Rêve

Le rêve. Puvis de Chavannes. 1883. Musée d’Orsay.
Le Grand Robert de la Langue Française : Suite de phénomènes psychiques se produisant pendant le sommeil (images, représentations ; activités automatique excluant généralement la volonté).
Construction imaginaire destinée à satisfaire un besoin, un désir, ou à refuser une réalité pénible.
Trésor de la langue française : Suite d’images, de représentations qui traversent l’esprit, avec la caractéristique d’une conscience illusoire telle que l’on est conscient de son rêve, sans être conscient que l’on rêve
– Activité pendant le sommeil..
Dictionnaire de la psychologie. La Pochothèque : …survenu pendant le sommeil ou lors d’états semblables au sommeil, de sensations ou de représentations cohérentes, présentant un caractère, le plus souvent bizarre et confus.
Dictionnaire Littré (en ligne) : Combinaison involontaire d’images ou d’idées, souvent confuses, parfois très nettes et très suivies, qui se présentent à l’esprit pendant le sommeil
Encyclopédie de la philosophie. Livre de poche. Production psychique qui s’opère pendant le sommeil et se caractérise par des émotions, des perceptions et des pensées relatives à des personnes, situations ou objets, généralement vécues par le rêveur comme réelles, et, plus rarement accompagné de la conscience de leur irréalité.
Dictionnaire philosophe d’André Comte-Sponville : C’est comme une hallucination, mais qu’on aurait au sens propre que pendant le sommeil.
Synonymes : Mirage. Songe. Utopie.
Contraires : Réalisme. Action.
Par analogie : Activité diurne. Cauchemar. Clef des songes. Châteaux en Espagne. Chimères. Chiromancie. Désir. Endormissement. Espoir. Fantasme. Fiction. Freud. Hypnos. Idéal. Inconscient. Irréel. Images. Imagination. Incubes. Interdit. Interprétation. Limbes. Mirage. Morphée. Objectif. Onirisme. Oniroïdes. Phénomènes. Prémonition. Nirvana. Refoulements. Représentations. Rêverie. Rêvasserie. Réveil. Sommeil profond. Souhait. Spéculation. Subconscient. Succubes. Une vie rêvée. Utopie. Veille.
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Débat : « La part du rêve » 20 novembre 2012 avec La Maison du conte de Chevilly-Larue
Introduction : Quelque chose est en moi, quelque chose qui pense, et moi je ne suis pas là, un autre moi divague, un autre moi est en moi, cet autre qui mène une autre vie, qui n’est pas toujours une vie rêvée, dans ma tête il échafaude des histoires pas possibles se servant de mon vécu, avec parfois des gens qui je connais, et parfois avec ceux qui me sont proches. Je suis là dans « ses » rêves et « ces » rêves, comme je suis là, dans ces cauchemars. « Le rêveur dans le rêve dit « je » même s’il ne sait pas qui est le « je » (Jean-Claude Ameysen)
Dans un film d’Yves Coppens, « L’odyssée de l’espèce » un homme rêve d’un ami qu’il vient de perdre dans la journée. Il le voit dans son rêve, et lorsqu’il s’éveille le voilà persuadé que la mort n’est pas une absence totale. Cette situation n’est pas incroyable, et de là nombre de croyances vont venir aux hommes. Le rêvepeut être un beau mensonge….
Dans le rêve, l’espace et le temps ne sont plus, « Le rêve est tout à la fois l’indicatif présent et, l’indicatif absent »
Je suis simultanément en deux endroits ; ici est mon corps, et mon esprit s’échappe, incontrôlable, et dans mon rêve, mon corps s’en va ailleurs. Le rêve est comme un dédoublement. Je suis dans un moment de vie intemporelle, instant dans lequel je suis acteur et spectateur. Qu’y a t-il de plus vrai que le rêve quand on est dedans ?
Un jour dit le conte : Tchouang-Tseu le fondateur du taoïsme qui vivait en Chine il y a quatre siècles avant notre ère, fit un rêve. Il rêva qu’il était un papillon qui voletait de ci de là dans un jardin. Au bout d’un moment, fatigué de voler, il se posa sur une fleur de jasmin et s’endormi. Il rêva qu’il était Tchouang-Tseu. Soudain Tchouang-Tseu, il était Tchouang-Tseu sans erreur possible mais il ne savait s’il était le Tchouang-Tseu qui rêve qu’il est un papillon, ou s’il était le papillon qui rêve qu’il est Tchouang-Tseu. Qui est le rêveur dans le rêve ?
Nous allons sûrement évoquer les sens qu’on a voulu donner au rêve, comme, par exemple, la prémonition ; le professeur Jacques Montangero, dans son œuvre Comprendre ses rêves pour mieux se connaître, nous dit que « c’est la plus vieille superstition qui persiste encore de nos jours. »
L’interprétation des rêves est aussi devenue le fonds de commerce de devins, de gourous et de toutes sortes de sciences occultes.
A ce sujet, des chercheurs et philosophes nous mettent en garde contre toute sorte d’interprétation des rêves, car, pour eux, dans le rêve, pour paraphraser le poète Rimbaud, « Je est un autre ». (Luis)
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« Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pas pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou ce corne qui nous séparent du monde invisible .Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort : un engourdissement nébuleux saisi notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où e moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de l’existence. C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les graves figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparences bizarres-me monde des Esprits s’ouvre pour nous » (Gérard de Nerval. Aurélia)
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« Si l’on pouvais reprendre le soir le rêve du matin, on aurait du mal à faire la différence entre la vie vécue et la vie rêvée » (Attribué à Descartes)
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« Yo estaba consciente de que no pisaba la blancura de un suéño, sino tal de un recuerdo que aun ne habia llegado a mi, el que observana desde muy vastas lejanías »
« J’étais consciente que je ne déplaçai pas dans la blancheur d’un rêve, sinon d’un souvenir qui alors n’était pas arrivé jusqu’à moi, et qui m’observait depuis de vastes lointains » (Ana María Matute. La torre vigia. 1971)
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« Que nunca duerma yo si estoy despierto, y que si duermo, que jamás despierte »
« Que jamais je ne dorme, si je suis éveillé, et que si je dors, jamais ne me réveille » (Francisco Quevedo)
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« Les plus dangereux sont ceux qui ne rêvent pas, ils ont l’âme glacée (Boualem Salam. 2084. Gallimard 2015)
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Qu’est-ce que la vie ? Un délire ?
Qu’est-ce que la vie ? Une illusion ?
Une ombre, une fiction ?
Et le grand bien est tout petit,
Car toute la vie n’est qu’un songe.
Et les songes, ne sont que des songes !
Calderón de la Barca. La vie est un songe.
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« Monsieur a l’air rêveur dit le veilleur de nuit.
Ce n’est pas mon genre dit Pierrot,
Mais ça m’arrive parfois de ne penser à rien,
C’est déjà mieux que de ne pas penser du tout
Dit le veilleur de nuit.
Raymond Queneau.
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« La réalité c’est la raison de tous, le rêve, c’est la raison d’un seul » ( ?)
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Le mot rêve est aussi utilisé pour désigner un désir très fort, quelque chose qui semble presque irréalisable, ce qui fait qu’on le compare à un rêve. On parle alors de vouloir réaliser ses rêves. Aucun rêve dit-on n’est impossible. Si ça n’arrive pas, c’est qu’on n’a pas rêvé assez fort.
« Il faut vivre la vie qu’on a imaginé » (Thoreau) (La vie qu’on a rêvé) « Il faut aller voir dans la direction de ses rêves…, prends tes désirs pour la réalité, fais de telle sorte que tes rêves puissent être déterminants, ne renonce pas à tes rêves…, si vous avez bâti des châteaux en l’air, votre travail ne sera pas forcement perdu, c’est bien là qu’ils doivent être, maintenant il n’y a plus qu’à placer les fondations dessous…. ». Thoreau nous doit là que nos choix de vie doivent comporter une part d’idéal, d’utopie même, que le rêve nous montrerait des objectifs audacieux dont la volonté de les réaliser nous grandirait. C’est nous dit-il dépasser le réel, partir du rêve pour créer son projet de vie. (Luis)
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Selon une théorie que reprend Freud le rêve est la réalisation de désir. Cela peut survenir sur certains rêves, mais en aucun cas je ne voudrais réaliser certains rêves. Lorsque je rêve, il n’y a personne aux manettes, ni subconscient, ni inconscient, celui qui rêve c’est moi, celui qui rêve c’est un autre. Je suis trop rationaliste pour accorder crédit à l’interprétation de projection, d’images crées, dont je ne suis pas l’auteur. S’adonner à l’interprétation des rêves est peut-être aussi la façon de s’évader de la réalité, d’échapper à la réalité pas toujours facile à affronter. (Luis)
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« Si un hombre atravesara el Paraíso en un sueño, y le dieran una flor como prueba de que había estado alli, y si al despertarse la flor esta en su mano… ? Entonces qué ? »
Si un homme traversait le paradis dans un rêve, et qu’on lui donne une fleur comme preuve de qu’il était allé là-bas, et si au réveil la fleur est dans sa main…Alors, que dire ? » (Samuel T. Coleridge. 1772)
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« Alors que nous plongeons dans un sommeil où il nous semble que nous nous absentons à nous-mêmes, « il semble au corps qui s’endort avant le sommeil qu’il décroche» dit Pascal Quignart dans « La barque silencieuse », « le corps humain est comme une barque qui se désamarre, qui quitte la terre, dérive. Cette longue dérive durant la quelle nous recomposons, et réorganisons, recréant sans le sentir, sans le savoir, les significations des expériences que nous avons vécues à l’état de veille. Dans l’obscurité de la nuit, quand la conscience semble nous quitter et ne se réveiller brièvement et de manière de plus en plus fréquente à mesure que notre sommeil se prolonge, elle ne se réveille que sous la forme des hallucinations intenses de nos rêves »
Dans la mythologie grecque, le chaos engendre le jour, et engendre Nyx, la nuit, laquelle donnera naissance à de nombreux enfants, dont Hypnos le dieu du sommeil et Thanatos le dieu de la mort, le sommeil dont on ne revient pas. Hypnos et Thanatos sont des frères jumeaux que presque rien ne distingue. Mais ce presque rien, est le réveil. Ils sont les dieux du départ de la conscience, de ces états où nous ne savons pas ce qui nous arrive. Mais Thanatos est le dieu du départ pour un long voyage sans retour, alors que son frère Hypnos est le dieu qui nous emporte, et nous ramène transformés, mais prêts à reprendre le voyage à travers la lumière des jours en pleine lucidité, plus riches de ces transformations obscures qui se produisent en nous, durant le sommeil.
Nyx, la nuit, a aussi donné naissance aux oniroïdes, d’où provient le mot onirique. Les oniroïdes, les rêves, les songes, qui viennent nous visiter pendant notre sommeil et nous paraissent si étranges au réveil. « Toutes les nuits » dit Quignart, « trois ou quatre fois par nuit , à un rythme aussi régulier qu’une marée montante, ils nous adressent des messages que nous ne comprenons pas »
Parmi les enfants de la nuit, Nyx, il y a aussi Morphée, c’est lui qui rend possible la venue d’Hypnos, Morphée qui désamarre la barque, nous fait quitter la terre et dériver. …. (Jean-Claude Ameisen. Sur les épaules de Darwin. France Inter 09 12 2011)
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« Je ferais de ce monde un rêve, une éternité », (S’il suffisait qu’on s’aime) (Céline Dion)
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« I had a dream » (Martin Luther King)
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« Les rêves de l’homme sont de deux cas. Les uns pleins de la vie quotidienne [….] se combinent d’une façon plus ou moins bizarre avec les objets entrevus dans la journée qui se sont indiscrètement fixés sur la vaste toile de sa mémoire. Voilà le rêve naturel ; il st l’homme lui-même. Mais l’autre espèce de rêve, le rêve absurde, imprévu, sans rapport ni connexion avec le caractère, la vie et les passions du dormeur ; ce rêve que j’appellerais hiéroglyphique, représente évidemment le côté surnaturel de la vie, et c’est justement parce qu’il est absurde que les anciens l’ont cru divin » (Baudelaire. Les Paradis artificiels)
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(Extrait du débat » La part du rêve », avec la Maison du conte de Chevilly-Larue. 20/11/2012)
Je partirai de la phrase : « Qui parle dans le rêve ? ». Je me suis rappelé ce que Freud m’avait enseigné dans ces trois ouvrages : L’interprétation des rêves, Essais de psychanalyse appliquée et Cinq leçons sur la psychanalyse. Dans la troisième leçon, justement, on retrouve l’analyse que Freud nous propose du rêve. Quelle est la part du rêve dans la vie singulière d’un individu ? Je vais essayer de résumer ce que Freud nous expose. Le rêve, dit-il, me protège, nous protège, le rêve veille sur nous. D’abord, parce que « le rêve, c’est le gardien du sommeil » ; en ce sens, le rêve veille sur mon bien-être, sur ma santé physique. D’autre part, selon la définition exacte qu’il donne du rêve : « Le rêve est la réalisation déguisée de désirs refoulés », désirs refoulés par la conscience, donc désirs inconscients, réalisations déguisées. Il s’agit du rêve d’adulte et non du rêve d’enfant. Le rêve d’enfant, c’est tout simplement la réalisation en images. Il analyse les mécanismes par lesquels justement ces désirs inconscients, refoulés, se réalisent en images.
Je prends l’exemple que Freud nous propose, le rêve d’une patiente qu’il a analysé avec celle-ci, selon la fameuse méthode des associations d’idées : « Le rêve de la dame au chapeau noir ». Dans son rêve, cette dame se promène à Vienne dans la 5ème avenue (équivalent de l’avenue de l’Opéra, à Paris), avenue où se manifestent les richesses, avec des magasins très chers et très chics ; la dame fait du lèche-vitrine ; soudain, elle s’arrête devant un magasin de chapeaux ; elle entre, hésite, puis achète un chapeau noir. Son rêve s’arrête là. Freud propose alors à cette patiente, qui lui raconte ce rêve, d’essayer de lui donner les idées associées à chaque élément du rêve. La dame répond : « Eh bien ! La 5ème avenue, c’est un endroit où j’aime bien me promener, parce qu’il y a des magasins, tant de richesses, et puis j’aimerais pouvoir rentrer dans un magasin et m’acheter tout ce qu’il y a dans le magasin ». Freud lui demande alors quelle idée elle associe au chapeau. La dame répond : « C’est la richesse, c’est le luxe. » Effectivement, à l’époque, les dames se promenaient avec des chapeaux très décorés (du moins, celles qui avaient de l’argent). Quant au chapeau noir, « c’est un chapeau de deuil ! », tout simplement. Donc, au fur et à mesure de l’analyse et des associations d’idées que la patiente énonce, il apparaît que finalement ce rêve réalise deux désirs : le désir de luxe et de richesse, désir que cette dame refoulait ; et puis, second désir, le désir de mort, de la mort de son mari, tout simplement, mais évidemment désir qu’elle refoulait, dont elle avait honte, mais qu’elle s’avouait dans son rêve.
Freud met en évidence, à la suite de nombreuses analyses de rêves, qu’il y a dans le passage des désirs refoulés au rêve, au contenu manifeste du rêve, dans le passage des idées latentes, deux mécanismes : le mécanisme du déplacement, le désir le plus important est déplacé, relativisé ; c’est simplement la couleur d’un chapeau ; et puis, il y a en compensation le désir le moins important, relativement à l’autre, c’est le désir de richesse. Il y a deux lois dans la fabrication du rêve : la loi du déplacement et la loi de la compensation. Dans la foulée, Freud met en évidence le fait que, quand il y a cauchemar, c’est que tout simplement le déguisement n’est pas suffisant ; donc, la conscience se panique à voir directement et sans déguisement les désirs qu’elle refoule ; il y a alors réveil brutal.
Ainsi, le rêve, d’après Freud, veille sur moi, me protège en réalisant des désirs, protège mon sommeil, ma vie physique, psychique, me permettant de continuer à vivre, tout simplement.
Cette analyse de Freud me semble extrêmement pertinente ; jusqu’à présent, je crois qu’il n’y a pas d’analyse aussi pertinente, c’est-à-dire, aussi vérifiable. Il y a un philosophe qui analyse également le rêve, c’est Gaston Bachelard, épistémologue. Il a écrit toute une série d’ouvrages sur la rêverie, qu’il distingue du rêve. (Edith Deléage Perstunski. Professeure de philosophe)
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Chanson « J’ai encore rêvé d’elle »
« J’ai encore rêvé d’elle,
C’est bête elle n’a rien fait pour ça
….
je l’ai rêvée si fort
que les draps s’en souviennent…
…
Si je pouvais me réveiller à ses côtés
Si je savais où la trouver
Donnez moi l’espoir
Prêtez-moi, un soir
Une nuit juste pour elle et moi
Et demain matin, elle s’en va »
Interprétée par le duo « Il était une fois »
Parole de Richard Dewitte.
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« Qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller, n’est pas un autre sommeil, un peu différent du premier » (Pascal. Pensées. 131.434.)
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« Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours. Et si un artisan était sûr de rêver douze heures durant qu’il est roi, je crois qu’il serait presque aussi heureux qu’un roi qui rêverait toutes les nuits douze heures durant, qu’il est un artisan ». (Pascal. Pensées. 802.122)
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« Le rêve est la réalisation des désirs » (Freud)
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(Extrait du débat» La part du rêve », avec la Maison du conte de Chevilly-Larue. 20/11/2012)
A ce jour, le rêve est encore très au-delà des frontières de la science. Si, il y a un siècle, Freud avançait sa théorie du « pourquoi » du rêve, du sens du rêve, aujourd’hui, ceux qui travaillent sur le rêve cherchent le début de l’explication du « comment » on rêve, ceci malgré un certain nombre de démonstrations expérimentales
Il y a un siècle, Freud avait connaissance des études sur les neurones et les synapses du savant espagnol Ramón y Cajal, ainsi que de la théorie de l’allemand Robert qui présente le rêve comme un processus somatique qui est, dit-il, « l’élimination des pensées étouffées dans l’œuf ». Le rêve pour lui « joue le rôle de soupape de sécurité ». Freud, qui connaît sa théorie, l’adopte et en fera ce que nous connaissons. Il le cite dans son œuvre.
Quant à l’interprétation des rêves, il y a controverse. De nombreuses personnes (dont je suis) ne trouvent pas scientifiques ou pertinentes les théories freudiennes. Le philosophe Bergson qui a écrit sur le rêve, a une approche très différente de Freud : « Dans le rêve, » nous dit Bergson, « nous devenons indifférent à la logique […]. Le rêve est un monde incohérent, illogique.» Nous sommes dans un monde sans relation de cause à effet ; pour lui, « le tort du rêveur est plutôt de raisonner trop. Il éviterait l’absurde s’il assistait en simple spectateur au défilé de ses visions. Mais, quand il veut à toute force en donner une explication, alors sa logique destinée à relier entre-elles des images incohérentes ne peut que parodier celle de la raison, et frôler l’absurdité ».*. Pour Freud, tous nos rêves découlent de refoulements, d’interdits. Mais, c’est là une approche très anthropomorphique ; on oublie que tous les mammifères rêvent. Par exemple, on sait depuis une vingtaine d’années que le rat a des érections nocturnes dues à des rêves, comme chez l’homme. Comment lui appliquer la même théorie, comment expliquer ses complexes œdipiens ou autres, et l’action de son subconscient ? [* Citer n’est pas systématiquement souscrire en tous points.]
L’inconscient est aujourd’hui l’objet d’étude des neurosciences et de la biologie. Cela ne manquerait pas d’intéresser Freud, lui qui concluait, dans son ouvrage « Au delà du principe du plaisir » (1920) par ces lignes : « Le caractère incertain de nos spéculations a été grandement accru par la nécessité que nous avons de faire face à des emprunts à la science biologique. La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées. […] Nous devons nous attendre à recevoir d’elle les lumières les plus surprenantes et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnera dans quelques décennies aux questions que nous lui posons.Il s’agira peut-être de réponses telles qu’elles feront s’écrouler tout l’édifice artificiel de nos hypothèses. ». On peut noter et apprécier la lucidité de Freud, qui n’était pas un intégriste de la psychanalyse. Un autre que lui, dirait cela aujourd’hui, il serait l’objet des pires attaques de gens plus freudiens que Freud lui-même. (Luis)
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« Les hommes sont malheureux que dans la mesure où ils n’assument pas leursrêves » (Jacques Brel)
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Parabola
Era un niño que soñaba
un caballo de cartón.
Abrió los ojos el niño
y el caballito no vio.~
Il y avait un enfant qui rêvait
D’un cheval de carton
L’enfant ouvrit les yeux
Et ne vit point le cheval
Con un caballito blanco
el niño volvió a soñar;
y por la crin lo cogía…
¡Ahora no te escaparás!
Avec un petit cheval blanc
L’enfant revint dans son rêve
Et par la crinière, il le prit
Maintenant, tu ne t’échapperas pas !
Apenas lo hubo cogido,
el niño se despertó.
Tenía el puño cerrado.
¡El caballito voló!
A peine l’avait-il attrapé
L’enfant se reveille
Il avait le poing fermé
Le cheval s’était envolé!
Quedóse el niño muy serio
pensando que no es verdad
un caballito soñado.
Y ya no volvió a soñar.
L’enfant resta très sérieux
Pensant que ce n’est pas vrai
Un cheval rêvé
Et il revint pas à son rêve.
Pero el niño se hizo mozo
y el mozo tuvo un amor,
y a su amada le decía:
¿Tú eres de verdad o no?
Mais l’enfant devint jeune homme
Et le jeune homme eut un amour
Et à son aimée, il disait
Tu es pour de vrai, ou pas ?
Cuando el mozo se hizo viejo
pensaba: Todo es soñar,
el caballito soñado
y el caballo de verdad.
Quand le jeune homme se fit vieux
Il pensait : tout est rêve,
Le petit cheval rêvé,
Et le cheval pour de vrai ;
Y cuando vino la muerte,
el viejo a su corazón
preguntaba: ¿Tú eres sueño?
¡Quién sabe se despertó!
Et lorsque vint la mort
Le vieux à son cœur
Demandai : n’es-tu pas qu’un rêve ?
Qui sait s’il se réveilla,
Antonio Machado.
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« Le véhicule dévale, avale les arrêts, avale arrêt après arrêt des humains songeurs et taiseux occupés à décoder des rêves qui dépassent leur entendement. En dormant auraient –ils vécus plus forts qu’éveillés ? » (Eric Faye. Nagasaki. J’ai lu. 2010)
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Farci d’alexandrin,
d’après le poème de Jules Supervielle extrait du recueil La Fable du Monde :
« J’aurai rêvé ma vie à l’instar des rivières
Vivant en même temps la source et l’océan »
Quelle est la part du rêve ?
J’aurai rêvé ma vie
Comme un fil de survie
Lorsque les jours sont fiers
Ils passent et je les suis
En berçant mes envies
La vie est routinière
Et les rêves auxiliaires
Mais
Si lourds soient nos soucis
Qu’ils soient changés en pierres
Un songe les ravit
A l’instar des rivières
J’aurai rêvé ma vie, à l’instar des rivières
Vivant au même instant,
La mort à bout portant
Sis entre deux néants
Eternel débutant
Dans ce lieu déroutant
Le rêve est mécréant
Mentir est bienséant
Mais
Mon rêve est un titan
Et le cas échéant
Il tiendra en même temps
La source et l’océan
Vivant au même instant, la source et l’océan
Florence Desvergnes
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(Extrait du débat» La part du rêve », avec la Maison du conte de Chevilly-Larue. 20/11/2012)
A part prendre des substances, c’est à chacun son rêve, toujours différent et singulier ; il n’y a pas de rêves inconscients collectifs, pas de rêve-party. Par contre, si l’usage de stupéfiants peut amener aux rêves, le sevrage, lui, amène les plus horribles cauchemars (comme cela peut se produire après de lourdes opérations).
Par ailleurs, je pense que le rêve peut durer une fraction de seconde ; le temps et le temps du rêve sont différents.
Nous avons évoqué le lien entre rêveur, penseur, utopiste, celui qui transcende l’imagination vers des possibles, ce qu’on dit dangereux. Dans les dictatures, les régimes totalitaires, les imaginations sont parfois suspectes ; ainsi le KGB enfermait ses plus dangereux opposants dans des hôpitaux psychiatriques, leur faisait administrer des psychotropes qui avaient pour effet de supprimer le rêve pendant le sommeil. En peu de temps, ils devenaient dociles, manipulables à souhait.
La science étudie le rêve. Des chercheurs japonais travaillent actuellement sur un enregistreur décodeur qui va enregistrer nos rêves, à partir d’électrodes. Le but étant de pouvoir projeter ensuite nos rêves sur écran. Après avoir vu nos rêves, après que d’autres aient pu voir leurs rêves, allons-nous encore oser rêver ? Est-ce que nous n’aurons pas franchi une des barrières les plus intimes de notre individu, de notre part d’humain, un viol de notre conscience ?
Si la vie m’enlève ma part du rêve, alors j’arrête tout. (Luis)
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« Quant au rêve, as-tu besoin que je l’explique ? C’est l’état où tu te retrouves naturellement dès que tu t’abandonnes, dès que tu n’as plus la force de te concentrer sur un point unique, dès que tu cesses de « vouloir ». Ce qui aurait bien plutôt besoin d’être expliqué, c’est ce mécanisme merveilleux par lequel à tout moment ta volonté obtient instantanément et presque inconsciemment la concentration de tout ce que tu portes en toi sur un seul point, le point qui t’intéresse. Mais expliquer, cela est la tache de la psychologie… » (Bergson. Le rêve)
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Rêve et réalité – Dialogue en ma dualité.
– La réalité : « Arrête de rêver ! » Reviens à la réalité ! Tu ne me sers à rien, tu es inutile.
– Le rêve : Plus utile que tu crois, car tu ne peux vivre sans moi, et ce que tu n’as pas, dis-toi que c’est parce que tu m’as négligé, parce que tu ne l’as pas assez rêvé.
– Tu n’es que l’illusion qui t’égare, tu n’es qu’une fugue temporelle de ton réel. Tu es comme un marcheur parti au hasard de rues qu’il ne connaît pas, tu es un passant qui divague, un passant sans identité, un passant qui erre dans un monde qui se crée devant lui, un monde qui ne résistera pas à la lumière, un monde qui ne me résistera pas, à moi, la réalité.
– Si je suis, c’est justement pour te fuir, c’est pour aller « à la découverte de mon inconscient ». (C’est Sigmund qui l’a dit !)
– C’est bien ce que je disais, tu es un inconscient !
– L’inconsciente, c’est toi, toi qui me renies, toi qui veux m’expliquer, me disséquer ; et là, c’est toi qui rêves, car je n’appartiens qu’à moi, je me crée et je m’évanouis, sans aucune règle qui te soit accessible.
Depuis toujours, tu veux m’interpréter. M’interpréter par la voix des mages, des sorcières, des chamanes et aujourd’hui des psychanalystes, tu me traques sans cesse, tu voudrais que je sois vraie, comme toi, « Mais ! Arrête de rêver ! ! » (Luis)
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Rêve
Rêve au lit
Révolution
Rêve ou lit, scions
Révolu, scions
C’est la chanson
Du drapeau rouge
C’est la chanson
Du cerisier
Quand les cerises
Deviendront grises
J’aurai du mal
Sous le talon
Quand les cerises
Deviendront rouges
J’aurai du poil
Sous le menton
Révolution
Rêvons encore
Je veux encore
Révolution
Même si alors
J’aurais c’est sûr
Plus un poil sur
Le caillou
Cailloux
Sur les genoux
Mon petit chou
Partons !
Et les cerises
Goutte à goutte
Du cerisier
Sont dégoûtées
Et il s’égoutte
Du cerisier
Les larmes de sang
Des sacrifiés
Florence Desvergnes
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