Montaigne (Michel Eyquem de)

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Michel Eqyem de Montaigne. 1533.1592.

Philosophe, homme politique, penseur, écrivain, Michel Eyquem seigneur de Montaigne, nait le 28 février 1533 au château de Montaigne à Saint-Michel de Montaigne en Dordogne, dans le Périgord. Du fait de la mort en bas-âge de deux premiers-nés, il est l’ainé de huit enfants de Pierre Eyquem de Montaigne  et Antoinette de Louppes.
Son arrière-grand père, Raymon, Eyquem, négociant bordelais, avait acheté cette maison du XIVème siècle seigneurie de Montaigne, arrière-fief de la baronnie de Montravel, portant aussi le titre de seigneur de Montaigne, qu’il transmit à ses héritiers.
Son grand-père, Grimon Eyquem, reste marchand et continue a à faire prospérer  la maison de commerce de Bordeaux.
Son père, héritier d’une famille enrichie par le négoce, est le premier a abandonner sa profession pour vivre en gentilhomme, qui, au fil de temps, a réussi à se faire anoblir. Il enrichit le domaine avec l’aide active de son épouse. C’est un humaniste ouvert aux idées nouvelles qui fait apprendre à son fils le latin et le grec: « L’enfant…, ne rencontre que des gens qui lui parlent dans la langue de Cicéron, même parmi les domestiques.  Il devient ainsi un des rares êtres humains des temps modernes dont la langue est celle de Virgile et de Lucrèce… C’est d’ailleurs en latin que Montaigne rêve… » (Introduction à Montaigne. Roger-Pol Droit. Le Monde de la philosophie. Flammarion)
Le jeune Michel de Montaigne passe son enfance auprès des paysans ; il restera toute sa vie proche et respectueux des gens humbles.
Si les relations de jeune Michel sont d’une grande tendresse, ses relations avec sa mère semblent avoir été plus cahotiques. Son père a pris soinde définir les moindres détails de la cohabitation entre mère et fils après son décès.  
Montaigne est de plus le frère de Jeanne Eyquem de Montaigne, mariée à Richard de Lestonnac.
Montaigne a été élevé dans la religion catholique et en respectera toute sa vie rigoureusement toutes les pratiques jusqu’à sa mort. Ses contemporains n’on t pas douté de la sincérité de son comportement.

Les études de Montaigne.
En 1540,à 7 ans, après avoir reçu les enseignements d’un précepteur allemand, Horstanus, qui ne lui parle qu’en latin, Montaigne entre au Collège de Guyenne à Bordeaux, réputé pour son enseignement. Cette expérience se révèle traumatisante, car, habitué à être éduqué sans la moindre contrainte, il a du mal à s’habituer à la discipline drastique et quelquefois cruelle qui lui est imposée. Mais il se révèlee un élève brillant par ses discussions, ainsi que par son adaptation à l’enseignement humaniste et son goût pour le théâtre.
En 1546, à 13ans, il apprend le droit à Toulouse et en 1554, à 21 ans, il devient conseiller à la Cour des Aides de Périgueux, il succède à son père devenu entre-temps Maire de Bordeaux, dans sa charge de magistrat à Périgueux puis au Parlement de Bordeaux. Sa fonction  l’amène à s’occuper également des questions  politiques et Montaigne fréquentera la Cour, tout en étant trop fier pour y devenir courtisan.

Rencontre avec La Boétie
En 1557, à 25 ans,  il fait une rencontre qui restera un des meilleurs souvenirs de son existence, celle d’Etienne de la Boétie, qui a 28 ans (et qui mourra, sans doute de la peste, à 32 ans). La Boétie siège au Parlement de Bordeaux. Il est plus mûr que Montaigne ; orphelin de bonne heure, marié, il est chargé par ses collègues de missions de confiance comme la pacification de la Guyenne en 1561. C’est un juriste érudit avec une solide culture humaniste, qui écrit des poésies latines et des traités politiques. Son ouvrage le plus connu est « Discours de la servitude volontaire ». L’amitié de Montaigne et La Boétie est devenue légendaire et reste un symbole. Montaigne est influencé par l’exigence morale de son ami et son « stoïcisme », notamment à sa mort. Dans l’édition posthume de ses Essais (exemplaire personnel de 1588)  il dira pourquoi il l’aimait : « parce que c’était lui » et, d’une autre encre,  « parce que c’était moi».

Mariage de Montaigne
Vers 1561, pour soulager la perte causée par la mort de son ami qu’il considérait comme son double, Montaigne se lance dans de multiples aventures amoureuses, compte tenu de l’importance pour lui du plaisir sensuel, avant de se marier en 1565 avec Françoise Léonore de la Chassaigne dont il aura six filles, mais dont une seule atteindra l’âge adulte, Léonor.

Héritage de Montaigne
En 1568, au décès de son père, il hérite d’une belle fortune, qui lui donne les moyens d’abandonner sa charge de magistrat.
Il se retire sur ses terres et se consacre à l’administration de son domaine et à l’étude et à la réflexion.
Il fait aménager dans une tour du château (que l’on peut visiter), sa « librairie », une bibliothèque contenant tous ses livres dont Sénèque et Plutarque.

Montaigne en politique
En 1571, il est fait chevalier de l’ordre de St Michel par Charles IX et il est nommé gentilhomme ordinaire de sa chambre en 1573, charge honorifique très prisée que renouvellera Henri de Navarre, chef du parti protestant, et futur Henri IV en 1577. Il reçoit à sa création en 1579 le collier de l’ordre du Saint Esprit par Henri III.
En cette période agitée par les guerres de religion qui ont commencé en 1562, il se trouve dans l’obligation sur ordre du roi de prendre part aux hostilités, plus en diplomate qu’en soldat. Il en ressort horrifié.
En 1574, Montaigne fait devant le Parlement de Bordeaux un discours remarqué. Il mène des négociations entre Henri de Guise et Henri de Navarre, le futur Henri IV.
Santé de Montaigne
Il est atteint d’une maladie de la vessie, la Gravelle, et vers 1580 il tente de se faire soigner (et de s’éloigner du spectacle désolant de la guerre civile),  dans différentes villes d’eaux de France, de Suisse, d’Allemagne et d’Italie. Il tire de cette expérience un « Journal de voyage », rapportant ses péripéties, ses réflexions sur les mœurs et les coutumes des différents pays, ainsi que le ressenti sur la douleur et sur sa maladie. Ce manuscrit personnel ne sera publié qu’à sa découverte en 1774.
« Bien peu de philosophe nous ont parlé de leur corps, Celui qui dans l’histoire de la philosophie nous parle le plus tout au long de son œuvre de son aspect physique est Michel de Montaigne. Il se décrit comme un individu de taille en dessous de la moyenne : « J’ai pieça (depuis longtemps) franchi la cinquantaine; ma tête chauve et grisonnante en témoigne hautement. Ma taille est forte et ramassée, un peu dessous de la moyenne. J’ai le visage non pas gras, mais plein, la complexion entre le sanguin et le mélancolique. Jusques à cette heure que je suis engagé dans les avenues de la vieillesse et souffre de la gravelle, j’ai joui une santé vigoureuse, oncques toutefois n’eus la verdeur et adresse de mon feu père…. » (Essais)
Il évoque également sa maladresse « à tout exercice du corps ». Très tôt sa libido va être défaillante.
Mais c’est surtout dans son dans son « Journal de voyage » que nous aurons droit aux détails les plus curieux dans ce domaine. Ayant pris les eaux à Plombières dans les Vosges, on est informé qu’il rejette quelques petites pierres et un peu de sable. Nous avons des nouvelles de sa vessie tout au long du voyage, et encore mieux son secrétaire qui écrit une grande partie de ce journal, nous dit qu’ayant pris les eaux en quelque ville d’Allemagne, il a le lendemain, vidé trois fois les vases par devant et par derrière.
L’œuvre de Montaigne est liée au corps et à la santé, à sa complexion physique, comme le sera l’œuvre d’un autre grand philosophe enfermé dans un corps malade : Friedrich Nietzsche 

Les Essais
En 1580, Montaigne publie une première édition des Essais, dont il a entrepris la rédaction en 1572. Les Essais sont d’abord le livre d’un grand lecteur. Et le fruit de la retraite intellectuelle de l’auteur dès 1570. Il y exprime sa pensée personnelle suivant la maxime « Fay ton faict et te cognoy ». Il pense que tout homme porte en lui-même « la forme entière de l’humaine condition ». Son œuvre est le fondement d’une nouvelle forme de pensée où le doute devient l’expression du devoir intellectuel.
Son scepticisme est un fait nouveau dans l’histoire de la Renaissance. Il s’interdira de juger en matière de morale, de politique et de religion.
En 1582,  il travaille sur une deuxième édition des Essais avec plus de six cents ajouts qu’il publie en 1588.

Voyages
En 1581, il est reçu par le Pape et honoré du titre de citoyen romain. Et il apprend aux bains de Lucques où il séjourne, qu’il est élu maire de Bordeaux contre sa volonté et reconduit deux ans plus tard malgré l’opposition des ultra-catholiques. Il  quitte soulagé cette fonction en 1585 quand se déclare une épidémie de peste à Bordeaux.
En 1586 il quitte son château pour fuir la peste. Il va errer pendant six mois au hasard des amis, et retrouver son domaine dévasté en mars 1587, et se mettre à reconstruire stimulé par ses propres épreuves.
Il va voyager beaucoup, comme diplomate et pour son plaisir. En, janvier 1588 il est dévalisé, puis enfermé par des radIcaux protestants en se rendant à Paris. Il devra son salut au Prince de Condé. En mai il est arrêté à Paris par les autorités de la Ligue après l’entrée triomphante d’Henri de Guise. Il devra son salut, cette fois, à la reine Catherine de Médicis.
En 1588 Montaigne part à Paris pour faire imprimer son livre.  A Paris, Montaigne fait la connaissance de Marie Le Jars de Gournay, et c’est après La Boétie, la seconde grande rencontre de sa vie. Il l’appellera sa « fille d’alliance » et la jeune fille lui vouera une fervente et fidèle admiration.

La fin de la vie de Montaigne
Montaigne passe les dernières années de sa vie dans son château à annoter et à enrichir les Essais.
En 1590, il assiste au mariage de sa fille Léonor avec François de la Tour.
De plus en plus malade, il ne quitte plus sa « librairie » et écoute les messes célébrées dans la petite chapelle du rez-de-chaussée par un trou dans le mur encore visible aujourd’hui.
Il décède dans son château le 13 Septembre 1592, parmi ses proches voisins, pendant l’Elévation de la messe. Il a cinquante-neuf ans.
Son ami Pierre de Brach écrira : « Après avoir heureusement vécu, il est heureusement mort ».
(Biographie, Danielle Pommier-Vautrin ; dont certains éléments  issus de visites Internet)

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Château et tour de Montaigne

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Montaigne, ou la Renaissance de la philosophie

On ne peut comprendre l’œuvre de Montaigne sans avoir connaissance des philosophes et courants de philosophie des Grecs et des Romains…
La philosophie de Montaigne ne constitue pas une école. On peut être cartésien, spinoziste, épicurien, stoïcien, mais on n’est pas « montaignain », et pourtant il nous délivre un message universel, frappé du bons sens, débarrassé des scories de la pensée médiévale, débarrassé de tout dogme, même si c’est parfois un langage qui peut nous paraître obscure en raison de l’écriture de l’époque.
Mais nous ne sommes pas dans des concepts aux dizaines d’interprétations comme on en verra ensuite en philosophie. Montaigne est la véritable rupture, la Renaissance de la pensée libérée, une ouverture de pensée, laquelle relayée par  des philosophes Libertins va éclore dans la philosophie des Lumières. Les philosophes des Lumières sont les héritiers de Montaigne.
Nous avons avec Montaigne, en regard de son époque une grande liberté de ton, lorsqu’il dit : « Chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition », il reprend à sa façon la phrase du sophiste Protagoras : «  L’homme est la mesure de toute chose ». Lorsqu’il nous dit qu’il se peint pour connaître l’homme, il est dans la démarche socratique du « Connais-toi, toi-même » expression déjà dans la bouche d’Héraclite un siècle plus tôt ;  phrase qu’il fit graver sur une  des poutres, sentence qu’il dit tirer des propos d’un sceptique Sextus Empiricus : « Le jugement allant et venant je ne sais pas ».
Puis on nous parle depuis sa première biographie de la célèbre sentence « Que sais-je » gravée sur une poutre, laquelle poutre n’a jamais existé. Cette sentence « Que sais-je ? » il l’a fait graver sur une médaille.

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Montaigne, un sceptique, un épicurien, ou un stoïcien ?
Les études et les débats que nous avons faits autour des stoïciens, des épicuriens, et des sceptiques, nous préparaient à l’étude de Montaigne. Même si ses références couvrent un champ plus large, il emprunte, et il est empreint  tour à tour de ces trois courants de pensée.
Il est stoïcien, en ce sens où très vite il veut se retirer d’un monde sur lequel il ne peut agir, « s’affranchir des choses sur lesquelles on ne peut agir » (disent les stoïciens) « l’indépendance du sage demeure possible si on édifie en soi une citadelle », (Marc Aurèle) « La plus grande chose au monde » reprendra  Montaigne «  est de savoir être à soi » et il va construire sa citadelle, ce sera sa bibliothèque, sa tour. Il reprend cette idée de la construction de soi lorsqu’il parle de son « patron » il parle de sa conscience, de son juge, ce que Freud va nommer le surmoi.
Il est épicurien par son désir de sobriété de la vie, épicurien lorsqu’il recommande de toujours jouir des plaisirs offerts par la vie, ce qu’il traduit dans le langage de son époque, « il faut vivre à propos », soit cueillir l’instant, ne pas différer de vivre, « C’est une absolue perfection…, » dit-il «  de savoir jouir totalement de son être », il estépicurien dans ses liens et la valeur qu’il met dans l’amitié.
« Ceux qui accusent les hommes d’aller toujours béant après les choses futures, et nous apprennent  à nous saisir des biens présents, et nous rasseoir en ceux-là, comme n’ayant aucun prise sur ce qui est à venir……touchent la plus commune des erreurs humaines….Nous ne somme jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà. La crainte, le désir, l’espérance, nous eslancent vers l’advenir, et nous desrobent le sentiment et la considération de ce que est, pour nous amuser à ce qui sera…. » (L. I. § III)
Et il est sceptique, bien sûr, et ce terme sera longtemps  à son égard une accusation, (en particulier chez Pascal). Il est sceptique car son premier regard est d’abord le doute, et que même lorsqu’il donne son propre avis, il autorise le lecteur à douter de son propos.
Il se sauve du pyrrhonisme avec la formule « que sais-je », qu’il a fait graver sur une médaille, c’est-à-dire qu’il pèse sans cesse ce qu’il pense et ce dont il doute
« Et je suis de l’avis de saint Augustin », (dit Montaigne citant l’œuvre la cité de Dieu. L XVIII. ! XVIII) qu’il vaut mieux pencher vers le doute que vers l’assurance ès choses de difficiles preuve et dangereuse créance ». (L III. § XI. P, 314. Folio. Ed 1973)
« Dans le sillage des sceptiques grecs, Montaigne préconise de suspendre le jugement, d’éviter ou d’affirmer quoi que ce soit. Le but n’est pas de rester dans une forme complète d’incertitude, mais d’accepter une certaine irrésolution, une faiblesse de nos jugements. Quelque soit la position que l’on prend, l’avis que l’on soutient à un moment donné, on risque toujours d’adopter l’avis contraire à l’heure suivante, ou, en tout ca l’année d’après » (Introduction à Montaigne. Roger-Pol Droit. Le Monde de la philosophie)
Les bouleversements que connaît l’époque où vit Montaigne peuvent être à l’origine de bien des questionnements dans cette œuvre, ce « livre du  doute ».
On vient de découvrir un nouveau continent, avec d’autres cultures, d’autres coutumes, on est en pleine guerre de religion, les Protestants introduisent une réforme dans le dogme catholique, la médecine procède à des premières expériences sur des corps humains etc. . D’où peut-être cette expression tombée aujourd’hui en désuétude « tout branle » (Tout est en pleine mutation, nous sommes en plein bouleversements, dirait-on aujourd’hui). Il dit dans le troisième livre des essais qu’il y a déjà huit ans qu’il y travaille, il se plaint des coliques, qui sont le nom à l’époque des calculs rénaux, dit aussi gravelle, ou, maladie de la pierre.
Ses rapports avec les femmes, hors ses rapports épistolaires, ne semblent pas nombreux, encore moins chaleureux. Il parle souvent de son père, mais dans toute son  œuvre, la mère est totalement absente. « Ce n’est pas le bonheur que cherche ce mélancolique, c’est la lucidité » (Jean Lacouture)

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Porte d’entrée de la tour de Montaigne. (Hauteur 1,60 m)

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Montaigne, la  religion, et les guerres de religion

Montaigne se montre conservateur. Pour sa caste, ses fonctions, il se plie dans le moule ; il écrit : « Nous sommes chrétiens au même titre que nous sommes périgourdins ou allemands» (Livre II, § 12), il est fidèle à son roi, car il ne pense pas qu’il puisse en être autrement.
Si Montaigne se montre un catholique docile, il n’en pas moins critique envers les docteurs de loi de la scolastique, au livre II, 12 A1. 589. il écrit : « Le dieu de la science scholastique, c’est Aristote ; c’est une religion de débattre de ses ordonnances….Sa doctrine nous sert de loi magistrale qui est à l’aventure autant fauce* qu’une autre » *Fausse
L’étude de Montaigne soulève une question que l’on retrouve chez bon nombre de ces biographes : comment, et surtout pourquoi,  Montaigne qui dénonce « les boucheries » (L III. § 6. Page 174. Folio 1973) des conquérants espagnols, qui dénoncent des barbaries dans le royaume, (Tome II, 11, De la cruauté, et de la couardise…)  ne va-t-il pas écrire une seule ligne (dans les trois tomes des Essais) sur le Massacre de la Saint Bartélémy,                                                                     
Géralde Nakam dans son ouvrage « Montaigne et son temps » l’évoque dans un paragraphe : « Le silence sur la Saint-Barthélemy ». « Ce vide, ce trou » écrit-il «  est énorme [….] car enfin un catholique qui se tait sur de tels massacre ne s’en fait-il pas le complice ? Que valent près de cela les déclarations de tolérance dans les Essais ».  La raison suggérée est que Montaigne  a prêté serment de fidélité catholique au Parlement de Paris en 1562. Et  nous savons aussi que nombre de ses amis sont protestants, et même dans sa propre famille « Dans la famille de Montaigne, sa sœur Jeanne, son frère Thomas se convertissent au protestantisme »  (Montaigne et son temps. Page 88. Gérald Nakam).
Peut-être que nous devons prendre en compte le rôle que joue Montaigne dans son époque, il est : l’intermédiaire entre le roi de France et Henri de Navarre, il ne peut prendre parti s’il veut mener cette action qui après beaucoup de sang, amènera Henri de Navarre à se convertir au catholicisme pour ramener la paix (Paris vaut bien une messe) : Il est un intermédiaire dont l’histoire nous dira l ’importance, même s’il se défend d’avoir un rôle important : « En ce peu que j’ai à négotier entre nos Princes, en ces divisions et subdivisions qui nous deschirent aujourd’hui » (Livre III. 1 791) (France)

François Dubois. 1580.  Massacre de la saint Barthélémy
Musée cantonal des Beaux Arts. Lausanne.

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Montaigne et la construction de soi.

On peut trouver tout au long de la lecture des Essais, nombre de sentences qui sont des préceptes qu’on pouvait choisir, et pourquoi pas qu’on peut encore pour se fixer des règles de vie. Il conseille tout d’abord d’être vrai, d’être soi-même : «  La plus grande chose du monde, c’est savoir être à soi » (Essais. L1. §XXXIX. P 359. Poche), de rester soi-même de conserver toujours un quant-à soit, avec ces lignes par exemple : « Il faut se réserver une arrière-boutique toute nôtre, toute notre ordinaire entretien de nous à nous-mêmes franche, en laquelle nous établissons notre vraie liberté et principale retraite et solitude. En celle-ci  faut-il prendre notre ordinaire entretien de nous à nous-mêmes, et si privé que nulle accointance ou communication étrangère y trouve place »  (L1 §XXXIX. Page 357/358. Poche)
« Nous autres principalement, qui vivons une vie privée qui n’est en montre qu’à nous, devons avoir estably un patron au-dedans, auquel toucher nos actions, et, selon iceluy, nous caresser tanstot, tanstot nous chastier…Il n’y a que vous qui sçache si vous lâche ou cruel, ou loyal ou devotieux. ; les autres ne vous voyent poinct ; ils vous devinent par conjectures incertaines ; ils voyent non tant vostre nature  que vostre art. C’est de votre propre  jugement que vous devez faire usage » (Cicéron- Tusculanes- I, XXIII). (L. 3. § 2)
« Et quand personne ne me lira, ay-je perdu mon temps de m’estre entretenu tant d’heures oisfes à pensements si utiles et agréables ? Moulant sur moy cette figure, il m’a fallu si souvent dresser et composer pour m’extraire, que le patron s’en est fermy et aucunement formé soy-mesmes. Me peignant pour autrui, je me suis peint en moy de couleurs plus nettes qui n’estoyent les miennes premieres. Je n’ai pas plus faict mon livre, que mon livre m’a faict,  livre consubstantiel de son autheur, qu’une occupation propre, membre de ma vie ; non d’une occupation et fin tierce et estrangere comme tous les autres livres »
… « Il n’est description pareille en difficulté que la description de soi-même, ni certes en utilité, encore se faut-il testonner, encore se faut-il ranger et ordonner pour sortir en place »  (L 3. § XVIII)
« Après avoir cherché l’homme au jardin des espèces, Montaigne se cherche lui-même au gré de mille et une rencontres de la vie. « Je » est un autre, éprouvant son infini diversité, en s’ouvrant à toutes les opinions et en épousant tous les états. D’identité à soi, point ; de ressemblance capable de fonder la communauté humaine, pas davantage, mais une simple relation de convenance susceptible de s’étendre à un nombre croissant d’individus. Montaigne passe à travers autrui, assumant toutes les conditions, jouant tous les personnages, pour l’épreuve de son universalité »  (Pierre Magnard. Extrait de Pascal ou l’art de la digression. Ellipses)
« La sotte idée qu’il eut de se peindre » cette perfide phrase de Pascal néglige de voir la démarche de Montaigne : « Car on ne connaît le monde, toujours à regarder son nombril. C’est pourquoi il lit l’histoire, et  étudie la philosophie ; non pour en retirer des leçons et des préceptes, mais pour voir comment d’autres hommes ont œuvré, afin de comparer son moi avec les autres ».   (Stephan Zweig. Montaigne)

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Cachette au troisième étage de la tour où Montaigne se cachait (derriere un rideau)
lorsqul’il voulait échapper à une visite ennuyeuse

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Montaigne nous dit à sa façon comment il aime la poésie 

«  J’aime l’allure poétique, à sauts et à gambades. C’est un art, comme dit Platon, léger, volage, démoniacle (divin) [….] Mon style et mon esprit vont vagabondant de même. Il faut avoir un peu de folie, qui ne veut avoir plus de sottise… » (L III. § 6. P, 270. Folio 1973)

Montaigne
(Rondeau)

« J’aime la poésie en sauts et en gambades »
Ma pensée amusée, s’égare et s’escapade
Je suis stoïque, je suis sceptique, épicurien !
Ma langue est un voyage où je suis grammairien

Le françois est changeant, je vais en ambassade
Je vous tends le miroir d’un monde en débandade
Où le sauvage est là, caché en embuscade
je croque mon prochain, en jouant mine de rien
J’aime la poésie

La charge est un carcan et nul ne m’embrigade
Je vogue en bateau livre au gré de ma croisade
Et je ne sais rien faire, aux arts du quotidien
Mais je viens et j’accours, s’il faut, s’il est besoin
Les grands de ce monde me donnent l’accolade
J’aime la poésie
(Florence Desvergnes

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Porte par laquelle il sortait à cheval pour ses voyages

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Montaigne et les livres, la transmission de la philosophie.

Au deuxième étage de la tour se trouve sa librairie (bibliothèque), composée dit-il de 1000 livres. Aujourd’hui dans cette pièce il ne reste qu’une table et une chaise, et pourtant m’y trouvant j’avais le sentiment que j’allais voir tous ces livres sur les murs, que j’allais voir le petit grand homme , marchant de long en large lorsqu’il dictait, un livre d’Horace à la main cherchant la bonne tournure de phrase, et le style (et quel style!)
« J’en jouis (des livres) comme les avaricieux des trésors. Je ne voyage jamais sans livres, ni en paix, ni en guerre…C’est la meilleure munition que j’ai trouvé »
Montaigne évoque pour la première fois, des thèmes qui seront maintes fois repris par la philosophie : la conscience, la subjectivité de l’individu….Sa bibliothèque contient des œuvres très diverses ; des œuvres  aussi variées, fortement marquées par la religion dominante, d’Erasme à Machiavel, jusqu’au livre  de l’athée Geoffroy Vallée « le Fléau de la foi », ou de l’ouvrage également interdit « de l’arte nihil credendi » « de l’art de ne rien croire »). Nous retrouvons tout au long des trois tomes des essais l’influence de ces lectures. Donc Montaigne peint l’homme de son époque à travers lui, et son propos s’inscrit dans un contexte intellectuel. Le plus grand témoin de son époque il nous laisse une œuvre où à chaque relecture nous découvrons.
Les auteurs le plus cités sont les romains, surtout Plutarque, puis les auteurs grecs, et paradoxalement pour cette époque rarement la Bible.

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La philosophie de Montaigne est-elle un art de vivre?

 Montaigne présente ses écrits (des essais) comme un art de bien vivre.
En effet il écrit : « Notre grand et glorieux chef d’œuvre, c’est vivre à propos » -Livre III. § 13).
C’est pourquoi sa philosophie est dans le sillage de l’épicurisme, et aussi à une parenté avec le stoïcisme en même temps qu’avec le scepticisme parce qu’il s’agit toujours, pour Montaigne de ne pas aller aux excès : le bonheur est dans l’absence de troubles et dans l’abandon des illusions et « il faut apprendre à souffrir ce qu’on ne peut éviter » (Livre III. § 13) sans plus !
Montaigne …ne  veut pas être un héros, il « n’a d’autre fin  que vivre et se réjouir » et à propos de la mort de Socrate qui l’impressionne mais qui ne l’édifie pas, il écrit « «  Si les lois me menaçaient seulement le bout du doigt, je m’en irais incontinent en trouver d’autres où que ce fut. (Livre III. § 13)).

Ensuite quel est l’art de vivre de Montaigne?

Quelles sont ses recommandations et ses conseils ?

D’abord « consentir à soi-même » (Livre I. § 10) ce qui veut dire à la fois ne pas justifier ses faiblesses ni non plus se proposer un idéal  inatteignable : Il écrit « je suis comme je suis »  ou « ma fortune le veut ainsi »   et aussi : « la vie de l’insensé est sans joie, elle est inquiète, elle se porte tout entière dans l’avenir » (Livre III. § 13). La sagesse passe par le refus de subordonner l’action présente à quelque projet qui ajourne toujours sa réalisation et son existence. Et les Essais s’expliquent longuement sur les raisons que le philosophe a de préférer sa sphère privée aux activités publiques : « Je m’engage difficilement .Autant que je puis, je m’emploie tout à moi ….J’ai pu me mêler des charges publiques sans me départir de moi de la longueur d’un ongle, et me donner à autrui, sans m’ôter à  moi » (Livre III. § X)
Ensuite avec cette valorisation du Moi résister aux mirages et au fanatisme « Quand ma volonté me donne à un parti ce n’est pas d’une si violente obligation que mon entendement s’en infeste » (Livre III. § X.  « ménager sa volonté »)
Enfin vivre avec l’humilité du scepticisme  Le : « Que sais-je ? » n’est pas en vue de découvrir le savoir ou la vérité  mais il exprime l’inaptitude humaine au savoir, à la manière des Cyrénaïques de l’antiquité selon lesquels nous ne connaissons que nos sensations et nous ne savons même pas si elles ressemblent à celles des autres hommes.
Ce qui implique l’infinie présomption des faiseurs de systèmes philosophiques et au contraire la clairvoyance de ceux qui consentent à « entrer pour jamais «  en défiance. »
Montaigne rajoute (et ce style  aussi est significatif de la valorisation de l’opinion, toujours variable et fluctuante) : «  Ce sont ici mes humeurs et mes opinions, je les donne pour ce qui est en ma créance et non pour ce qui est à croire »
De même les opinions des philosophes auxquels Montaigne se réfère ne sont pas arguments d’autorité et ne valent que pour autant qu’elles corroborent celles que forme Montaigne dans la « librairie » de son château.
Voici encore d’autres conséquences pour l’art de vivre que nous propose Montaigne :
Ouvert au monde l’opinion qui est son site obligé, l’être humain se doit pas se désespérer puisqu’au contraire il est, par là, à l’abri de la solitude orgueilleuse des dogmatiques  et….il trouve motif à communiquer avec ses semblables .N’est-ce pas en effet parce qu’on est voué aux opinions qu’on est voué à débattre et argumenter, et, comme Montaigne et La Boétie, parfois à nouer amitié?
En tous cas c’est l’ouverture à la diversité des opinions qui est, selon Montaigne, conforme à la nature … et qui permet de dire que bien vivre c’est reconnaître la contingence des lois et des coutumes, et aussi… les hasards et les déterminations qui président au choix d’une religion, et aussi..  la valeur de la réflexion libre en même temps que l’utilité des traditions, enfin le goût pour les différences culturelles : c’est ce qui a conduit Montaigne à lire des récits de voyages et c’est ce qu’il nous invite à faire pour nous éduquer à la tolérance ..;
Enfin Montaigne se déclare agnostique: ayant à remettre l’homme à sa juste valeur Montaigne tend malgré tout à le soumettre à quelque transcendance divine, à quelque »grand ouvrier » de la « machinerie universelle » qui doit pourtant nous rester incompréhensible.
Pour moi, les Essais de Montaigne proposent un art de vivre sans système philosophique. Cela a un endroit  (toutes les facettes indiquées de cet art de vivre) mais aussi un envers: il est sans audace et sans ambition pour l’être humain.
De Montaigne on connaît aussi « Le journal de voyage », où l’on trouve plein d’informations qui ont plus d’intérêt pour des documentalistes que pour des philosophes. On y trouve des renseignements à chaque ville sur l’architecture, sur les pratiques religieuses, les coutumes, la nourriture, le couchage.., et surtout au jour le jour son état de santé avec des détails dont on se passerait bien.
J’ai retenu aussi dans ce texte deux points  anecdotiques : Montaigne, entend parler dans la région de Vitry-le-François d’une dénommée Marie la barbue, «  fille remarquée d’autant qu’elle avait un peu plus de poil au menton que les autres filles. Un jour faisant un effort à un saut, ses outils virils se produisirent….et l’évêque de Chalons lui donna pour nom Germain. …Il y a encore en cette ville une chanson ordinaire en la bouche des filles, où elles s’entr’avertissent de ne plus faire de grandes enjambées, de peur de devenir mâles » que ne leur tombent des attributs…
Puis lorsque son voyage l’amène  en Italie il est souvent demandé à Montaigne et à ceux qui l’accompagne de montrer le document « Foi et bollette », c’est-à-dire une documentation équivalente à notre passeport et un bulletin de santé. A cette époque les épidémies, particulièrement la peste, sont plus redoutées que l’armée ennemie.

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Poème sur Montaigne écrit en 1806 par l’abbé Delille 

« Riche du fonds d’autrui, mais riche de son fonds,
Montaigne les vaut tous ; dans ses brillants chapitres
Fidèle à son caprice, mais infidèle à ses titres,
Il laisse errer sans art sa plume et son esprit,
Sait peu ce qu’il va dire, et peint tout ce qu’il dit,
Sa raison, un peu libre et souvent, négligée,
N’attaque point le vice en bataille rangée.
Il combat, en courant, sans dissimuler rien ;
Il fait notre portrait, en nous faisant le sien :
Aimant et haïssant ce qu’il hait, ce qu’il aime
Je dis ce que de l’autre il dit si bien lui-même :
« c’est lui, c’est moi ». Naïf, d’un vain faste ennemi
Il sait parler en sage, et causer en ami »

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Visite alphabétique de citations et aphorisme chez Montaigne

Altruisme
« Qui ne vis aucunement à  autruy, ne vit guère à soi ».

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Amitié.
« Depuy que le perdis, ce n’est que fumée, ce n’est qu’une nuit obscure, je ne fay que trainer languissant…….., Nous à moitié de tous ; il me semble que je lui desrobe sa part……, j’estoy desjà si fait et accoustumé à estre deuxiesme par tout, qu’il me semble n’estre plus qu’à demi » (1. § XXVIII)

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Amour
« L’amour nous esclave  à autrui » (L. III. §1)

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Argent.

« Ma seconde forme, c’à estè d’avoir de l’argent….j’en faisoy un secret ; et moy, qui ose tant dire de moy, ne parloy de mon argent qu’en mensonge, comme font les autres, qui s’appauvrissent riches, s’enrichissent pauvres, et dispensent leur conscience de ne jamais témoigner sincèrement de ce qu’ils ont. Ridicule et honteuse prudence »   «  …. Tout compté il y a plus de peine à garder l’argent, que de l’acquérir »  

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Ça

« Le démon de Socrate estoy à l’aventure certaine impulsion de volonté, qui se présentoit à luy, sans attendre le conseil de son discours. En une ame bien espurée, comme la sienne, et préparée par continuel exercice de sagesse et vde vertu, il est vray semblable que ces inclinations, quoy que téméraires et indigestes, estoyent toujours importantes et dignes d’estre suyvies. Chacun sent en soy quelque image de telles agitations d’une opinion prompte, véhémente et fortuite. C’est à moy de leur donner quelque authorité, qui en donne si peu à notre prudence. Et en au eu depareillement  foibles en raison et violente en persuasion : ou en dissuasion, qui estoyent plus ordinaires en Socrate… »

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Certitude.

« Je ne me persuade pas aysement qu’Epicurus, Platon et Pythagoras nous ayant donné pour argent contant leurs Atomes….Ils estoient trop sage pour establir leurs articles de foy de choses si incertaines et si debatables. Mais en cette obscurité du monde, chacun de ces grands personnages s’est travailler d’apporter une telle quelle image de lumière…  (L.2  § XII)

«  On me fait hay les choses vray-semblables quand on me les plante pour infaillibles… »

« Si j’avais en ma possession les évènements inconnus, j’en penserais très facilement supplanter les connues en toute espèce d’exemples » (II. XVI)

« Je suis avare, prodigue,….bavard, taciturne, ….. menteur, sincère, savant, ignorant. Tout cela, je le vois en moi de quelque façon que je me tourne ; une fois, cent fois, mille fois, j’ai embrassé une chose que depuis j’ai jugée fausse. Moi, à cette heure, et moi tantôt, nous sommes bien deux. Je ne saurais dire quand je suis le meilleur »

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Changement.

« Le monde n’est qu’un branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse… » (3. § II)

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Choisir.

« Voilà comment la raison fournit d’apparence à divers effects. C’est un pot à deux ances,
qu’on peut saisir à gauche ou à dextre » (3. §12)

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Citations 

«  Je m’en vais écorniflant par-ci par-là des livres de sentences qui me plaisent, non pour les garder, car je n’ai point de gardoir, mais pour les transporter en celui-ci où à vrai dire, elles ne sont plus miennes qu’en leur première place »

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Connaître (se).

« Et quand personne ne me lira, ay-je perdu mon temps de m’estre entretenu tant d’heures oisfes à pensements si utiles et agréables ? Moulant sur moy cette figure, il m’a fallu si souvent dresser et composer pour m’extraire, que le patron s’en est fermy et aucunement formé soy-mesmes. Me peignant pour autrui, je me suis peint en moy de couleurs plus nettes qui n’estoyent les miennes premieres. Je n’ai pas plus faict mon livre, que mon livre m’a faict,  livre consubstantiel de son autheur, qu’une occupation propre, membre de ma vie ; non d’une occupation et fin tierce et estrangere comme tous les autres livres »

»… « Il n’est description pareille en difficulté que la description de soi-même, ni certes en utilité, encore se faut-il testonner, encore se faut-il ranger et ordonner pour sortir en place »   (3. § XVIII)

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Converser

« C’est au demeurant une très belle science que la science de l’entregent. Elle est comme la grace et la beauté, conciliatrice des premiers abords de la société et familiarité ; et par conséquent nous ouvre la porte à nous instruâre par les exemples d’autruy, et à exploiter et produire notre exemple, s’il y a  quelque chose d’instruisant et de communicable »  (I. § XII)

« Le plus fructueux et naturel exercice de notre esprit, c’est à mon gré la conférence… L’estude des livres, c’est un mouvement languissoit et foible qui n’eschauffe poinct ; là ou la conference apprend et exerce en un coup. Si je confère avec une ame forte et un roide jousteur, il me presse les flancs, me pique à gauche et a dextre ; ses imaginations eslancent les miennes… » tout ceci nous dit-il, « me rehausse au dessus de moy-mesme.  Et l’unisson et de qualité de tout ennuyeuse en la conférence »  (LIII. § VIII)

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Conviction, croyance.

« Ce que je tiens  aujourd’hui et que je crois, je le tiens et je le crois de toute ma croyance…Mais ne m’est-il pas advenu, non une fois, mais cent, mais mille, et tous les jours, d’avoir embrassé quelque autre chose à tous ces instruments, en cette même condition, que depuis j’ai jugée fausse »

« Les chrétiens se font tord de vouloir appuyer leur créance par des raisons humaines, qui ne se conçoivent que par la foy »     (! XII. Apologie de Raymond de Sebond)

«  Ce sont ici mes humeurs et mes opinions, je les donne pour ce qui est en ma créance et non pour ce qui est à croire »

« La croyance évite la régression à l’infini » (3. § XII) 

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Coutume (Usages)

 Chacun appelle barbare ce qui n’est pas de son usage » comme de vrai, il semble que nous n’avons d’autre mesure de la vérité et de la raison que l’exemple des idées, des opinions, et des usances des pays où nous sommes. Là, toujours est la parfaite religion, la parfaite police, l’usage parfait et accompli de toutes choses »                                                              

« Car c’est à la vérité une violente et traistresse maistresse d’école que la coutume…..L’accoustumance hébète nos sens » (I. § XXIII)

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Dire

« Notre parler à ses faiblesses et ses défauts, comme tout le reste. La plupart des occasions de troubles du monde,  sont grammaticales »

Eclectisme

Montaigne évoquant l’éclectisme parlera des abeilles « qui pillent, butine deçà delà des fleurs pour en faire leur ; ainsi les pièces empruntées d’autrui, l’homme les confondra pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir son jugement ».

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Ecriture

«  Je parle au papier comme je parle au premier que je rencontre » (II. §1)

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Education.

« L’enfant…, ne rencontre que des gens qui lui parlent dans la langue de Cicéron, même parmi les domestiques. Il devient ainsi un des rares êtres humains des temps modernes dont la langue est celle de Virgile et de Lucrèce… C’est d’ailleurs en latin que Montaigne rêve… »  (Introduction à Montaigne. Roger-Pol Droit. Le Monde de la philosophie. Flamarion)

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Engagement

« Je hais les hommes lâches en action et philosophes en paroles » (L1.19)

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Epicurisme

« Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà. La crainte, le désir, l’espérance nous eslancent vers l’avenir, et nous dérobe le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus »  (I, § 3.)

« Epicure  au rebours, en trois cent volumes qu’il laissa, n’avoit pas semé une seule allégation estrangière ». (1. § XXVI.)

Etre

 Il n’est rien si beau et si légitime que de faire bien l’homme et dument, ni science si ardue que de bien et naturellement savoir vivre cette vie… » (Livre III. § XIII).

 « Etre humain c’est pardonner aux hommes de n’être que ce qu’ils sont ».

 « Notre grand et glorieux chef d’œuvre, c’est vivre à propos » -Livre III. § 13).  

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Etude

« Le gain de notre étude, c’est d’être plus sage et meilleur »  (1-XXVI)

« Nous lisons d’aucun ouvrage qu’ils ne puent l’huile et la lampe » (L1 §10)

« Le vray miroir de nos discours est le cours de nos vies » (1. § XXVI)

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Honnêteté.

«  Nous appelons hônnesté, de n’oser faire à découvert, ce qui nous est honnêste de faire à couvert »                                                                              ‘

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Histoire

Parlant des historiens Montaigne nous dit : qu’ils doivent se contenter « d’amasser tout ce qui vient à leur notice, et d’enregistrer à la bonne foy toute chose sans choix et sans triage » ils doivent représenter : « la diversité mesme des bruits qui courroyent, nue et informe …parmy les accidents publics…C’est leur rolle de réciter les communes créances, non pas de les régler » (II, 10)

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Humanisme

« Chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition »

« Etre humain c’est pardonner aux hommes de n’être que ce qu’ils sont ».    

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Insctinct.

«  Les inclinations naturelles s’aident et fortifient par institution, mais elles ne changent guère…Mille natures, de mon temps, ont échappé vers la vertu ou vers le vice d’une quantité contraire. . .Ainsi lorsque les bêtes sauvages ont été déshabituées de leur forêt et se sont adoucies dans leur captivité…, si une goutte de sang vient à toucher leur lèvres, leur rage et leur fureur se réveille…, c’est à peine si dans leur colère elles se retiennent de déchirer leur maître épouvanté. On n’extirpe pas ces qualités originelles, on les couvre, on les cache »

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                                                                               Identité

« Il faut se réserver une arrière-boutique toute nôtre, toute notre ordinaire entretien de nous à nous-mêmes franche, en laquelle nous établissons notre vraie liberté et principale retraite et solitude. En celle-ci  faut-il prendre notre ordinaire entretien de nous à nous-mêmes, et si privé que nulle accointance ou communication étrangère y trouve place » (L1 §XXXIX. P, 357/358. Poche)

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Jugement.

« Nous sommes tous contraints et amoncellez en nous, et avons la veuë racourcie à la longueur de nostre nez ». (1. § XXVI)

« Je n’ay point cette erreur commune de juger d’un autre selon que je suis. J’en croy aysément des choses diverses à moi. Pour me sentir engagé à une forme, je n’y oblige le monde, comme chacun fait ; et croy et conçois mille  contraires façons de vie, et, au rebours du commun, reçois plus facilement la différence que la ressemblance en nous »   (1. XXXVII)

« Nous autres principalement, qui vivons une vie privée qui n’est en montre qu’à nous, devons avoir estably un patron au-dedans, auquel toucher nos actions, et, selon iceluy, nous caresser tanstot, tanstot nous chastier…Il n’y a que vous qui sçache si vous lâche ou cruel, ou loyal ou devotieux. ; les autres ne vous voyent poinct ; ils vous devinent par conjectures incertaines ; ils voyent non tant vostre nature  que vostre art. C’est de votre propre  jugement que vous devez faire usage » (Cicéron- Tusculanes-)  (L. 3. § 2)

« Me peignant pour autrui, je me suis peint moi-même de couleurs plus nettes que n’étaient les miennes premières. Je n’ai pas plus fait mon livre, que mon livre m’a fait, livre consubstantiel à son auteur »   

« Je n’enseigne point, je raconte »

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Lire

« Je ne voyage jamais sans livre, ni en paix, ni en guerre….C’est la meilleure munition que  j’ai trouvé à cet humain voyage »

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Mariage.

« Quand aux mariages, outre que c’est un marché qui n’a que l’entrée libre.»  

« Un bon mariage, c’est celui d’une femme aveugle avec un mari sourd »       

«  Le mariage est une cage, les oiseaux en dehors désespèrent d’y entrer, ceux de dedans, désespèrent d’en sortir »

« C’est une religieuse liaison et devote que le mariage ; voilà pourquoy le plaisir qu’on en tire, ce doit estre un plaisir retenu, sérieux et meslé à quelque severité ? ….et parce que sa principale fin, c’est la génération.. »                                                                    (I § 9. Des menteurs)

« On ne se marie pas pour soi, quoi qu’on die ; on se marie autant plus pour la postérité, pour sa famille […] Aussi est-ce une espèce d’inceste d’aller employer en ce parentage […..] les extravagances de la licence amoureuse… »

Et à l’appui de son propos il cite Aristote : « Il faut, toucher sa femme prudemment et sévèrement, de peur qu’en la chatouillant trop lascivement le plaisir la fasse sortir hors de ses gonds de raison. Ce qu’il dit pour la conscience, les médecins le disent pour la santé : qu’un plaisir excessivement chaud, voluptueux et assidu altère la semence et empêcher la conception […] il faut s’y présenter rarement et à notables intervalles »  (L. III. § V. pages 97/98. Folio, 1973)

« Je veux donc …… apprendre ceci aux maris, car il y a grand danger qu’ils ne se perdent en ce débordement, s’ils s’en trouvent qui y soient trop acharnés : c’est que les plaisirs mêmes qu’ils ont l’accointance de leurs femmes sont réprouvés, si la modération n’y est observée, et qu’il y a de quoi faillir en licence  et débordements ».

« Un bon mariage, s’il en est, refuse la compagnie et condition de l’amour. Il tâche à présenter celles de l’amitié. C’est une douce société de vie, pleine de constance, de fiance []  (L. III. § V. pages 99/100. Folio)

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Mensonge.

«  Il n’y a point d’utilité pour laquelle je me permette de leur mentir » (II, 17)a

« Je me fais plus de tord en mentant, que je n’en fais à celui à qui je mens » (1. § XIII)

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Misogynie.

« François, duc de Bretaigne, comme on lui parla de son mariage avec Isabeau, fille d’Ecossse, et qu’on lui afjousta qu’elle avait été nourrie simplement et sans aucune instruction de lettres, respondit qu’il l’en aymoit que mieux et qu’une fame était assez sçavante quand elle savait mettre différence entre sa chemise et le pourpoint de son mary ». 

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Modestie.

« Pherecydes, l’un des sept sages, escrivant à Thales, comme il expiroit : « J’ay, dict-il, ordonné aux miens, après qu’ils m’auront enterré, de t’apporter mes escrits : s’ils contentent et toy et les autres sages, publie les ; sinon, supprime les ; ils ne contiennent nul certitude qui me satisface à moymesmes… » (1. § XII)

«  Si quelqu’un s’enivre de sa science, regardant sous soi : qu’il tourne les yeux au-dessus vers les siècles passés, il baissera les cornes… » (L2. § VI. P,  540.Poche)

«  Il est advenu aux gens véritablement scavants ce qu’il advient aux espics de bled, ils vont s’élevant se haussant,  la tête droite et fière, tant qu’ils sont vides, mais quand ils sont pleins et grossis de grains en leur maturité; ils commence à s’humilier et à baisser les cornes. Pareillement les hommes… »       

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Mort. Mourir.

« Pherecydes, l’un des sept sages, escrivant à Thales, comme il expiroit : « J’ay, dict-il, ordonné aux miens, après qu’ils m’auront enterré, de t’apporter mes escrits : s’ils contentent et toy et les autres sages, publie les ; sinon, supprime les ; ils ne contiennent nul certitude qui me satisface à moymesmes… » (L.1. § XII)

« La mort c’est le maître jour, c’est le jour de tous les autres »

« Si vous avez faict vostre proufit de la vie , vous en estes repeu, allez-vous en satisafait » (L1. § XX)

«  La vue de la mort a besoin d’une fermeté lente, et difficile par conséquent à fournir. Si vous ne savez pas mourir, ne vous chaille (ne vous en souciez pas). Nature vous en informera sur le champ, pleinement et suffisamment ; elle fera exactement cette besogne pour n’en empêchez (Ne vous en embarrassez pas) votre soin [….] Ce n’est pas contre la mort que nous nous préparons ; c’est chose trop momentanée […..] La philosophie nous ordonne d’avoir la mort toujours devant les yeux [….] Mais il m’est d’avis qu’est bien le bout, non pourtant le but de la vie ; c’est sa fin, son extrémité, non pourtant son objet » ». (L III. ! XII. P, 337)

« La défaillance d’une vie est le passage à mille autres vies »  (L III. XII. P ,342)

« Je veux qu’on agisse, et qu’on allonge les offices de la vie tant qu’on peut, et que la mort me trouve plantant mes chous, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait » (L I. § XX)

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Nihilité

« Voir les imparfaites et faibles qualités qu’il y a en nous, si nous savons en même temps la nihilité de l’humaine condition »  

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Opinion

« Jamais deux hommes ne jugèrent pareillement de même chose, et est impossible de voir deux opinions semblables exactement, non seulement en divers hommes, mais en même homme à diverses heures »  (L.III, 13. 356)

« ….il semble que nous n’avons d’autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et l’idée des opinions et usances des païs où nous sommes. Là est toujours la parfaicte religion, la parfaicte police, perfect et accomply usage de toutes choses »  (L. 1. § XXXV)

« 0r mes opinions, je les trouve infiniment hardies et constantes à condamner mon insuffisance. De vray, c’est aussi un subject auquel j’exerce mon jugement autant qu’à nul autre. Le monde regarde toujours vis-à-vis ; moy, je replie ma veue au-dedans, je la plante, je l’amuse là. Chacun regarde devant soy ; my, je regarde dedans moy : je n’ay affaire qu’à moy, je me considere sans cesse, je me contrerolle, je me gouste. Les autres vont toujours ailleurs, s’ils y pensent bien, ils vont toujours avant » (L.2. ! XVII)

Paraître

Dans « De la nécessité » (Essais, III, IX) Montaigne nous rappelle que : « ...vivre par la Dans « De la nécessité » (Essais, III, IX) Montaigne nous rappelle que : « …vivre par la relation à autruy, nous faict beaucoup plus de mal que de bien. Nous nous défraudons (trompons, frustrons) de nos propres utilitez pour former les apparences à l’opinion commune  relation à autruy, nous faict beaucoup plus de mal que de bien. Nous nous défraudons (trompons, frustrons) de nos propres utilitez pour former les apparences à l’opinion commune 

« Le vray miroir de nous discours est le cours de nos vies »

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Parole.

« Et c’est chose difficile de fermer un propos et de le coupper, depuis qu’on est arrouté. Entre les pertinens même, j’en voy qui veulent et ne peuvent se deffaire de leur course. Cependant qu’ils cherchent le point de clorre le pas, ils s’en vont balivernant…, j’ai vu des récits bien plaisans devenir très-ennuyeux… »

« ….homme très fameux en science de parlerie » (L. I § 9. Des menteurs)

« Il voit que ce n’est que biffe et piperie »  (L.1. § XLII)

«  La parole appartient à moitié à celui qui la dit, à moitie à celui qui l’écoute »

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Philosophie

«  La philosophie est celle qui nous instruit à vivre » ( L I. § 26)

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Plaisir.

Je veux donc….apprendre cecy aux maris, s’il s’en trouve encore qui y soient trop acharnez : c’est que les plaisirs mêsmes qu’ils ont à ‘accointance de leurs femmes sont reprouvez, si la modération n’y est observez ; et qu’il ya dequoy faillir en licence de desbordement… » (L.1. § XXX)

« L’éloquence faict injure aux choses, qui nous détourne à soi. Comme aux acoustrements, c’est pusillanimité de se vouloir marqué par quelque façon particulière et inusitée ; de mesmes, au langage, la recherche de phrases nouvelles et de mots peu cogneuz vient d’une ambition puérile et pédantesque. Peusse-je ne me servir que de ceux qui servent aux hales à Paris ! »  (L. 1. § XXVI)

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Présent

« Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà. La crainte, le desir, l’esperance nous eslancent vers l’advednir, et nous desrobent le sentiment et la consideration de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera… » (L I. § III)

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Pudeur.

« Pourquoi […] masquer les beautez de son visage, que pour les rencherir à ses amants ? Pourquoy a l’ons voylé jusques au dessoubs des talons ce beautés que chacune desire montrer, que chacun desire voir ? Pourquoi couvrent-elles de tant d’empeschemens les uns sur les autres les parties où logent principalement nostre desire et le leur ? Et à quoy servent ces gros bastions,[….] qu’à lurrer notre appetit et nous attirer à elles en nous esloignant ?

     A quoy sert l’art de cette honte virginale ? cette froideur rassise, cette contenance severe, cette profession d’ignorance des choses qu’elles sçavent mieux que nous qui les en instruisons, qu’à nous accroistre le desir de vaincre, gourmander et fouler à nostre apetit toute cette ceremonie  et ses obstacles ? Car il y a non seulement du plaisir, mais de la gloire encore, d’affolir et desbaucher cette molle douceur de cette pudeur enfantine, et de ranger à la mercy de nostre ardeur une gravité fiere et maiustrale.   (L III. § XV)

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Religion

« Dans la famille de Montaigne, sa sœur Jeanne, son frère Thomas se convertissent au protestantisme »  (Montaigne et son temps. Page 88. Géralde Nakam)

 « Il n’est point d’hostilité excellente comme la chrestienne. Notre zèle faict merveille, quand il va secondant nostre pente vers la haine, la cruauté, l’ambition, l’avarice….. » (L. II. 12 444)

« Ou il faut se soumettre du tout à l’autorité de notre police ecclésiastique ou du tout s’en dispenser » (L1. §XXVII. Page 261/262. Poche)

Montaigne fait de la  religion une simple donnée sociologique : «  Nous sommes chrétiens au même titre que nous sommes Périgourdins ou Allemands »

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Rhétorique

« Un rhétoricien du temps passé disait que son métier était, de choses petites les faire paraître et trouver grandes. C’est un cordonnier qui sait faire de grands souliers à un petit pied ». (L I. De la vanité des paroles. Page 441. Poche)

 « Aristote définit sagement la rhétorique ; science à persuader le peuple ;(pour) Socrate, Platon art de tromper et de flatter… »  (L I  De la vanité des paroles. Page 442. Poche)

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Rire

«  Démocrite et Héraclite ont été deux philosophes, desquels le premier, trouvant vaine et ridicule l’humaine condition, ne sortait en public qu’avec un visage moqueur et riant ; Héraclite ayant pitié et compassion de cette même condition nôtre, en portait le visage continuellement attristé, et les yeux chargés de larmes. J’aime mieux la première humeur, non parce qu’il est plus plaisant de rire que de pleurer, mais parce qu’elle est plus dédaigneuse, et qu’elle nous condamne plus que l’autre…Notre propre et péculière condition est autant ridicule que risible »  (L1. P 439/440. Poche)

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Sagesse.

« Ne soyez pas plus sage qu’il ne faut, mais soyez sobrement sage » (L 1. § XXX)

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Savoir.

«  Nous ne travaillons qu’à remplir la mémoire, et laissons l’entendement et la conscience vuide. Tout ainsi que les oyseaux vont quelquefois à la queste du grain et le porte au bec sans le taster…, ainsi  nos pédantes vont pillotant la science dans les livres, et ne la logent qu’au bout de leurs lèvres, pour la dégorger seulement et mettre au vent » (L I. § 25. Du pédantisme)

« La perte de l’homme c’est le goût de savoir » (L II. § XII)

« Sçavoir par cœur n’est pas sçavoir : c’est tenir ce qu’on a donné en garde à sa mémoire. Ce qu’on sait droittement, on en dispose sans regarder au patron. Sans tourner les yeux vers son livre. Fâcheuse suffisance, qu’une suffisance  pure livresque ! »  (L.1. § XXVI)

« L’ignorance qui estoit naturellement en nous, nous l’avons par longue estude, confirmée et avérée. Il est advenus aux gens véritablement scavans ce qui advient aux espics de bled : ils vont s’eslevant et se haussant, la teste droite et fière, tant qu’ils sont vuides ; mais quand ils sont pleins et grossis de grain en leur maturité, ils commencent à s’humilier et à baisser les cornes. Pareillement les hommes… »  (L.2. § XII)

 « L’ignorance qui se scait, qui se juge et qui se condamne, ce n’est pas entière ignorance : pour l’estre, il faut qu’elle s’ignore soy-même ». (L 2. § XII)

« La vraie science, c’est l’ignorance qui se sait »

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Scholastique.

« C’est un outrageux glaive que l’esprit, à son possesseur mesme, pour qui ne scait s’en armer. Et n’y a point de beste à qui plus justement il faille donner des ornieres pour tenir sa veuë subjecte et contrainte devant ses pas  et de garder d’extravaguer ny çà, ni là, hors les ornieres que l’usage et les loix lui tracent. Parquoy ils vous siera mieux de vous resserrer dans le train accoustumé, quel qu’il soit, que de jetter vostre vol à cette à cette licence effrenée. Mais si quelqu’un de ces nouveaux docteurs* entreprend de faire l’ingenieux en vostre presence, aux despens de son salut et du vostre ; pour deffaire de cette dangereuse peste qui se repand tous les jours en vos cours, ce preservatif, à l’extreme necessité, empeschera que la contagion de ce venin n’offencera ny vous, ny vostre assistance. (*Les athées)

La liberté donq et gaillardise de ces esprits anciens produisoit en la philosophie et sciences humaines plusieurs sectes d’opinions differentes, chacun entrepenant de juger et de choisir pour prendre party. Mais à present que les hommes vont tous un train, et que nous recevons les arts par civile authorité et ordonnance, si que les escholes n’ont qu’un patron… »  (L. 2. § XII)

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Sciences

« Les exemples nous apprennent, et en cette martiale police et en toutes ses semblables, que l’étude des sciences amollit et éffémine les courages, plus qu’il ne les fermit et aguerrit. Le plus fort État qui paraisse pour le présent au monde, est celui des Turcs ; peuples également duits à l’estimation des armes et au mépris des lettres. Je trouve Rome plus vaillante avant qu’elle fut savante. » (L1. §XXV. Page 211. Poche)

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Scepticisme.

            Dans les Essais Montaigne ose et affirme son Scepticisme ; pour lui pas de certitude solide en ce monde ici-bas. Il met en doute le dogme religieux présent ou passé

« Dans le sillage des sceptiques grecs, Montaigne préconise de suspendre le jugement, d’éviter ou d’affirmer quoi que ce soit. Le but n’est pas de rester dans une forme complète d’incertitude, mais d’accepter une certaine irrésolution, une faiblesse de nos jugements. Quelque soit la position que l’on prend, l’avis que l’on soutient à un moment donné, on risque toujours d’adopter l’avis contraire à l’heure suivante, ou, en tout ca l’année d’après » (Introduction à Montaigne. Roger-Pol Droit. Le Monde de la philosophie. Flammarion)

 « à  quoy faire la cognoissace des choses, si nous en perdons le repos et la tranquilité, où nous serions sans cela, et si elle nous rend de pire condition que le pourceau de Pyrrhon ?L’intelligence qui nous a été donnée pour le plus grand bien, l’employerons-nous à nostre ruine, combattans le destin de la nature, et l’universel ordre des choses…. »  (L I. § 4)

« Pyrrhon celui qui bastit de l’ignorance une si plaisante science, essaya, comme tous les autres vrayement philosophes, de respondre sa vie à sa doctrine. Et par ce qu’il maintenoit la foiblesse du jugement humain estre si extreme que si nous ne pouvons prendre party ou inclination, et le vouloir suspendre perpetuellement balancé, regardant et accueillant toutes choses comme indifférentes… » (L.2. § XXIX)

« Finalement, il n’y a aucune constante existence, ny de nostre estre, ny de celuy des objects. Et nous, et nostre jugement, et toutes choses mortelles, vont coulant et roulant sans cesse. Ainsin il ne peut establir rien de certain de l’un à l’autre, et le jugeant et le jugé estant en mutuelle mutation et branle (changement)  (L. II. § XIII)

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Sexualité

 « D’aucuns disent que d’oster les bordels publique , c’est non seulement espandre  par tout la paillardise qui estoy assignée à ce lieu là, mais encore esguilloner les hommes à ce vice par la malfaisance »  (. § XII)

« On demandait à un philosophe, qu’on surprit à mesme, ce qu’il faisait (l’amour). Il respondit tout froidement : «  Je plante un homme », ne rougissant  non plus d’être rencontré en cela, que si l’on eût trouvé plantant ses aulx » (3 § XII)

« On a raison de remarquer l’indocile liberté de ce membre, s’ingérant si opportunément, lorsque nous n’en avons que faire, et défaillant si opportunément lorsque nous en avons le plus affaire… »

«  Les dieux, dit Platon, (dans le Timée) nous ont fourni d’un membre inobédient (désobéissant) et tyrannique, qui, comme un animal furieux, entreprend, par la violence de son appétit, soumettre tout à soi. De même aux femmes, un animal glouton et avide, auquel si on refuse aliment en sa saison, il forcène, sort de ses gonds) impatient de délai, et souffrant sa rage en leurs corps ; empêche les conduits, arrête la respiration, causant mille sortes de maux, jusqu’à ce qu’ayant humé les fruits de la soif commune, en ait largement arrosé et ensemensé le fond de leur matrice » (L. III. § V XVI)

«  Nous avons apris aux Dames de rougir oyant seulement ce qu’elles ne craignent aucunement à faire…[…] La ceremonie nous defend d’exprimer par parolles les chises licites et naturelles… »  (L. III. § XVI)

Stoïcisme.

« Il faut avoir  femmes, enfants, biens…, mais non pas s’y attacher en manière que notre heur en despende. Il faut se réserver une arrière boutique toute nostre…en laquelle nous establissons notre vraye liberté et retraicte et solitude. En cette-cy faut-il prendre nostre ordinaire, entretien de nous à nous mesmes, et si privé que nulle accointance ou communication estrangière y trouve place ; discourir et y rire comme sans femme, sans enfant, et sans biens, sans train et sans valetz, afin que, quand l’occasion adviendra de leur perte, il ne nous soit pas nouveau de nous en passer. Nous avons une âme contournable en soy mesme ; elle se peut faire compagnie ; elle a dequoy assailir et dequoy defendre, dequoy recevoir, et dequoy donner ; ne craignons pas en cette solitude… »  (L.1. § XXXIX. )

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Surmoi.

« Nous autres principalement, qui vivons une vie privée qui n’est en montre qu’à nous, devons avoir estably un patron au-dedans, auquel toucher nos actions, et, selon iceluy, nous caresser tanstot, tanstot nous chastier…Il n’y a que vous qui sçache si vous êtes  lâche ou cruel, ou loyal ou devotieux. ; les autres ne vous voyent poinct ; ils vous devinent par conjectures incertaines ; ils voyent non tant vostre nature  que vostre art. C’est de votre propre  jugement que vous devez faire usage » (Cicéron- Tusculanes- I, XXIII). (L.3. § 2)

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 Tristesse.

« Je suis des plus exempt de cette passion, et ne l’ayme ni l’estime, quoy que le monde ayt prins, comme a prix faict, de l’honorer de faveur particulière ….Car c’est une qualité toujours nuisible, toujours folle, et, comme toujours couarde et basse, les Stoïciens en défendent le sentiment à leurs sages ».  

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Temps, Temporalité

« Je ne peins pas l’être, je peins le passage. Non d’un âge à l’autre, ni de sept ans en sept ans, comme dit le peuple, mais de jour en jour, de minute en minute » » (L.III. § II – Du repentir)

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                                                           Vérité.

Ce passage dans les essais de Montaigne pose question quand à la découverte de l’Amérique. Colomb et Vespucci avaient-ils connaissance de ce texte d’Aristote ?

« L’autre témoignage de l’antiquité, auquel on veut rapporter cette déscouverte, est dans Aristote, (Des merveilles inouïes)…Il raconte là que certains Carthaginois ; s’estant jettez au travers de la mer Atlantique, hors le destroit de Gibaltar, et navigué long temps, avoir descouvert en fin une grande isle  fertile, toute revestuë de bois et arrousée de grandes et profondes rivières… » (Essais. Livre 1. § XXXI)

« Montaigne fait ainsi un diagnostic de la philosophie de son époque suivant lequel ne traite plus de vérité, mais orne des croyances anciennes et bizarres avec les instruments rationnels de prétendues preuves et démonstrations, renonçant en fait à tout jugement. On ne se demande plus si quelque chose est vrai ou faux, « mais comme il a esté ainsi ou ainsi entendu »,………. La cible de Montaigne dans des propos non dissimulés, est la Scholastique et « son « Dieu », c’est-à-dire Aristote » (Métaphysique et raison moderne. Denis Rosenfield)

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Vieillesse.

« Que l’enfance regarde devant elle, la vieillesse derriere :estoit-ce pas ce que signifoit le visage de Janus ? Les ans m’entrainent s’ils veulent, mais à reculons !Autant que mes yeux peuvent reconnoistre cette belle saison expirée. Si elle eschappe de mon sang et de mes veines, aumoins n’en veus-je desraciner l’image de ma mémoire ». (Essais.Livre 3. § V)

« Tantôt, c’est le corps qui se rend le premier à la vieillesse ; parfois aussi, c’est l’âme (Esprit) et en assez vu qu’il a la cervelle affaiblie avant l’estomac, et les jambes » (L1.§ LVI. Page 474.Poche)

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Vivre

« Nous vivons par hasard, nous n’allons pas, on nous emporte comme bille de bois

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Bibliographie

  • Journal du voyage de Michel de Montaigne en Italie par la Suisse & l’Allemagne en 1580 & 1581, Avec des Notes par M. de Querlon. Edition par Meusnier de Querlon du journal rédigé en route et non repris par Montaigne. Le Jay, Rome et Paris, 1774. lire en ligne sur Wikisource.
  • Lire et relire, PUF, Montaigne, lumière des temps »‘ – 248 pages. Marc-Henri Chardin. Éd. Glyphe, Paris 2009
  • « La philosophie critique de Montaigne », par Charles Gagnebin, Editions de l’Aire, Vevey, 2007, 315 pages
  • Les sources et l’évolution des Essais de Montaigne, tome I : Les sources et la chronologie des Essais ; tome II : L’évolution des Essais, par Pierre Villey, Paris, 1908 ; ouvrage en ligne sur Gallica
  • Lexique de la langue des Essais de Montaigne et index des noms propres par Pierre Villey, 1933
  • Montaigne devant la postérité par Pierre Villey, 379 p., Boivin, Paris, 1935
  • Montaigne à cheval, Jean Lacouture – éd. Seuil (Collection Points) (Sympathique initiation à Montaigne)
  • Les Commerces de Montaigne par Philippe Desan, Paris, Nizet, 1992
  • Montaigne, une vie, une œuvre, par D. Frame, tr. p. J.-C. Arnould, N. Dauvois et P. Eichel, Paris, Champion, 1994
  • Montaigne, notre nouveau philosophe par Joseph Macé-Scaron – éd. Plon
  • Montaigne en mouvement par Jean Starobinski – éd. Folio Essais
  • Montaigne par Stefan Zweig – éd. PU p., PUF,F collection « Quadrige »
  • L’influence de Montaigne sur les idées pédagogiques de Locke et de Rousseau par Pierre Villey, 270 p., Hachette, Paris, 1911 ; ouvrage en ligne sur Gallica
  • L’Histoire juive de Montaigne par Sophie Jama, éd. Flammarion, 2001
  • Montaigne ou la conscience heureuse par Marcel Conche, éd. PUF, 2002
  • Michel de Montaigne, biographie, par Madeleine Lazard, Éditions Fayard, 2002, (ISBN 2-213-61398-2)
  • Descartes et Pascal, lecteurs de Montaigne, par Léon Brunschvicg, éd. de la Baconnière, 1945.
  • Dictionnaire de Michel de Montaigne dirigé par Philippe Desan, Paris, Champion, 2004, — (ISBN 2-7453-1142-5). éd. augmentée, 2007.
  • Daniel Lefèvre, Montaigne et La Boétie : Deux images de l’amitié, article paru dans la revue Imaginaire et Inconscient, n°20, 2006, L’Esprit du Temps éditeur. (ISBN 9782847951141)
  • La pensée de Montaigne et la composition des Essais, par Olivier Naudeau, éd Droz, 1975

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