Pardon

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Le retour du fils prodigue. Lucio Massari. 1614. Pinacothèque. Bologne.

Le Grand Robert de la langue française : Action de pardonner

Formule de politesse par laquelle on s’excuse de déranger ou d’interrompre, quelqu’un, d’avoir à lui demander un service

Trésor de la langue française : Action de tenir pour non avenue, une faute, une offense, de ne pas en tenir rigueur au coupable et de ne pas lui en garder du ressentiment

Synonymes : Indulgence. Grâce. Paix.

Contraires : Vengeance. Loi du talion. Vendetta. Punition. Rancœur. Rancune. Représailles. Ressentiment.  

Par analogie : Absolution.  Acquittement. Affront.  Amnistie. Aït el fitr. Atrides. Bouc emissaire. Clémence. Débonnaire. Excuse. Expier. Faute. Fierté. Impunité. Honneur. Humanisme. Humilation. Injure. Miséricorde. Offense. Offensé. Orgueil. Oubli. Rabibocher (Populaire). Réconciliation. Réhabiliter. Rémission. Réparation. Repentance. Réparer. S’agenouiller. Trahison. Tribunal de Nuremberg. Victime. Yom Kippour.

Expressions: Battre sa culpe. Faire grâce. Faire la paix. Faire quartier. faire son mea culpa. Implorer le pardon. Ne pas garder rancune. Passer l’éponge. Rentrer en grâce. se reconcilier. Tendre l’autre joue.

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Au Moyen-Âge le clergé vendait des indulgences
Cela nous rappelle que certains pour donner leur pardon demandent qu’on leur fasse allégeance, cela n’est pas donner son pardon, c’est le marchander.
Aujourd’hui nous avons fait la promotion du pardon historique, qui a prit le nom de « repentance », ce qui revient d’une façon paradoxale, de demander aux petits enfants, voire arrière petits enfants, de demander pardon des actes de leurs ancêtres, ce qui somme toute, est gratuit, tenant du simulacre où chacun est abusé; en revanche, reconnaître la gravité des actes et leurs conséquences semble plus rationnel.
Dans le pardon historique, on remarque aussi que par humanisme on pardonne plus à un groupe d’homme, qu’à un seul être. C’est ainsi, qu’on a pu pardonner le peuple allemand, ce qui en aucune façon ne pardonne Hitler ; Himmler, Heydrich, Eichmann, et combien d’autres.
Aujourd’hui, une fois de plus le business de la psychologie en promotion, s’est emparé via des pseudo psychologue de ce segment du marché des sentiments, « le pardon ».
Certains magazines féminins font des marronniers avec le thème « Comment pardonner, comment reconstruire son couple »
Des ouvrages, des conférences, des vidéos « you tube », quelques pages sur la Toile. C’est parfois intéressant, on peut y trouver des pistes pour sa propre réflexion, mais c’est le plus  souvent « l’art de ne rien dire avec de grands discours » (Luis)

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« Le pardon est mort dans les camps de la mort » disait Vladimir Jankélévitch.

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   On a choisi d’illustrer l’affiche du débat avec le mythe du « retour du fils prodigue » et j’avais aussi pensé à utiliser cette image de François Mitterrand et Helmut Kohl se tenant la main à Verdun en 1984. Cette image est un très grand symbole de notre Histoire récente. C’est le pardon de la France à l’égard du peuple allemand, le pardon ne signifiant pas pour autant l’oubli.
Cette image, et le pardon, n’ont pas effacé la Shoah, et c’est le grand questionnement des enfants de la « génération hitlérienne », thème à la base de l’ouvrage « le liseur » de Bernhard Schlink, (Page 118) «  En fait, je me demandais… ce que devait faire ma génération, celle des gens vivants à une époque ultérieure, des informations sur les atrocités, de l’extermination des juifs. Nous ne devons pas nous imaginer comprendre  ce qui est inconcevable ; nous n’avons pas le droit de comparer ce qui échappe à toute comparaison… Est-ce que nous n’avons qu’à nous imposer ce silence de l’horreur, de la honte et de la culpabilité ? A quelle fin et jusqu’à quel terme ? Les enfants du nazisme se sentaient innocents et coupables à la fois.
Aujourd’hui la dernière génération allemande ne porte plus ce poids, leur parents ont fait ce dur travail de résilience, car pardonner, c’est aussi trouver le pardon en soi, pour retrouver l’estime de soi. (Luis)  

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Le pardon est dans toutes les versions des religions du Livre, mais c’est d’abord demander pardon à celui qui n’a pas pardonné.
Du Yom kippour, dit aussi « le grand pardon »,  à l’Aït el fitr, (dit aussi « petite fête », au lendemain de la rupture du jeûne du ramadan)  on pardonne pour être pardonné, puis on envisage en vue de ces fêtes, de se réconcilier avec ceux avec qui on est fâché, « Pardonne aux autres pour être pardonné », disent le Coran, comme la Thora.
Cette demande de pardon est toujours au début d’un nouveau cycle, où il faut être déchargé de ses fautes, le jour aussi où l’on doit fait « table rase » des querelles. (Luis)           

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Au lendemain de la tuerie à Charlie hebdo le magazine titrait en couverture « Tout est pardonné »…

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Pater  noster : Pardonne-nous nos offenses comme nous aussi nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés (Mathieu VI. 12)

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« Comprendre, c’est pardonner »   Madame de Staël 

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« Le premier à demander pardon c’est le plus brave
Le premier à pardonner c’est le plus fort
Le premier à oublier, c’est le plus heureux »
(Anonyme)

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Le Christ a pardonné à la femme adultère. Parbleu ! c’était pas la sienne !

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Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes
On se voit d’un autre œil que l’on voit son prochain
Le Fabricateur souverain
Nous créa besaciers tous de la même manière.
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts des autres.

(La Fontaine. La besace)

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    Le Pardon du vieux marché (Commune de Bretagne) réuni chaque année depuis 1954 la communauté islamique et la communauté chrétienne. On y lit des sourates de prières catholiques.
Un article au mois de juillet de cette année dans le journal « Ouest France » disait : « … les rencontres islamo catholiques ont de nouvelle fois été l’occasion de montrer qu’il existe une autre voie que celle du sang et des larmes qui envahit plus que jamais l’actualité »

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Au début de 1980, lors d’une émission du Masque et la Plume animée par François-Régis Bastide, Vladimir Jankélévitch déclarait, à propos des Allemands : « Ils ont tué six millions de juifs, mais ils dorment bien, ils mangent bien, et le mark se porte bien ». Terrible phrase d’un philosophe qui persistait dans son refus de pardonner aux responsables de la Shoah et qui avait décidé de bannir à tout jamais l’Allemagne de sa vie.
Au mois de juin de cette même année, un jeune Allemand, Wiard Raveling, décida pourtant d’obtenir ce pardon. Suite à l’intervention de Jankélévitch au Masque et la plume, il lui écrivit une longue lettre, aux bons soins de François-Régis Bastide. Il exprimait combien il souffrait de son pays, ne niait rien des abominations du passé, et suppliait le philosophe de venir lui rendre visite. Contre toute attente, Jankélévitch répondit à Wiard Raveling, l’invitant à venir lui rendre visite à Paris. Cette correspondance, pour la première fois publiée, ouvre et referme une blessure que l’on croyait inguérissable. D’où son intérêt exceptionnel. (Luis)

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Dans le film: Green Book
Toni s’adresse à Doc
– Vous devriez écrire une lettre à votre frère
-Il sait où je suis s’il a envie de me revoir.
_ Ouais! Moi je tarderais pas, voyez!
– Le monde est rempli de gens qui ont peur de faire le premier pas

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Interviewé sur sa position face à l’Allemagne, Jankélévitch, répond  qu’il n’a pas été déporté, ses parents non plus, mais que « c’est un devoir sacré de témoigner. Inlassablement. Il n’y a pas de limite dans le temps à la mémoire de celui qui n’a pas vécu lui-même l’enfer dont il témoigne. Jamais je ne mettrai ma main dans la main des bourreaux. Je n’irai pas dans leur pays. J’ai refusé leur argent. Je leur dis : gardez vos marks. Vos marks me font horreur. Je ne vous ferai pas le plaisir d’accepter une réparation pour l’irréparable.
Je suis personnellement offensé par l’horrible extermination. Je ne cesse d ‘y penser. Je maudis ceux qui l’on organisée, ceux qui l’ont exécutée, ceux qui prétendent ne pas y croire, ceux qui ont fait semblant de ne pas s’en apercevoir, ceux qui n’ont jamais eu un mot sur ces crimes effroyables.  Car j’ai beau tendre l’oreille, je n’ai jamais entendu ce seul mot : pardon !
……L’extermination  de six millions de juifs est l’invisible mauvaise conscience de toute la modernité. »
Enferré sur le non pardon, au-delà de la si belle lettre de Wiard Raveling, Jankélévitch va dire qu’il est trop vieux pour changer d’avis, et il ira jusqu’à utiliser une construction sophistique s’il en est, en disant : que seuls pourraient pardonner les morts de la Shoah, n’étant plus là, le pardon est impossible.
Il écrit : «  … qui pourrait pardonner une offense qui ne lui aurait pas été faite, qui pardonnera le viol qu’à subi sa voisine ou le meurtre d’un enfant de son camarade ? C’est aux victimes de pardonne. En quoi les survivants ont-ils qualité pour pardonner  à la place des victimes ou au nom des rescapés, de leurs parents, de leur famille » 

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 (Lettre de Wiard Raveling, juin 1980)

Cher Monsieur Jankélévitch,

Moi, je n’ai pas tué de juifs. Que je sois né Allemand, ce n’est pas ma faute, ni mon mérite. On ne m’en a pas demandé la permission. Je suis tout à fait innocent des crimes nazis ; mais cela ne me console guère. Je n’ai pas la conscience tranquille. J’ai une mauvaise conscience et j’éprouve un mélange de honte, de pitié, de résignation, de tristesse, d’incrédulité, de révolte.
Je ne dors pas toujours bien.
Souvent, je reste éveillé pendant la nuit, et je réfléchis, et j’imagine. J’ai des cauchemars dont je ne peux pas me débarrasser. Je pense à ANNE FRANK, et à AUSCHWITZ et à la TODESFUGE et à NUIT ET BROUILLARD :
DER TOD IST EIN MEISTER AUS DEUTSCHLAND
« La mort est venue d’Allemagne »
Je me rappelle exactement la nuit où j’ai vu NUIT ET BROUILLARD. Quelqu’un m’avait signalé qu’on donnait le film à la télévision. J’ai voulu le voir. Mais il ne fallait rien dire à mes parents, parce que c’était trop tard pour un lycéen qui devait se lever de bonne heure dans toute la fraîcheur du corps et de l’esprit. Quand mes parents s’étaient couchés, je me suis relevé clandestinement, le cœur battant. Quand je suis passé devant la porte, mon père ronflait comme d’habitude, et ma mère dormait paisiblement, sans doute. Et moi, j’ai allumé la télévision et j’ai mis le son tout bas pour ne déranger personne, et je fus le témoin de cette nuit de l’humanité. Je vis ces montagnes de cadavres, ce mélange absurde et obscène de chair, de boue, d’os, d’excréments, de cheveux. Je vis ces cadavres entrelacés dans un commun destin, poussés dans le fossé par un bulldozer impassible, dans l’étreinte secouée par la mort. Et tout se passait sous les yeux encore plus impassibles de mes compatriotes en uniforme, qui, selon toute apparence, ne furent pas attendris même par le plus petit des corps. Ces choses inanimées avaient été des êtres humains mis au monde par des mères, des êtres humains pleins d’espoir et de crainte, de joie et de tristesse. Et pleins de talents. Combien de talents.
Et après, je me suis recouché dans un état peu préparé au sommeil. Quand je suis passé par la porte de mes parents, mon père ronflait toujours, et ma mère dormait toujours paisiblement, sans doute. Et je fus seul toute la nuit, seul avec les impressions que je ne pouvais pas digérer. J’étais dans un âge impressionnable, qui n’a pas encore beaucoup de défenses intellectuelles, qui n’a pas encore les callosités du cœur indispensables pour l’âge adulte. Et Dieu était mort définitivement.
Je n’ai jamais parlé de cette nuit à mes parents, ni à personne. C’est sans doute pourquoi elle ne m’a plus jamais relâché.
DER TOD IST EIN MEISTER AUS DEUTSCHLAND
« La mort est un maître venu d’Allemagne »

Est-ce que j’ai le droit de me plaindre ? Tout le monde comprend que la victime se plaigne, et le fils de la victime. Mais le fils du bourreau ?
Comment jamais venir à bout d’AUSCHWITZ ? Comment surmonter ces montagnes, comment combler ces fossés, comment éteindre ces fours, comment disperser cette puanteur, comment calmer ces gémissements, comment clamer ces cris de désespoir ?
GRAB MIR EIN GRAB IN DEN LÜFTEN. DA LIEGT MAN NICHT ENG.
« Creuse moi une tombe dans les airs on n’y est pas couché à l’étroit”
Il y en a chez nous qui ont trop vite oublié. Il y a parmi nous encore beaucoup de coupables qui vont bien.
Je mange bien, merci quand ma femme est en forme, et surtout quand je suis en France.
Je n’ai pas de difficultés financières. Je gagne plus que mes collègues français, polonais, russes et israéliens.

Mais je souffre de mon pays, redevenu en apparence si fort et si plein d’assurance. Je souffre de mon pays qui est en réalité plein de complexes et d’incertitude, qui cherche sa place et son identité, qui est plein de coupables et d’innocents, d’arrogants et d’humbles, d’opportunistes et de gens engagés – et de jeunes ingénus qui portent la lourde charge que l’histoire leur a mis sur le dos. Ils ont besoin de la sympathie et de l’aide de tous les autres peuples.
Un Français peut souffrir de la Majorité ou de l’Opposition, ou des patrons ou des syndicats ; mais est-ce qu’il peut souffrir de la France ? Moi, je souffre de l’Allemagne, bien que je ne sache même pas ce que c’est exactement, l’Allemagne. C’est une plaie dans mon cœur qui ne se ferme pas. Quelqu’un a dit que sans les nazis ce siècle aurait pu être celui de l’Allemagne – au sens positif.

Mes parents n’ont pas tué de juifs.

Ils ne dorment pas toujours bien. Ma mère est souffrante. Mon père s’endort vite et profondément. Mais il ne peut pas dormir longtemps. Il se lève toujours très tôt. Il est revenu mutilé de Russie, et son corps lui fait toujours mal. Depuis quarante ans. Ce fut déjà en 1941 qu’un soldat anonyme de Russie lui fracassa la hanche. Donc je peux être certain qu’il n’a pas participé à AUSCHWITZ, à Babi Yar, à Varsovie. Peut-être, ou même probablement, il a tué quelques soldats russes. C’était normal – pour le dire cyniquement. Mon père porte son souvenir douloureux toujours avec lui. Il ne se plaint jamais. Est-ce que son cœur est aussi atteint ? Est-ce que son âme est aussi mutilée ? Je n’ose pas y regarder de trop près. Lui, il n’aime pas parler de ces temps-là.

Mes parents n’ont pas voté pour Hitler avant 33. Mais après ses « grands succès », ils se sont convertis. Convertis à cet homme qui pourtant avait des cornes plein le visage et sentait le soufre de loin et n’était guère parfumé ni plein de distinction. Même dans leur région rurale, ils ont dû remarquer que les juifs disparaissaient un peu partout. Beaucoup partout. Cela n’a pas dû les troubler outre mesure.

Je ne les méprise pas. Est-ce que moi, à leur place, je n’aurais pas agi comme eux ? Cette question m’inquiète, et je n’ose pas y donner une réponse rapide et négative.
Responsables ou innocents résultats ?

Est-ce que je les aime ? Est-ce que j’ai le droit de les aimer ? Peut-être moi aussi, dans un certain sens, j’ai perdu mes parents. Mes parents et mon pays.
Pendant toute mon enfance, pendant toute ma jeunesse, mon père claudiquant m’a rappelé chaque jour que nous avions été du mauvais côté. Nous ?
Mes parents mangent assez, merci. Même trop. Mais pas très bien, à mon goût. C’est à cause d’un manque de culture culinaire. Leur pension est assurée et assez élevée. Ils ont plus de moyens que de besoins.
L’autre jour, un ancien camarade de classe de mon père, un juif qui avait émigré aux Etats-Unis, lui a rendu visite. Aux dires de mon père, ils se sont très bien entendus. Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que c’est un miracle ? Est-ce que c’est normal ?
Mes grands-parents n’ont pas tué de juifs, eux non plus. Ils étaient toujours contre les nazis, même pendant leur époque « glorieuse ». Mais ils ne se sont pas distingués comme résistants. A vrai dire, ils n’ont pas beaucoup résisté. « L’individu ne peut pas faire grand-chose en politique. » Ils n’ont pas assassiné Hitler. Ils ont passé leur temps à travailler et à espérer pour le mieux. Mais qui s’intéressera à mes grands-parents ? Ils n’ont rien fait d’important, ni de bien ni de mal. Avec eux, on ne peut rien prouver.
Mes enfants ne connaissent pas de juifs. Dans notre région, il n’y en a presque plus. Mes enfants dorment bien, merci. A moins qu’ils n’aient la grippe ou qu’une dent ne leur fasse mal. C’est tout comme chez les petits Français ou Polonais ou Russes ou Israéliens. Qu’ils soient nés Allemands, cela ne leur pose pas encore de problème. Pas encore. Ce n’est pas leur faute, mais la mienne et celle de ma femme.
Mes parents peuvent manger bien et beaucoup, s’ils le veulent. Mais ils ne le veulent pas toujours. Mon garçon mange comme un moineau. Les autres, ça va mieux. J’espère qu’ils auront toujours assez à manger. Et j’espère que le mark, leur mark se portera toujours bien, tout comme le franc et le zloty. Mais, bien sûr, mes vœux ne changeront guère le cours de l’histoire. Mes trois enfants sont blonds. Blond germanique. Blond Brigitte Bardot.
DEIN BLONDES HAAR MARGARETHE DEIN ASCHENES HAAR SULAMITH
« Tes cheveux blonds Margarethe/ tes cheveux de cendre Sulamith »
Je leur parle d’ANNE FRANK. Je leur parlerai de NUIT ET BROUILLARD. Je leur parlerai de notre histoire pas très réussie. Je leur parlerai du mal que les allemands ont infligé à tant de gens et de peuples. Je leur parlerai de notre lourd héritage, qui est aussi le leur. J’essaierai de les informer, de les intéresser, d’éveiller leur sympathie pour ceux qui ont souffert et pour ceux qui souffrent encore. Je chercherai à éviter de leur léguer mes cauchemars et ma mauvaise conscience, ce qui ne sera pas très facile. Ils vont apprendre des langues étrangères. Ma fille aînée apprend déjà l’anglais et le français. Ils vont voyager en étranger et faire la connaissance de gens de tous les pays. Je suis sûr qu’ils ne vont pas avoir beaucoup de préjugés. J’espère qu’ils ne vont pas avoir trop de complexes.
Si jamais, cher Monsieur Jankélévitch, vous passez par ici, sonnez à notre porte et entrez. Vous serez le bienvenu. Et soyez rassuré. Mes parents ne seront pas là. On ne vous parlera ni de Hegel ni de Nietzsche ni de Jaspers ni Heidegger ni de tous les autres maîtres-penseurs teutoniques. Je vous interrogerai sur Descartes et sur Sartre. J’aime la musique de Schubert et de Schumann. Mais je mettrais un disque de Chopin, ou si vous le préférez de Fauré et de Debussy. Je suis sûr que vous ne serez pas fâché si ma fille aînée joue du Schumann sur le piano et si les petits chantent des chansons allemandes. Soit dit en passant j’admire et je respecte Rubinstein ; j’aime Menuhin.
On vous fera grâce de notre choucroute et de notre bière. On vous préparera une quiche lorraine ou une soupe russe. On vous donnera du vin français. Si vous ne pouvez pas dormir sous nos édredons, on va vous donner une couverture aussi française que possible. Si, un matin, vous êtes réveillé par une voix allemande, ce ne sera que mon fils qui jouera avec son train électrique.
Peut-être, s’il fait beau, vous allez faire une petite promenade avec nos enfants. Et si la plus petite trébuche ou tombe, vous allez la relever. Et elle vous sourira avec ses jolis yeux bleus.
Et peut-être vous allez lui caresser ses jolis cheveux blonds.
Je vous prie de croire, cher Monsieur Jankélévitch, à l’assurance de mes sentiments respectueux.
W.R

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On a évoqué les réunions de famille qui peuvent déclencher un désir de pardon. Mais cela n’est pas forcément le cas, c’est aussi parfois, lieu de dispute, d’engueulades préludant de longues séparations, bouderies. En cela je pense au Film : « Le prénom » soirée où dans la famille ont se dit trop de vérités, où chacun sort ses petites rancoeurs accumulées, où chacun en prend plein pour son grade (suivant l’expression). Et à la fin du film, c’est la sœur « Babou » qui explose qui « vide son sac » dit son fait à chacun, et avant de se retirer elle, dit, « ce soir nous sommes dans le non pardon »
Mais l’arrivée d’un enfant qui ne s’appellera pas « Adolphe » va réconcilier toute la famille.

Le pardon n’est pas une gomme qui effacerait comme rien n’était jamais advenu, ai-je déjà entendu. Toutefois, celui fait la démarche pour le pardon, qui veut faire la paix, n’est-il pas celui qui vous donne cette gomme. Gomme dont vous allez pouvoir vous servir ; ou pas, car la cause du conflit, elle reste ineffaçable. (Luis)     

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La victime peut vouloir pardonner pour sortir de son statut de victime (Luis)

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Des sociétés dans l’antiquité, au Moyen-Âge on pratiquer le pardon collectif par le sacrifice du bouc émissaire, le sacrifice expiatoire.                                                                         
Au début du siècle passé existait encore dans le nord de l’Espagne une coutume qui voulait qu’une fois par an, on charge symboliquement une chèvre de tous les péchés et mauvaise actions des gens du village. En présence de l’évêque, on la montait en haut du clocher, et là, on la jetait dans le vide. Si la coutume avait duré jusque là, plus personne ne croyait à la rédemption par cet acte barbare que faisait perdurer l’Église locale.. Ainsi un proverbe naîtra alors : « Tirar la cabra o tirar el obispo da lo mismo » «  jeter la chèvre ou jeter l’évêque donnera la même chose »  (Luis)     

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Le tribunal de Nuremberg a été créé pour les actes impardonnables, les crimes contre l’humanité, imprescriptibles, comme Hiroshima, Nagasaki….. !!!

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Débat                   « Pouvons-nous tout pardonner ? »         6 décembre 2016

Introduction    D’un individu à l’autre, en regard de notre tempérament, nous sommes plus ou moins enclins au pardon, ou plus ou moins rigide, rancunier. Cela va du laxisme dangereux « Demasiado perdones hacen ladrones » (Trop de pardons font des larrons) dit le proverbe español, à trop de tolérance, à «  la bonne poire ». Et cela peut aller aussi, jusqu’à l’entêtement, l’obstination, la rancune tenace, ou la vengeance, jusqu’à « pour un œil les deux yeux, pour une dent toute la mâchoire » 
On pardonne plus à ceux qu’on aime, on leur pardonne plus parce qu’ils sont un peu nous, et comme nous nous  aimons bien ! « Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes… » dit la fable (La Fontaine) « On pardonne tout à ceux qu’on aime »  dit un proverbe, et c’est aussi ce qu’illustre Cabrel dans sa chanson : « Elle rentrera blessée dans les parfums d’un autre, tu t’entendras crier que le diable l’emporte. Elle voudra que tu pardonnes et tu pardonneras. C’est écrit… »  
Et l’on pardonne par grande faiblesse d’aimer, et jusqu’à la déraison : « Ma mère, arrête tes prières, ton Jacques retourne en enfer, Mathilde est revenue »
Le pardon est l’aboutissement d’une démarche initiée par l’homme, en tant qu’Être de conscience. Parce qu’il connaît instinctivement, par expérience, par éducation, la différence entre le bien et le mal, il aspire au bien, même ayant parfois fait le mal (Pascal « Pensées ») ; parce qu’il veut conserver l’estime se soi, et pour cela il lui faut des regards non réprobateurs.
Pour celui qui pardonne, comme pour celui qui espère le pardon, une même instance réclame cette paix, c’est sa conscience. La conscience qui dicte à l’homme de ne pas tenir un individu infiniment coupable d’un acte répréhensif, ne pas le condamner moralement sans possibilité  d’une rémission, acte qui de plus n’est peut-être répréhensif qu’au seul jugement de soi. Ne jamais pardonner, cela peut être ressenti comme un enfermement en soi.
L’individu a besoin du pardon, cela allège le poids de sa conscience, et l’on retrouve parfois chez des personnes qui avancent en âge,  tout à coup un besoin de religion, un besoin, même hors de vagues espoirs d’au-delà,  de croire qu’on pourra finir sa vie en étant libéré de tout ce que les hommes appellent, leurs mauvaises actions, ou encore pêchés ; mourir la conscience libre ayant pardonné et ayant obtenu pour soi le pardon des autres ; ou encore, certains veulent   « s’alléger en vue du jugement dernier » Malgré la marchandisation de tout, aujourd’hui on ne peut plus, comme il y a quelques siècles encore,  acheter des indulgences ; ou le pardon  divin en tant  que « créance titrisé » avant que le mot existe.
Le pardon participe à la reconstruction de soi, comme une guérison.
Mais le pardon est une démarche difficile, il faut se faire violence, faire taire les ressentiments ; le cœur voudrait bien pardonner, mais la tête résiste, le cœur voudrait que la blessure se cicatrise à tout jamais, et la tête, qui « fait la tête » dit « ce n’est pas moi qui ferai le premier pas ! ». Bien sûr, car offense il y a eu, et souvent offense ressentie par une personne comme par l’autre. Alors des deux  « offensés » qui doit faire le premier pas ? Le premier geste, envoyer le premier signal ?
« Peut-être » dit un vers de Racine dans la pièce Bajazet. (Acte III. Scène. 1) « Peut-être il suffira d’un mot un peu plus doux / Roxane dans son cœur peut-être pardonnera….. Peut-être qu’elle attend un espoir incertain, qui lui fasse tomber les armes de la main ».
Alors, comment pouvons-nous comme dans la prière (Pater noster) pieusement : « pardonner à ceux qui nous ont offensé », parfois « ravaler notre orgueil » ? N’aurons-nous pas le sentiment de s’abaisser dans notre dignité, de nous humilier, de « tendre l’autre joue »
Peut-être, (pour être un tant soit peu pragmatique), je dirais qu’il n’y a rien a perdre dans une démarche de pardon, de tentative de réconciliation. Si celui avec qui on veut faire la paix, refuse, s’il met des conditions, s’il demande des excuses, s’il demande allégeance, c’est qu’il n’est pas prêt pour le pardon. Et dans ce cas, celui qui s’en sort le mieux, c’est celui qui a fait la démarche, le conflit n’est pas réglé, mais ce dernier est en paix avec sa conscience, car c’est là que logent ces sales bêtes de la rancune.
Alors, en dehors de comment pardonner, on peut se dire aussi, quand faut-il pardonner ? Est-ce que, si je ne pardonne pas tout de suite, je ne pardonnerai jamais, et là la rancune, l’impardonnable, s’enracine au plus profond.
Et de là, est-ce que je ne vais pas transmettre ma rancœur au-delà de moi-même, dans ma famille, on pense à l’interminable vengeance des Atrides, on pense à la vendetta, où le pardon finit par être impossible parfois, puisque des « Colonna » aux « Orsini » plus personne ne connaît l’origine du conflit. * (Noms choisis au hasard
Et enfin,  pour ne pas exploiter toutes les pistes de réflexion sur le pardon, je laisse pour le débat le soin d’évoquer, par exemple, le pardon breton, le kippour juif (grand Pardon) , les processions où les pénitents vont pieds nus, la quête de  pardon collectif via la victime expiatoire (le bouc émissaire), le droit à l’oubli, la confession, (avec l’absolution, la rédemption, et tous les mots en « ion »), la résilience.., et puis, peut-on pardonner à celui qui n’a nulle repentance ? Comment un Tutsi peut-il pardonner à un Hutu. Pouvons-nous pardonner le crime d’enfant, de personnes âgées, de personnes sans défense, puis pardonner les propos racistes, puis-je pardonner le viol, etc.
Voyons ce que chacun en pense ! (Luis)

Débat ; Tour de table « Comment aller vers le pardon ? »
–  Une tierce personne intervient parfois
–  Cela se fait souvent lors d’un événement familial marquant : enterrement, mariage,..
– Un proche qui est resté neutre  va remettre les personnes fâchées en contact
–  Parfois ce sont les enfants, car ils ne sont forcément partie prenante, ceux eux qui réunir les parents fâchés
– Un simple SMS pou un anniversaire, un événement ; le geste vers l’autre tout en restant à distance, essayez si besoin, ça marche assez bien, et si il n’y pas de réponse, vous avez fait un premier pas, j’ai peut-être fait tomber un barrière d’orgueil ,.. et peut-être que « l’autre » n’attendait que ça, un petit signe.

Alors, oui ! comment raccrocher parfois quand tout semble irréconciliable ?
On ne peut pas totalement oublier, mais le temps, la force des sentiments cicatrise.
On n’oublie pas tout à fait, mais le temps, les sentiments qui lient les personnes, peuvent beaucoup plus qu’on ne croit ; Le cas le plus courant c’est « le coup de canif dans le contrat » ; et là, c’est la tempête, c’est orage, « ça passe, ou ça casse » ! Et puis, vingt ans, trente ans plus tard, le couple est toujours, et uni. L’amour, qui si souvent d’affranchi de la raison, a été le plus fort. (Luis)

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