cette nouvelle façon de vivre la mémoire, (explique la philosophe) or la mémoire et une mosaïque. «  les recherches récentes  en identifient jusqu’à quinze formes différentes, on peut très bien en perdre une et pas les autres »
Sylvie Chokron, neuropsychologue … est plus alarmiste. Elle se demande si on a bien pris la mesure des transformations du cerveau humain en rapport à l’usage constant des outils  numériques. Et elle s’étonne de notre crainte que les robots et autres outils intelligents se substituent à nous , alors que l’externalisation  d’un grand nombre de nos fonctions cognitives  devenue banale – lui paraît beaucoup plus dangereuse : « On externalise notre perception en laissant l’appareil prendre des photos sans regarder la scène nous –mêmes ; notre sens de l’orientation en nous laissant guider par le GPS…, (doc) il n’y pas de raisons que les cerveau  humain conserve des régions cérébrales spécifiques dévolues à des fonctions que nous n’utilisons plus. Cela pose la question  en terme de plasticité cérébrale et de ce que l’on souhaite devenir. Est-on conscient que moins on utilise ces fonctions, plus il devient difficile de les utiliser »  
« On perd des capacité sans, pour l’instant en avoir acquis de nouvelles ? A part la dextérité du pouce »
« On n’a plus besoin de connaître des numéros de téléphone par cœur. La mémoire n’est pas un muscle mais elle s’entraîne chaque jour » (Article, Libération. 1 dcembre 2020)

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