Rire

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Démocrite, par Antoine Coyper. 1692. Musée du Louvre.

Le Grand Robert de la Langue Française : Exprimer par des mouvements particuliers du visage(dépendant de certains muscles, dont le zygomatique), accompagné d’expirations saccadées plus ou moins bruyantes, une impression de gaieté,  provoquée par quelque chose de plaisant, de comique, ou de tel.

Trésor de la langue française : Manifester un état émotionnel, le plus souvent un sentiment de gaieté, par un élargissement de l’ouverture de la bouche accompagné d’expirations saccadées plus ou moins bruyantes et un léger plissement des yeux

Dictionnaire philosophe d’André Comte-Sponville : Mouvement involontaire et joyeux du visage et du thorax, face au comique ou au ridicule….

Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1765) Ris, ou, rire (en psychologie) émotion subie de l’ame qui paroît aussitôt sur le visage, quand on surpris agréablement par quelque chose qui cause un sentiment de joie. C’est le propre de l’homme entant qu’un être pensant, & par un effet de conformation des muscles de son visage.

Synonymes : Rigoler. S’esclaffer. Se bidonner. Se gondoler. Se marrer. Se poiler.

Contraires : Bouder. Faire la tête. Garder son sérieux. Pleurer.

Par analogie : Amuser. Badiner. Blague. Bouffon. Brocarder. Buccinateur.  Comédie. Comique. Divertissement. Drôle. Facétie. Farce. Fou rire.  Gaieté. Gaudriole. Hilarant. Ironiser. Marrant. Moquer. Persiflage. Plaisanter. Plaisanterie. Pince sans rire. Raillerie. Ricaner. Rictus. Ridicule. Rigolade. Risible. Sarcasme.  Sourire. Zygomatique.

Les façons de rire : Eclater de rire.  Faire risette. Mourir de rire. Pouffer de rire. Rire à gorge déployée. Rire aux anges. Rire aux éclats. Rire aux larmes. Rire au nez. Rire débonnaire. Rire comme un dératé. Rire de bon cœur. Rire gras. Rire jaune. Rire moqueur. Rire sarcastique. Rire sardonique.  Rire sous cape.  Se dérider. Se fendre la poire.  Se pâmer de rire. Se tenir les côtes. Se teordre de rire.

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« Ceux qui cherchent les causes métaphysique au rirene sont pas gais : ceux qui savent pourquoi cette espèce de joie qui excite les ris retire vers les oreilles le muscle zygomatique, l’un des treize muscle de la bouche, sont bien savants ». (Voltaire)

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« …le rire est la triste infirmité de la nature humaine, dont toute tête pensante s’efforcera de se libérer » (Thomas Hobbes)

Ce à quoi Nietzsche (Par-delà bien et mal) répond :

« Je serai s tenté de classer les philosophes d’après la qualité de leur rire »

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« On ne sauroit expliquer comment à l’occasion d’une idée, ce mouvement se produit aux levres & au reste du visage [….]  Le visage seul est le siège du ris modéré. Les angles des levres s’écartent par l’action du zygomatique, du buccinateur & du risorius de Santoni. Les joues forment par une espèce de duplicature une petite fosse entre la bouche & les côtés du visage ; à ce stade se joignent des expirations alternatives qui se suivent vite, & sont peu ou point sonores ; elles le sont beaucoup quand les ris est immodéré ; alors les muscles du bas ventre sont agités, l’action des muscles abdominaux oblige le diaphragme de remonter.
 Lorsque le ris commence à se former, on inspire, on n’expire point ; ensuite les expirations viennent : elles sont sonores, fréquentes, petites ; elles ne vuident point tout l’air du thorax ; par là l’air est pressé contre la glotte ; la glotte resserrée laisse sortir de vrais sons, & en montant & descendant, lle comprime les vaisseaux sanguins……[…] On pleure un peu à force de rire.  Rien de plus voisin du ris que son extrémité opposée, les pleurs, quoiqu’elles viennent pour causes contraires {…]. Le ris dégénère quelquefois en convulsions»  (Article: Ris, rire. Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. D. J.)

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« Mieux est de ris que de larmes écrire,
Pour ce que le rire est le propre de l’homme »
(Rabelais)

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 Le rire ne part pas toujours d’un bon sentiment, le singe rit, la hyène rit aussi.
C’est encore plus clair chez Desproges :
« S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est  vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout.
De la guerre, de la misère et de la mort. Au reste, est-ce qu’elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ? Est-ce qu’elle ne pratique pas l’humour noir, elle, l, a mort ? Regardons s’agiter ces malheureux dans les usines, regardons gigoter ces hommes puissants boursouflés de leur importance, qui vivent à cent à l’heure. Ils se battent, ils courent, ils caracolent derrière leur vie, et tout d’un coup ça s’arrête, sans plus de raison que ça n’avait commencé, et le militant de base,
le pompeux P.D.G., la princesse d’opérette, l’enfant qui jouait à la marelle dans les caniveaux de Beyrouth, toi aussi à qui je pense et qui a cru en Dieu jusqu’au bout de ton cancer, tous, tous nous sommes fauchés un jour par le croche-pied rigolard de la mort  imbécile, et les droits de l’homme s’effacent devant les droits de l’asticot »  (In Carnets 1978, Paris, Gallimard, 1981)

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«  On peut ainsi être certain qu’aura disparu toute possibilité de plaisanterie fondées le plus souvent sur la différence et la situation comique qu’elle peut générer.. Et ceux qui s’insurgent contre les blagues des blondes, après les blagues des Belges…..n’ont visiblement pas compris qu’il n’y a là qu’une réaction, bien entendu radicalisée, à toute tentative d’aseptisation de cette pratique millénaire du rire aux dépends de l’autre » (L’homme est l’avenir de la femme. Introduction. P, 17. Natacha Polony. Lattès. 2008)

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« Les gens qui ne rient pas ne sont pas sérieux » (Alphonse Allais)

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Extrait du débat : « Pourquoi rire ? » 25 janvier 2008.
On évoque souvent deux philosophes, l’un Démocrite symbolisant l’homme qui rit, et Héraclite l’homme triste. Démocrite (460/370) est originaire d’Abdère une ville la province grecque de Thrace. Ce présocratique est  réputé, entre autres comme le philosophe rieur, « Tout le faisait rire », « Un rire perpétuel secouait Démocrite » diront de lui des historiens « Toute rencontre avec les hommes » écrit le poète romain Juvénal « fournissait à Démocrite matière à rire ». Devant cette hilarité jugée excessive par beaucoup, les gens de son village firent appel au célèbre médecin Hippocrate. La Fontaine. Démocrite et les Abdéritais.L8 ;  Fable XXVI
Hippocrate va trouver Démocrite qui est  assis sous un arbre en train d’écrire un traité sur la folie, et Démocrite s’explique : « Je ris d’un unique objet : l’homme plein de déraison, (l’homme) vide d’œuvres droites, (l’homme) puéril en tous ses projets, en tous ses propos, souffrant sans nul bénéfice… »…et l’on retiendra de lui cette phrase qui pourrait résumer toute son comportement : « La conscience a été donnée à l’homme pour transformer la tragédie de la vie en une comédie ».
On oppose souvent à Démocrite à Héraclite (550/480). De ce dernier on dirait qu’il était Misanthrope, Cassandre, alarmiste, et qu’il arborait toujours un visage attristé. Tristesse qui lui venait disait-il  du spectacle de ce monde, de la condition des hommes.
Alors face à cette absurdité, à la vanité de monde, faut-il rire avec Démocrite ou pleurer avec Héraclite ? . L’un et l’autre sont devenus des symboles, et chacun de ces deux personnages coexiste en nous. Peut-être nous fait-il simplement comme nous l’a dit  Spinoza : « Ne pas rire ne pas pleurer, ne pas  détester,  mais comprendre » !(Traité politique. 1.4) (et puis avant de rendre la parole, un hommage, un clin d’œil à un prince du rire et Prince des mots, Raymond Devos : « Le rire est une chose  sérieuse avec laquelle il ne faut pas plaisanter ». (Luis)

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« Notre propre et péculière (1) condition est autant ridicule que risible ». 1. (Particulière) (Montaigne  Essais 1. § L )

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Séduire passe aussi par le rire, tel l’homme qui veut conquérir une femme et qui sait que la faire rire est un bout du chemin vers son cœur, mais c’est aussi la visée du  beau parleur, du rhétoricien qui sait que s’il veut gagner une joute verbale, il lui faut mettre les rieurs de son côté. (Luis)

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Longtemps au-delà de Démocrite les philosophes auront pour le rire un certain mépris. Pour Descartes « Le ris un des principaux signes de la joye, elle ne peut le causer que lorsqu’elle est seulement médiocre…, et qu’il y a quelque haine mêlée avec elle ». Pour Hobbes, avec le rire : »Il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous.., on vous méprise ». Cette notion de mépris du rire se retrouve longtemps dans l’art traditionnel, seul le sourire est valorisé, le sourire de la vierge est amour, le rire lui appartient toujours au diable. (Luis)  

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Extrait du débat : « Pourquoi rire ? » 25 janvier 2008.
Alors, pourquoi rire ?
1°) Peut-être parce que la vie est absurde, et que devant une telle absurdité, la plus sage des solutions est encore d’en rire. Mieux vaut rire avec Démocrite que pleurer avec Héraclite.
2°) Un groupe d’homo sapiens se déplace dans la nature. L’un d’eux trébuche sur une pierre et manque de tomber, les autres se précipitent, lui viennent en aide.
Un autre jour, la même personne trébuche et tombe sans se faire mal, il en rit, un autre en rit, le reste du groupe les regardent interloqués !
Un jour suivant sur le même chemin il fait semblant d’avoir trébucher, les autres voient qu’ils n’y pas de pierre. Alors, tous se mettent à rire, l’humour est né.                                        
3°) Les religions du Livre laissent peu de place au rire, pourquoi.  Chez les catholiques seul le diable rit, à votre avis que saurait-il que nous ne sachions pas ?
Pour rire, il faut pour le moins être deux, et c’est encore mieux si l’on est un groupe, car ce qui fait le plus rire c’est les autres, et là nous sommes tous proches de Démocrite.
L’humoriste sème et dit plus souvent la liberté que le philosophe. L’humour n’a pas de limites, il a des barrières que certains humoristes savent passer sans jamais les renverser.           
4°) Le rire n’est pas que libérateur, il peut être méchant, ou avoir d’autres buts…Par exemple Léopold  Sédar  Senghor dénonçait une forme d’humiliation de la négritude lorsqu’il disait : « Je déchirerai tous les rires Banania sur les murs de France »
5°) Il nous faut des exutoires. Lorsque la politique ne correspond pas à ce que nous aurions souhaité, il nous reste les humoristes, les guignols pour qu’on puisse en rire, alors nous pouvons adhérer au seul parti  qui vaille, parti crée par Pierre Dax et Francis Blanche : « Le parti d’en rire » !
6°) Nous avons tous eu dans nos vies des jours de rires, des jours de larmes. Nous avons pu parfois penser qu’il ne restait que les pleurs, le chagrin, et inopinément le rire un jour revient, le rire qui nous raccroche à la vie, aux autres. Alors pensons aux gitans qui chantent leur peine, ne repoussons pas le rire, il aide à guérir, il éloigne les larmes. « Cantando la pena, se olvida la pena » (Manuel Machado. Cantares)  (En chantant la peine, on oublie la peine) (Luis)

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« Qui prête à rire n’est jamais sûr d’être remboursé »   (Raymond Devos)

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« Du moment qu’on rit des choses elles ne sont plus dangereuses » (Raymond Devos)

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« Je me presse de rirede tout, de peur d’être obligé d’en pleurer ».  (Beaumarchais)

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« Personne ne rit des mêmes choses au même moment  ni de la même façon. Le rire est la marque de notre singularité, de notre corps et de notre temps intérieur. S’il peut s’exprimer de façon fulgurante notre refus d’adhérer aux valeurs communes, rien n’est plus efficace pour fédérer les individus et cimenter le groupe social. Entre privates jokes d’initiés, humour anglais, blagues juives ou brèves de comptoir. Il traduit ce qu’il ya de plus intime dans notre appartenance culturelle, nos micro territoires. Il nous libère de nos attaches autant qu’il nous révèle nos allégeances et nos appartenances » (Article : Qu’est-ce qui nous fit rire ? Philippe Garnier. Philosophie magazine n° 69)

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Le rire libère : « Le rire est à l’homme ce que la bière est à la pression ».  (Alphonse Allais)

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« Faire rire, c’est faire oublier. Quel bienfaiteur sur la terre qu’un distributeur d’oubli »  (Victor hugo. L’homme qui rit)

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D’où vent le rire ?
« A cette question, la plupart des penseurs modernes répondent en évoquant un hiatus, un décalage, une inadéquation  que le rire permettait de surmonter ou de réduire. Selon Schopenhauer nous rions quand la réalité ne correspond pas à la définition qu’on en donne. Selon Bergson, lorsque la mécanique se plaque sur le vivant […..] Le rire surmonterait une instabilité, il répondrait pour la conjurer, à a menace  d’une interruption dans le cours naturel des choses. Nombre de comiques du cinéma,  et d’humoristes de scène, construisent en effet leurs gags sur l’instabilité physique – les efforts de Chaplin ou de Keaton pour tenir debout  – ou verbale – les bafouillages interminables de Jerry Lewis, ou de Darry Cowl. Cette attente de quelque chose qui ne vient pas  et qui devient comique ressemble à l’attente d’une catastrophe. Mais c’est justement l’une des fonctions du rire,  que ne nous faire assimiler ce désordre soudain et de changer notre inquiétude en plaisir. Ecoutez le son d’un rire, même discret, sa gamme de tons : il se déplace entre le ventre et la tête, il oscille entre le râle et la syllabe inarticulée. Déchirure soudaine, l’hilarité cicatrise aussitôt. Le visage est traversé par une onde sismique mais se mobilise pour la maîtriser. Le rire est pharmakon, à la fois poison et remède» (Article : Qu’est-ce qui nous fit rire ? Philippe Garnier. Philosophie magazine n° 69)

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« Le rire est une chose humaine, une vertu qui n’appartient qu’aux hommes, et que Dieu peut-être leur a donner pour les consoler d’être intelligents » (Marcel Pagnol)

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Rembrandt, avec humour,  peint un autoportrait. Il se peint en Démocrite qui peint Héraclite.

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