Temporalité

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Chronos. Cimetière de Stagliero Italie.

Le Grand Robert de la Langue française : Caractère de ce qui est dans le temps : le temps vécu, conçu comme une succession…

Trésor de la langue française : Caractère de ce qui est dans le temps, de ce qui appartient au temps.

Dictionnaire philosophe d’André Comte-Sponville : C’est une dimension de la conscience ; sa façon d’habiter le présent en retenant le passé et en anticipant l’avenir.

Synonymes : Présent.

Contraires : Atemporel. Eternité. Intemporel.

Par analogie : Actuel. Avenir. Chronos. Durée. Epoque. Futur.Instant. Moment. Passé. Pérennité. Présent. Temps. Siècle.

Expressions: Il faut donner du temps au temps. Time is money.

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 La maison monde dans laquelle vous vivez n’est pas votre maison, car elle fait partie de la matière intemporelle, alors que vous n’êtes que temporels, qu’éphémères…elle est la maison de vos enfants et de leurs enfants….(Luis)

L’homme pressé, boulimique de la vie,  mange le temps, les heures, les jours. Il arrivera au terme de sa vie sans jamais avoir posé le sac à terre, pour regarder le paysage, ce monde, les autres, et en profiter pleinement.  

Terriblement moderne pour son époque, Montaigne  nous le dit aussi,  et de bien belle façon :  « Je hais qu’on nous ordonne d’avoir l’esprit aux nues, pendant que nous avons le corps à table. Je ne veux pas que l’esprit s’y cloue ni qu’il s’y vautre, mais je veux qu’il s’y applique… Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors, et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues d’objets étrangers quelque partie du temps, je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude et à moi.
   Nous sommes de grands fous : « Il a passé sa vie dans l’oisiveté, disons-nous ; je n’ai rien fait d’aujourd’hui. – Quoi, n’avez-vous pas vécu ? C’est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre de vos occupations. Ah ! si on m’avait donné l’occasion de traiter de grandes affaires, j’aurais montré ce que je savais faire. – Avez-vous su méditer et conduire votre vie ? Alors vous avez fait la plus grande besogne de toutes. » Composer nos moeurs est notre office, non pas composer des livres et gagner des batailles et des provinces, mais l’ordre et tranquillité à notre conduite.

Notre grand et glorieux chef-d’oeuvre, c’est vivre à propos… Il n’est rien si beau et légitime que de faire bien l’homme et dûment, ni science si ardue que de bien et naturellement savoir vivre cette vie ; et de nos maladies la plus sauvage, c’est mépriser notre être.
   C’est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être. Nous cherchons d’autres conditions, pour n’entendre l’usage des nôtres, et sortons hors de nous, pour ne savoir quel il y fait… J’ai un dictionnaire tout à part moi : je « passe » le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon je ne le veux pas « passer », je le goûte, je m’ytiens.Il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon … nature nous a mis la vie en main, garnie de telles circonstances, et si favorables, que nous n’avons à nous plaindre qu’à nous si elle nous presse et si elle nous échappe inutilement… Je me prépare pourtant à la perdre sans regret, mais comme perdable de sa condition, non comme pénible et importune.
(Montaigne. Essais, Livre III, ch.13)

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Intemporalité et temporalité: Nous aimons le débat philosophique, est-ce parce que nous avons tant de chose en commun à partager ? en fait sur bien des points nous ne sommes pas du tout d’accord, que ce soit politique, religieux, morale, normes de vie, et tout un tas de jugements. Nous ne nous réunissons pas par pur hasard, il y a quelque chose qui nous lie, qui nous fait rechercher cette compagnie. Ce lien est quelque part en nous, c’est ce qui fait qu’au-delà des siècles, des générations, des éléments communs perdurent dans les individus, « ces choses qui demeurent les mêmes dans des individus passagers, comme dans les eaux qui coulent, le courant d’un même fleuve» (Jean de Salisbury), d’où le mot de Sénèque : « Nous descendons et ne descendons pas deux fois le même fleuve » Plutarque cite la même qu’il attribue à Héraclite sous la forme « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve »

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« C’est une question, » dit Aristote (politique livre III) §4) « de savoir si l’Etat persiste à être le même, tant qu’il conserve le même nombre d’habitants, malgré la mort des uns et la naissance des autres, comme les fleuves et les fontaines dont l’eau coule sans cesse pour faire place à l’eau qui succède » (Luis)  

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Le dieu Chronos mangeait ses enfants – Un des attributs était la faux – La crainte d’être mangé par le temps prolonge le mythe – et la faux nous rappelle notre limite de temps. – Vivre plus vite est-ce pour échapper au mythe? (Luis)  

*                                                                                 

La pire connerie, paraît-il,

C’est de comparer une époque

A une autre.

Le temps de l’un

A celui de l’autre.

Les temps individuels

Sont des droites parallèles

Qui ne se croisent jamais.

(Extrait de : L’énigme du retour. Dany Laferrière. Grasset. 2009)

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 « L’unité du temps n’est pas en l’espace, elle est en l’usage : tel a vécu longtemps qu’il n’a peu vécu… » (Montaigne. Essais. L 1. § XX)

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 « Car tous les instants de nos vingt ans nous sont comptés, et jamais plus le temps perdu ne nous fait face, il passe »  (Sa jeunesse. Aznavour)

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« Petit donc est le temps que chacun vit,  petit est le coin de terre où il vit, et petite aussi, est la gloire posthume… »  (Marc Aurèle. Pensées pour moi-même. § 10)

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Il faut épouser son époque, « nul ne peut sauter par-dessus son époque, pas plus qu’au dessus de son ombre »  (Hegel)

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« Le résultat de chaque instant dépend de celui qu’offraient les tableaux précédents, et influe sur celui des instants qui doivent le suivre »  (Esquisse d’un tableau historique du progrès de l’esprit humain)

C’est penser dans l’ontologie du devenir…

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« Le présent dépend de ce qui vient de se passer et influe sur ce qui va se passe, c’est le cours du temps », toujoursle cours du temps, la pensée héraclitéenne

« Nous ne connaissons d’autre façon de l’être que sous la forme du devenir, autrement dit : « être », autant que nous puissions dire d’après notre expérience, être c’est devenir »

« Une musique se développe dans le temps, si on l’arrête, la musique n’est plus  (Anne Fagot-Largeault)

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C’est pas marqué dans les livres,

Que l’plus important à vivre

Est de vivre au jour le jour

Le temps c’est de l’amour.

(Lucie. Pascal Obispo)

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« Il faut durer  pour changer, il faut changer pour durer »  ( ?)

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Le bouquet.

Que faites-vous là, petite fille

avec ces fleurs fraîchement coupées ?

Que faites-vous là, jeune fille

avec ces fleurs séchées ?

Que faites-vous là jolie femme

avec ces fleurs qui se fanent ?

Que faites-vous là vieille femme

Avec ces fleurs qui meurent ?

J’attends le vainqueur !

Jacques Prévert.

*

« On avance, on avance,

faut pas qu’on réfléchisse ni qu’on pense,

 il faut qu’on avance » 

(Alain Souchon)

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«  On ne voit pas les chose au moment où on les voit. Soit un peu plus d’une seconde pour que nous parvienne la lumière de la lune, et huit minute por celle du soleil, et quelques millionièmes de seconde pour l’image de celui que je regarde » De là, nous disent les astrophysiciens, «  le présent n’existe pas. Le seul présent qui peut exister c’est ce qu’il y a dans notre esprit…,  et encore le signal va prendre un temps infinitésimal pour l’analyse ».  (Extrait du film chilien: La nostalgie de la lumière)   

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Pour Newton : « le temps est immuable, le destin du monde est inscrit dans le temps, dans son rythme ». Avec Einstein, la relativité rejette toutes les sciences de la certitude, « Le temps n’a pas un avenir, mais des avenirs possibles, et d’autant plus imprévisibles que l’homme agit et détermine le futur de la planète Terre ».

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« Il y a un temps pour tout, un temps pour oute chose sous les cieux. Un temps pour naître, et  un temps pour mourir, u, temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté… »  (Ecclésiaste)  

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« Il y a un temps pour pleurer, et un temps pour rire…, un temps pour parler, et un temps pour se taire. Un temps pour amer, un temps pour haïr ; un temps pour la guerre, un temps pour la paix… » (Ecclésiaste)

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«  Si tu peut remplir une implacable minute  avec soixante secondes dignes de ce temps. La Terre est à toi, et tout ce qu’elle contient ! Tu seras un homme, mon fils »  (Rudyard Kipling)

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« L’homme traverse cet espace temps qu’est sa vie, sans toujours prendre conscience de ce qu’il peut y faire ».   (France Galles. Résiste)

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« II y a trois temps : le temps présent, le présent du présent, le présent du futur » (Saint Augustin)

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« Ma mission est de tuer le temps, et la sienne de me tuer à son tour. On est tout à fait à l’aise entre assassins »  (Cioran. Ecartèlement. 1979)

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 « Le temps a tué l’explication », (La nécessité de l’information en direct se fait au détriment de commentaires). (Luis)

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Nuestras horas son minutos

Cuando esperamos saber,

Y siglos cuando sabemos

Lo que se puede aprender.

Nos heures sont des minutes

Quand nous espérons savoir

Des siècles lorsque nous savons

Tout ce qui peut s’apprendre

Antonio Machado

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Pour beaucoup le sentiment que l’histoire va plus vite donne cette idée d’accélération du temps. L’augmentation du flux de l’information, peut donner cette impression d’accélération du temps, de désynchronisation des rythmes

             C’est pour l’info, la dictature de l’immédiateté, les télés réagissent à chaud, on suit les guerres en direct, l’info ne perd pas de temps, c’est la course au scoop, scoop pour l’audience qui va influer sur les annonceurs, plus que jamais, nous sommes dans l’impératif catégorique moderne : « time is money ». Pour ceux qui veulent « être dans le coup » vivre vraiment, c’est vivre à cent à l’heure. D’autres préféreraient pouvoir prendre leur  temps, flâner un peu, comme nous le dit Balzac : (la physiologie du mariage) « Oh ! Errer dans Paris ! Adorable et délicieuse existence ! Flâner est une science, c’est la   gastronomie de l’œil……… flâner c’est vivre! »     

       Nos technologies libèrent du temps, du temps pour des loisirs. Des loisirs consommés parfois au pas de course ; cinq jours de voyage, avec le programme précis, pas de temps perdu. On part trois jours à 10.000km pour passer deux jours au bord d’une piscine. Voyager pour certains, est devenu, aller le plus vite possible d’un endroit à un autre. (Luis)

*                   

 « Ô temps suspends ton vol ! Et vous heures propices, suspendez votre cours ! Laissez-nous savourer les rapides délices, des plus beaux de nos jours » (Le lac. Lamartine)

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A force de vouloir gagner du temps dans tous les domaines, nous fabriquons de plus en plus de dépressifs, et des suicides, là, c’est vivre plus vite pour vivre moins longtemps. L’équivalent du « travailler plus pour gagner plus ». La vitesse des événements, la superposition des scoops, fait qu’on oublie très vite les événements, et l’histoire se brouille, ce qui peut mener à des aventures dangereuses. Le temps est devenu même un produit marchand, dans sa pub pour le TGV la SNCF utilise cet oxymoron : « Prenez le temps d’aller plus vite ». Aux Etats-Unis on peut aller visiter un défunt, laisser un mot, laisser sa carte de visite sans descendre de sa voiture, (C’est la mort en drive-in).., (Luis)

*                                                             

« Celui qui vit deux fois plus vite peut réaliser deux fois plus de possibilités du monde, atteindre deux fois plus d’objectifs, faire des expériences, enrichir son vécu, il double ainsi la mesure dans laquelle il épuise les opportunités du monde » (L’accélération ; Hartmut Rosa, page 224)

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Nous ne pouvons nous contenter d’un procès aux technologies qui ont permis de gagner du temps. Les tâches ménagères qui mangent surtout le temps des femmes ont été allégées, et là on parle de progrès. Ce problème de ressenti d’accélération n’est pas d’hier même si aujourd’hui il prend une autre dimension. Avant la Révolution les déplacements à cheval se faisaient à une vitesse moyenne de 15 km heure, puis avec les relais on est passé au-delà de 20km heure, grands bouleversements. En 1840 des Parisiens, qui dénonçaient cette accélération circulaient dans les passages en promenant des tortues tenues en laisse. Puis et arrivé, ce qu’on a nommé : « l’horreur » le chemin de fer » lequel écrivaient t les journaux de l’époque allaient tuer plus de gens que toutes les guerres, aujourd’hui nous avons créé le transport supersonique ; à quand la téléportation  des  individus?   (Luis)    

*                                             

« Le présent dépend de ce qui vient de se passeret influe sur ce qui va se passer, c’est un cours du temps » (Anne Fagot – Largeault)

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Dans nos activités professionnelles, nous sommes obligés d’accepter la notion « multitâche », notre avenir dans l’entreprise ne peut pas s’affranchir de la polyvalence. Assez souvent dans les entreprises des audits viennent vous passer à « la question », c’est-à-dire que les employés doivent remplir des fiches où ils expliquent l’emploi de leur temps dans une journée, depuis l’arrivée jusqu’au soir, y compris les temps de machines à café ou tout autre temps. Au final, il en ressort que vous n’avez pas utilisé tout le temps, et que vous pouvez accepter, (en fait vous devez) accepter d’autres tâches ; ce qui va permettre de supprimer quelques emplois et de stresser ceux qui échappe à la charrette de licenciement ; « time makes money » ou le temps fait de l’argent. Celui qui ne courre pas aussi vite que les autres, se retrouve sur le bord du chemin, va être ramassé par la voiture balai, l’ANPE, qui l’aidera momentanément à avoir un semblant de vie sociale (Luis)        

*                                                                                                                      

« Rien qu’un moment du passé ? Beaucoup plus peut-être : quelque chose de commun à la fois au passé, au présent » (Proust)

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 Cette gestion du temps, pour nombre de personnes, est un enjeu de société, et un enjeu de société peu abordé. A quoi bon vouloir développer la culture, mettre la culture à la portée de tous, si ceux qui pourraient en profiter ne disposent pas du temps de loisir nécessaire ?

    Ce temps qui nous est imparti, qui est d’une durée relative, est-ce que nous allons le consommer avec conscience, en le goûtant pleinement, ou est-ce que nous allons le consommer goulûment, boire les jours, les heures, sans voir passer le temps ? Vivre plus vite, serait vivre plus d’instants ; l’écrivain Hartmut Rosa dans son œuvre « accélération »  demande si ce ne serait pas un succédané d’éternité, donc une démarche d’ordre existentielle, y a t-il expansion du temps, comme il y a expansion de l’univers ?

  Alors, allons-nous troquer le profit raisonné, séquentiel de chaque instant, pour vivre, emporté dans le tourbillon  dans une seule séquence tout notre temps de vie. Cette idée se retrouve dans l’œuvre de Balzac, « La peau de chagrin », ou le personnage troque son temps de vie pour vivre plus intensément. Notre vie est cette peau de chagrin, et parmi les moyens de ne pas se laisser emporter malgré soi par la vitesse des événements, il faut se programmer de temps  de pause, et poser un instant le sac, faire suivant une expression anglaise : « un break ».

« Le temps, surtout le temps présent, est une denrée rare et chère. Et on ne triche pas avec le temps impunément. Il compose pour l’homme une «entropie»* particulière dont ce dernier ne connaît ni la dimension… ni la durée. Aussi, le temps obsède l’homme. Sans doute parce qu’il est lié à la durée de la vie. Parce qu’il est le premier capital que chacun sait devoir utiliser au mieux » (Le syndrome de chronos, ou l’art de se faire bouffer stupidement le temps. Denis Ettigoffer et Gérard Blanc) *Fonction définissant le désordre d’un système. (Luis)    

*                                                              

    L’informatique égalemen« Une rose qui ne vit que quelques instants pourrait penser que le jardinier est éternel »   ( ?)

L’nformatique également procure un gain de temps : plus de courrier, plus de longues lettres, plus de délais  d’acheminement, le SMS, le mèl, nous fait communiquer en instantané…Mais à peine avons-nous maîtrisé un nouveau matériel qu’un autre plus performant est sur le marché ; alors il faut réapprendre, toujours réapprendre, ne pas se laisser dépasser ; en quelque sorte marcher de plus en plus vite pour rester au même endroit. (Luis)

                                                                                                        

 Gerhard Schulze dans son ouvrage « la société du vécu » évoque ainsi la maxime culturelle de la société: « Plus on peut multiplier, dans un temps réduit, le nombre d’expériences vécues visant à enrichir notre vie intérieure, mieux c’est » ou, en quelque sorte, plus d’actions, plus de vécu, et de cette augmentation, la vie bonne.  (Luis) 

*                                                               

L’impératif catégorique de notre économie » Time is money »  structure notre société, gain de temps est égal à gain de plus value, égal à gain de compétitivité, égal à croissance, c’est la « spirale d’accélération » dont parlait déjà Karl Marx. Nous nous sommes enfermés nous-mêmes dans ce processus qui ne mène nulle part ; nous ne pourrons pas compresser le temps indéfiniment. Nous consommons du temps, et le temps nous consomme. Il semble que nul ne puisse échapper à cette accélération, nul personne, nul pays, le processus renforcé par la globalisation est dit un sociologue : « un train sans frein dévastant tout sur son passage ». (Luis)

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« Le temps est la substance dont je suis fait.
Le temps est un fleuve qui m’emporte, mais je suis le fleuve.
C’est un tigre qui me dévore, mais je suis le tigre.
C’est un feu qui me consume, mais je suis le feu
 ».
(Jorge Luis Borges. Une nouvelle réfutation du temps).

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 « Comme l’écrit Érik Pigani, « la grande révolution de cette décennie sera peut-être de nous laisser gérer librement notre temps, depuis l’âge où l’on se sent l’envie de remuer, jusqu’à l’âge où l’on a envie de s’asseoir au soleil, avec une vie que l’on pourra régler, non pas comme un horaire de chemin de fer, mais chacun à sa manière, comme une symphonie, avec des solos, des chorus, des allégros, des andantes et des fugues»  (Le syndrome de chronos, ou l’art de se faire bouffer stupidement le temps)

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Il arrive que l’on courre, qu’on se précipite, qu’on s’angoisse pour gagner du temps, et au final, arrive un moment où l’on enfin plus rien à faire, et alors il faut « tuer le temps », encore une curieuse expression. : « Nous parlons de tuer le temps, comme si ce n’était pas lui qui nous tuait » (Alphonse Allais)

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Nous avons deux perceptions du temps : temps physique et donné psychologique.

Deux personnes qui vivrait jusqu’à 80 ans ont le même potentiel d’heures à vivre, soit environ

700.000 heures, entre celui qui a toujours pris son temps, celui qui ne voulait pas perdre de temps, aucun gain, aucune perte. Prendre son temps, n’est pas le perdre. Nous évoquerons sûrement cet aspect du temps retrouvé pour soi qu’on appelle, l’oisiveté »  (Luis)

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Le « carpe diem » était déjà la sagesse épicurienne Une autre école de sagesse, celle de stoïciens nous dit, avec Sénèque, entre autres, que nous ne maîtrisons pas le temps, que notre temps ne nous appartient pas : «  Affirme ta propriété sur toi-même, et le temps que jusqu’ici, on t’enlevait, on te soutirait ou qui t’échappait, recueille-le et préserve-le…Toute chose, Lucilius est à autrui, le temps seul est à nous, c’est l’unique bien, fugace et glissant dont la nature nous a confié la possession »   (Sénèque. Lettre à Lucilius. Lettre I. §)

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Chronos.

Chronos était un dieu glouton

Qui dévorait ses enfançons

Que la terre lui donnait

Car le destin qui tout connaît

Avait dit la fin de son règne

Gaïa, mère dont le cœur saigne

Trompant Titan, maître du temps

Avait sauvé Zeus son enfant

Le temps enchaîné s’écoula

Au sablier d’Al Jézirah

C’était la fin de l’âge d’or

Les dieux ont scellé notre sort

Prométhée s’est fait le martyr

Et, entre travail et loisir

L’homme n’a plus le choix des larmes

puisqu’il a fait celui des armes.

Florence Desvergnes. 9 avril 2003

*

Le changement dimensionnel, les possibilités qui se multiplient, me donnent le sentiment d’un horizon temporel indéfini, comme si voyais toujours un autre horizon derrière l’horizon.    

Pour certains sociologues le sentiment d’accélération serait augmenté par des effets de simultanéités, comme par exemple, la multiplicité des informations, la multiplication des tâches, les conférences à distance…

Il y a une modification espace/temps qu’on ne peut négliger. Si en quelques heures on peut passer de l’hiver à l’été, on modifie intrinsèquement sa notion de temps, et son horloge biologique.  (Luis)  

*                                                                                                                          

« Je m’adresserai volontiers ici à quelque homme de la foule des vieillards : « Tu es arrivé, je le vois, au terme le plus reculé de la vie humaine ; tu as cent ans ou plus sur la tête ; hé bien, calcule l’emploi de ton temps ; dis-nous combien t’en ont enlevé un créancier, une maîtresse, un accusé, un client ; combien tes querelles avec ta femme, la correction de tes esclaves, tes démarches officieuses dans la ville. Ajoute les maladies que nos excès ont faites ; ajoute le temps qui s’est perdu dans l’inaction, et tu verras que tu as beaucoup moins d’années que tu n’en comptes ». (Sénèque. De la brièveté de la vie)

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La notion de temporalité est subjective. Adulte, enfant, vieillard, nous n’en avons pas la même notion, une année en perspective est un temps très long pour un enfant. (Luis)

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« Rappelle-toi combien de fois tu as persisté dans un projet ; combien de jours ont eu l’emploi que tu leur destinais ; quels avantages tu as retirés de toi-même ; quand ton visage a été calme et ton coeur intrépide ; quels travaux utiles ont rempli une si longue suite d’années ; combien d’hommes ont mis ta vie au pillage, sans que tu sentisses le prix de ce que tu perdais ; combien de temps t’ont dérobé des chagrins sans objet, des joies insensées, l’âpre convoitise, les charmes de la conversation : vois alors combien peu il t’est resté de ce temps qui t’appartenait, et tu reconnaîtras que ta mort est prématurée. » (Sénèque. De la brièveté de la vie)

*

«  Quelle en est donc la cause ? mortels vous vivez comme si vous deviez toujours vivre. Il ne vous souvient jamais de la fragilité de votre existence ; vous ne remarquez pas combien de temps a déjà passé ; et vous le perdez comme s’il coulait d’une source intarissable, tandis que ce jour, que vous donnez à un tiers ou à quelque affaire, est peut-être le dernier de vos jours. Vos craintes sont de mortels ; à vos désirs on vous dirait immortels » (Sénèque. De la brièveté de la vie)

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« La plupart des hommes disent : « À cinquante ans, j’irai vivre dans la retraite ; à soixante ans, je renoncerai aux emplois. » Et qui vous a donné caution d’une vie plus longue ? qui permettra que tout se passe comme vous l’arrangez ? N’avez-vous pas honte de ne vous réserver que les restes de votre vie, et de destiner à la culture de votre esprit le seul temps qui n’est plus bon à rien ? N’est-il pas trop tard de commencer à vivre lorsqu’il faut sortir de la vie ? Quel fol oubli de notre condition mortelle, que de remettre à cinquante ou soixante ans les sages entreprises, et de vouloir commencer la vie à une époque où peu de personnes peuvent y  parvenir !  (Sénèque. De la brièveté de la vie)

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 « C’est ce que vous crie le plus grand des poètes ; et comme dans une inspiration divine, il vous adresse cette salutaire maxime : « Le jour le plus précieux pour les malheureux mortels, est celui qui s’enfuit le premier. » Pourquoi temporiser ? dit-il ; que tardez-vous ? Si vous ne saisissez ce jour, il s’envole, et même quand vous le tiendriez, il vous échappera. Il faut donc combattre la rapidité du temps, par votre promptitude à en user. C’est un torrent rapide qui ne doit pas couler toujours : hâtez-vous d’y puiser. (Sénèque. De la brièveté de la vie)

*
« Suis ton plan, cher Lucilius ; reprends possession de toi-même : le temps qui
Jusqu’ici t’était ravi, ou dérobé, ou que tu laissais perdre, recueille et
Ménage-le. Persuade-toi que la chose a lieu comme je te l’écris : il est des
Heures qu’on nous enlève par force, d’autres par surprise, d’autres coulent de
Nos mains. Or la plus honteuse perte est celle qui vient de négligence et, si tu
Y prends garde, la plus grande part de la vie se passe à mal faire, une grande à
Ne rien faire, le tout à faire autre chose que ce qu’on devrait. Montre-moi un
Homme qui mette au temps le moindre prix, qui sache ce que vaut un jour, qui
Comprenne que chaque jour il meurt en détail ! Car c’est notre erreur de ne voir
La mort que devant nous : en grande partie déjà on l’a laissée derrière ; tout
L’espace franchi est à elle
.

Persiste donc, ami, à faire ce que tu me mandes : sois complètement maître de
Toutes tes heures. Tu dépendras moins de demain si tu t’assures bien
D’aujourd’hui. Tandis qu’on l’ajourne, la vie passe. Cher Lucilius, tout le
Reste est d’emprunt, le temps seul est notre bien. C’est la seule chose,
Fugitive et glissante, dont la nature nous livre la propriété ; et nous en
Dépossède qui veut. Mais telle est la folie humaine : le don le plus mince et le
Plus futile dont la perte au moins se répare, on veut bien se croire obligé pour
L’avoir obtenu ; et nul ne se juge redevable du temps qu’on lui donne, de ce
Seul trésor que la meilleure volonté ne peut rendre »
(Lettre à Lucilius. Sénèque)

*

Dans les études ergonomiques on étudie l’adéquation des matériels et d’un poste de travail, on étudie chaque geste, chaque geste représentant du temps de travail. Donc on défini le geste. De là ce n’est plus l’homme qui utilise la machine, c’est un programme qui optimise le temps de travail de l’ouvrier.

Moins d’heures de fabrication, moins de coût de main d’œuvre « time is money » ce qui signifie un coût de fabrication moindre, qui répond ou qui anticipe sur des mesures pour les compétiteurs sur un secteur donné.

Le temps gagné, temps argent, joue contre l’ouvrier, car à terme cela ne peut que réduire les emplois, réduction dont il sera, bien sûr, la première victime. Plus on gagne du temps plus s’accroît le nombre de chômeurs, il s’ensuit un gain de productivité, un gain en dividende, un gain de la valeur boursière, une plus value virtuelle dont nous vivons en plein les conséquences. J’ai une pensée pour les Canuts qui se sont révoltés à l’arrivée des métiers à tisser, ces machines  qui devaient leur enlever leur travail.  (Luis)

*                                                  

Introduction au débat : « Pourquoi fait-il toujours gagner du temps, » 15 février 2013.

Je trouve que cette question est posée comme si c’était une question universelle, comme si elle était valable pour tous, pour toujours, alors que les réponses à cette question sont fonction de notre relation au temps. Il y a plusieurs relations au temps, au moins deux, malgré l’usage qui les confond, écrivait le Stoïcien Chrysippe. Le temps c’est d’abord une abstraction : la somme du passé, du présent et de l’avenir. C’est la pensée abstraite du temps, il divise en passé, présent, et futur indéfiniment. C’est le temps des savants, c’est le temps des horloges. Ce n’est pas le temps concret, le temps réel, comme le nomme Spinoza, c’est-à-dire la continuation indéfinie  de l’univers, et pas justement la somme d’un passé, d’un avenir, mais qui est la perduration du présent. Ainsi le temps qui dure et qui passe est un perpétuelle présent en réalité. Spinoza argumente ainsi : le passé c’est la mémoire  au présent de ce qui est passé. Le futur c’est son présent, l’anticipation, on attend ce qui est à venir. Et comme l’écrivait aussi saint Augustin, la division du temps en passé, présent et avenir, est certes nécessaire pour l’esprit, mais, c’est une division qui n’est pas la réalité.

Dans le monde réel, le temps de l’esprit, c’est une dimension inconsciente, une façon d’habiter le présent, soit en retenant le passé, soit en anticipant l’avenir, c’est ce que d’ailleurs nous nommons, aujourd’hui, la temporalité. Ce n’est pas le temps réel qui fait exister passé et avenir au présent. C’est seulement une façon de le vivre, de l’imaginer. C’est une des relations au temps.

C’est pourquoi il y a le temps perdu et puis le temps retrouvé, et puis le temps gagné. Le temps perdu est le temps en tant qu’il n’en reste rien, il est dépassé ; et c’est le présent en tant qu’il n’est que l’attente de l’avenir, et ici le temps perdu, c’est le contraire de l’éternité, ce qui est, toujours, ce qui perdure perpétuellement, éternellement. Aussi celui qui parle de temps perdu ne fait rien que souligner la finitude et la misère de l’être humain, qui se souvient, qui attend, au lieu de vivre « comme un dieu ». Au lieu de vivre ce qui existe, comme cela existe, ce qui dure, comme cela dure. Le temps retrouvé c’est le temps vécu en harmonie avec la réalité, au contraire, avec le monde tel qu’il existe, tel qu’il dure. C’est le temps de la réminiscence, quand je me souviens d’un événement passé. En cet instant le passé et le présent sont confondus ; il y a comme un flash d’éternité. C’est ce que raconte Proust avec l’exemple de « la madeleine » dans son ouvrage « A la recherche du temps perdu ». La madeleine dans le temps passé, la madeleine dans le temps présent, les deux ne font qu’un instant de la réminiscence. C’est donc la sensation de l’éternité. De même dans la contemplation d’une œuvre d’art quand il y a sensation de ravissement, c’est que, soit le passé dépassé, est là, présent, visible, soit le futur utopique, qui n’a pas de lieu, ni de temps, est là aussi.

Le temps retrouvé en un instant fixe le sentiment d’éternité. Alors, que signifie le temps gagné ? Et, entre le temps qui passe, et le gain ? Time is money ! disait Henri Ford (le temps c’est de l’argent) en inventant le travail à la chaîne, c’est-à-dire, le plus sûr moyen de rentabiliser la fabrication voiture.

Effectivement « nous sommes dans une société du règne de la vitesse » selon le philosophe contemporain Paul Virilio, et dans une civilisation marquée du signe de l’accélération, selon le sociologue allemand Hartmut Rosa. Cela signifie, que nous, occidentaux, nous vivons la tyrannie de la vitesse et du temps accéléré. Nous sommes absorbés par le présent qui nous tyrannise, en ce sens, que les choix qui s’offrent à nous sont si nombreux qu’on est incapable de choisir. Nous zappons de l’un à l’autre dans une course effrénée. Et de même, les statistiques nous montrent que nous disposons de beaucoup plus de temps que nos ancêtres, grâce, notamment aux innovations techniques qui nous permettent par exemple d’envoyer à la vitesse d’un clic, une commande au bout du monde, ce qui nous aurait demandé un an il y a seulement deux siècles ; et malgré cela le temps nous est compté.

Au travail, à la maison, en société, les rôles, et les scénarios se multiplient, s’enchaînent, nous épuisent, et puis, Virilio a une formule que je trouve significative, il dit : « le message de la Prévention routière peut être élargi à l’ensemble des activités humaines, la vitesse tue ! » Et pourtant, bien que nous soyons dans cette relation au temps, une relation de vitesse, de course effrénée, une relation où la vitesse est tyrannique. Bien que nous soyons dans cette relation au temps, nous avons en même temps, le désir, le besoin, de ralentir le temps.

En ce sens, Hartmut Rosa dans son ouvrage « Accélération » nous montre qu’en effet le temps de l’accélération, c’est-à-dire, notre temps, a pris cette valeur de la vitesse, de la course effrénée, avec le développement du capitalisme et de la révolution individuelle, dans ce qu’il appelle, la modernité tardive.

    Il y a une triple accélération. D’abord accélération technique qui renvoie au rythme croissant de l’innovation dans le domaine des transports, de la communication et de la production. Puis il y a accélération sociétale dans toutes les institutions : la famille, l’école, le travail. Les pratiques se modifient très vite, et règne l’instabilité. Et puis, il y a accélération individuelle du rythme de vie. Les individus contemporains ressentent de plus visiblement que le temps leur manque, que leur est compté dans la mesure où ils doivent faire de plus, en plus de choses en même temps. Et les deux moteurs de cette triple accélération sont : d’une part, l’organisation des sociétés contemporaines autour d’une logique de compétition, de la concurrence. Je cite de nouveau Hartmut Rosa: « Il y a chez les individus une négociation concurrentielle permanente qui pousse chacun à une dépense d’énergie de plus en plus importante  pour être à la hauteur ».

     Et le deuxième moteur de cette triple accélération de notre civilisation, c’est l’idée, évidemment culturelle, selon laquelle une vie accomplie passe par la réalisation du plus grand nombre d’expériences et le déploiement le plus étendu de nos capacités individuelles.

Et les conclusions de cette analyse sont très pessimistes. Dans son dernier ouvrage Hartmut Rosa montre que l’accélération implique aliénation, les individus ne s’appartiennent plus. Ils sont happés par une logique de concurrence qui les pousse à en faire toujours plus puisque c’est techniquement possible et culturellement valorisé, et le gain de plus de temps lié à l’innovation technique se trouve annulé. Par exemple l’envoi de emails est plus rapide que l’envoi du courrier postal, mais entraîne que chacun entretient une correspondance beaucoup plus étendue, beaucoup plus importante que par le passé, et donc on a l’impression d’être submergés, malgré l’innovation technique. Donc le rythme de vie augmente, à la fois à cause de l’innovation technique, et en dépit d’elle.

Donc, au lieu de « donner du temps au temps », selon la célèbre formule, nous avons le sentiment que nous avons toujours plus de choses à faire. Il nous faudra donc écouter la leçon de La Fontaine : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point », ou mieux encore, la sagesse du proverbe populaire « Chi va piano, va sano » (Qui va doucement, va sûrement)

      En effet, certains mouvements sociaux porteurs d’alternative à cette vitesse, nous incitent à le faire, à vivre avec lenteur.

Déjà au 19ème siècle Karl Max proposait la réduction de la journée de travail, comme condition de la liberté. Et son neveu, Paul Lafargue faisait « l’éloge de la paresse ». . Depuis une vingtaine d’années, les mouvements,  slow food, slow life,  slow science, nous invitent  à penser et à vivre d’autres relations au temps. Elles nous invitent à penser une relation au temps autre que celle de la vitesse et celle du gain de temps imposée par la logique du rendement et de la rentabilité, et du profit. Ils font « l’éloge de la lenteur », c’est le titre d’ailleurs d’un ouvrage du journaliste canadien, Carl Honoré qui est la figure de proue de ce mouvement, et qui propose de prononcer tous les préjugés à l’encontre d ‘un mode de vie ralenti. C’est dans le n° 239 de sciences humaines, que j’ai trouvé le maximum de renseignements sur ces mouvements slow et leurs déclinaison.

Quel que soit le dictionnaire, les synonymes pour la lenteur sont peu flatteurs : le lent – l’apathique – l’endormi – le flemmard – le gnangnan – le traînard – le pataud, etc. Donc, ceux qui se disent, ralentis (c’est comme ça qu’ils s’appellent), c’est que militer pour la lenteur, ce n’est pas refuser la vitesse, mais c’est combattre la valorisation de l’image de l’homme ou de la femme, hyper actifs , pressés, débordés ; de celui qui met en avant sa célérité pour prouver son importance. Donc, il s’agit de prôner comme disait Epicure, une sagesse de l’équilibre, ou selon Aristote, une sagesse de la prudence.

Refuser la tyrannie de l’immédiat, c’est gouverner le temps présent au lieu d’être gouverné par lui, en finir avec l’obligation  de tout faire plus vite ; et puis aussi, reconnaître que le multitâche, l’art d’accomplir plusieurs tâches à la fois, n’est qu’une autre face du mythe de l’efficacité.

Les principes de ces mouvements slow, premier principe: c’est rechercher le temps juste pour chaque activité, ne pas vouloir le même temps pour toutes les activités. Deuxième principe, c’est, remplacer « le temps c’est de l’argent », par « le temps c’est de la vie ». Troisième principe, redonnons du temps aux individus, par exemple pouvoir prendre les transports en commun, pouvoir pique-niquer dans un petit parc au lieu de manger en marchant dans la rue. C’est l’objectif des slow cités qui ont une politique municipale, créer plus de  zones piétonnes, c’est l’interdiction des grands centres commerciaux, et la mise en valeur du patrimoine bâti, plutôt que la construction de nouveaux bâtiments.

    Il paraît que dans le monde il y  a une centaine de villes qui pratiquent cette politique de la lenteur, dont une en France, Segonzac dans la Charente. Le mouvement le plus emblématique de ce principe du ralentissement du temps, c’est en 1986 en Italie, le « slow food ». Les Romains étaient très en colère en voyant s’installer un Mac do près du Forum. Alors un critique gastronomique, Carlo Petrini a inventé ce qui deviendra le « slow food », c’est-à-dire qui va favoriser ce qu’on ne trouve pas dans les « fast food » : des produits frais, locaux, de saison, des recettes transmises par les générations du passé, des dîners lents entre amis, en famille. Bref, le mouvement connaît un succès important, et sème à travers le monde, et l’éducation.  Et le goût de l’éducation lente devient un de ses piliers, et il paraît que Carlo Petrini met en place avec le gouvernement allemand, les bases d’un programme national d’éducation au goût.

     Ce mouvement contribue à réhabiliter des espèces de fruits et légumes à travers le monde. Et puis, il y a aussi, le slow cité, et la ville, d’Orvieto en Italie est l’exemple type de la ville lente. C’est aussi le siège du réseau des « slow cittá » qui a été fondé en 1999 et qui pilote 118 villes de moins de 50.000 habitants, ce qui est le seuil maximum pour entrer dans ce réseau.

Dans ce mouvement dirigé par Olivetti, cela commence par le rejet de la voiture. Par exemple dans la ville d’Orvietto, les sens interdits succèdent aux interdictions de stationnement, et la ville est découpée en cercles concentriques, de l’extérieur vers l’intérieur. Au centre de la ville, la tolérance est plus ou moins grande, et quasiment interdite en centre ville.

     Alors, ainsi en quelques années les voitures ont disparu au prix de gros investissements. Les parkings sont construits aux extrémités de la ville. Des escaliers mécaniques, des funiculaires, des ascenseurs sont construits pour permettre que cette ville soit calme et offerte à la déambulation des piétons. Les anciens parkings sont convertis en terrasses, les nouveaux commerces ne doivent pas dépasser les 2000m2. Et bien ! Quand on a cette politique  municipale d’une ville lente, évidemment, cela implique que le développement économique prend une autre allure.

Un autre exemple, est la slow science. Ralentir pour accélérer la recherche. C’est un mouvement qui est défendu par des scientifiques depuis une vingtaine d’années, et qui met en lumière l’incompatibilité entre la pratique de la recherche et l’impatience, la pression du résultat, et le culte de l’excellence freinent au lieu de simuler la recherche scientifique. La recherche scientifique exige liberté et créativité, et pour cela il faut de la patience et du temps, du temps lent.

D’ailleurs les historiens des sciences sont d’accord avec cette option, en montrant que les inventions scientifiques ne découlent jamais d’une illumination ou de trouvaille accidentelle, mais dans un travail de longue haleine, de la confrontation du type entre les travailleurs de la fin. Donc en 2010 une slow science académique a vu le jour du côté de Berlin dans un manifeste rendu public sur Internet. Cette slow science académique déclare ne pas être opposée à une science plus rapide, mais dément tout ce qui réduit la recherche à une course à la performance, à des appels à projet, des demandes de financement, des obligations de publication, etc. qu’elles transforment les chercheurs en vendeurs de compétence. Il faut être compétent pour demander du financement, compétent pour faire appel à un projet, etc. Et plus on est compétent, plus on est considéré comme chercheur. L’idée n’est pas de diminuer la quantité de travail, mais simplement de l’étaler sur une durée plus longue pour que soit cultivé un temps plus favorable à la créativité.

Donc on a plusieurs relations au temps possible. A partir de la compréhension de ces relations au temps, pour moi, il s’agit ni de gagner du temps, ni de ralentir le temps, mais il s’agit pour moi de changer l’usage du temps, et, ce, dès maintenant dans notre société dominée par la rentabilité, le culte de la performance, et l’obligation de rendement.
Il y a cinquante ans les sociologues analysaient le travail et la civilisation du travail, comme une civilisation qui évidemment implique une aliénation extrême, et en particulier, Georges Friedmann dans son ouvrage « Le travail en miettes », met en évidence l’émiettement du travail et l’aliénation fondamentale de l’individu travailleur. Et ce sociologue s’interrogeait sur l’évolution des formes de travail dans un autre ouvrage : « Où va le travail humain ? » et il pensait qu’il était possible qu’une civilisation de loisirs se mette en place après la civilisation du travail justement en raison de l’aliénation extrême qui allait pousser les travailleurs à la chaîne à se mobiliser contre cet émiettement du travail et de la production. Et, avec un autre sociologue, Joffre Dumazedier, ils ont écrit un ouvrage qui s’appelle : « Vers une civilisation du loisir ». Donc ils pensaient que c’était possible. Or nous constatons cinquante ans après que nous jamais si peu travaillé, et que nous n’avons jamais eut autant de mal à faire tenir nos activités dans une même journée de vingt quatre heures. Nous sommes très loin de la civilisation du loisir. Dans ce même numéro de « Peut-on ralentir le temps » il y a des études intéressantes, et notamment des études de l’Insee sur les inégalités face au travail, et face aux loisirs. On montre que le temps des cadres, et le temps des ouvriers, des employés, n’est pas le même. On peut montrer que le temps des hommes, et le temps des femmes sur vingt quatre heures n’est pas le même, quand on découpe sur 24 heures en temps domestique, temps de travail, temps de loisirs. Tout cela ne met pas en question que le mode dominant de notre relation au temps c’st la relation à la vitesse, à l’accélération au toujours plus. Et cela est vrai même pour le temps des adolescents, pour lesquels toutes les activités ont pour fin la performance et pour moteur la concurrence.

     Donc le rendement au travail reste un modèle de l’usage du temps. Eh bien ! il me semble, et à la suite de ce qui s’est passé dans les années 80  en Italie et puis en France, il me semble qu’on peut essayer de changer au niveau local, au niveau des municipalités par exemple. Des municipalités se sont dotées de bureaux de temps pour proposer des emplois plus adaptés à la fois au rendement des entreprises et des services, et aussi, aux choix des personnes.

     Autrement dit, l’initiative montre qu’on peut avoir la volonté de changer dès maintenant pour le maximum de gens  à l’intérieur même de nos sociétés dirigées par l’idéologie de la rentabilité et de la concurrence, on peut changer les usages du temps. Parce que ce qui est important pour moi, c’est qu’il faut avoir au sein d’une journée, au sein d’une vie, plus de temps libre, et moins de temps contraint. (Edith Deléage Perstunski. Professeure de philosophie)

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