Utilité (Inutilité)

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Les Danaïdes. John William Waterhouse.
1903. Collect. particulière

Vocabulaire technique et philosophique Lalande: Ce qui a sa valeur, non pas en soi-même, mais comme un bon moyen d’une fin jugée bonne à quelque point de vue que ce soit.

Le Grand Robert de la Langue Française : Du latin «  utilis », « qui sert », « avantageux »

L’utile est aussi lié à l’intérêt de carrière, pécuniaire.

Dans bien des domaines l’utile est mis en opposition au nuisible, au superflu, ce qui souvent implique un jugement moral, un jugement de valeur.

Le mot utile a quelque chose de péjoratif lorsqu’il est utilisé pour une personne. En effet ce mot est d’abord désigné aux objets, à une situation

Est utile ce qui convient, ce qui s’adapte, ce qui rempli une fonction, ce qui correspond à un besoin. Donc concernant une personne, c’est contraire à l’impératif kantien, puisque la personne est considérée comme moyen et non comme une fin.

Plus spécialement ; ce qui sert à la vie ou au bonheur (le plus souvent) mais non pas toujours par opposition aux fins spirituelles, tel, la beauté, la vérité, ou la justice.

Synonymes : Bon. Fructueux. Important. Nécessaire. Profitable. Salutaire.

Contraires : Inutile. Vain. Oiseux.

Par analogie : Aller. Apporter de l’eau au moulin. Avantageux. Bénéfique. Bon pour. Commode. Convenir. Faire l’aller. Favorable. Fécond. Fructueux. Efficace. Être de bon rapport. Indispensable. Important. Profitable. Rendre service. Salutaire. Tirer parti de. Y trouver son compte.

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Dans le film I. Origins,  une chercheuse s’est engagée dans une tâche immense. Le responsable du labo lui dit:

 – On peut chercher comme ça toute une vie et ne rien trouver. Ce à quoi elle répond :              

 – Déplacer des montagnes et ne rien trouver, c’est déjà un progrès.. »

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Un ouvrage porte ce titre : « L’utilité de l’inutile ». Dans cette société actuelle qui met en exergue l’utilité, ce qui génère du profit, l’auteur se penche sur l’utilité des savoirs, des recherches  qui n’ont pas à coup sûr un retour financier. Il évoque l’utilité des curiosités dans divers domaines de connaissances liées à notre fond culturel, des études à but totalement désintéressé, à seul fin humaniste.

Certains savoirs dit l’auteur, « sont des fins en soi »

A travers les réflexions de grands philosophes et écrivains l’auteur nous montre comment l’obsession de posséder et le culte de l’utilité finissent par dessécher l’esprit, en mettant en péril les écoles et les universités, l’art et la créativité, ainsi que certaines valeurs fondamentales telles que la dignité humaine, l’amour et la vérité»  (Olivier Hueber)

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« Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans  cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile » (Albert Camus. Le mythe de Sisyphe)

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Parmi ce qu’on peut classer dans l’inutile viennent, nombre d’accessoires vestimentaires, et pourtant ça devient utile dans le sens ou cela crée une activité économique liée à des emplois. Maintenant que tout le flux monétaire, circulant pour cet inutile d’accessoires, pourrait palier à de graves problèmes dans nos sociétés, tel la faim dans le monde, c’est là un tout autre débat ; et là nous avons le paradoxe suivant, c’est-à-dire qu’une société qui est d’abord axée sur ce qui est utile, peut en même temps avoir le goût de l’inutile.  « Le 3ème empereur de la 21 ème dynastie Tang à qui l’on apporta des pierres précieuses trouvées dans une mine, la fit fermer ; ne voulant pas fatiguer son peuple à travailler pour une chose qui ne pouvait ni le nourrir, ni le vêtir » (Montesquieu. L’esprit des lois)

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Les Stoïciens nous rappelleraient peut-être que le sentiment d’inutilité est le contre poids nécessaire à l’exigence d’utilité, de finalité programmée ; ainsi tel cadre qui ne vit que pour son travail, qui est restructuré, dégraissé, licencié, mis totalement à l’écart du monde du travail, va faire l’horrible constat que l’entreprise continue à vivre sans lui, le proverbe nous rappelle que « les cimetières sont pleins d’indispensables ». (Luis)  

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    Ce diable d’animal pensant qu’est l’homme, cette poussière d’étoile,  veut à tout prix que sa vie soit utile. L’animal se contente de la vie sensible, il vit à  l’instinct (comme certains hommes peut-être, quand même rares) …Mais depuis les mythes qui nous parlent de Sisyphe,  aux religions qui nous culpabilisent dès la naissance, et jusqu’à ce monde où Dieu serait mort, l’homme n’en finit pas de cogiter, de contempler son nombril, « de tourner sa vie dans les sens pour voir si la vie a un sens »  (nous dit le chanteur) de se livrer à des introspections :  « Que sais-je » nous dit Montaigne, « Que puis-je savoir » nous dit Kant, pour finalement douter, mais exister avec le « cogito ergo sum » cartésien,mais si je doute, il se peut que tout soit vain, inutile, et que j’ai trop privilégié l’intellectuel et négligé le sensible, l’animal.

« Ce qui est terrible », nous dit Jean-Paul Sartre « Ce n‘est pas de souffrir dans cette vie, de souffrir pour mourir, mais de mourir en vain ».  Alors nous cherchons si notre vie est utile, nous allons vers la philosophie, pour voir quel philosophe  répondrait le mieux à nos questionnements métaphysiques : nul ne répond à toutes ces questions, mais chez chacun, nous pouvons découvrir un début de réponse. La sagesse que nous recherchons pour nous aider à vivre cette stupidité de la vie ; ce sera  entre autres Cicéron qui nous la montre. Nous mettons la barre si haut que peu de nous  peuvent l’atteindre, alors il y a sentiment d’échecs, d’efforts inutiles : ce qui compte nous dit Cicéron ce n’est pas d’atteindre la cible, c’est d’être « le bon archer », de viser au mieux pour attendre cette cible, qu’on l’atteigne ou pas (obligation de moyens, et non obligation de résultat). Oui la philosophie peut nous aider à mesurer l’utile, et notre rôle sur cette terre. (Luis)  

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Principe de Gabbor : « Tout ce qui est techniquement faisable doit être réalisé. Tout ce qui est vendable sera vendu, que ce soit moralement bon ou condamnable. Le choix appartient à la seule loi de l’offre et de la demande ». (Denis Gabbor)

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Extrait du débat, avec les conteurs:    « L’utilité de l’inutile »        26 novembre 2014.

Introduction : Il n’y a vraiment que la fréquentation des conteurs pour amener à proposer un thème aussi paradoxal, avec un intitulé qui est un oxymore. Mais dans ce lieu de la Maison du Conte, où l’on raconte des histoires avec de beaux mensonges qui parfois dévoilent des vérités, on sait manier toutes les apparentes contradictions, on sait raconter des histoires saupoudrées de poudre de perlimpinpin pour nous faire dormir debout. Dans le livre Pourquoi faut-il raconter des histoires ? le conteur Mohamed Kacimi, évoquant les histoires et les contes, nous dit : « L’histoire n’est pas une fabulation, ni un mensonge. L’histoire, c’est la réalité que l’on invente quand le réel du monde est en deçà de nos attentes. »

Le conteur sait jouer avec la passion de l’inutile; il nous prodigue ce temps si nécessaire du superflu.  « Je veux »,disait Victor Hugo dans Les misérables, « du superflu, de l’inutile, de l’extravagant, du trop, de ce qui ne sert à rien. »

     Le conteur nous fait parfois sortir un instant du raisonnement rationnel et accepter qu’un effet n’ait pas nécessairement de cause, qu’il échappe à la logique, qu’il soit sa propre raison, sa « cause en soi ».  C’est enfin briser cette chaîne infernale des causes et des effets, car si je me concentre à chercher la cause, j’oublie de profiter de l’effet, je convoque le tribunal de la raison et j’oublie l’essentiel : « vivre pour vivre ». Si nous connaissons la cause de l’arc-en-ciel, nous admettons qu’il n’a aucune utilité réelle, évidente, sinon, le beau, l’inutile; et là, je libère totalement ma pensée pour ne profiter que du sublime effet.

      Maintenant, nous débattrons sûrement autour de ce qu’on nomme utile ou inutile, tel les accessoires vestimentaires, les gadgets, les applications numériques; du nécessaire au superflu. Et peut-être doit-on parfois placer le luxe dans l’inutile, de ces dépenses dîtes somptuaires qu’on pourrait rendre, cette fois, ô combien, utiles ; ou encore évoquer l’exploit de l’inutile, comme manger une pizza de trois mètres de circonférence pour faire le buzz, ou figurer dans un livre des records.

     Enfin, nous savons que des philosophes se sont posé la question de l’absurdité et de l’utilité de la vie. Roger-Pol Droit nous donne une belle définition en ce sens dans son livre « Dernières nouvelles des choses « : « Nous avons, nous autres, singes ratés, depuis la nuit des temps, inventé et célébré, continûment l’indispensable nécessité des choses inutiles à notre survie. »

J’arrête là, car j’ai plein de choses encore à faire, entre autres, j’ai encore deux girafes à peigner avant ce soir ! (luis)

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Extrait du débat, avec les conteurs: « L’utilité de l’inutile »  26 novembre 2014.

Utile et inutile sont des notions relatives, il n’y a pas d’utilité ni d’inutilité absolue. Ce qui fut utile en un temps, ne l’est plus forcement aujourd’hui et inversement. Plus, ce qui utile aux uns peut être nuisible aux autres, voire être à la fois utile et nuisible.

Par exemple, la voiture est utile pour voyager et nuisible pour l’environnement. D’autre part, utile, n’est pas une fin en soi, ce n’est qu’un moyen efficace en vue d’une fin désirée. Et le sentiment d’utilité et d’inutilité est fonction de la fin désirée. Si je désire, le bonheur, la paix, la justice, alors, je me pose la question de savoir ce qui est utile pour les réaliser.

Donc, la question est de savoir ce que nous désirons, pour savoir ce qui est utile et ce qui est inutile. Par exemple, pour moi, pour des raisons qui tiennent à mon histoire personnelle, je désire toujours m’engager pour une cause ou pour une autre. J’ai l’estime de moi quand je suis engagée avec d’autres : pour la paix au Moyen-orient, pour l’éducation des filles partout dans le monde, pour le développement de la réflexion philosophique, etc. Donc, c’est en fonction de cela que certaines initiatives et certains comportements me semblent utiles ou pas.

Or, aujourd’hui, nous sommes dans une société dite postmoderne, c’est-à-dire une société qui se déstabilise, qui se déshabitue à croire aux grands récits et dans le sens de l’Histoire au collectif. Nous sommes dans une société où triomphe l’individualisme, alors, à quoi bon s’engager ? L’engagement est perçu comme inutile par une majorité de gens. Et puis, nous sommes dans une société qui valorise la consommation : à quoi ça sert, si ce n’est pas un objet de consommation ?

Sont utiles : les arts, la poésie, les contes, la lecture, la réflexion, l’imagination du futur, les idéaux, les sentiments de beauté de la nature, la philosophie, la culture. Et puis, il a aussi dans une société, où tout, y compris l’être humain, doit fonctionner et être très rentable. L’utilité fonctionnelle est valorisée.

Donc, c’est bien parce que nous sommes dans ce type de société de l’individualisme, de la consommation, de toujours plus de compétence, et c’est parce que j’ai un autre projet de société que je pense qu’il faut éduquer de plus en plus nos enfants, c’est-à-dire les générations futures, pour que les jeunes à qui on propose des activités hors-norme,  ne disent plus : A quoi ça sert ? A quoi ça sert la philosophie ? A quoi ça sert les arts ? A quoi ça sert les idéaux ? A quoi ça sert le sentiment de beauté ? Etc. (Edith Deléage-Persunski. Professeure de philosophe)

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L’utilité de l’inutile

Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! Non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile

Décortiqueur de mots absurdes

Jongleur de concepts abscons

Vain adorateur de balcons

Agitateur des interludes

Ta langue est trop verte ou trop rude

Quand tu franchis le Rubicon

J’écris ton nom sur l’ostracon

Je défends les oreilles prudes

Poète vos papiers !

Poète vos papiers !

J’ai tout bien aligné, mes perles d’inculture

Sur un papier buvard qui boit les mots fuyants

Mais le stylo s’enlise au gré des fioritures

Posées comme au hasard, jetées en bégayant

Un dictionnaire des rimes n’est pas une sinécure

On se croit un poète, on se croit foudroyant

Noyé dans les brouillons, perdu dans les ratures

On n’est qu’un gratte-papier, vaguement larmoyant

Velouté de plume à réduire

Larmes de crocodile sacré

Roi du manuscrit massacré

Où est le permis de conduire

De cette machine à séduire

Cachez ces petits mots sucrés

Fermez vos verbes échancrés

Vos épitaphes à introduire

Poète vos papiers !

Poète vos papiers !

Au milieu de la phrase, un mot s’est révolté

Il se sentait coincé au bord de l’hémistiche

Entre ce e muet complètement exalté

Et des lettres bien sages qui minaient l’acrostiche

Florence Desvergnes 

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Extrait du débat, avec les conteurs: « L’utilité de l’inutile »  26 novembre 2014.

Ce qui m’a intéressé autour de ces deux termes, ce sont les expressions par analogie. Ainsi, pour l’inutilité, nous avons : Etre la cinquième roue du carrosse – Pisser dans un violon – Prêcher dans le désert – Poser un cautère sur une jambe de bois – Peindre la girafe – Un acte gratuit – Etc. Et la métaphore du tonneau des Danaïdes.

Le mythe des Danaïdes est issu et connu à partir de l’œuvre Les Suppliantes d’Eschyle.

Les Danaïdes, qui sont les cinquante filles du roi Danaos, sont obligées pour amener la paix, d’épouser leurs cinquante cousins, fils du roi Egyptos. Mais, lorsque vient la nuit de leurs noces, elles tuent ces maris qu’elles ne veulent pas. Elles seront condamnées aux Enfers où elles devront sans cesse remplir des jarres trouées. Avec le temps les jarres sont devenues un tonneau. Et il nous reste le mythe, ce symbole de la tâche totalement inutile, d’où l’expression : Remplir le tonneau des Danaïdes. Mais il nous reste aussi le symbole (utile?) qu’est le refus de la soumission. (Luis)  

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Extrait du débat, avec les conteurs: « L’utilité de l’inutile »  26 novembre 2014.

Un bel exemple sur ce sujet, sur ce qui pour certains peut paraître inutile.

Dans un roman récent, Le liseur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent, un homme travaille dans une usine qui détruit les livres invendus destinés, suivant l’expression, au « pilon ».

Chaque jour, il doit nettoyer l’énorme machine qui broie les livres, mais il récupère, par ci, par là, une page non détruite collée à la paroi de la monstrueuse machine.

Chaque matin, il prend le train de banlieue à 6 h 27 et, là, il s’assoit sur un strapontin, toujours le même, puis il sort de sa serviette des feuilles et il se met à lire tout haut. Les voyageurs sont habitués et sont devenus fervents de ces lectures qui vont de la recette de cuisine à un ouvrage sur les aborigènes d’Australie ou un roman ou des conseils de jardinage.

Ce moment où l’inutile vient un instant casser le rythme parfois stupide de la vie devient un moment privilégié ; cet inutile leur devient presque indispensable.  (Luis) 

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« … Mais il n’y a rien d’inutile en la nature ; non pas l’inutilité même : rien ne s’est ingéré en cet univers, qui n’y tienne place opportune »  (Montaigne. Essais. L III. § I)

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L’inutile, du moins inutile pour certains est pour moi nécessité : La littérature est pour moi une des nécessités de l’inutile. Et de quoi parlerait-on ici entre-nous, s’il n’y avait pas tous ces écrits. « Un mode sans littérature » écrit Mario Vargas Llosa, «  serait un monde sans désir, sans idéal, sans insolence, un monde d’automates privés,  de ce qui fait qu’un être humain le soit vraiment, (avec) la capacité de sortir de soi-même pour devenir un autre et des autres, modelés dans l’argile de nos rêves »

Dans toutes les grandes villes du monde, c’est pareil, l’homme moderne, universel, c’est l’homme pressé, il n’a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité, il ne comprend pas qu’une chose puisse ne pas être utile; il ne comprend pas non plus que, dans le fond, c’est l’utile qui peut être un poids inutile, accablant. Si on ne comprend pas l’utilité de l’inutile, l’inutilité de l’utile, on ne comprend pas l’art; et un pays ou on ne comprend pas l’art est un pays d’esclaves et de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne rient pas, un pays sans esprit; ou il n’y a pas d’humour, ou il n’y a pas le rire, ou il y a la colère et la haine.” (Ionesco) et on pourrait ajouter, un pays ou les hommes peuvent devenir des proies faciles pour les fanatismes les plus fous.

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Un ouvrage “L’utilité du savoir inutile” paru en 1939 a été  écrit par Abraham Flexner nous propose un récit très intéressant de quelques grandes découvertes scientifiques pour montrer comment les recherches scientifiques, d’abord jugées inutiles, parce que dépourvues de toute visée pratique ont finalement débouchées contre toute attente sur des applications qui, du domaine des télécoms à celui de l’électricité, se sont révélées fondamentales pour l’humanité.

Et dans cette même un ouvrage . “L’utilité de l’inutile, »  a été écrit en 2013 par le philosophe italien Nuccio Ordine et l’objet de son livre rejoint celui de Flexner et consiste à défendre l’idée que même en temps de crise, il n’est pas vrai que seul ce qui est source de profit soit utile.  « Certains savoirs sont des fins en soi et précisément parce qu’ils sont par nature gratuits, désintéressés et éloignés de toute obligation  pratique et commerciales, ils peuvent jouer un rôle fondamental dans la formation de l’esprit et dans l’élévation du niveau de civisme et de civilisation  de l’humanité »

C’est surtout dans les moments de crise économique, quand l’utilitarisme et l’égoïsme le plus sinistre semblent être l’unique boussole ou l’unique ancre de salut, qu’il faut comprendre, que l’utilité de l’inutile, c’est l’utilité de la vie, de la création, de l’amour, du désir”. Ordine nous rappelle que sans une telle prise de conscience il serait bien difficile de comprendre que “lorsque la barbarie a le vent en poupe que le fanatisme s’acharne contre les êtres humains, elle s’acharne aussi contre les bibliothèques et les œuvres d’art, contre les monuments et les chefs d’œuvre. La furie destructrice s’abat sur ces choses considérées inutiles : les livres hérétiques consumés dans les flammes de l’inquisition, les ouvrages décadents lors des autodafés des Nazis à Berlin, la destruction des bouddhas de Bâmiyân par les Talibans en Afghanistan, ou encore les bibliothèques du Sahel à Tombouctou menacées par les jihadistes maliens. Autant d’œuvres inutiles et désarmées, silencieuses et inoffensives, mais dont la simple existence est perçue comme une menace”.

Voilà pourquoi Ordine croit de toute façon “qu’il vaut mieux continuer de se battre en restant persuadés que les classiques, l’enseignement et l’art de cultiver le superflu qui ne produit aucun profit peuvent nous aider à “résister”, à conserver une lueur d’espoir, à entrevoir un rayon de lumière qui nous permettent de rester sur la voie de la dignité”. Car, continue Ordine, “si nous laissions périr ce qui est inutile et gratuit, si nous écoutions le chant des sirènes qu’est l’appât du gain, nous ne ferions que créer une collectivité privée de mémoire qui, toute désemparée, finirait par perdre le sens de la vie et le sens de sa propre réalité”. “Et il deviendrait alors difficile d’espérer que l’ignorant homo sapiens puisse conserver le rôle qu’il est censé jouer : rendre l’humanité plus humaine…”

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 Anecdote : Le sentiment d’utilité :« Une vielle chinoise possédais deux grands pots, chacun suspendu au bout d’une perche qu’elle transportait appuyée sur son cou. Un de deux pots était fêlé, alors que ‘autre était en parfait état et rapportait toujours sa ration pleine d’eau. A la fin de la longue marche du ruisseau à la maison, le pot fêlé lui n’était plus qu’à moitié rempli d’eau. Tout ceci se déroula quotidiennement deux années complètes. Un jour le pot fêlé n’en pouvant plus de cette situation demanda à la vieille femme comment elle contribuait à l’utiliser pour si peu de rendement. La vieille dame sourit ; « As-tu remarqué que je marche toujours du côté gauche de la route ? As-tu remarqué que tu es toujours du côté gauche de la perche ? As-tu remarqué que souvent je m’arrête un instant pour cueillir des fleurs que je rapporte à la maison ? Alors comment se fleurs pousseraient sans eau ? »

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