Pensée médiévale (la)

La disputes des théologiens. Lucca Giordano. 1632.
Musée des Beaux-Arts de Bordeaux.
Introduction.
1° La scolastique, les théologiens, les disputations…
2° L’héritage d’Aristote, la transmission des textes.
3° Avicenne, Maïmonide, Averroès.
4° Les Pères de l’Eglise ; saint Augustin, saint Thomas.
5° Philosophie et religion. Foi et raison.
6° Evolution de la pensée médiévale au cours des 10 siècles.
7° Contexte politico-social.
Conclusion.
Introduction
Parcourant, étudiant, l’histoire de la philosophie, l’époque médiévale se présente, tel un « trou noir ». C’est cette période qui se situe (en gros), entre les derniers philosophes romains jusqu’à Montaigne. C’est cette période marquante qu’est le Moyen-âge qui débute avec la chute de l’empire romain, puis lorsqu’en l’empereur Justinien en 476 ferme la dernière école de philosophie à Athènes, et, un nouveau départ de la philosophie vers le 15 ème siècle. Ce n’est pas tout simple de restituer les personnages et les faits marquants pour la philosophie au cours de cette période de plus de 1000 ans. Pas tout simple de restituer l’évolution des idées qui ne sont pas toujours en une même époque d’une seule orientation. De plus il n’y a pas qu’une pensée médiévale et occidentale, mais un faisceau de pensées, qui circulent depuis la Grèce, où la philosophie n’est plus « en odeur de sainteté ». Les derniers philosophes essaimeront vers la Perse plus tolérante à l’époque, puis avec les conquêtes arabes, ces idées seront pour partie reprises en Espagne, pour parties traduites.
Ces traductions sont en fait des traductions de commentaires sur des écrits de philosophes ; commentaires d’abord en persan, qui seront traduits en arabe, puis traduits en latin, et pour la plus grande partie à Tolède ou Cordoue par des traducteurs juifs et mozabites. Tous les traducteurs successifs devaient respecter les contraintes imposées par leur religion. Ce qu’on appelle alors textes de philosophie, ce sont surtout, des études sur : l’astrologie, la logique, les mathématiques, la géométrie, la grammaire, la dialectique, la médecine.
Tout ce qui va concerner : morale, éthique, croyance…, tout ce qui pourrait faire appel à l’analyse et au jugement personnel, est exclusivement du domaine de la théologie, thèmes qui ne sont pas ouverts aux laïcs, aux profanes.
Cette période dite aussi médiévale est fortement marquée par l’intolérance. On a dit que dans cette période la philosophie était devenue « la servante de la religion », et que dans le mariage de la religion et de la philosophie, c’est cette dernière qui portait la traîne. Les « philosophes » sont presque exclusivement des ecclésiastiques.
Nous ne devons toutefois pas oublier que nous sommes à l’époque féodale. Epoque où les autorités s’appuient sur une religion d’Etat qui apporte une cohésion et une forme de structure sociale. C’est l’époque du supplice de la roue, des tortures pour abjurer la foi qui n’est pas la bonne. C’est l’époque des grandes famines et de la construction de cathédrales. C’est l’époque des croisades pour reprendre la ville sainte aux infidèles. C’est aussi l’époque des bûchers, du crime d’apostat, de l’excommunication, de la censure. C’est la chasse aux cathares avec cette terrible exhortation : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens *». C’est aussi et surtout une époque où les religions s’affrontent. C’est la chasse aux hérétiques, aux juifs, aux sorcières, l’époque des croisades pour conquérir la terre sainte, (huit croisades en moins de trois siècles), ce sera la sainte Inquisition; en ces temps là, on tue beaucoup au nom de Dieu. * (Cette phrase qui ordonne le massacre de tous les Albigeois est prononcée par Arnaud Amaury, légat du Pape Innocent III)
Cette époque ne nous a pas laissé de philosophes au sens qui nous était habituel, avec les grecs, les romains ; en revanche, nous avons tous vu de ces livres avec de belles enluminures, lesquels livres furent des jours et de jours de travail par des milliers de copistes.
La pensée philosophique de cette époque, du moins celle qui nous est parvenu nous semble pauvre. Néanmoins, peut-être pouvons-nous dégager, ou essayer de dégager, ce qu’elle a pu apporter à la philosophie, ce qu’elle a pu laisser.
Depuis saint Augustin, Avicenne, puis d’Averroès, Maïmonide, et saint Thomas, quel fut le rôle de ces passeurs de la philosophe d’Aristote et de quelques philosophes Gréco- Romains ? Une grande question se pose : comment le monde chrétien du premier millénaire qui compte, on ne peut en douter, des érudits n’a-t-il pas eu connaissance des œuvres des philosophes grecs et romains. ? comment se fait-il que les seules exégèses*, gnoses*, traductions, interprétations tournent autour d’une minime partie de l’œuvre d’Aristote ?
* Exégèse : Interprétation d’un texte dont le sens et la portée sont obscurs ou sujets à discussion.
* Gnose : Philosophie suprême contenant toutes les connaissances sacrées.
1° La scolastique, les théologiens, les disputations.
Disputations: Extrait de : Les dieux et les mots de Lucien Jerphagnon : « C’est à l’université qu’on acquiert les grades…….Les exercices oraux consistent en une discussion, une disputacio à laquelle prennent part le maître qui la dirige, le bachelier désigné comme, répondant er les étudiants. Ces tournois redoutables, où les participants rivalisaient de subtilité – souvent à vide, il faut bien le dire – étaient de deux sortes. Il y avait les Questions disputées, dûment annoncées, dont le sujet était arrêté par le maître. Les objections venaient à mesure, et trouvaient leur solution magistrale au cours d’une assemblée ultérieure. Mais il y avait aussi ces fameuses séances informelles, pourrait-on dire, où ceux fois l’an, les maîtres s’offraient à traiter n’importe quel problème posé par qui le souhaitait : de quolibet ad volutatem cujus libet. On les appelait donc : Quolibétales, et ces séances avaient pour effet de mettre les nerfs du docteur à rude épreuve : chacun avait toute liberté de l’embarrasser, de le mettre en contradiction avec lui-même……C’est précisément ce climat « d’assemblée générale », avec ses kyrielles d’objections plus ou moins constructives et ses éventuelles « mises en boite », qui a transmis à la postérité, avec le sens qu’on sait, le mot de quolibet »……..
Parmi les thèmes qui feront l’objet de disputations, nous trouvons : celui du diable, si un dieu tout puissant à tout créé, qui a créé le diable ? Saint Augustin s’était déjà penché sur cette question, et en en avait déduit qu’il était comparable au mal, qu’il est seulement absence de bien. Donc au niveau universitaire on laissait le combat, par des prières, par des exorcismes, contre cette entité « le diable », au bas clergé.
Les discussions sont souvent purs exercices de rhétorique, discussions byzantines où le débat n’a pas avancé d’un iota au final.
Les disputations, les écrits portent sur des sujets qui sont propres aux seuls maîtres des universités et écoles religieuses : on traite surtout du Péché originel, de la rédemption, des miracles, du Verbe, de la consubstantialité, de la béatitude, de la contemplation, de la Trinité, du monde en tant qu’éternité, donc monde créé ou monde non créé.
Dans son œuvre : « Eloge de la folie » Erasme nous dit : « Les grands théologiens, les illuminés comme ils disent, préfèrent et jugent plus dignes d’autres questions qui les excitent davantage : tels : Dieu aurait-il pu venir sous la forme d’une femme, d’un diable, d’un âne ou d’une citrouille. Des subtilités encombrent les voies où vous conduisent les innombrables scolastiques. Le tracé d’un labyrinthe est moins tortueux que tous les réalistes, nominalistes, thomistes, etc. »
Un roman, cette fiction comme le très bon film « La controverse de Valladolid » nous montre bien cette ambiance de la disputation.
2° L’héritage d’Aristote. La transmission des textes.
Au début du 12ème siècle Le cistercien Raymond de Sauvetat, initie une école de traducteurs. Il travaille avec Domingo Gonzalez et Juan Hispano qui est juif converti, lequel traduit des textes de l’arabe au latin ; puis Gonzalez va traduire en espagnol. Les textes qui sont traduits sont des textes d’Aristote et des textes d’Averroès.
Les traducteurs juifs et arabes de Tolède, (peut-on lire sur bien des ouvrages traitant du moyen- Âge) vont traduire des commentaires sur Aristote pour leur communauté et par la suite faire connaître les textes aux chrétiens. Entre 1167 et 1175 ce sont 71 traductions qui seront faites à Tolède par des traducteurs juifs et mozarabes. Ce sont des traductions de commentaires sur des œuvres grecques, commentaires à l’origine en persan qui seront traduits en arabe, puis traduit à Tolède en latin. Les traducteurs doivent toujours respecter les règles strictes de leur communauté religieuse. Peu à peu à partir du 14ème siècle, des ouvrages commenceront à séparer philosophie de théologie. Il faudra attendre le début du 16 ème siècle pour avoir une première traduction d’Aristote expurgée du seul regard religieux.
Jusqu’au 15 ème siècle les écrits sur la philosophie de référence grecque représentent un corpus confus. C’est seulement vers 1500 qu’ont va connaître de réelles traductions de Platon, tel le Phédon, le Gorgias, l’Apologie de Socrate ;
On retrouve chez certains dirigeants musulmans de cette période du moyen-âge, le goût des livres et de textes anciens, le goût des collections. Pour cela les faire traduire, non pas traduire par n’importe que interprète, mais par des intellectuels capables de rechercher et comprendre le sens référentiel des mots, des phrases. Parmi ceux là dans le califat d’Al Andalou, cette tâche sera confiée à des intellectuels, tel Avicenne, Maimonide, puis Averroès… Mais cette pensée la plupart du temps d’origine, helléniste, d’Inde, ou persane peut s’avérer être en totale contradiction avec la foi musulmane, avec les règles de la charia qui règle toute la vie politique et sociale. Donc il n’est pas question que les traductions qui viendront à la connaissance d’autres érudits, émettent un postulat contradictoire avec la foi. C’est tout ce compromis qui va définir la démarche fondamentale de la pensée médiévale, d’Avicenne à saint Thomas d’Aquin : soumettre la vérité de la raison philosophique à la vérité révélée.
Les thèmes qui font l’objet de l’étude philosophique sont l’astrologie, la médecine, la dialectique, la logique, la grammaire
Les textes, nous l’avons dit, peuvent s’avérer en oppositions avec les positions religieuses. Il reste deux solutions, supprimer les livres, avec le risque que s’il en reste, et on cherche à savoir pourquoi ils ont été supprimés, soit, et c’est cette solution qui sera adoptée, réécrire et adapter les textes aux règles en vigueur.
Dans l’ouvrage « Penser au moyen-âge » d’Alain de Libera, une image illustre la couverture : on y voit un homme vêtu d’une robe qui semble être un habit religieux, il a un bonnet qui peut être celui d’un soufi, il tient un livre ouverte et d’une main il est en train d’arracher un certain nombre de pages. Tout au long des 358 pages il ne nous explique pas cette image. Voudrait-il par là nous dire que ce fut surtout l’époque de la censure, et plus qu’être des passeurs comme on aimerait le penser, des intellectuels de cette époque ont fait disparaître des ouvrages. Peut-être y a-t-il eut des écrits, des ouvrages qui auraient mérité de passer à la postérité, mais s’ils ont existé ce qui reste probable, ils ne nous sont pas parvenus à ce jour, et nous savons que la censure a été active à cette époque.
Il est assez curieux où révélateur, qu’à part l’étude et les commentaires de textes d’Aristote d’abord puis beaucoup plus rarement de Platon, les écoles de philosophie grecques et romaines ne son jamais citées, elles n’apparaissent pas, on les ignore totalement ou alors à la limite pour les citer comme hérétiques ou sectes, tel les Epicuriens, les Stoïciens, le Sceptiques. Si la scolastique met un coup d’éteignoir sur une grande partie de l’héritage philosophique, elle ne pouvait empêcher des textes de venir à la connaissance, et ce serait peut-être ce fait de l’avoir occultée qui va faire renaître cette philosophie spéculative.
« Traduit et compilé à Tolède au XII ème siècle, le livre des XXIV philosophes a longtemps été considéré comme un des textes majeurs de la littérature hermétique médiévale. Ses origines restent très mystérieuses » (La philosophie médiévale. Alain de Libera) « Le livre des XXIV philosophes débute ainsi « Dieu est une sphère infinie dont le centre est partout, et la circonférence nulle part »
Nous retrouvons là un plagiat d’un principe émit par les philosophes grecs concernant le temps et la dimension ; à savoir nous ne connaissons pas le moment précis du début du monde ; nous ne connaissons pas le début et la limite de ce vaste univers, ce qui fait que « nous somme en n’importe quel point du temps, comme en n’importe quel point de l’espace »
Aristote dans un ouvrage (Traité du ciel ?) évoque le monde sublunaire, c’est-à-dire l’univers au-delà de la Terre et de la Lune, ce monde des étoiles des planètes, ce qu’on appellera longtemps » l’éther », il pense qu’un principe, une impulsion mécanique doit régir le mouvement des astres, il évoque un principe moteur, un « premier moteur » (Physique VIII, 10). Les théologiens appliquerons ce principe au divin et ferons tenterons d’assimiler l (œuvre d’Aristote à la révélation.
C’est vers 1230 que le milieu universitaire de Paris va connaître les « Commentaires » D’Averroès sur Aristote.
Dans son ouvrage « Aristote eu Mont saint Michel » Sylvain Gouguenheim, nous donne quelque éclairage à ce sujet : Résumé de l’œuvre : On considère généralement que l’0ccident a découvert le savoir grec au Moyen-Â, grâce aux traductions arabes. Sylvain Gougenheim bat en brèche une telle idée en montrant que l’Europe a toujours maintenu ses contacts avec lemonde grecc. Le mont Mont-Saint Michel notamment, constitue le centre d’un actif travail de traduction des textes d’Aristote en particulier, dès le xxe siècle. On découvre dans le même temps que, de l’autre côté de la Méditerranée l’hellénisation du monde islamique plus limitée que ce que l’on croit, fut surtout le fait des Arabes chrétiens. Même le domaine de la philosophie Islamique resta en partie étranger à l’esprit grec. Ainsi, il apparaît que l’hellénisation de l’Europe chrétienne fut avant tout le fruit de la volonté des Européens eux-mêmes. Si le terme de ‘racines’ a un sens pour les civilisations, les racines du monde européen sont donc grecques, celles du monde islamique ne le sont pas.
« Par ailleurs, si l’Europe doit le Renaissance à l’Islam, il faut comprendre pourquoi ce dernier n’a pas participé en retour à cette Renaissance » (Aristote au Mont Saint-Michel. Page 17. Seuil. 2008)
Ce que les théologiens ont tiré d’Aristote c’est l’idée de cause première. Aristote parle d’un mouvement qui régit les corps célestes, les astres, les planètes, et le nomme cause première. C’est donc à partir d’un ouvrage d’astrologie que les théologiens vont lui attribuer l’idée de cause immanente
Pour l’historien Sylvain Gouguenheim la première traduction d’Aristote est l’œuvre de Jacques de Venise mort vers 1150. Des livres grecs dès le 7ème siècle s’accumulaient dans la bibliothèque de Latran à Rome. Des textes étaient envoyés vers tous les abbayes et couvents qui s’adonnaient à la traduction et à la copie. « Deux manuscrits datant du XII ème siècle contiennent la majeure partie de ces traductions. Ils sont conservés à la bibliothèque d’Avranches et portent les N° 211 et 232 » (Sylvain Gouguenheim)
C’est à l’abbaye du Mont saint-Michel « …que, au début du XII ème siècle, les œuvres d’Aristote furent traduites directement du grec en latin… »
« Les savants de l’Islam n’ont jamais eu accès aux textes anciens originaux, tous leurs travaux ayant été effectués à partir de traductions » (-R. Le Coz. Cité par Sylvain Gouguenhiem)

Enluminure pour l’ouvrage: Grandes chroniques de France
3° Avicenne, Maïmonide, Averroès.
Avicenne : 980/1037 – Al-Ghazäli : 1058/1111 – Averroès : 1126/1198 – Maïmonide :1135/1204.
L’œuvre majeure de Maïmonide sera le « Guide des indécis* » qui sera nommé « Le guide des égarés ». Pour lui Moïse a inspiré Platon et Aristote, idée qu’on va retrouver souvent sous diverses formes. « Déjà il présente le principe moteur mécanique, ou « principe moteur » d’Aristote comme un dieu* » (* Lucien Jerphagnon. Les dieux et les mots. P, 433 ; Tallendier 2004)
La connaissance d’Aristote par le canal arabo-andalou, nous l’avons déjà évoqué, est controversée. Ainsi que le développe Sylvain Gouguenheim dans son œuvre « Aristote au Mont Saint Michel » ou encore Joseph Canning dans « Histoire de la pensée politique du moyen-âge ». ce dernier nous dit : « Les deux ouvrages, Ethique et politique, furent traduits en latin à partir des manuscrits grecs, bien que la Politique ait déjà été connue de réputation par les références que faisaient les savants arabes à son existence, et que l’Ethique ait été commentée en arabe[……] en 1246 la Politique fut traduite par Guillaume de Moerbeke »
Averroès « Le grand commentateur d’Aristote. (et la double vérité)
On va prêter à Averroès cette histoire de double vérité, idée qu’il n’a jamais évoquée. Cette idée sera évoquée et reprise en France, mais le plus souvent réfutée violement par les théologiens pour qui il ne saurait y avoir deux vérités. Ce n’est pour certains théologiens que de vouloir se présenter avec le titre de théologien et avec le titre de philosophes, c’est peut-être l’invention de la double casquette. C’est Raymond de Lulle qui va utiliser cette double vérité avec cette expression : « je crois que la foi est vraie, je pense qu’elle n’est pas vraie » ou la croyance bifide mi-raisin, c’est s’arranger du conflit d’une dissonance cognitive
L’œuvre la plus connue d’Averroès est « le discours décisif ». Pour lui, « le Coran ne renferme pas un savoir positif, mais une injonction à connaître » pour cela il propose d’utiliser la philosophie à l’appui de la foi, pour la justifier. C’est, dit l’écrivain Rémi Brague « faire comparaître l’activité philosophique devant le tribunal de la charia ».
Avec ces lignes reprises à Aristote on comprend que des religieux à cette époque aient utilisé à leur façon cet auteur : « Ceux qui, par exemple, se posent la question de savoir s’il faut ou non honorer les dieux et aimer ses parents n’ont besoin que d’une bonne correction, et ceux qui demandent si la neige est blanche, n’ont qu’à regarder »
Le titre complet de son ouvrage « le discours décisif » est et « De la connexion existant entre la Révélation et la philosophie »
Au Chapitre 18 de son œuvre on peut lire : « Puisque donc cette Révélation est la vérité, et qu’elle appelle à pratiquer l’examen rationnel qui assure la connaissance de la vérité »
Nous voyons déjà là malgré toutes les contorsions sémantiques la démarche proche de l’intégrisme. Intégrisme pour plier la raison et la rationalité à une croyance : « car la vérité » poursuit-il dans le même chapitre, » ne peut être contraire à la vérité, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur » (Re dissonance)
Au chapitre 46 il nous démontre déjà l’intolérance de ces fanatiques : « ce que doivent faire les chefs politiques musulmans c’est d’interdire ceux des livres qui contiennent la science à qui n’est pas homme à pratiquer cette science… »
Au chapitre 66, on lit : « Les penseurs spéculatifs sont devenus les oppresseurs pour les musulmans… »
Au chapitre 70, on peut lire : « Les argument révélés exposés dans le Livre précieux à l’intention de tous possèdent trois propriétés qui prouvent l’insupérabilité (du Livre). Premièrement, il n’y a pas d’arguments plus propres qu’eux à produire la persuasion et l’assentiment de tous. Deuxièmement, de par leur nature, ils se soutiennent si éminemment que seuls peuvent en découvrir l’interprétation…les hommes de démonstration. Troisièmement, ils comportent à l’intention des hommes habilités à connaître la vérité, des indices signalant l’interprétation vraie » Source : (Philosophie magazine N° 49 – Mai 2011)
Toutes ces contorsions sémantiques qui nous disent que la Révélation nous a été fournie avec ces arguments eux aussi « révélés », (comme un package), cette « langue de bois » montre surtout l’aspect intégriste de ces « intellectuels » qui ne reculent devant rien pour montrer leur obéissance, leur servilité. Ou c’est d’une très grande naïveté, ou c’est une grande escroquerie intellectuelle.
« Le ‘’Discours décisif » est une œuvre de circonstance dans laquelle Averroès défend la doctrine officielle des souverains Almohades au service desquels il était. Et ce qu’on va bien entendu enseigner comme un plaidoyer pour la tolérance, s’achève par un appel à la répression contre ses adversaires… » (Rémy Brague. Au moyen-âge, philosophies médiévales. Page 29. Flammarion. Champs essai 2006)
4° Les Pères de l’Eglise : saint Augustin, saint Thomas.
Augustin (saint): 354/430
Saint Augustin composera un traité qu’il nommera « De la vraie religion ».
Dans le livre « Confessions, VIII,9) saint Augustin dit que dans le livre des Platoniciens, sans cité une œuvre : « au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu… », Il précise quand même que ce n’était pas dans ces termes, mais que c’était la même chose. Nous avons un curieux mélange des œuvres de Platon et de l’évangile selon saint Jean.
Thomas d’Aquin, saint (1225-1274), surnommé parfois le « docteur angélique » et le « prince de la scolastique », philosophe et théologien italien qui, par ses œuvres, est devenu la figure majeure de la philosophie scolastique et l’un des principaux théologiens catholiques.
« Jusqu’à l’an 1000, c’est le monde du cloître qui assure seul, la vie de l’esprit… » (La philosophie médiévale. Alain de Libera. Puf 1993)
Les œuvres de saint thomas seront après sa mort censurées, interdites, puis réhabilitées, on dira même à cette époque que son œuvre était l’expression de la philosophie éternelle, c’est à dire que tout était dit, il n’y avait plus de questions à poser.
« On va lui vouer un culte…, on peut voir au Louvre le saint Thomas de Benozzo Gozzoli trônant entre Platon et Aristote. A ses pieds, un Averroès à plat ventre, visiblement en état de choc…A Syracuse, un tableau de l’école de Messine…le montre assis en chaire, flanqués des saints apôtres Pierre et Paul…Et sous la chaire Averroès couché, les yeux dans le vague… » * Lucien Jerphagnon. Les dieux et les mots. P, 472/473. Tallendier 2004)
Saint Thomas s’avère être un adversaire dur d’Averroès. Il appelle Averroès « le philosophe aux ailes d’autruche », (l’oiseau qui ne sait voler ou le philosophe qui ne sait philosopher)..
Comme son prédécesseur Augustin, il reprendra les attaques contre la philosophie : « Ceux qui étudient la philosophie doivent être sur leurs garde et fuir tout ce qui est contraire à la doctrine du Christ, comme mortelle pour l’âme » Nous lui devrons pour le moins d’avoir lui aussi, confirmer que la philosophie est subversive, dangereuse pour tous les dogmes et idées dominantes. (Ce qui reste vrai)

Triomphe de saint Thomas d’Aquin. Lippo Memmi (Vers 1346)
(on voit Avéorrès sous ses pieds)
5° Philosophie et religion. Foi et raison.
En 391 l’empereur Théodose va prohiber les cultes païens, ou textes non validés par l’Eglise, sous peine de mort. « Une jeune femme Hypartia (375/415) fille du mathématicien Théon voulait enseigner Platon, les stoïciens.., elle fut brûlée par des moines sous la conduite du Lecteurde l’Eglise d’Alexandrie.. » (Les dieux et les mots. Lucien Jerphagnon. P, 333)
Empereur Justinien qui avait fait fermer la dernière école de philosophie, interdisait « qu’aucun enseignement soit professé par ceux qui sont malades de la folie sacrilège des Hellènes » (Idem, p, 339)
Pierre Damien docteur en théologie, (1007/1072) dira que ce sont les démons qui « ont infusé en nous le désir de savoir, et le propos de se lancer dans les arts libéraux et les études de philosophie », ou, dans ce même traité, « Sur la toute puissance de Dieu » il écrit : « Platon ? Je le recrache ; Pythagore ? Je n’en fais pas cas. Euclide ? Je le congédie de même.., si le chrétien tient absolument à épouser cette vulgaire servante (la philosophie) il doit la traiter comme le prescrit la Bible à propos des captives : qu’au préalable il lui rase les cheveux, et lui rogne les ongles » ». Il sera néanmoins canonisé.
Si dans cette grande époque de la philosophie grecque, on a pu dire : qu’« A partir des sophistes, la philosophie ne révèle plus: elle est obligée de raisonner pour prouver ». (Jacqueline de Romilly. Les grands sophistes dans l’Athènes de Périclès. P, 319). Avec la philosophie de cette époque médiévale, on a renversé le postulat. La révélation est la base de toute philosophie.
A partir de 1300 dans cette controverse de la foi et de la raison le ton se durcit. A vouloir tant user d’argumentations, à vouloir censurer des textes, des auteurs, des esprits moins dociles commencent à douter et à le dire, c’est l’effet du poison d’Averroès.
Si les maîtres scholastiques ont récupéré Aristote pour l’enrôler dans leurs argumentaires, ils l’ont fait en utilisant d’abord l’ouvrage d’Averroès « Les commentaires », mais cela s’avérera un cadeau empoisonné. L’étude d’Aristote est plus large chez les intellectuels de l’époque, certains découvre qu’il est l’homme du juste milieu, ce qui ne va pas avec les thèses des théologiens ; il deviendra un adversaire et c’est Gilles de Rome qui va dresser un réquisitoire contre Averroès et Aristote: « Averroès a renouvelé toutes les erreurs d’Aristote, mais il est moins excusable, parce qu’il attaque directement notre foi. Indépendamment des erreurs d’Aristote, on peut lui reprocher d’avoir blâmé toutes les religions, comme on le voit dans le IIème et XIème livre de sa métaphysique où il blâme la loi des chrétiens et celle des Sarrazins, parce qu’elles admettent toutes deux la création ex nihilo. Il blâme encore les religions au commencement du III ème livre de sa physique ; et, il y a pis, il nous appelle, nous et tous ceux qui tiennent pour une religion, « parleurs », « bavards », gens dénués de raison. Au VIII ème livre de sa physique, il blâme enfin les religions et appelle les opinions des théologiens des « fantaisies » comme s’ils les concevaient par caprice te non par raison » (Sur les erreurs philosophiques. Gilles de Rome)
Encore une fois le trait est tellement outré, qu’il y a peut-être une autre lecture de ce genre de texte. Est-ce une façon dire ce qu’il ne faut pas dire ? N’est-ce pas une là, une façon de détruire de l’intérieure ce mouvement scholastique ?
Les prédicateurs, qui vont de couvent en couvent, qui prêchent dans les églises ont un certain nombre d’histoires « véridiques et édifiantes ». Histoires de punition céleste pour celui qui s’est écarté de la loi religieuse. C’est par exemple la punition pour blasphème de Simon de Tournay : « Il était un maître à Paris dont la réputation l’emportait sur tous les autres. Un jour quelqu’un vint lui dire : « maître, vous devez bien rendre grâce à Dieu de vous avoir donné une telle sagesse. – Je dois surtout remercier ma lampe et mon travail, grâce auxquels j’ai pu acquérir ma science »
Le châtiment dit le prêcheur, ne s’est pas fait attendre, le « méchant » Simon tombe à terre, retourne à sa condition native, celle d’un « berger illettré »
Pour démontrer combien est dangereuse le déni de foi, des religieux racontent l’histoire du même et célèbre universitaire religieux Simon de Tournay, maître dans l’art de la disputation. Une foule d’élèves étaient venus à sa soutenance sur la Trinité et le Christ. A la fin de son brillant exposé, tous l’entourent pour le féliciter. Ce dernier déclare alors qu’il aurait pu utiliser son art tout autant prouver le contraire de ce qu’il vient de dire. Son corps alors se disloqua raconte l’histoire contée dans les couvents, les universités, il perdit l’usage de la parole, il mourut dans les trois jours…Le même Simon sera accusé encore de blasphème en ayant évoqué lui aussi, le thème de l’imposture religieuse ; « Il y a eu trois imposteurs, trois pipeurs qui ont séduit le monde et l’ont abusé avec leurs sectes et leurs dogmes. Le premier, Moïse, a trompé le peuple juif ; le deuxième, Jésus, ceux qu’on a appelé à cause de lui, les chrétiens ; le troisième, Mahomet, tout le reste de l’humanité ».
Comment fallait-il recevoir cette histoire à l’époque, connaissait-on déjà le deuxième degré ?
Nous sommes dans une époque où les gens des campagnes, des petits bourgs n’ont aucun moyen de communication avec l’extérieur. Les évènements à commenter, ce sont les histoires et les ragots du village, puis accessoirement le prêche du curé ou du prédicateur de passage. Sur des gens si peu instruits ont peut, encore plus que de nos jours, formater totalement les esprits, ce qui nous explique pour partie tous ces siècles d’obscurantisme.
Le durcissement dogmatique va croissant. Un théologien Maître Eckart fait l’objet d’une bulle du pape jean XXII, le condamnant vivement: « C’est avec une grande douleur que nous faisons savoir que, ces temps derniers, un certain Eckart, des pays allemands, docteur ès écritures saintes, à ce qu’on dit, et professeur de l’ordre des frères prêcheurs, a voulu en savoir plus qu’il ne convenait ; il n’ a pas voulu avec modération et suivant la mesure de la foi, puisque, détournant son oreille de la vérité, il s’est tourné vers des fables. Séduit, en effet, par le père du mensonge, qui souvent prend la figure d’un ange de lumière afin de répandre les noires et profondes ténèbres des sens à la place de la clarté de la vérité, cet homme faisant lever dans le champs de l’Eglise, au mépris de l’éblouissante vérité de la foi, des épines et des tribules, et s’efforçant d’y produire des charbons nuisibles et des ronces vénéneuses, a enseigner bien des dogmes qui obnubilent la vraie foi dans les cœurs de nombreux fidèles ; il a exposé sa doctrine principalement dans ses prédications devant le vulgaire crédule ; il l’a même rédigé dans es écrits »
Maître Eckart avait été chargé en 1313 d’assurer la direction spirituelle en Alsace et Rhénanie d’une communauté de femmes célibataires : « Les béguines »
En 1311/1312 le concile de Vienne condamne les Béguines : « Il nous a été rapporté que certaines femmes, communément appelées, Béguines, atteintes d’une sorte de folie, discutent de la sainte Trinité et de l’essence divine et exprime sur la question de la foi et des sacrements des opinions contraires à la foi catholique, trompant ainsi beaucoup de gens simples….
Un partie de ce mouvement donnera les « frères et sœurs du libre esprit » lesquels seront persécutés.
6° Evolution de la pensée médiévale au cours de ces 10 siècles
Un des spécialistes de la philosophie médiévale, Gilson, parlera des « siècles désertiques » de la philosophie
Parmi les esprits un peu plus ouverts qui vont commencer à débloquer cette situation où l’on philosophe que dans les limites de ce qui est permis, nous trouverons Jean de Salisburury (1115/1180) élève du célèbre Abélard (l’amant d’Héloïse), puis évêque de Chartres. Il est des rares qui connaisse un peu la philosophie grecque, il serait presque un sceptique puisqu’il reconnaît que notre discernement peut avoir des limites, que sur bien des questions il existe nombre de probabilités. Peut-être une première éclaircie dans cette pensée médiévale ?
« Il va de soi qu’au XIIIème siècle la philosophie est morte : cela fait plus de 700 ans que l’empereur Justinien a fermé la dernière école de philosophie à Athènes » (Alain de libera. Penser au Moyen-âge. P, 150. Seuil 1991)
Avec les textes du Livre, les textes anciens revisités par la philosophie scholastique vont être pour longtemps dans les trois grandes religions, ont été l’étalonnage, ont été des marqueurs définissant encore aujourd’hui nombre de nos valeurs morales.
On évoque ici la pensée la philosophie au Moyen-âge, laquelle sera le plus souvent traitée sous l’angle de la pensée médiévale. En effet, avancent ces historiens de la philosophie, il n’y a pas d’époque, de période philosophique, si cette dernière n’a pas été créatrice, à l’origine d’un courant de pensée ayant marqué l’histoire de la philosophie. Il n’y a pas au sens de l’époque grecque ou romaine, comme au sens moderne de philosophes, il y a ce qu’on pourra appeler des intellectuels. On évoquera l’expression pour un certain nombre d’écrits de « philosophie chrétienne », ce que Heidegger nomme : « le cercle carré ». Quelle est réellement la durée de cette pensée médiévale ? Environ 10 à 11 siècles ? De fait c’est cette longue période d’absence des philosophes. Nous avons à combler ce grand vide, ce que certains ont appelé « ce long coma, cette jachère de la pensée [….] cette léthargie, dans laquelle les religions du Livre avaient plongé la philosophie » ; cette période qui va de Sénèque à Montaigne ; lequel Montaigne annonçait la Renaissance de la pensée philosophique.
« Si l’on considère le passé avec les yeux d’un Aufklärer, le Moyen-âge est le trou noir de la culture européenne. La raison est là, certes, mais au service de la superstition. C’est l’âge de l’argumentation excessive, d’une raison enfantine, parleuse, entêtée, qui discute tout parce qu’elle ignore tout, accumule les effets parce qu’elle ne sait pas aller aux causes, fabrique du sens avec une suite de hasards et mobilise le temps et les hommes, les institutions même pour explorer un monde qui n’existe pas…. » (Alain de Libera. Panser au Moyen-âge, p 86. Seuil 1991)
Ce n’est pas de la pensée du Moyen-âge qu’est venue la Renaissance, mais de la redécouverte des civilisations grecques et romaines. Redécouverte débarrassée des censures religieuses; c’est d’abord la découverte qui passe par les arts, puis un lente mais réelle évolution des esprits, jusqu’à l’époque des Lumières ; rien que cette expression « renaissance » semble nous dire que nous sortons d’une nuit de la pensée.
« Au terme de mille ans d’histoire, quatre ensembles géoculturels – l’orient et l’occident chrétien, l’Islam oriental et occidental – quittent la scène philosophique. Chacun avec sa destinée propre. La philosophie disparaît en partie de l’Islam ; le judaïsme passe à la Kabbale ; le monde chrétien rompt avec le Moyen-âge. Doublement. L’humanisme attaque sur deux fronts » (La philosophie médiévale. Alain de libera. P, 485. PUF 1993)
Dans « l’homme médiéval » J. le Goff, nous dit : « C’est seulement à la Renaissance qu’il y a des philosophes… », des philosophes qui vont rompre avec les vérités consacrées, on peut chercher librement la vérité
Du 13ème au 14ème siècle bien des évènements vont secouer l’Eglises, les universités qu’elle dirige en totalité : ce sera plusieurs papautés, ce seront des schismes, ou sectes : Vaudois, Cathares, Béguines. Le dogme se radicalise contre toutes les formes d’hérésie, ce sera de triste mémoire la sainte Inquisition, cette domination de la pensée devient un totalitarisme religieux, comme hélas cela existe encore aujourd’hui dans certains pays. Dans les heures peu glorieuses de cette mouvance on connaît également le procès de Jeanne d’Arc sous les ordres du célèbre Cauchon, assisté de 74 ecclésiastiques docteurs
Dans cette même période où le pouvoir de l’Eglise commence à chanceler des voix osent émettre des idées nouvelles, tel Jean Duns Scot (1266/1308) : il pose la question de « Que peut-on connaître » et est-on sûr de pouvoir expliquer cette connaissance, il pense qu’il faut faire des nuances et ne pas rester dans la pensée de saint Thomas, celle de l’illumination et de la révélation. Un siècle plus tôt cela lui eût sûrement valu le bûcher avec la langue liée pour éviter les paroles blasphématoire face au public qui vient assister à une « réjouissance ». Peu après c’est également autre théologien Jean Buridan (1300/1360) qui va reffuser les principes d’Aristote en physique, et exposer que les corps célestes se meuvent par leur unique force. Nous somme encore à l’époque où la Terre est le centre de l’univers, et il n’y pas de place dans ce contexte pour une philosophie « païenne » qui mettrait en doute le dogme dominant ; c’est comme si aujourd’hui, l’on voulait que Michel Onfray débatte à la télévision en Iran.
Dans une telle époque : qui philosophe ? Après les invasions barbares du premier millénaire, la première moitié de ce second millénaire est marquée par des famines, la peste noire, des guerres, dont celle de cent ans, par le système féodale. Qui du peuple, pour peu que l’on sache lire, chose rare, peut s’intéresser à philosophie. Si l’on situe cette pensée médiévale de Sénèque à Montaigne, la dernière secousse qui ébranlera l’Eglise sera l’arrivée de Luther et du protestantisme.
On peut se demander ce que serait la pensée philosophique aujourd’hui si les richesses philosophiques grecques et romaines n’avaient pas été ensevelies pendant plus de 10 siècles par la religion ? L’humanité a t- elle perdu 10 siècles de réflexion philosophique ? C’est un peu ce que nous dit en substance Sylvain Gouguenheim dans son œuvre « Aristote au Mont-saint Michel » : Les peuples restés sous l’influence de la religion musulmane n’ont pas eut leur renaissance et la pensée philosophique reste souvent la même qu’à l’an un de l’Egérie.
7° Contexte politico-social.
Après la chute des deux grands modèles de vie sociale que furent la Grèce avec la démocratie au niveau des cités, après les Républiques romaines et leurs avatars, après ces siècles où l’on croyait aux divers dieux sans que cela ne crée de problème, voilà que l’Europe est le théâtre d’invasions barbares, et les dieux d’hier de plus en plus sont chassés, interdits, au profit d’une seule et unique religion, « Les cieux ont changé de propriétaire » . « Le 24 août 410 Rome était tombée. Alaric y entrait entré à la tête de ses Goths qui {…] étaient chrétiens. Le sac de la ville a duré trois jours… » (Lucien Jerphagnon)
Des royaumes se créent tel que celui de Clovis. On voit là le pouvoir temporel s’appuyer et utiliser un pouvoir intemporel (ce qui n’exclut pas le contraire) ; puis Charlemagne, fédérer autour d’une langue, autour d’une religion. Clovis conforte son pouvoir autour du lien de la religion du pays conquis. La Gaulle valait bien une messe. C’est : »…avec l’époque carolingienne qu’apparut la pratique de l’onction des rois par les clercs ». (Histoire de la pensée politique médiévale. Joseph Canning) Par la suite la royauté et la papauté se font la courte échelle, les rois ont besoin d’une religion qui ajoute un pouvoir spirituel à leur pouvoir, c’est légitimer un ordre social et tous les pouvoirs octroyés. « Les conceptions théocratiques furent délibérément encouragées par la monarchie comme faisant partie de son programme de légitimation et de consolidation du pouvoir de la dynastie » (Histoire de la pensée politique médiévale. Joseph Canning. Page 4. Ed. Universitaires de Fribourg. 2003)
Outre l’influence sur toute la pensée médiévale, la religion catholique va planter son drapeau (ou sa croix) dans de très nombreux pays européens. Les rois et les représentants de l’Eglise, papes ou évêques passeront un long contrat. C’en est fini du polythéisme c’est dira t –on: le « crépuscule des dieux », c’est une ère nouvelle à l’issue de laquelle plus rien ne sera comme avant. L’Etat s’est fait « sur et, avec » l’Eglise. L’Eglise s’est construite « sur et avec » l’Etat.
Aujourd’hui nous sommes habitués à de si nombreux supports de l’écrit que nous pouvons difficilement imaginer l’impact d’une nouvelle pensée gravée, fixée par l’écrit au moyen-âge. Les écoles de philosophies, nous l’avons dit ont été fermées par l’empereur chrétien Justinien, quelques philosophes grecs se sont refugiés en Perse, pays plus tolérant : « après les grandes invasions, (les vandales, les Goths, les barbares) plus aucun repère ou presque de la culture des grands philosophes… » (La philosophie médiévale. Alain de Libera. P, 365. Puf 1993).
Les premières Bibles, recopiées par des moines sont lues par des curés. On peut imaginer que tout à coup les gens qui croyaient encore aux esprits, aux démons, aux sorts ; apprennent qui fut le premier homme, la première femme, ils ont l’explication de la création du monde, et cette nouvelle religion leur promet : le paradis à temps complet après la mort – que les pauvres seront riches – que les derniers seront les premiers. Ce fut la grande époque de la chrétienté où l’Eglise gouvernait les âmes. En 380 la religion chrétienne devient religion officielle de l’Empire romain. Très tôt la religion chrétienne s’appuiera sur l’autorité en place pour conforter en retour son hégémonie ; nous avons cette expression restée célèbre: « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu » c’est dans le droit fil de ce que disait saint Paul : « Vous devez tous obéir aux autorités qui gouvernent. Puisqu’un gouvernement vient de Dieu, les autorités civiles ont été instituées par Dieu ; ainsi quiconque résiste à l’autorité se rebelle contre la volonté de Dieu, et un tel acte mérite d’être puni » (Histoire de la pensée politique médiévale. Joseph Canning. Page 62. Ed. Universitaires de Fribourg. 2003)
Déjà « dans les royaumes barbares on pensait que Dieu était la source ultime de l’autorité royale » (Joseph Canning), paraphrasant l’évangile on disait que le roi, ou l’empereur : « avait reçu deux glaives : l’un pour garder pure l’Eglise de toute hérésie, à l’intérieur, l’autre pour être utilisé contre les ennemis païens ».
Tout le moyen-âge et surtout la seconde moitié dit moyen-âge tardif sera marqué par ce rapport de l’équilibre entre l’autorité du clergé, autorité du pape et autorité des rois, des empereurs. Les empereurs sont créés et sacrés par le pape, c’est à partir des Carolingiens l’investiture incontournable.
Cette volonté de dominer le temporel sera, avec certaines pratiques comme l’excommunication de rois ou empereurs, comme la simonie (l’achat des fonctions ecclésiastiques) ou encore la vente des indulgences par le pape lui-même pour construire la basilique saint Pierre à Rome, à l’origine des futurs ennuis de l’Eglise et provoquera sa chute au sens où les rois s’affranchiront très souvent de l’autorité du pape. A partir des 12 ème et 13 ème siècles commencent les affrontements entre les rois et le pape : « Après tout » argumentera t- on, « les empereurs ont existé bien avant les papes » Nous verrons des papes rivaux, à Rome et à Avignon, des papes déposés par des rois ou par un concile, en 1415 deux papes sont déposé et un autre démissionne, puis l’Eglise d’Angleterre déniant l’autorité d’un pape. En 1398 le roi de France prononce « la soustraction d’obédience », les sujets français n’ont plus à obéir au pape. La fin de la pensée médiévale correspond à la rupture de contrat entre deux pouvoirs. Ce sera la Renaissance, l’Eglise aura perdu son hégémonie, de ce fait les idées également seront libérées du dogme, et la pensée s’ouvre de nouveaux horizons.
Les rois sont tour à tour nommés rois théocratiques ou vicaire de Dieu.
Avec la féodalité, les grands seigneurs, ceux qui prêtent serment de fidélité aux rois et à l’Eglise nous avons le trépied de cette forme d’Etat.
A 99,99% la population est totalement inculte. Et c’est l’époque des grandes famines, des guerres, de la peste noire dont celle terrible de 1347 à 1351 qui a tué un européen sut trois, et autres épidémies qui font des ravages. La demande philosophique n’est pas une nécessité première, on s’en doute…. alors difficile d’appréhender le moyen-âge avec notre mode de pensée actuel, sans tenir compte de la grande misère du peuple.
Dans : « les grandes invasions des Vandales, des Goths, les invasions barbares » on lit : « …en ces temps où le livre est un objet rare et la lecture un privilège, périssable est la mémoire
« Nous, Charles, par la grâce de Dieu, roi des francs et des lombards, patrice des Romains[…] nous faisons savoir à notre dévotion […] qu’avec nos fidèles nous avons jugé utile que les évêques et les moines dont la faveur du Christ nous a donné le gouvernement, veillent non seulement à mener une vie régulière et à maintenir notre sainte religion, mais encore de méditer les belles lettres et à dispenser l’instruction à ceux qui, grâce à Dieu, sont capable d’apprendre, selon la capacité de chacun. » (Lettre ordonnance, (capitulaire) de la réforme scolaire de Charlemagne. 789)
Pas plus chez les chrétiens occidentaux , que chez les arabes, musulmans ou non, les éléments essentiels de la culture grecque hors quelques éléments des sciences ne sont repris, tout aurait disparu : disparu Homère, l’Iliade et l’Odyssée, disparue la mythologie, disparues les tragédies D’Eschyle, d’Aristophane, Euripide, Sophocle, les épicuriens, les stoïciens, les sceptiques. Est-ce qu’on n’en a pas connaissance, ou est-ce qu’elles sont mises au secret, étant « politiquement incorrectes » pour les théocraties de cette époque du moyen-âge ?
Cette période la pensée médiévale qu’on fait correspondre au moyen-âge laisse dans les esprits le sentiment d’une période d’obscurantisme, de condition de vie d’une extrême dureté, d’un enfermement de la pensée, on utilise l’expression « c’est le moyen-âge »
Comment ce système politico religieux a-t-il fait faillite ? Il nous faudrait plusieurs débats pour évoquer, et les évolutions des sciences, et les évolutions des esprits, et la perte de pouvoir de l’Eglise qui en était venue sous Pie X à vendre des indulgences.
« Le XIIème siècle c’est l’époque où la France a basculé dans la modernité, le commerce, la monnaie, l’indépendance des villes… » (Les yeux jaune des crocodiles. Katherine Pancol)
« L’exode rural de très grande ampleur …confronte les autorités des villes à des populations déracinées » (Le roseau pensant. Thierry Wanegffelen)

Conclusion.
L’histoire ne prend pas toujours les bons chemins, mais paradoxe, il arrive que même par ces chemins dits « mauvais » elle avance quand même. Ainsi de cette époque de la pensée médiévale qui veut tellement user de la raison pour servir un dogme, et qui fera par là connaître Aristote et un peu Platon, elle montrera que la confiscation de la raison va se retourner contre elle. Ayant poussé si loin ce principe, avec la censure, la condamnation, les bûchers, la torture, elle a semé sans le vouloir. Et ce sera le siècle des Lumières, particulièrement qui va œuvrer pour écarter ces éteignoirs de la liberté de penser. Ce que résume si bien Durkheim : « [La scolastique] a introduit la raison dans le dogme tout en se refusant à nier le dogme. Entre ces deux puissances, elle a essayé de tenir la balance égale : ce fut à la fois sa grandeur et sa misère. Il y a vraiment quelque chose de passionnant et de dramatique dans le spectacle que nous donne cette époque tourmentée, ballotée entre le respect de la tradition et l’attrait du libre examen, entre le désir de rester fidèle à l’Eglise et le besoin croissant de comprendre. Ces siècles que l’on a représenté parfois comme plongés dans une sorte de quiétude et de torpeur intellectuelle, n’ont pas connu la paix de l’esprit. Ils ont été partagés contre eux-mêmes, tiraillées en des sens contradictoires ; c’est un des moments où l’esprit humain a été le plus en effervescence, en gestation de nouveautés. La révolte est réservée à d’autres temps ; mais c’est alors que ce font les semailles. La moisson se fera en plein soleil, au milieu de la joie dans l’éclat du XVII ème et XVIII ème siècle ».
L’écrivain Joseph Canning va aussi conclure son ouvrage avec l’image des semailles : « Le moyen-âge fut le temps des semailles pour la civilisation européenne : si on ne le connaît pas, il n’est possible de comprendre pleinement la pensée politique des siècles suivants »
Des théologiens seront fort heureusement moins obtus et chercheront dans le cadre de leur dogme bien sûr à faire vivre la pensée philosophique : ce sera le cas de Bernard de Chartres qui vers 1124/1130 lequel nous dira : « Nous sommes comme des nains portés sur des épaules de géants. Nous voyons donc plus de choses que les anciens et de plus éloignées, non par la pénétration de notre propre vue ou par l’élévation de notre taille, mais parce qu’ils nous soulèvent et nous haussent de toute leur grandeur gigantesque ». Cette image se voit sur le vitrail sud de la cathédrale de Chartres. Il ne s’agit pas pour lui de rejeter dans l’insignifiance les leçons de penseurs païens pour la seule raison qu’ils n’ont pas connu le Christ, mais de s’aider de toute leur science pour mieux entendre le message du sauveur. (Lucien Jerphagnon. Histoire de la pensée médiévale d’Homère à Jeanne d’Arc. Page 391/392. Tallendier 2009).
Ajoutons qu’il fera école avec ceux qu’on appelle les « Chartrains » lesquels vont débloquer un peu la pensée fermée de cette époque médiévale. Dans cette même époque Jean de Salisbury (évêque de Chartres) et Chartrain osera dire que nombre de question ouvrent en fait sur des probabilités, que sur Dieu les anges, cela peut excéder nos possibilités de juger, et qu’alors il est bon de suspendre son jugement. Un vrai sceptique
Pour certains écrivains ayant traité cette époque, c’est à Padoue le 4 avril 1497 que l’obscurantisme de la pensée médiévale reçoit en quelque sorte le coup mortel, pour la première fois on va enseigner, sans censure Aristote directement d’après le texte en grec. La philosophie s’est affranchie de sa servitude
La pensée médiévale s’éteindra lorsque s’éteindront les derniers feux de l’Inquisition
Difficile de clore cet article, sans chercher à mettre en lumière ce qui sortira la philosophie des ténèbres de cette époque de la pensée médiévale.
J’ai souvent lu que ce passage se situe lors de la parution de l’ouvrage de Descartes : « Le discours de la méthode ». Cette rupture intervient de fait, de par le courant Humaniste initié par Pétrarque au 14 ème siècle, soit trois siècles avant Descartes, et surtout la publication des Essais de Montaigne 63 ans avant la publication du Discours de la méthode.
Le retour de la philosophie, la Renaissance de la philosophie, ce sera Montaigne.
Bibliographie.
– La philosophie médiévale. Alain de Libera. PUF 1993.
Les dieux et les mots. Lucien Jerphagnon. Tallendier 2004,
édité également sous le titre :
Histoire de la pensée d’Homère à Jeanne d’Arc. Tallendier 2009
Histoire de la pensée politique médiévale. Joseph Canning. Editions Universitaires de Fribourg. 2003,
Philosophies médiévales en chrétienté…Rémy Brague. Champs essais. 2007
Aristote au Mont saint Michel. Sylvain Gougueneim. Seuil 2008.
La pensée de saint Thomas d’Aquin. L. Jugnet. Bordas 1949.
La controverse de Valladolid
Confessions. Saint Augustin.
La cité de Dieu. Saint Augustin.
Essai de morale et de politique. François Bacon. 1597
Filmographie :
La controverse de Valladolid.
Thomas Becket
Théâtre :
Becket ou l’honneur de Dieu. Jean Anouilh.
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