Métaphysique

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Boeklin-Fieldelnder. Auto portrait. 1873.
Alte nationamgallerie. Berlin.

Le Grand Robert de la langue française : Recherche rationnelle ayant pour objet la connaissance de l’être absolu, (ontologie) des causes de l’univers et des principes de la conscience, et de la connaissance.

Larousse en ligne : Science de l’être en tant qu’être, recherche et étude des premiers principes et des causes premières, connaissance rationnelle des réalités transcendantes et des choses elles-mêmes

Encyclopédie de la philosophie. Livre de poche. : (Pour Kant) ….l’aspiration à dépasser les limites de l’expérience, la volonté d’arriver à la connaissance rationnelle de l’âme, du monde, et de Dieu, est parfaitement naturelle chez l’homme. Il y a dans la raison humaine une incoercible tendance à dépasser le donné de l’expérience, à chercher la cause ultime et générale des phénomènes. (Voir article : Métaphysique)

Dictionnaire philosophe d’André Comte-Sponville : C’est une partie de la philosophie, celle qui porte sur les questions les plus fondamentales, disons sur les questions premières et ultimes : l’être, l’âme ou la mort sont des problèmes métaphysiques

Synonymes : Philosophie première. Absolu.

Contraires : Empirisme. Science.

Par analogie : Absolu. Alchimistes. Âme. Cause première. Concept. Connaissance. Croyances. Curiosité. Dieu. Entéléchie. Esotérisme. Esprit. Essence. Etonnement. Être. Existence. Idéalisme. Immanence. Idéalisme. Inconnu. Maya. Mort. Miracle. Mystères. Origine. Phénomènes. Philosophie. Physique. Raison. Raison suffisante. Religions. Spéculations. Sciences occultes. Superstions. Surnaturel. Transcendance.

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« Dans le silence effrayant des espaces infinis, perdu dans ce canton de la mature, l’homme n’est rien ; il ne sait ni d’où il vient ni où il va ; il ne peut prendre son appui dans l’image d’un univers fini et ordonné, où sa place est marquée ; il est réduit à lui-même »  (Émile Bréhier. Histoire de la philosophie. Tome  2. P)

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Nous avons tellement le besoin de connaître l’origine, le pourquoi de toute chose, l’homme ayant « horreur du vide » qu’à défaut de réponses, nous les avons souvent inventées, avec parfois les  arguments qui les justifient.         ,

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  La science s’en tient à l’observation de faits. On devrait donc se demander si chaque science positive qui se constitue,  ne remplace pas définitivement une partie de la métaphysique, et si nous n’arriverons pas à ce que la métaphysique n’ait que bien peu d’espace. (Luis)        
Si nous devions limiter à trois les grands domaines de la philo, on peut retenir :
En 1° « que puis-je savoir, que puis connaître, c’est l’épistémologie.
En 2° la morale, l’éthique, comment devons-nous vivre ensemble ?
En 3° Que puis-je  accepter comme vraisemblable, que puis-je espérer, comment appréhender tout le domaine de l’inconnu ? Tout cet aspect existentiel est contenu dans la métaphysique. (L’esprit d’ouverture. Richard David Precht)

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Méta : nous dit que nous sommes au-delà de la physique ce qui ne peut s’expliquer par le pure raison, ce que même la science ne saurait expliquer. Mais au-delà de la raison nous pouvons rencontrer la déraison, ce furent de alchimistes, de sorciers, et plein de  mouvements ésotériques, des sectes comme celle de Raëliens. Alors vais-je rayer de mes préoccupations ce domaine de la métaphysique ? La part rationnelle, réaliste, matérialiste me dit que la science peut nous démontrer des vérités et nous expliquer nombre de choses, et sans nul doute qu’il restera de l’inconnu pour que nous continuions à nous interroger.                                           Quoi de plus normal qu’un individu qui se pose des questions métaphysiques, seul l’animal n’a pas de questionnement métaphysique. L’homme stupide en est aussi dépourvu. Par contre si je comprends très bien le questionnement de l’un, rien ne m’oblige à accepter, à faire mien sa réponse. Si je réfute les réponses qui s’appuie sur du religieux je ne réfute pas la question, mais seulement la réponse. Je ne mets pas en doute la réponse de l’autre, elle ne me convient pas, ne me satisfait pas, un point c’est tout. La religion peut être un secours au vertige métaphysique.  (Luis) 

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«  Des tombes naquit la première métaphysique, sous la forme du mythe et de la religion » (Schopenhauer. Parerga et paralipomena)

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« Une connaissance qui se prétend absolue dans le domaine métaphysique n’est rien de plus que vanité et présomption, avec des répercussions morales et politiques désastreuses pour le genre humain. Une telle connaissance ne serait qu’une forme d’orgueil totalement injustifiée dont les conséquences seraient des querelles incessantes, dangereuses pour la sociabilité humaine »  (Métaphysique et raison moderne.  Denis Rosenfield)

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Romain Rolland écrivait à Freud : « J’ai le sentiment de vivre dans un sentiment océanique.., j’appartiens à quelque chose que je ne comprends pas.., et qui est, sûrement exister » C’est le refus du néant

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« Dès lors qu’une mutation métaphysique s’est produite, elle se développe sans rencontrer de résistance jusqu’à ses conséquences ultimes. Elle balaie sans même y prêter attention les systèmes économiques et politiques, les jugements esthétiques ».   (Les particules élémentaires. Michel Houellebecq)

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Schopenhauer évoque l’opposition entre une philosophie rationaliste réservée à une élite, et une religion de la vérité, seulement allégorique, qui satisfait très largement les besoins métaphysiques populaires. « Les diverses religions qui sont justement la métaphysique du peuple… »  (Schopenhauer. Le fondement de la morale)

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«  …Les spéculations philosophiques sont enfermées dans un cercle de problèmes qui, sous des formes diverses, restent, au fond toujours les mêmes. Tels ils se sont offert confusément aux génies méditatifs dès les premiers âges de l’humanité, tels ils se présentent, mais plus nettement exprimés, aux esprits éclairés des lumières de la science moderne, polis par la culture des lettres et des arts. Il est dans la nature de l’homme de poursuivre incessamment la solution des questions mystérieuses, qui toutes pour lui ont un intérêt pressant ; et, soit qu’il puisse ou non atteindre le but, il y a une jouissance secrète attachée aux efforts qu’il fait pour s’en approcher. Sa pensée s’élève en approfondissant les conditions d’un problème insoluble, en découvrant un nouvel être ou en assignat la loi d’une série de phénomènes.
Quand nous parlons ici de l’homme en général, il est bien entendu que nous voulons désigner seulement ces hommes comme il en a existé à toutes les époques de la civilisation, pour que les médiations philosophiques soient un besoin de l’intelligence. Pour beaucoup d’esprits sans doute, soit par défaut de culture, soit par le résultat de dispositions naturelles, ce besoin n’existe pas. Il en est qui font consister leur philosophie à dédaigner toute spéculation philosophique, et qui répètent après Montaigne, qu’en fait les choses qui passent notre portée( c a d pour parler avec plus de précision, en fait de question qui ne comportent pas une solution scientifique et positive), « l’ignorance et l’incuriosité sont deux oreillers bien doux pour une tête bien faite ». Mais celui qui avait passé sa vie à peser dans la balance du doute des opinions des philosophes était loin de donner l’exemple de ce repos d’ignorance et d’incuriosité, « A ceux-là, dit Mme de Staël, qui vous demanderont à quoi sert la philosophie, répondez hardiment : à quoi sert tout ce qui n’est pas la philosophie ? »  (Essai sur les fondements de nos connaissances. A. Cournot. L. Hachette et Cie. 1851))

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« Aussi Voltaire a-t-il pu dire que la métaphysique se compose de choses que tout le monde sait, et de choses que personne ne saura jamais (ce qui ne l’a pas empêché de s’occuper toute sa vie de métaphysique) ; et, sans être des Voltaires, bien des esprits judicieux, qui n’avaient pas suffisamment pénétré la raison de ces remaniements continuels, ont du concevoir peu d’estime pour une science toujours à refaire, dont les principes étaient perpétuellement remis en question. Ils ont cessé de la considérer comme une véritable science, en quoi ils ont eu raison ; mais de plus ils ont regardé avec dédain, et comme un champ stérile, celui des spéculations philosophiques.  » (Essai sur les fondements de nos connaissances. A. Cournot. L. Hachette et Cie. 1851))

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 « Je n’en veux pas aux hommes qui consomment des expédients métaphysiques pour survivre. En revanche ceux qui en organise le trafic et se soignent au passage campent radicalement et définitivement en face de moi, de l’autre côté de la barricade existentielle…Ce commerce des arrières mondes sécurise celui qui les promeut, car il trouve pour lui-même matière à renforcer son secours mental, il profite aux profiteurs de la misère mentale »  (Michel Onfray. Traité d’Athéologie)

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 « Il est catastrophique de rendre clair et superficiel ce qui est caché au plus profond de l’homme, celui-ci doit comporter des arrières plans, une profondeur sur lesquels, s’assoient sa raison et sa conscience »  (Jung).

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« Celui qui comprendra le babouin » disait Darwin « fera plus que John Locke qui a étudié l’origine des idées, celui qui comprendra le babouin fera sauter la métaphysique »

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Si la science s’en tient aux lois physiques, la métaphysique laisse grandement ouvert le champ des hypothèses. Et là, toutes les hypothèses sont recevables. Donc si l’une de ces hypothèses est l’explication de toute chose, toutes les autres hypothèses se trouveront au non de « la raison suffisante » finalement invalidées. Dans son « Discours de métaphysique » Leibniz nous dit qu’il ne saurait y avoir d’effet sans cause, et pour lui seul de divin veut avoir  connaissance de cette raison, ce qui aurait l’avantage de mettre un terme à l’infernale chaîne des causalités.
Dans un autre ouvrage, (Principes de la nature et de la grâce) ce philosophe nous dit : » Il faut que la raison suffisante, qui n’ait plus besoin d’autre raison, soit hors de cette suite de choses contingentes, et se trouve dans une substance qui en soit la cause, ou qui soit un être nécessaire portant la raison de son existence en soi… ».*
Nous avons un exemple où poussé à l’excès cette raison suffisante en vient presque à nier la science. Ce positionnement se retrouve chez les Créationnistes, et se retrouvait chez  Anatole France  (dans le, Jardin d’Epicure)  « Il y a toujours un moment où la curiosité devient un péché, et le diable s’est toujours mis du côté des savants » (Luis)                      

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La science laisse-t-elle encore sa place à la métaphysique ?

Etre ou ne pas être telle est la vraie question
Et j’ère un peu au hasard dans cette étagère
Où des livres savants masquent la confession
De leur ignorance cachée sous la poussière

Et j’ère un peu au hasard dans cette étagère
Où des sciences très dures ont construit le bastion
De leur ignorance cachée sous la poussière
Il n’est rien qui n’échappe à leur juridiction

Où des sciences très dures ont construit le bastion
La forêt enchantée a fermé la frontière
Il n’est rien qui n’échappe à leur juridiction
Le comment a tué le pourquoi, le mystère

La forêt enchantée a fermé la frontière
Je m’égare éperdue entre deux dimensions
Le comment a tué le pourquoi, le mystère
S’épaissi et recule juste avant l’implosion

Je m’égare éperdue entre deux dimensions
La vérité est nue, une brume légère
S’épaissi et recule juste avant l’implosion
Des âmes qui déchirent en quittant l’atmosphère

La vérité est nue, une brume légère
Dévoile au gré du vent la prédestination
Des âmes qui déchirent en quittant l’atmosphère
Entre trou noir, paradis ou transmigration

Dévoile au gré du vent la prédestination
La balance de la science ne pèse pas la misère
Entre trou noir, paradis ou transmigration
Sur le fil du hasard les aléas se gèrent

La balance de la science ne pèse pas la misère
Des milliards d’inconnues se mettent en équation
Sur le fil du hasard les aléas se gèrent
Calcul égoïste, rationalisation

Des milliards d’inconnues se mettent en équation
La probabilité d’évènements éphémères
Calcul égoïste, rationalisation
Pour le profit certain de celui qui espère

La probabilité d’évènements éphémères
Où le bien n’est plus qu’une participation
Pour le profit certain de celui qui espère
Des tables de la loi, la libre association

Où le bien n’est plus qu’une participation
A un contrat social en CDD précaire
Des tables de la loi, la libre association
Et la mort est indice et la mort se suggère

A un contrat social en CDD précaire
Je suis un courant d’ondes, je suis une opinion
Et la mort est indice et la mort se suggère
Sur le bord instable d’un monde en révision

Je suis un courant d’ondes, je suis une opinion
Je suis de feu, de bois, je suis un courant d’air
Sur le bord instable d’un monde en révision
La vérité n’est plus qu’une pauvre mégère

Je suis de feu, de bois, je suis un courant d’air
Aurai-je encore le droit à l’imagination
La vérité n’est plus qu’une pauvre mégère
Etre ou ne pas être telle est la vraie question

Florence Desvergnes

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« Or le problème de la métaphysique est tellement le plus  difficile de tous les problèmes qui occupent l’esprit humain, que  nombre de penseurs le considèrent comme absolument insoluble.  A cela vient s’ajouter pour moi, dans la circonstance présente, l’inconvénient tout particulier qu’amène la forme d’une monographie ; je ne puis partir d’un système métaphysique déterminé.. » (Le fondement de la morale. Schopenhauer)

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Dans son ouvrage « La création scientifique – Complément au guide théorique et pratique de la recherche expérimentale », l’ingénieur belge, René Leclerc développe l’idée de la créativité chez le savant : « L’homme recrée la nature. Avec l’invention technique, il va plus loin et introduit dans le monde des Êtres qui ne s’y trouvaient pas »… », « …l’imagination a transformé le monde, on a pu dire que sans elle nous serions encore des primates dans la forêt »
« …un voile mystérieux recouvre et doit nécessairement recouvrir, non seulement l’origine de la vie et de l’organisation en général, mais les origines de chaque espèce vivante et les causes de la diversité des espèces selon les temps et les lieux. D’un côté l’observation met hors de doute que ces espèces n’ont pas toujours existé ; d’autre part les données de l’observation ne répugnent pas moins à ce que nous admettions un développement spontané, une formation de toute pièce, produisant des animaux et des plantes par d’autres vois que celles de la génération ordinaire. Aussi voit-on que les savants les moins enclins à recourir aux explications surnaturelles, et qui ne s’aviseraient pas d’employer le mot création pour désigner la formation des minéraux, des roches… (Ces mêmes) qui n’ont aucune peine à reconnaître l’action des forces physiques, actuellement comme inhérentes à la matière, emploient au contraire les mots de création animale, ou végétale pour désigner l’ensemble des espèces propres à une contrée ou une période géologique ; ils n’entendent point par là faire appel à une intervention surnaturelle, lais seulement marquer qu’il nous est impossible d’admettre la perpétuité et de concevoir le commencement naturel  de l’ordre des phénomènes que nous offre l’ensemble des êtres vivants. Il ne s’agit pas ici d’un problème de métaphysique, comme de savoir si le monde est, ou n’est pas eternel, si la matière est crée ou incréée, si l’ordre dépend de la Providence ou du hasard…Il y  a une véritable lacune dans le système de nos connaissances, lacune que la raison éprouve le besoin de combler, précisément par qu’il nous est impossible de concilier nos idées sur la matière et sur le mode d’action des forces vitales en donnant à celles-ci un « substratum » matériel, et en les rattachant ainsi aux forces qui produisent les phénomènes les plus généraux du monde sensible » (Essai sur les fondements de nos connaissances. A. Cournot. L. Hachette et Cie. 1851)

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Si dans l’antiquité un Grec de l’époque de Périclès a eu, ou l’intuition, ou la révélation que la vie n’était pas d’origine supranaturelle, qu’elle était due à la formation d’un œuf dans l’espace, ce que nous nommerions aujourd’hui cellule, cela nous pose problème. Comment cette révélation au-delà de la physique, c’est-à-dire métaphysique pouvait être révélée  s’il n’existait pas la puissance créatrice ?
Ça y est j’ai réinventé « la raison suffisante » chère à Leibniz.
Si ce même grec pouvait être transporté dans notre époque, qu’on donne à des énigmes d’alors, toutes les réponses  rationnelles, autrement scientifiquement prouvées : que deviendrait sa structure mentale ; en tuant une si grande parie de son univers métaphysique, est-ce nous ne le détruirions pas, autrement dit, si demain la science nous donne toutes les explications, si elle nous explique dans le moindre détail notre logiciel, ne va-t-elle désenchanter ce monde ? (Luis)          

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«  La raison humaine a cette destinée singulière, dans un genre de connaissance, d’être accablée de questions qu’elle ne saurait éviter, car elles les lui sont imposées par la nature même, mais auxquelles elle ne peut répondre, parce qu’elles dépassent totalement le pouvoir de la raison humaine. Ce n’est pas sa faute si elle tombe dans cet embarras. Elle part des principes dont l’usage est inévitable dans le cours de l’expérience, et en même temps suffisamment garanti par cette expérience.{…..] Mais, s’apercevant que de cette manière, son œuvre doit rester toujours inachevée, puisque les questions n’ont jamais de fin, elle se voit dans la nécessité d’avoir recours à des principes qui dépassent tout usage possible dans l’expérience et paraissent néanmoins si dignes de confiance qu’ils sont même d’accord avec le sens commun.
De ce fait elle se précipite dans une telle obscurité et dans de telles contradictions qu’elle peut en conclure qu’elle doit quelque part s’être appuyée sur des erreurs cachées (on pense, entre autres, à la récente alors révolution copernicienne), sans toutefois pouvoir les découvrir, parce que les principes dont elle se sert, dépassant les limites de toute expérience, ne reconnaissent plus aucune  pierre de touche de l’expérience.
Le terrain, où, se livrent ces combats sans fin, se nomme :la Métaphysique
Il fut un temps où cette dernière était appelée la reine de toutes les sciences, et, si on prend l’intention pour le fait, elle méritait parfaitement ce titre d’honneur, à cause de l’importance capitale de son objet. Maintenant, dans notre siècle, c’est une mode bien portée que de lui témoigner tout son mépris, et la noble dame, repoussée, dédaignée, se lamente comme Hécube »  (Kant. Critique de la raison pure)

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Fondement métaphysique « Le fondement de la morale. 1841. Schopenhauer.§ 18 »    « Nous allons quitter maintenant le solide terrain de l’expérience, qui a jusqu’ici son domaine. Ce qui a été jusqu’à présent le principe explicatif, devient maintenant problème à son tour ; je veux dire cette pitié naturelle, innée en chaque individu et indestructible, en quoi nous avons vu la source unique des actions non égoïstes, les seules auxquelles revient une valeur morale. Le procédé de nombreux philosophes modernes qui traitent les concepts de bien  et de mal comme des concepts simples, c’est-à-dire qui n’ont besoin et ne sont susceptibles d’aucune explication, pour parler en suite le plus souvent avec un air de grand mystère et de grande dévotion d’une « idée du bien », sur laquelle ils essaient d’étayer leur éthique ou qui leur sert au moins à en voiler l’insuffisance (1) ; ce procédé, dis-je, m’oblige à noter en passant que ces concepts ne sont rien moins que simples, sans parler d’à priori, mais qu’ils sont l’expression d’une relation et empruntées à l’expérience de tous les jours. Tout ce qui répond aux efforts d’une volonté individuelle est dit bon, par rapport à celle-ci : bonne chère, bons chemins, bon présage ; – le contraire est dit mauvais et, s’il s’agit d’êtres vivants, méchants. Une personne, qui par suite de son caractère, n’aime pas à contrarier les désirs d’autrui, mais au contraire dans la mesure du possible, les favorise et les aide, qui ne nuit donc pas aux autres, mais leur prête appui et secours, quand elle le peut, est appelée par ceux-ci une personne bonne ; par suite le concept de bon lui est appliqué du même point de vue relatif, empirique, et qui est celui du sujet passif. Considérons maintenant le caractère de cette personne non plus seulement par rapport à autrui, mais en lui-même ; nous savons, par ce qui a précédé, que c’est d’une sympathie immédiate pour le bien et le mal d’autrui, dont la pitié nous est apparue comme la source, que proviennent en elles les vertus de justice et de charité. Allons jusqu’à l’essence même de ce caractère ; nous y trouverons indubitablement ceci : il fait moins que les autres une différence entre lui et son prochain. Cette différence est si grande aux yeux du méchant, que celui-ci trouvera une jouissance directe dans la souffrance d’autrui, et par suite il cherche à la provoquer sans y avoir aucun intérêt personnel et même à son détriment. Cette différence est, aux yeux de l’égoïste, assez grande pour qu’il n’hésite pas à causer un tort considérable à autrui pour obtenir par là  un avantage minime pour lui-même.
Donc pour le méchant et l’égoïste il y a entre le moi qui se limite à leur propre personne, et le non-moi  qui comprend le reste du monde, un large abîme, une formidable différence: « Pereat mundus, dum ego salvus sim » «  Que le monde périsse, pourvu que je sois sauf », telle est leur maxime. Pour l’homme bon, au contraire, cette différence est bien moindre et même, dans les actes de générosité, elle paraît comme  supprimée, puisqu’alors le bien d’autrui est favorisé aux dépens du bien personnel, le Moi d’autrui mis sur le même pied que le Moi personnel ; et, s’agit-il de sauver plusieurs de ses semblables, le Moi sera sacrifié: l’individu donne sa vie pour le bien de tous.
Il s’agit maintenant de savoir si cette dernière conception entre les rapports du Moi propre et du Moi d’autrui, qui est à la base du caractère bon, est erronée et si elle repose sur une illusion, ou si c’est plutôt le cas pour la conception opposée, celle qui sert de principe à l’égoïsme et à la méchanceté.
La conception qui se trouve à la base de l’égoïsme, est, au point de vue empirique, rigoureusement justifiée. La différence dans l’espace qui me sépare d’autrui, me sépare aussi de ses joies et de ses souffrances. – A ceci on pourrait cependant objecter que la connaissance que nous avons de notre Moi n’est ni complète, ni parfaitement claire. Nous connaissons notre corps d’après la perception tirée par le cerveau des données des sens, nous connaissons la série ininterrompue  de nos efforts et nos actes de volonté, auxquels peuvent se ramener tous les sentiments dont nous avons conscience. Et, c’est là tout : car la connaissance ne peut être connue à son tour. Par contre, le substratum lui-même de ce phénomène, l’essence intime, le sujet de la volonté et de la connaissance ne nous est pas accessible : nous ne voyons que vers l’extérieur, à l’intérieur tout est nuit.
Par suite, la connaissance que nous avons de nous-mêmes n’est pas une connaissance complète, qui épuise son objet ; elle est au contraire très superficielle ; la majeur partie de notre être, la partie principale nous échappe, « nous » est une énigme ; ou, comme dit Kant : « le moi ne se connaît que comme phénomène, et non d’après ce qu’il peut-être en lui-même ». En ce qui concerne la partie de nous-mêmes qui tombe dans le champ de notre connaissance, chacun de nous est sans doute totalement différent des autres, mais il ne s’ensuit pas qu’il en soit de même en ce qui concerne la part si importante, qui demeure cachée et inconnue à chacun. Pour celle-ci du moins, reste la possibilité qu’elle soit en tous, une et identique.
Sur quoi repose toute pluralité, toute diversité numérique des êtres ? Uniquement sur le temps et l’espace ; par eux seuls, elle est possible, car, le multiple ne peut se concevoir et se représenter que dans la coexistence ou la succession. Comme d’autre part, les unités de même nature qui constituent une pluralité se nomment individus, j’appelle le temps et l’espace, en tant que condition de la pluralité, le principium individuationis (1), sans m’inquiéter de savoir si c’est exactement les sens que les scolastiques donnaient à cette expression.
 Si dans les révélations que Kant, par une intuition merveilleuse, a données au monde, il y a quelque chose d’indubitablement vrai, c’est l’Esthétique transcendantale, c’est-à-dire la doctrine de l’idéalité du temps et de l’espace. Elle est motivée d’une façon si claire qu’il na pas été possible d’élever contre elle la moindre objection vraisemblable. C’est le triomphe de Kant et elle fait partie des biens rares doctrines métaphysiques que l’on peut comme véritablement prouvées, de celles qui sont des conquêtes effectives dans le domaine de la métaphysique ».
Principe d’individuation – Les scolastiques appelaient ainsi le caractère intrinsèque qui fait qu’un individu diffère de tout autre individu (N. T.)
D’après cette théorie donc, le temps et l’espace sont des formes de notre faculté intuitive, c’est à elle qu’ils appartiennent et non aux choses connues par elle ; ils ne peuvent donc être un attribut des choses en soi, mais se rapportent qu’à l’apparence des choses, seule atteinte par notre conscience du monde extérieur, liée à des conditions physiologiques. Or, si le temps et l’espace sont étrangers à la chose en soi, c’est-à-dire à l’essence véritable du monde, la multiplicité aussi est nécessairement étrangère ; par suite, cette « chose en soi », sous les nombreuses apparences du monde des sens, ne peut néanmoins être qu’une, et, à travers toutes ces apparences, l’Être qui se manifeste est un et identique. Et, réciproquement, ce qui se présente multiple, par suite dans le temps et dans l’espace, ne peut être chose en soi, mais seulement apparence. Et celle-ci, en tant que telle, n’existe que pour notre conscience bornée par toutes sortes de conditions, et qui même repose sur une fonction organique ; en dehors de cette conscience, elle n’existe pas.
Cette doctrine, d’après laquelle toute multiplicité n’est qu’apparente, d’après laquelle tous les individus de ce monde, si innombrables qu’ils apparaissent dans la coexistence et la succession, ne sont que la manifestation d’un seul et même être véritablement existant, présent en tous et identique, cette doctrine, dis-je, a sans doute été connue longtemps avant Kant ; on pourrait même dire qu’elle a été de tout temps. Car, d’abord, c’est la doctrine principale et fondamentale du plus ancien livre du monde, les Vedas (*) sacrés, dont la partie dogmatique est plutôt ésotérique, se trouve dans les Upanischads. Nous y trouvons presque à chaque page cette grande doctrine : elle y est répétée inlassablement et expliquée par des images  et des paraboles. Il n’est pas douteux qu’elle ait également formé le fond de la sagesse de Pythagore, malgré le peu de renseignements qui nous soient parvenus de sa philosophie. Tout le monde sait qu’elle constituait à elle seule presque toute la philosophie de l’école  Eléate. Plus tard, les néo-platoniciens en furent imprégnés : ils enseignaient : que « par suite de l’unité de toute chose, toutes les âmes n’en font qu’une ». Au IX ème siècle nous la voyons réapparaître soudainement chez Scot Erigène, qui en est enthousiasmé et s’efforce de la vêtir des formes et des expressions de la religion chrétienne. Nous la retrouvons chez les Mahométans dans le mysticisme exalté des Sufis. En occident, Giordano Bruno dut subir un martyr  infamant pour n’avoir pu résister au besoin d’en proclamer la vérité. Néanmoins nous voyons les mystiques chrétiens, en tout temps et en tout lieu, y être entraînés malgré eux. Le nom de Spinoza s’est identifié avec elle. De nos jours, enfin, après que Kant eut mieux anéanti le vieux dogmatisme et alors que le monde effrayé en considérait les débris fumants, cette foi fut de nouveau éveillée par la philosophie éclectique de Schelling **, qui amalgamant les doctrines de Plotin, de Spinoza, de Kant et de Jacob Böhme avec les découvertes nouvelles des sciences naturelles, composa à la hâte un ensemble qui pût momentanément satisfaire les besoins pressants de ses contemporains, et qui fut pour lui dans l’avenir un thème à variation ; ensuite l’idée devint courante chez les savants de l’Allemagne et gagna même les milieux simplement cultivés (1).
* (Note) Livre sacré hindouiste  écrit  (en sanskrit) 1800 ans avant notre ère.
** (Note) Schopenhauer ne peut s’empêcher donner le coup de griffe à «  l’idéalisme allemand » de Schiller, Hegel, et Fichte.

Nos philosophes d’université font seuls exception et ils ont la lourde tâche de travailler à l’encontre du panthéisme, ce qui leur donne énormément de fil à retordre ; dans leur embarras, ils ont recours tantôt aux plus misérables sophismes, tantôt aux phrases les plus grandiloquentes, pour arriver à ravauder un travestissement convenable dont ils puissent vêtir leur philosophie à la mode et officielle.
Bref, le « Un et tout » a été en tout temps un objet de risée pour les sots, et un sujet éternel de méditation pour les sages.Toutefois la démonstration rigoureuse n’en peut être établie qu’en partant de la doctrine de Kant, comme je viens de la faire. Kant pourtant ne l’a pas fait lui-même ; à la façon des orateurs avisés, il n’a donné que les prémisses, laissant aux auditeurs la joie de trouver la conclusion.
Si donc la multiplicité et la diversité n’appartiennent qu’au simple phénomène, et si un seul et même être se manifeste dans tous les êtres vivants, en ce cas la conception erronée n’est pas celle qui supprime la différence entre le Moi et le non-Moi ; c’est au contraire la doctrine adverse. Aussi bien les Hindous dénomment-ils cette dernière Maya, c’est-à-dire apparence, illusion, jeu trompeur. La première manière de voir est celle que nous avons trouvée à la base du phénomène de la pitié, celle-ci n’en étant même que l’expression réelle. Voilà donc ce qui serait la base métaphysiquede l’éthique : l’individu se reconnaissant immédiatement lui-même, reconnaissant son être véritable dans un autre individu. Ainsi la sagesse pratique, l’équité et la charité rejoindraient finalement la sagesse théorique la plus avancée dans la doctrine la plus profonde ; et le philosophe pratique, c’est-à-dire l’homme juste, bienfaisant, généreux, exprimerait par l’action la même vérité à laquelle est parvenu le philosophe théorique avec toute la profondeur de son esprit et au prix des plus laborieuses recherches. Pourtant la vertu morale est plus haute que toute sagesse théorique, car celle-ci n’est jamais qu’imparfaite et n’arrive au but que, par la longue voie du raisonnement ; alors que celle-là l’atteint du premier coup : et celui qui possède la beauté morale, serait-il totalement dépourvu de valeur intellectuelle, révèle par ses actes la vérité la plus profonde, la sagesse la plus sublime ; il fait honte à l’homme de génie, au savant, lorsque celui-ci décèle par ses actes que cette grande vérité est restée étrangère à son cœur.
« L’individualisation est réelle, le principium individuationis et la diversité des êtres qui en découle, est l’ordre des choses en soi. Chaque individu est absolument différent de tous les autres. Dans mon propre Moi réside toute ma vraie existence, tandis que tout le reste est non-Moi, m’est étranger » – Voilà la vérité, telle que l’atteste les os et la chair, celle qui est au fond de tout égoïsme et qui se traduit par tout acte dur, injuste ou méchant.

« L’individuation est une pure apparence, née de l’espace et du temps qui ne sont autre chose que les formes imposées par ma faculté de connaître, par mon cerveau, à tous les objets de la connaissance ; dès lors la multiplicité et la diversité aussi ne sont qu’apparence, c’est-à-dire n’existe que dans ma représentation. Mon être vrai, intime, existe dans tout ce qui vit aussi immédiatement qu’il se manifeste à moi dans la conscience » ; – Voilà la vérité, pour laquelle il existe en sanscrit une formule typique « tat-twam asi » « cet être c’est toi », et qui se manifeste sous la forme de la pitié, fondement de toute vertu véritable, c’est-à-dire désintéressée, et dont toute bonne action est l’expression dans la réalité. C’est la vérité, au fond, que nous invoquons, chaque fois que nous faisons appel à la douceur, à l’amour du prochain, au pardon ; car, adresser cet appel à quelqu’un, c’est lui rappeler que nous sommes tous un seul être et le même être. Au contraire l’égoïsme, l’envie, la haine, la persécution, la dureté de cœur, la vengeance, la joie maligne, la cruauté se réclament de la première conception et y trouvent leur justification.

L’émotion, le bonheur profond que nous éprouvons quand nous apprenons, plus encore quand nous voyons, mais surtout quand nous accomplissons une action généreuse, provient au fond de la certitude qu’elle nous donne que, par delà la multiplicité et la diversité que nous présente le principium individuationis, il existe une unité des individus, qui est bien réelle, qui nous est même accessible, puisqu’elle vient de se manifester dans les faits.

Selon que l’on se range à l’une ou l’autre de ces conceptions, apparaît entre être et être l’amitié ou la haine d’Empédocle. Mais si celui qui anime la haine, pouvait en attaquant son ennemi le plus détesté, pénétrer jusqu’au plus profond de celui-ci, c’est lui-même qu’il retrouverait, à sa grande stupéfaction. Dans le rêve, nous sommes bien nous-mêmes dans tous les personnages qui nous apparaissent ; il en est de même, à l’état de veille, – bien qu’il soit moins facile de s’en rendre compte. Mais « tat-twam asi » (Cet être c’est toi ! »)

La prédominance de l’une ou l’autre disposition ne se manifeste pas seulement dans chaque action particulière, mais dans l’ensemble de notre conscience et de notre état d’âme, qui par suite diffère si essentiellement dans un caractère bon et dans un méchant. Ce dernier sent partout une épaisse cloison entre lui et le dehors. Le monde lui est un non-Moi absolu, il nourrit à son égard une hostilité primordiale, aussi la note fondamentale de son état d’âme est-elle l’animosité, la défiance, l’envie, la joie maligne. Le bon caractère au contraire vit dans un monde extérieur homogène à son être : les autres ne sont pas pour lui un non-Moi, mais une répétition du Moi. Aussi dès l’origine, il voit le monde extérieur en ami ; il sent une parenté intime entre tous les êtres et lui-même, il prend une part directe à leurs joies et à leurs peines et, de confiance, suppose chez eux la même sympathie. De là, la paix profonde de son être, cette sérénité, ce calme, ce contentement qui font qu’on se trouve bien auprès de lui. – Le caractère méchant n’a pas, dans le besoin, foi en l’aide d’autrui : s’il y fait appel, c’est sans confiance ; s’il l’obtient, il la reçoit sans véritable reconnaissance véritable : car il ne peut pas voir dans un acte secourable autre chose que l’effet de la sottise. Reconnaître son être propre dans autrui est une chose dont il est incapable, même lorsque son être, dans celui d’autrui, s’est manifesté à lui par des signes non équivoques. Ceci explique ce que toute ingratitude a de révoltant. Cet isolement moral, où le méchant se trouve par nature et auquel il ne peut échapper, le fait aisément tomber dans le désespoir. – L’homme bon, lui, fait appel à l’aide d’autrui avec autant de confiance qu’il sent en lui-même de bonne volonté à secourir les autres. Car, nous l’avons dit pour l’un l’humanité est le non-Moi, pour l’autre c’est la « répétition du Moi ». – L’homme généreux, qui pardonne à son ennemi et qui rend le bien pour le mal est sublime, parce qu’il a su reconnaître son propre être même là où celui-ci reniait sa nature.

Tout bienfait pur, toute aide vraiment et pleinement désintéressée ayant exclusivement pour motif le besoin d’autrui est, examiné de près, un acte mystérieux de la vie pratique ; car il a son principe dans la même connaissance qui fait le fond de tout mysticisme et ne peut véritablement s’expliquer d’aucune façon. Faire une simple aumône, sans songer le moins du monde à autre chose qu’au besoin dont souffre le pauvre, n’est possible qu’autant que celui qui donne se reconnaît lui-même dans la triste forme humaine qui est devant lui, c’est-à-dire reconnaît son propre être sous l’apparence étrangère. Aussi ai-je dans le précédent chapitre appelé la pitié le grand mystère de la morale.

Celui qui s’expose à la mort pour sa patrie s’est affranchi de l’illusion de ceux qui limitent l’existence de leur personne : il étend son être’ à ses compatriotes en qui il survit, et même aux générations qui viennent et pour lesquelles il se sacrifie ; il considère la mort comme un battement de cils qui ne trouble pas la vue.

Celui qui a toujours vu dans les autres le non-Moi, pour qui sa personne seule était vraiment réelle, qui ne considérait guère ses frères que comme des fantômes auxquels il n’accorde qu’une existence relative, dans la mesure ou ils pouvaient servir ou contrarier ses desseins, de telle façon qu’une distance immense, un abîme profond, le séparait de tout ce non-Moi, celui qui, par conséquent n’existait qu’en lui, voit, à l’heure de la mort, avec la fin de son Moi, la fin de  toute réalité et du monde tout entier. Par contre, celui qui retrouvait son propre être dans tous ses semblables et même dans tout ce qui a vie, dont par suite l’existence se confondait avec celle de tous les vivants, ne perd par la mort qu’une faible partie de son existence : ne subsiste t-il pas dans tous les autres en qui il a toujours reconnu et aimé son être et son Moi ? Seule l’illusion disparaît qui séparait la conscience de celle des autres. C’est ce qui expliquerait, incomplètement sans doute mais en grande partie, l’attitude différente qu’ont en face de la mort les bons et les méchants.

De tout temps, la pauvre vérité à eu à rougir d’être paradoxale ; et pourtant elle n’y peut rien. Elle ne saurait accepter la forme de l’erreur qui trône partout. Alors, elle élève en soupirant un regard vers son dieu protecteur, le Temps, qui lui promet d’un signe le triomphe et la gloire, mais dont les battements d’aile sont si amples et si lents que, cependant, l’individu se consume. Mais aussi, j’ai fort bien conscience du paradoxe que doit être pour des gens de culture occidentale, habitués à voir fonder la morale de tout autre manière, cette explication métaphysique du phénomène éthique premier; et pourtant je ne puis faire violence à la vérité. Tout ce que cette considération peut m’amener à faire, c’est de montrer par une citation comme cette métaphysique de l’éthique était déjà il y a des milliers d’années la doctrine fondamentale de la sagesse des Hindous ; je m’y réfère comme Copernic se référait au système mondial des Pythagoriciens qu’Aristote et Ptolémée avait chassé. On lit dans le Baghavad-Gita – (13/27/28) : «  Celui qui discerne dans tous les êtres vivants un principe dominant qui ne périt pas lorsque ceux-ci périssent, celui-là est dans le vrai. – Mais celui qui aperçoit ce même principe partout ne se fait tort à lui-même par aucune faute qui soit de son fait : ainsi il parvient au sommet de la voie ».

Je dois m’en tenir à ces indications sur la métaphysique de l’éthique, bien qu’il reste encore à faire un pas considérable. Mais ceci supposerait un pas de plus dans l’éthique elle-même ; ce que je ne pouvais, parce qu’en Europe le but le plus élevé assigné à l’éthique est la théorie du droit et de la vertu ; on ignore, ou on ne veut pas reconnaître ce qui dépasse cette limite. C’est à cette omission par nécessité qu’il faut s’en prendre, si par quelques traits de la métaphysique de l’éthique que je viens d’indiquer ne laissent pas entrevoir, même de loin, la clef de voûte de l’édifice métaphysique complet, ni soupçonner dans les grandes lignes ce qui le plan de la Divina Commedia. Ce n’était d’ailleurs ni ma tâche, ni mon intention. Car on ne peut pas tout dire en une fois, et de plus, une réponse doit rester dans les limites de la question.

Quand on cherche à faire progresser la science et la sagesse de l’homme, on se heurte toujours à la résistance de son époque ; c’est comme un fardeau qu’on aurait à traîner et que son poids retient au sol, en dépit de tous les efforts. Il faut se consoler  par la certitude d’avoir sans doute les préjugés contre soi, mais la vérité de son côté ; et celle-ci est absolument certaine de la victoire, dès que son allié, le temps, se sera joint à elle. Donc, si ce n’est pas pour aujourd’hui, ce sera pour demain »  (Arthur Schopenhauer. Le monde comme volonté et comme représentation)
Note de lecteur : Schopenhauer donne là un point de vue très personnel, comme une voie qui serait contenue dans le principe d’esthétique transcendantale de Kant. ( Le fondement de la morale. Schopenhauer)

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«  Par métaphysique, j’entends tout ce qui a la prétention d’être une connaissance dépassant l’expérience, c’est-à-dire les phénomènes donnés, et qui tend à expliquer par quoi la nature est conditionnée dans un sens ou dans l’autre, ou, pour parler vulgairement, à montrer ce qu’il y a derrière la nature et qui la rend possible. Mais maintenant la grande diversité originelle des intelligences à laquelle s’ajoute encore la différence des éducations, qui exigent tant de loisirs, tout cela distingue si profondément qu’aussitôt qu’un peuple  est sorti de l’ignorance grossière, une même métaphysique ne suffirait suffire pour tous.
Aussi chez les peuples civilisés, trouvons-nous en gros deux espèces de métaphysiques, qui se distinguent l’une de l’autre, en ce que l’une porte elle sa confirmation, et que l’autre la cherche en dehors d’elle. La réflexion, la culture, les loisirs et le jugement, telles sont les conditions qu’exigent les systèmes métaphysiques, de la première espèce, pour contrôler la confirmation qu’ils se donnent à eux-mêmes ; aussi ne sont-ils accessibles qu’à un très petit nombre d’hommes, et ne peuvent se produire et se conserver que dans des civilisations avancées. C’est pour la multitude au contraire, pour les gens incapables de penser, que sont fait exclusivement les systèmes de la seconde espèce. [……] Ils sont appelés communément religion et se trouvent chez tous les peuples, excepté les plus anciens. Comme nous l’avons dit, ils cherchent au dehors leur confirmation ; le vérité leur est extrêmement révélée, et se manifeste par des prodiges et des miracles. Leurs arguments consistent surtout en mences de peines éternelles ou temporelles, dirigées contre les incrédules et même contre les simples sceptiques, chez certains peuples, on trouve le bûcher ou tout autre supplice analogue.
Si les religions cherchent d’autres preuves et emploient d’autres arguments ;  elles passent dans le domaine de la première espèce, et peuvent dégénérer en une sorte de compromis entre les deux ; mais il y a là, pour elles plus de danger que de profit. Car le privilège inestimables qu’elles ont d’être inculquées à l’homme dès l’enfance leur assure la possession durable des intelligences ; pat leur dogme elle développe en lui un second intellect, ainsi qu’une greffe se développe sur un arbre… » (Schopenhauer. Le monde comme volonté et comme représentation)

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   « La physique supplante la métaphysique.  Toute science qui avance fait reculer la croyance, les superstitions, la religion » (Michel Onfray. La Conversion. Vivre selon Lucrèce. Robert Laffont. 2021)

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