Servitude

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Le Grand Robert de la Langue française : Etat de dépendance totale d’un individu soumis à un maître.

Trésor de la langue française : État de celui, de celle qui est serf. Obligation impliquée par cet état.

– État d’absence de liberté, de soumission absolue à un maître.

– Rapport social de soumission volontaire ou imposée.

– État d’un peuple sous la domination d’un autre.

– État d’une collectivité, d’un peuple soumis à une autorité tyrannique dans l’ordre politique et moral.

– Dépendance extrême qui affecte l’autonomie d’une personne, d’une collectivité.

Dictionnaire philosophe d’André Comte-Sponville : Soumission de fait, sans choix et sans limites, à un pouvoir extérieur. C’est le contraire de la liberté, de l’indépendance, de l’autonomie, mais aussi de la citoyenneté…

Synonymes : Asservissement. Esclavage. Soumission. Sujétion.

Contraires : Liberté. Emancipation. Affranchissement.

Par analogie : Abaissement. Allégeance. Contraint. Dépendance. Domination. Esclavagisme. Exploitation. Fers. Ilotisme. Inféodation. Infériorité. Joug. Oppression. Négriers. Servage. 

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 « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. ». (Etienne de la Boëtie)

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« Peu d’hommes sont enchaînés à la servitude ; beaucoup s’y enchaînent ». (Sénèque. Épitres, 22)

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« Accepter le triomphe de l’inné sur l’acquis, c’est s’en tenir à l’explication génétique, et dès l’enfance, tout le devenir de l’homme serait inscrit, c’est accepter la prévalence du déterminisme sur la volonté, c’est accepter une forme édulcorée de servitude » (Jean Claude Guillebaud. Le principe d’humanité. Seuil. 2001)

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« Car nul ne peut servir deux maîtres ; on doit moins craindre, voire, on doit plutôt obéir à celui qui menace d’une mort éternelle, qu’à celui qui n’étant pas le supplice au-delà de cette vie » (Thomas Hobbes)

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« La troisième loi de la nature est la reconnaissance des bienfaits. Quand tu t’approcheras d’une ville pour la combattre, tu lui présentera la paix, lors, si elle te fait une réponse de paix, et t’ouvre les portes, tout le peuple qui se trouvera en icelle, te sera tributaire et te servira… » (Saintes écritures. Deutéronome XXV/4)

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« L’époque qui ose se dire la plus révoltée n’offre à choisir que des conformismes. La vraie passion du XXe siècle, c’est la servitude. »  (Albert Camus, L’Homme révolté)

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« Leur est vertu ce qui rend modeste et docile : ainsi du loup ils firent le chien, et de l’homme la meilleure bête domestique au service de l’homme ». (Nietzsche)

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« La servitude est due au manque de volonté réelle de conquérir sa liberté naturelle. Si le peuple se contentait ne serait-ce que d’un refus passif du pouvoir, celui-ci tomberait, mais en réalité le peuple préfère le système de faveurs et de privilèges assurés par le pouvoir contre son propre droit à la liberté »  (La Boëtie. 1530/1563. Poète et Humaniste)

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Le chien et le loup.

Un loup n’avait que les os et la peau ;

Tant les chiens faisaient bonne garde.

Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,

Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.

L’attaquer, le mettre en quartier,

Sire loup l’eût fait volontiers. Mais il fallait livrer bataille,

Et le mâtin était de taille

A se défendre hardiment.

Le loup donc l’aborde humblement.

Entre en propos, et lui fait compliment

Sur son embonpoint, qu’il admire.

Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,

d’être aussi gras que moi, lui répartit le chien.

Quittez les bois, vous ferez bien :

vos pareils y sont misérables,

Cancres, haires, et pauvres diables,

dont la condition est de mourir de faim

Car quoi ? Rien d’assuré : point de franche lippée :

Tout à la pointe de l’épée.

Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin.

Le loup reprit : que faut-il faire ?

Presque rien dit le chien, donner la chasse aux gens

portant bâtons et mendiants ;

                            Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;

moyennant quoi votre salaire

Sera relief de toutes les façons :

Os de poulet, os de pigeons :

Sans parler de maintes caresses.

Le loup déjà se forge une félicité

qui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant, il vit le col du chien pelé.

Qu’est-ce là ? Lui dit-il – Rien. – Quoi ? Rien ? – Peu de chose.

– Mais encor ? Le collier dont je suis attaché

– De ce que vous voyez peut être la cause.

– Attaché ? dit le loup : vous ne courez donc pas

Où vous voulez ? – Pas toujours, mais qu’importe ?

– Il importe si bien que de tous vos repas

Je ne veux d’aucune sorte,

et ne voudrais même pas à ce prix un trésor.

Cela dit, maître loup s’enfuit, et court encor.

La Fontaine.

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« Certains hommes, nous dit Schelling, sont de tempérament indépendants, et ont besoin de croire à leur liberté, les autres qui dépendent dans leur pensée et leurs sentiments, trouvent leur esclavage commode, et ont besoin de croire en leur impuissance. Les uns, poursuit-il, sont nés idéalistes, les autres sont des dogmatiques nés. Ainsi c’est le caractère de l’homme qui détermine son choix entre ces deux points de vue philosophiques. La philosophie que l’on choisi dépend de l’homme que l’on est »  (Fichte. Introduction à Wissenschaftslehne)

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« ….Chose vraiment étonnante – et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir, de voir un million d’hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient pas redouter – puisqu’il est seul – ni aimer – puisqu’il est envers eux inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes : contraints à l’obéissance, obligés de temporiser, ils ne peuvent pas toujours être les plus forts »…….. « Ce qu’il y a de clair et d’évident, que personne ne peut ignorer, c’est que la nature, ministre de Dieu, gouvernante des hommes, nous a tous créés et coulés en quelque sorte dans le même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt frères. Et si, dans le partage qu’elle a fait de ses dons, elle a prodigué quelques avantages de corps et d’esprit aux uns plus qu’aux autres, elle n’a cependant pas voulu nous mettre en ce monde, comme sur un champs de bataille, et n’a pas envoyé ici bas les plus forts ou les plus adroits comme des brigands armés dans une forêt pour y malmener les plus faibles…. »

« A vrai dire, il est bien utile de se demander si la liberté est naturelle, puisqu’on ne peut tenir aucun être en servitude sans lui faire tord : il n’y a rien de plus contraire à la nature, toute raisonnable, que l’injustice. La liberté est donc naturelle ; c’est pourquoi, à mon avis, nous ne sommes pas seulement nés avec elle, mais aussi avec passion pour la défendre »

« Les hommes nés sous le joug, puisque nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvé ; ils prennent pour leur état de nature, leur état de naissance »

« …On ne regrette jamais ce qu’on a jamais eu. Le chagrin ne vient qu’avec le plaisir et toujours, à la connaissance du malheur, se joint le souvenir de quelque joie passée. La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne »

 « Mais la première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés comme tels ».

« …Tel est le penchant naturel du peuple ignorant qui, d’ordinaire, est plus nombreux dans les villes : il est soupçonneux envers celui qui l’aime et confiant envers celui qui le trompe » (Discours de la servitude volontaire. Etienne de La Boétie)

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Dans la récente pièce  de théâtre de Judith Bernard Bienvenue dans l’angle alpha, tirée du livre de Frédéric Lordon Capitalisme, désir et servitude, le thème nous rappelle les différentes motivations du travailleur, lesquelles furent manger à sa faim, et ensuite ce fut s’assurer un revenu pour se loger, se nourrir, pour ses loisirs ; puis le néolibéralisme, après plusieurs tentatives pour s’établir au cours des siècles passés, a réussi dans la seconde moitié du siècle dernier à s’emparer des esprits, en ayant  « colonisé les âmes ». Et là, nous voyons une nouvelle phase où le travailleur, l’employé, le cadre, épouse les objectifs, les valeurs de l’entreprise, et finit par poursuivre très précisément les mêmes buts que ceux des actionnaires.

Dans son œuvre Leçons d’éthique, Kant aborde comment les affects peuvent être mis au service de la servitude humaine. Poussé, par ce que Kant appelle son « conatus », c’est-à-dire, l’énergie fondamentale, « la poussée vers », nécessité d’action ; celle-ci devient pour lui au-delà d’un besoin de reconnaissance, aussi et en plus, le désir illimité de l’argent. Il lui faut créer, déployer lui-même son employabilité, prouver en quoi il est utile au système qui l’exploite pour ne pas en être rejeté. De là, l’auteur de la pièce imagine un angle aigu d’environ 30°, dont une des droites (des deux vecteurs) est le « désir maître », celui de l’entreprise, de ses dirigeants, des actionnaires, et dont l’autre droite (le second vecteur) est le désir de l’employé : « grand D » et « petit d ».                    

Toute « l’intelligence » déployée par les penseurs du système néolibéral amène peu à peu la ligne « petit d » à se rapprocher de la droite « grand D », réduisant l’angle le plus possible, afin d’unifier au mieux les orientations, les désirs. Avec un discours bien rôdé depuis les années Reagan, les années Thatcher, avec les formules du « travailler plus pour gagner plus », l’attrape-nigaud du « contrat gagnant/gagnant », comme si ce genre de contrat excluait tout rapport de forces et tous les autres pièges sémantiques ; ainsi, au fil du temps, peu à peu, le désir de l’employé, du cadre,  est devenu un désir de soumission. Il y a alors, ce qu’on peut nommer une aliénation, c’est-à-dire, suivant l’étymologie, un autre moi, autre chose, « alienus » (en latin : l’autre, l’étranger), qui prend le contrôle de mes décisions. Et puis, si la soumission ne se fait pas naturellement, on va faire appel à des consultants qui vont mener un « salutaire » travail de déstabilisation dans toute l’entreprise, créant parfois l’état d’esprit du « chacun pour soi ». La technique consiste parfois à demander à un(e) employé(e) d’écrire toutes ses tâches journalières, à partir du moment où la personne prend son service. C’est bien le diable si elle n’a pas oublié de remplir certaines petites plages horaires. De là, la preuve lui est apportée qu’elle peut assumer une autre tâche pendant ce temps mort, et ainsi on finira par supprimer quelques postes. L’employé participe à son insu au licenciement d’un ou d’une de ses collègues.

Aujourd’hui, combien d’employés, de cadres vivent dans une soumission plus ou moins volontaire, guettant avec crainte le regard approbateur ou désapprobateur du chef, combien vont accepter de s’abaisser pour être, suivant l’expression, « dans les bons papiers » ?

Cela nous pose la question essentielle en cette époque : aujourd’hui, qu’est-ce qui pousse réellement les individus à cette forme de servitude volontaire ? (Luis)

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«Courtisans ! Attablés dans la splendide orgie,

la bouche par le rire, et la soif élargie,

vous célébrez César,

Victor Hugo.

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« Avec les loups, il faut hurler ou faire semblant de hurler ; bêler est la dernière chose à faire » (Boualem Salam. 2084. Gallimard 2015)

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On pouvait penser que bien après l’époque d’Etienne de la Boétie et de son oeuvre si célèbre le Discours de la servitude volontaire, qu’après trois révolutions sanglantes en France, qu’après des luttes pour se libérer du joug des pouvoirs absolus, de l’emprise de la religion, qu’après toutes ces actions pour être un homme ou une femme libre, on ne verrait plus personne se mettre en servitude.

C’est oublier que l’allégeance, la soumission, voire l’esprit servile, l’obséquiosité, l’amour du maître, furent et restent de tout temps la propension par tempérament chez certains individus. S’assumer seul, choisir, opter, prendre des décisions, prendre le risque de…, tout cela, pour certaines personnes, est au-dessus de leurs forces. C’est là, je précise, un jugement de fait et non un jugement de valeur.

Il est des personnes pour qui choisir, c’est quitter, c’est perdre les autres choix possibles, et, pour cela, elles préfèrent s’en remettre à autrui, quitte à sacrifier une part importante de leur liberté  individuelle. Pour cela, il y a plein de refuges offrant cette liberté de ne pas choisir. Cela fait des bataillons pour l’armée, les couvents, les sectes, des organisations où une règle définit les principales actions de la vie, et, dès lors, il n’y a plus à choisir, on suit la règle. « Peu d’hommes sont enchaînés à la servitude ; beaucoup s’y enchaînent. » (Sénèque. Épitres, 22)

A côté de cela, nous savons que toute notre volonté de liberté de choix ne nous permet pas pour autant de définir par nous-mêmes nombre de nos actions. Ainsi, à moins d’être né d’une famille très riche, nous sommes tous appelés, dès l’entrée dans le monde du travail, à nous plier à une autorité établie, l’obéissance étant un des éléments fondamentaux de l’édifice social. Mais on ne peut pas parler de servitude puisqu’il s’agit d’un échange (plus ou moins égal, on le sait) entre un entrepreneur et un salarié.

Mais, même dans ce domaine réglementé par un code (le code du travail), nous pouvons rencontrer des situations qui s’apparentent à un chantage à l’emploi. Ainsi, des personnes, pour conserver un emploi (si précieux dans notre époque), va accepter, bon gré, mal gré, des situations qui ne sont pas de leur choix ; ceux-là se retrouvent, se mettent bien malgré eux,  en servitude. Alors, enchaînés contents ou enchaînés mécontents la plupart de temps, cela ne change rien à l’affaire, pourrait-on penser, sauf qu’au cours de ces dernières années, certains, pris dans cette impasse, des hommes, des femmes, qui allaient travailler « la peur au ventre »,  ont préféré mettre fin à leurs jours.

Il faudrait que La Boétie revienne pour de nouveau nous expliquer cette énigme : pourquoi « L’homme est né libre et partout il est dans les fers.» ? (Jean-Jacques Rousseau. Le contrat social) (Luis)   

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« L’homme de cour est sans contredit la production la plus curieuse que montre l’espèce humaine. C’est un animal amphibie dans lequel tous les contrastes se trouvent communément rassemblés. Un philosophe danois compare le courtisan à la statue composée des matières très-differentes que Nabuchodonosor vit en songe. « la tête du courtisan est, dit-il, de verre, ses cheveux sont d’or, ses mains de poix-résine, son corps est de plâtre, son cœur est moitié de fer et de boue, ses pieds sont de paille, et son sang est composé d’e  au et de vif-argent ». Il faut avouer qu’un animal si étrange est difficile à définir ; loin d’être connu des autres, il peur à peine se connaître lui-même : cependant il paraît que, tout bien considéré, on peut le ranger dans la classe des hommes, avec cette différence néanmoins que les hommes ordinaires n’ont qu’une âme, au lieu de l’homme de Cour paraît sensiblement en avoir plusieurs.

En effet un courtisan est tantôt insolent et tantôt bas ; tantôt de l’avarice la ^lus sordide et de l’avidité la plus insatiable, tantôt de la plus extrême prodigalité, tantôt de l’audace la plus décidée, tant^t de la plus honteuse lâcheté, tantôt de l’arrogance la plus impertinente, et tantôt de la politesse la plus étudiée ; en un mot, c’est un Protée, un Janus

En échange de ses soins les courtisans reconnaissans payent au Monarque en complaisances et assiduités, en flatteries, en bassesses…

Les philosophes qui communément sont des gens de mauvaise humeur, regarde à la vérité, le métier de courtisan, comme bas, comme infâme…» (Essai sur l’art de ramper, à l’usage des courtisans. Paul Henri Dietrich d’Holbach)

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