Normal

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Le Grand Robert de la langue française : Qui sert de règle, de modèle, d’unité de mesure, de point de comparaison.
Qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel, qui est conforme au type le plus fréquent ou présumé

Vocabulaire technique et philosophique, Lalande : Terme très équivoque et prêtant beaucoup à la confusion : car tantôt il désigne un fait, possible à constater scientifiquement, et tantôt une valeur attribuée à ce fait par celui qui parle, en vertu d’un jugement d’appréciation qu’il prend à son compte. Le passage d’un sens à ‘autre est fréquent dans les discussions philosophiques.

Trésor de la langue française : Qui est conforme à la norme, à l’état le plus fréquent, habituel; qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel.
–  Qui se rencontre dans la majorité des cas.

Dictionnaire philosophe d’André Comte-Sponville : Qui est conforme à la norme, mais à une norme purement factuelle…C’est ériger le fait en valeur, la statistique en jugement, la moyenne en idéal. Ce qui rend la notion désagréable, sans permettre pour autant de s’en passer.

Synonymes : Régulier. Rationnel. Régulier.

Contraires : Anormal. Bizarre. Détraqué. Etonnant. Inhabituel.  Insolite. Spécial. Différent. Particulier.

Par analogie : Abracadabrantesque. Banal. Classique. Conforme. Curieux. Déviant. Excentrique. Folie. Fou. Grotesque. Habituel. Inattendu. Individu lambda. Insolite. Névrosé.  Norma. Norme. Paranormal. Pathologie. Raison. Règle. Santé. Variable.

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       « Suis-je vraiment normal ? Voilà une drôle de question qui hante nos vies trop modernes. Une question qui ne serait jamais venue à l’esprit  des générations anciennes, mais qui désormais anime notre centre de gravité même. C’est qu’avant, disons jusque dans les années 1950, la réponse était évidente : les règles de la tradition, les prêches de l’église, les discours de la République énonçaient la loi. Ils traçaient ainsi une frontière nette  entre la « normale attitude » et le comportement anormal, entre le conformisme et la rébellion, entre les mœurs bourgeoises et la vie bohême.
Or c’est précisément cette frontière qui a volé en éclat dans la foulée de la révolution de Mai 68. A partir des années 1970,  ce sont les idéaux rock (Bob Dylan ou les Rolling Stone) et les pensées de la déconstruction (Foucault ou Deleuze) qui ont donné le « la ». C’ est ainsi que les classes moyennes vont accueillir en leur sein les vibrants exemples de l’artiste libre ou du fou poétique, du bandit romantique ou du révolutionnaire idéaliste. Avec des effets spectaculaires : c’est que, peu à peu, la nouvelle classe dominante a pris le visage de « bourgeoisie bohême », ralliée par les moralistes pour sa capacité a mixer les signes de rébellion et le conformisme de la consommation… » (Philippe Nassif. Philosophie magazine, n° 47. Dossier : Et vous, êtes-vous normal ?)

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 Est considéré comme normal nous dit le grand Robert de la langue française, « celui qui est dépourvu de tout caractères exceptionnel, qui est conforme au type le plus fréquent, ou présumé, tel », (le présumé tel, nous laisse une marge de manœuvre).
Comme toujours pour bien saisir un mot, il est utile de voir son contraire, ses contraires : en l’occurrence, nous avons : anormal, bizarre, détraqué, excentrique, inattendu, insolite…
Alors suis-je dans la norme ? Je pose, je me pose la question : suis-je normal ?
Si on me répond oui, c’est presque gênant, car cela signifie que je ne diffère en rien de l’individu lambda, c’est presque être un individu un peu fade, à la limite, un anonyme.
Nous sommes tous plus ou moins tiraillés entre : être dans les normes, et être différent à la fois. Cette histoire de norme est un enferment, et la démarche philosophique s’accorde mal  d’être répertorié, classifié. Heureusement qu’on a découvert quelques très rares cygnes noirs, et quelque très rares (trois) mammifères pondant des œufs, dont l’ornithorynque.
Sans être l’ornithorynque, je veux être normal et différent à la fois, c’est pas normal me direz-vous! Nous sommes, nous ,« l’homme sans plumes » (Platon) la conséquence d’une anormalité. La nature se saisi d’une anormalité génétique, principe de l’évolution darwinienne. Les oiseaux sont une anormalité des dinosaures Nous sommes une anormalité par rapport à nos ancêtres primates…..(Luis)  

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«  Notre misérable espèce est tellement faite, que ceux qui marchent dans le chemin battu jettent toujours des pierres à ceux qui enseignent un autre chemin, un chemin nouveau ». (Voltaire.)

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Débat :                                      « Être normal »                                  8 juin 2012.
Introduction : Je me suis posée la question : qu’est-ce qu’être normal ? Est-ce normal qu’un enfant dans le monde meure de faim toutes les huit secondes? Cela ne l’est pas pour le sociologue Jean Ziegler  qui dans son dernier ouvrage, « Destruction massive, géopolitique de la faim »,  analyse quelles sont les armes de destruction massives de nos jours. Aujourd’hui, si cela n’est pas normal pour lui, ce n’est pas normal non plus pour moi. Cela est peut-être normal pour certains d’entre vous.
Par ailleurs, cela est normal que les femmes disposent de leur corps, qu’elles avortent si elles le veulent ; cela a été légalisé, rendu normal en 1975 en France, et la loi qui l’a énoncé est aujourd’hui remise en cause. Donc cette norme est aujourd’hui niée, également parfois par des femmes qui la revendiquaient hier..
De fait, la normalité est variable. Variable selon les époques, et pour le dire vite variable  en fonction des civilisations.
D’autre part, le Président actuel de la République s’est revendiqué d’être un homme normal. Et quand on lui demande ce que cela veut dire, il répond : «  Je suis un homme ordinaire, je ne fais pas exception à la règle ». Alors que signifie être normal, si la norme varie d’une part, et si en même temps la normalité c’est de ne pas faire exception, ne pas faire varier la règle.
[………] D’où vient le terme norme ? Le terme vient du latin « norma », traduction du grec « monos » qui renvoie à une équerre, c’est-à-dire à un outil qui sert de règle, et en même temps un instrument qui permet de tracer des angles droits. Donc le sens originel de la norme, on le trouve d’abord dans le vocabulaire des géomètres et des architectes. En géométrie,  la normale d’une droite c’est la perpendiculaire au point  C à cette droite. On l’appelle normale, parce qu’elle est construite d’après l’équerre « norma » qui elle-même est un moyen technique de déterminer  la perpendiculaire des propriétés du triangle rectangle; propriétés qui renvoient à l’espace euclidien qui est l’espace dans lequel nous sommes, où nous trouvons et dans lequel nous nous orientons.
Ce serait donc le sens originel du mot : tout ce qui est autour de nous, l’espace euclidien et toutes les choses qui sont naturellement  et nécessairement là, qui existent : doit être,  a valeur pour nous,  est la règle pour nous.
Dire cela ainsi c’est se placer dans une philosophie moniste, c’est-à-dire : que nous sommes des éléments dans l’univers, d’un tout qui nous englobe, d’une nature dont nous sommes, qui nous encercle en quelque sorte, et qui nous indique que la normalité c’est tout simplement la conformité à ce qui est.
Un philosophe romain, Marc Aurèle, porteur de cette forme de pensée donnait ce conseil à ses amis : « Ne pas croire à ce qui arrive, arrive comme tu veux. Mais veux que ce qui arrive, cela arrive ». A l’opposé il y a une pensée philosophique qui s’est développée avec l’école positiviste du droit, avec le point de vue juridique moderne qui est celui de Hans Kelsen (fondateur du normativisme) lequel dans une théorie générale de la norme dit ceci : « La norme n’est réalité que dans le domaine des institutions humaines, dans ce qui est institué par les hommes ». Le mot norme exprime l’idée que quelque chose doit être, ou doit se produire, et la norme c’est cette règle qui ordonne. La norme énonce ce qui doit être, mais par différence avec ce qui est. Autrement dit, la norme relève de l’ordre, de la volonté, et donc  de la liberté,  de la liberté humaine.
Alors c’est donc  là une  autre forme de pensée. L’être humain est celui qui peut lui-même poser la règle, et c’est pourquoi elle est variable, règle à laquelle il obéit. Et cela remplace le fait de recevoir une règle, de quelque autre chose que soi-même, la nature, l’univers, ou Dieu. Mais, et cela ce sont les philosophes contemporains qui m’ont appris à réfléchir de manière encore plus précise en posant la question : qui parmi les hommes énonce réellement ce qui est bien, ce qui est mal ? ce qui doit être, ce qui ne doit pas être ? Qui dit la norme ? Qui dit ce que c’est qu’être normal ?  Et je souscris à des analyses de philosophes contemporains comme : Nietzsche, Marx, Michel Foucault, qui, avec des expressions différentes expliquent que la conformité, c’est la conformité à ce que veulent les puissants. Pour Nietzsche, ceux qui disent la norme, ce sont ceux qui ont du pouvoir sur autrui. Pour Marx, ce sont ceux de la classe dominante. Pour Michel Foucault, ce sont ceux qui gouvernent nos conduites. Et d’ailleurs, je veux ici reprendre l’argumentation de Michel Foucault, parce qu’elle me semble prépondérante. Dans son «  Histoire de la folie à l’âge classique » (à la page 6) il montre que de la Renaissance à nos jours, ce sont ceux qui détiennent le pouvoir qui désignent et font percevoir un comportement comme normal, ou comme fou.
Ainsi, à la fin du Moyen-âge, la lèpre disparaît en Europe, les léproseries sont mises hors des villes, et le pouvoir royal qui légitime  le pouvoir médical, décide d’interner  dans l’hôpital général,( c’est-à-dire tous les hôpitaux des grandes villes ): les pauvres, les vagabonds, les libertins, les homosexuels, les criminels, c’est-à-dire tous les anormaux. Autrement dit, les anormaux ou les fous, ce sont ceux qui ne sont pas adaptés aux normes dominantes, ceux qui ont perdu la raison, c’est-à-dire, plus précisément ceux qui ne se comportent pas selon la raison dominante ; et tous ces fous, qu’on a répertorié comme tels, mis en cage, soumis aux douches glacées ou brûlantes, et même exhibés tous les dimanches matin aux visiteurs « normaux », (ceux qui n’ont pas perdu la raison, ceux qui obéissent à la raison,  à la raison de ceux qui les gouvernent)..
La Révolution française va libérer les fous, les fera sortir de l’hôpital, leur rendra la liberté. Et, lorsque Diderot écrit « Le neveu de Rameau » qui est un dialogue avec un fou, il désigne celui qui est fou, c’est-à-dire celui qui est rebelle contre la raison de ceux qui détiennent le pouvoir, celui qui refuse d’être en conformité avec la raison dominante, on ne le nomme pas fou, bien au contraire, on le nomme révolté, révolutionnaire. Michel Foucault poursuit son histoire de la folie en analysant comment la psychiatrie du 19éme siècle a montré que la déraison est une maladie mentale qui obéit à un déterminisme organique et qui doit être soigné comme tel : soit par camisole de force, soit plus tard par la camisole chimique, alors que les antipsychiatres soulignent eux, que le dérèglement d’un comportement, ( anormal bien sûr), renvoie à des causes organiques,  et aussi, à l’incapacité de se donner des normes pour se conduire. Et cette incapacité, ces causes, peuvent être des causes innées, naturelles, organiques ; mais elles sont aussi liées à l’histoire personnelle, et donc à l’environnement social du malade.
Donc, la normalité, si je suis l’argumentation de Michel Foucault, c’est le fait de se donner des règles pour vivre, de pouvoir le faire et de le faire. C’est d’ailleurs la thèse que défend Canguilhem, qui est médecin et philosophe et qui a écrit un ouvrage remarquable qui a pour titre : «  Le normal et le pathologique ». En résumé, il cherche à comprendre ce que c’est que la maladie, ce que c’est que la santé, ce que c’est que le normal, ce que c’est que le pathologique d’un point de vue médical. Et il analyse le fait que c’est comprendre que la vie est une activité d’opposition à l’inertie et à l’indifférence, je cite : « La vie c’est ce qui cherche à gagner sur la mort, et d’abord au sens où le gain est ce qui est acquis par « je ». Vivre, c’est lutter contre la mort, c’est la normalité biologique », et cela implique, dit-il, une symbiose du corps. Par cette expression Canguilhem met en évidence le fait que le corps réagit  aux actions qui menacent, le vivant par une maladie qui peut  être soignée, et alors le corps est réparé. Cela signifie que la normalité pour le vivant,  c’est son état sain, son état de santé… comme on dit : « il a la santé », ou, « il est en bonne santé ». Ça veut dire quoi ? Ça veut dire tout simplement qu’il est capable de se donner de nouvelles normes de vie, et que s’il est en mauvaise santé, il en est devenu incapable. Quant à l’état morbide, c’est encore une façon de vivre, mais avec l’incapacité de se donner de nouvelles normes pour vivre.
Alors finalement, être normal, pour moi, après tous ces détours, par des recherches  philosophiques,, c’est refuser la normalisation inventée par ceux qui détiennent le pouvoir ; et ceux qui le font  ce sont entre autres, les utopistes, les idéalistes, les indignés, ou les innocents (comme on dit) ; ceux qui refusent la normalisation effectuée par ceux qui ont le pouvoir de gouverner nos conduites.  (Edith Deléage-Perstunski. Professeure de philosophie)
Ce sujet m’a intéressé car j’ai pensé qu’à la fin de ce débat, je saurai enfin si je suis normal, et qu’ayant défini parmi nous les individus normaux et les anormaux, peut-être que certains vont passer de ce côté-ci, et les autres de l’autre côté. Sûr que certains d’entre-nous, comme moi, se demandent de quel côté ils vont se retrouver ce soir.
Par ailleurs nous avons vu tout au long du débat la polyvalence du mot normal, et de fait le débat s’est orienté sur la définition de la norme.
l nous semble tout à fait normal de pouvoir discuter ici librement de nos opinions politiques, philosophiques, partager ensemble un dîner puis débattre ; cela n’est pas forcement normal partout. La philosophie doit nous aider à voir le verre à moitié plein. Je vais tâcher d’illustrer cela avec une histoire, celle que racontait Jean Claude Ameisen dans une émission sur France Inter (Sur les épaules de Darwin) : Une femme était née avec un fort strabisme. A l’instar des personnes qui ne voient que d’un œil elle ne voyait pas en relief.
Lorsque nous voyons chacun de nos deux yeux perçoit une image, le cerveau réuni et analyse ces deux images ce qui crée la perspective, les distances, enfin les trois dimensions. Vers les cinquante ans, la vue de cette personne baissa, elle fut obligée de consulter, et là l’ophtalmologiste lui proposa des verres tout nouveaux qui pouvaient lui permettre de raccorder les deux visions. Au début disait-elle, je ne voyais pas grand-chose, puis lorsqu’on me ramena en voiture, tout à coup, j’ai vu le volant de la voiture qui sortait du tableau de bord. Rentrée chez moi, je suis allée dans le jardin, je me suis agenouillée devant un rosier, c’était extraordinaire, les fleurs sortaient de terre, leur corolles venaient vers mes yeux, j’en ai pleuré devant tant de beauté. Puis il y eut un jour il neige ; je connaissant la neige, c’était des boulettes blanches qui tombaient devant un écran. Mais tout à coup elles tombaient tout autour de moi, j’étais « à l’intérieur » de ce monde. Ainsi nous ne sommes pas vraiment conscients du miracle de la vie ; voir un beau paysage, une œuvre d’art, c’est normal ! Ecouter de la musique, nous trouvons cela « normal ». (Luis)     

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Être normal, peut tout aussi bien concerner : une personne, une chose, une situation. Sous ces divers angles je voudrais soutenir que l’anormalité  dans une époque, va devenir parfois, la normalité, dans une autre époque. La normalité est fonction de maintes variables : en un temps, en un lieu, d’une société donnée Je pense à Amandine, (premier bébé éprouvette, en France, 1982). On a entendu à l’époque qu’un enfant ainsi conçu ne serait pas normal, les gens se disaient choqués, on a même entendu l’expression « bébé Frankenstein ».
La « La science » dit- on « prend souvent l’homme de vitesse », c’est un an après la naissance d’Amandine, en 1983 que sera créé le Comité National d’Ethique. Une des premières questions était l’étique de notre société devait– elle considérer  comme « normale » la procréation in vitro, procréation en dehors de l’ancestrale relation sexuelle des hommes et des femmes ? Amandine a trente ans, et à  ce jour quatre millions d’individus dans le monde ont été conçus ainsi.
D’autres questions viendront, quant à accepter comme rentrant dans le domaine du normal : l’utilisation embryonnaire à des fins médicales, le vivant breveté, ou encore utiliser, louer le corps d’une autre femme pour faire son propre enfant. Autrement dit,  prendre,  utiliser « autrui en tant que moyen, et non en temps que fin » (impératif catégorique). Voilà qui n’était pas du domaine du « normal » pour Kant. De tous temps les générations sont confrontées à cette exigence éthique de ce qui est, de ce qui devient « normal » ! Que de changements de la norme, à venir. La norme reste contestable et évolutive.  (Luis)     

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On raconte une histoire aux enfants pour les mettre en garde contre ce mot, normal.
Dans un pays tous les gens boitaient depuis toujours du pied droit.
Un jour un enfant « anormal » se mit à marcher en boitant du pied gauche.
Puis plus tard vint un enfant encore plus « anormal » qui ne boitait ni du pied gauche, ni du pied droit.
Tous venaient apporter leur soutien aux parents malheureux d’avoir un tel enfant.

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«  Le génie et la folie ont un côté par lequel ils se touchent  et même par lequel ils pénètrent » (Schopenhauer. Le monde comme volonté et comme représentation)

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